B (Recueil de Dambourney)

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A
Recueil de procédés et d'expériences sur les teintures solides
C



B


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BACINET

BACINET, (Ranunculus bulbosus.) Cette petite plante dont les fleurs jaunes, qui semblent enduites d'une couche de vernis, annoncent le printemps, est assez connue des jardiniers par sa prodigieuse & incommode multiplication. Une poignée des plantes entières, fleuries le 14 Mars, a été pilée dans un mortier de marbre & cuite pendant une heure & demie dans trois-quarts de pinte d'eau. Le bain olive-jaunâtre a donné, en trois heures de bouillon, à un gros de laine d'apprêt LF, une couleur tendre de cigogne très jolie & solide.


BAGNAUDIER D'ORIENT

BAGNAUDIER D'ORIENT, (Colutea Orientalis.) Cet arbrisseau réussit en Normandie & s'y multiplie de ses semences & rejetons. Quatre onces de ses brindilles fraîches, hachées & cuites pendant deux heures dans une pinte d'eau, m'ont donné un bain jaune-salé (80) qui ne promettait rien. Cependant, en quatre heures de bouillon, un gros de laine d'apprêt LF y a pris une bonne couleur de musc.


BAGNAUDIER COMMUN

BAGNAUDIER COMMUN, (Colutea Arborescens.) Il atteint plus de hauteur & de force que le précédent. En procédant de même, j'ai obtenu de celui-ci sur la laine du même apprêt, seulement une couleur de vigogne.


BALSAMINE DES JARDINS

BALSAMINE DES JARDINS, (Impatiens Balsamina.) Cette jolie plante annuelle & d'automne est très facile à multiplier par ses graines, & notamment l'espèce simple dont il est ici question.

J'ai pris, le 12 d'Août, une bonne poignée des fleurs incarnates & simples, & je les ai fait cuire pendant une heure dans trois-quarts de pinte d'eau. Le bain soutiré ressemblait à une décoction de safran. Un gros de laine LF y acquit, entre chaud & bouillon, un jaune-foncé-ravenelle qui résistait au savon & au vinaigre. En laissant bouillir la couleur se ternit & verdoie.

Un gros de laine d'apprêt E, abattu dans un bain pareil, n'y prit que demi-teinte de la même couleur.

Ces laines enlevées, je réunis les deux déchets dans un même vase, & j'y abattis un gros de laine préparée par la solution de cuivre, ou d'apprêt C. Elle y prit en une heure une bonne couleur de vigogne tirant sur le coton de Siam, & une troisième mise de ladite laine C, y acquit encore, en trois heures de bouillon, un beau musc-marron très égal & bien solide.

Le lendemain je pris une moyenne plante entière de cette Balsamine & j'en fis un bain qui devint trouble & louche, mais de fonds jaune. La laine d'apprêt LF y acquit un beau jaune-verdâtre transparent ; celle d'apprêt E, seulement une vigogne-claire.

De la laine d'apprêt C, abattue dans le déchet, y prit, en trois heures de bouillon, un musc-maron plus foncé que dans le bain des fleurs seules. Ce maron rabattu dans un bain de baies sèches de Bourdaine, y ac- [82] quit une belle nuance de manteau-Sainte-Thérese.

Ce colorant est excellent. La plante à fleurs incarnates simples peut être semée en plein champ à la fin de Mars, & employée en Août & Septembre suivant. Je regrette de n'avoir point essayé d'en faire sécher à l'ombre pour en conserver, ce que je crois assez difficile, vu la quantité de mucilage dont cette plante est remplie.


BARDANE

BARDANE, (Arctium Lappa.) J'ai employé successivement les feuilles & les racines sans en rien obtenir de mieux qu'un vilain jaune-olivâtre & sale. Ce n'est pas en teinture qu'il faut user de cette plante ; il convient de la brûler verte, entre fleur & graine, dans un trou en terre, en évitant de laisser échapper la flamme. Trois livres de ces cendres m'ont produit seize onces de salin alcali très blanc, & aussi bon que de la potasse réverbérée. Cela mériteroit de semer cette plante, très peu délicate, dans des friches, où dès la seconde année on pourroit en couper les feuilles & tiges pour les incinérer.


BEHEN BLANC

BEHEN BLANC, (Cucubalus Behen.) Cette herbe est commune dans les friches sablonneuses, le long des chemins, & au pied des haies. Une poignée de ses tiges & feuilles fleuries cuite pendant une heure & demie dans trois-quarts de pinte d'eau, m'a donné un bain ardoisé trouble, dans lequel, en trois heures de bouillon, la laine d'apprêt LF a pris une couleur de merd'oie presque musc, agréable, & bien assurée.


BELLE-DAME

BELLE-DAME, (Atropa Bella-Dona.) Voilà encore un de ces sujets bien trompeurs, & qui m'ont fait perdre un temps précieux. Le suc pourpré dont ses baies sont remplies ne semblait pas moins me promettre qu'un supplément à la cochenille ; mais au premier feu, il se vira en un vert herbacé qui ne déblanchit pas la laine, de quelque apprêt qu'elle fût. La décoction de ses feuilles & tiges ne lui communiqua non plus, après trois heures de bouillon, qu'un olive-fade & jaunâtre.

BENOITE

BENOITE, (Geum Urbanum.) Cette plante vivace est répandue presque partout dans les terrains sablonneux, au pied des haies & dans les taillis. Une poignée de ses racines broyées dans un mortier, m'a donné un bain couleur de noisette exhalant une douce odeur de gérofle, lequel en trois heures de bouillon fit acquérir à un gros de laine d'apprêt LF, une belle couleur de-musc-doré, bien corsé & solide. Un bain formé des plantes entières, a donné à la même laine une jolie couleur de noisette.


BERLE

BERLE, (Sium Latifolium.) Une poignée des feuilles & tiges fleuries de cette plante, hachée & cuite pendant une heure & demie dans une pinte d'eau, m'a procuré un bain olivâtre qui sentoit l'angélique. Un gros de laine d'apprêt LF, en trois heures de bouillon, n'y a pris qu'une foible couleur de vigogne peu transparente.


BÉTOINE

BÉTOINE, (Betonica Officinalis.) Presque tous les taillis clairs sont tapissés de cette plante utile. Une forte poignée de ses feuilles & tiges fleuries, m'a donné un bain jaune fauve, qui exhaloit une vive odeur de romarin. Un gros de laine d'apprêt LF y a pris d'abord un jaune-opaque, lequel, après encore trois heures de bouillon, devint un musc-foncé très beau & solide.

BETTE-RAVE

BETTE-RAVE, (Beta-Rubra.) La racine écrasée dans un mortier de marbre communique à l'eau, dès la première chaleur, une couleur rouge admirable que le bouillon tourne en un aurore sale. A quelque degré que j'aie pris ce bain, il n'a pu rien faire acquérir à la laine d'aucun apprêt.


BIDENS TRIPARTITA

BIDENS TRIPARTITA. Cette plante annuelle croît spontanément aux bords des rivières, des mares ou étangs, & dans les lieux frais & ombragés. Il est facile d'en ramasser la graine & de la multiplier ainsi qu'elle le mérite. Une forte poignée de ses feuilles & tiges fleuries, hachée & cuite pendant une heure & demie dans une pinte d'eau, a produit un bain aurore-olivâtre [86] très intense & mucilagineux. Un gros de laine LF y acquit en demi-heure de chaleur douée, un jaune-aurore-doré fort riche, que le bouillon renforça sans le ternir. De nouvelle laine abattue dans le déchet, y a pris encore un beau jaune-aurore.

La bonté de cet ingrédient m'a fait désirer de le rendre disponible en toutes saisons & circonstances. J'en ai donc cueilli des plantes entières, entre fleur & graine, lesquelles j'ai fait sécher à l'ombre. J'en ai haché une once & demie & l'ai fait cuire pendant deux heures dans trois-quarts de pinte d'eau. Ce bain exhaloit une odeur aromatique & poivrée. Sa couleur étoit d'un fauve-doré. Un gros de laine d'apprêt LF y a contracté un aurore un peu plus sérieux que dans le bain de la plante fraîche, & le déchet a communiqué encore un aurore-olivâtre très bon & solide.

BIGNONIA CATALPA

BIGNONIA CATALPA. Cet arbre ne redoute guère le froid, & se multiplie par marcottes & par les semences que l'on tire de l'Amérique septentrionale. Quoiqu'il [87] fleurisse bien en Normandie, je n'ai pu y trouver de siliques formées. Trois onces d'une de ses branches grosse comme le pouce, divisées par les couteaux & bien cuites pendant deux heures dans trois-quarts de pinte d'eau, ont communiqué à un gros de laine d'apprêt LF une belle couleur de noisette-rosée, franche & solide. La laine d'apprêt E, y a pris un ton plus canelle.


BISTORTE

BISTORTE, (Polygonum Bistorta.) Deux onces de ses racines écrasées dans un mortier & cuites pendant deux heures dans trois quarts de pinte d'eau, ont donné un bain mordoré dans lequel, en trois à quatre heures de bouillon, un gros de laine LF a pris la véritable couleur du poil de Castor. Cette plante vivace mériteroit à cet égard d'être cultivée en grand.


BLÉ DE VACHE

BLÉ DE VACHE, (Melampyrum Nemorosum.) Une forte poignée de toute la plante fleurie, cuite pendant deux heures, a produit un bain olive très intense, qui n'a communiqué à la laine LF, en trois heures de bouillon, qu'un olive-gris-sale.

[88] Je mis cette plante fermenter dans l'eau, qu'elle colora sombrement d'une forte bruniture, mais sans que son énergie tinctoriale en augmentât.

Le Melampyrum Pratense (Nom accepté : Melampyrum pratense) m'a donné un beau bain mordoré foncé, mais la laine E n'y a pris qu'une couleur merd'oie opaque.

BOIS-JOLI

BOIS-JOLI, (Daphne Mezereum.) Ses tiges effeuillées, hachées & cuites au poids de deux onces dans trois-quarts de pinte d'eau, pendant une heure & demie, donnent un bain nif, jaune-verdâtre. La laine d'apprêt LF y acquiert au premier bouillon une couleur de citron agréable, puis en deux heures de feu, un musc clair & doré bien solide.


BONDUC

BONDUC, (Guilandina Dioica.) Trois onces de ses jeunes branches en feuilles, hachées, cuites pendant deux heures, ont produit un bain jaune-olivâtre dans lequel un gros de laine LF a pris en trois quarts d'heure, entre chaud & bouillon, une couleur de citron jolie sans être pétillante. Une seconde mise, en deux heures de bouillon, [89] est devenue jaune-olive clair.


BOULEAU

BOULEAU, (Betula alba.) Une branche de deux pouces de diamètre, coupée depuis six mois, a été hachée, bois & écorce, en petits éclats, ainsi que l'on hache le Campêche. J'en ai fait cuire trois onces pendant deux heures dans une pinte d'eau. Un gros de laine d'apprêt LF, abattu dans la colature de ce bain, y a contracté en quatre heures de bouillon, c'est-à-dire, après une réduction considérable, une jolie couleur de noisette douée & solide.

La même espèce de bois coupé depuis six semaines, traité précisément de la même manière, a donné à ladite laine une couleur de noisette pourprée, à très peu prés comme celle que produit le bois de Bignonia Catalpa. Employé le jour même de sa coupe, la couleur a eu moins de violent & d'intensité.

L'écorce seule de ce bois coupé depuis six semaines. au poids de deux onces, dans trois-quarts de pinte d'eau, m'a procuré un très beau bain canelle-marron, mais au [90] plus long bouillon, la laine n'y a pris qu'une couleur de coton de Siam. J'étais loin alors de prévoir l'utilité majeure dont cet ingrédient me devait être par la suite, ainsi qu'on le verra aux articles CAMPÊCHE, FERNAMBOUC, SAINTE-MARTHE, etc.

Les brindilles ou verges de bouleau, coupées & employées le sept Mars, ont donné un bain jaune semblable en couleur & en odeur à celui des jeunes branches du peuplier d'Italie ; mais la laine d'apprêt LF y a contracté un jaune plus terne.

J'ai ajouté au déchet de ce bain un peu de vitriol de fer, & il en est résulté, sur de nouvelle laine du même apprêt, une couleur olive sale.

Dans une demi-pinte d'eau, j'ai fait cuire pendant une heure une once d'écorce de gros bois de bouleau, frais coupé & hachée. Alors j'y ai jetté un gros de vieille orceille des Canaries desséchée par défaut de soin, & pulvérisée. Après encore une heure de petit bouillon j'ai coulé ce bain & y ai abattu un gros de laine d'apprêt LF [91] qui y a contracté une belle couleur mordorée, presque pourpre, solide au savon & au vinaigre. Cette fixation d'une fécule aussi fugace que celle de l’Orceille, me fit espérer que l'écorce de bouleau me serait également utile à l'égard des bois colorants étrangers ; & cet espoir s'est réalisé ainsi qu'on le verra lorsqu'il sera question de chacun d'eux.

Dans trois-quarts de pinte d'eau, j'ai fait bouillir pendant une demi-heure quatre gros d'écorce sèche, & autant de brindilles sèches de bouleau. J'ai refroidi ce bain pour y projeter un gros de belle garance que j'ai maintenue entre chaud & bouillon pendant demi-heure. Le bain soutiré, j'y ai abattu un gros de laine d'apprêt E, bon pour exalter le rouge, qui pourtant n'y a pris qu'une nuance aurore très vive. Cette laine enlevée, j'ai ajouté au déchet un gros de garance & laissé cuire doucement encore pendant un quart-d'heure. Le bain soutiré, j'y ai réabattu la laine déja teinte. Elle y a acquis un aurore plus écla- [92] tant que le premier. Partie de cette laine, repassée dans un bain de peuplier d'Italie & de baies sèches de bourdaine, y est devenue radieuse, mais ce serait une couleur bien chère, & par conséquent de pure curiosité.

Comme il n'est point d'arbre plus commun dans nos bois, ni d'un accroissement aussi prompt, que le bouleau, cette propriété de son écorce, pour assurer les fausses couleurs, est une des découvertes qui m'ait le plus flatté. J'ai depuis reconnu l'avantage de l'employer sèche plutôt que fraîche ; & pour m'en procurer beaucoup & à bon marché, je n'ai pas trouvé de meilleur moyen que d'en dépouiller les arbres de dix-huit à vingt ans, les plus droits, lorsqu'ils sont en sève. La manipulation est celle qu'on emploie pour écorcer les jeunes chênes afin de faire du tan : l'exsiccation et la pulvérisation sont les mêmes. Le bouleau dépouillé reste en feuilles le surplus de la saison, & son bois abattu l'hiver suivant, m'a paru avoir acquis de la dureté.


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BOULEAU-MERISIER

BOULEAU-MERISIER, (Betula nigra.) Ses brindilles en feuilles, coupées depuis huit jours, m'ont procuré un bain jaune-terne, un peu mucilagineux, exhalant une odeur mixte d'amandes amères & de mélilot, comme celui du Mahaleb. La laine d'apprêt LF y prend d'abord un ton jaunâtre qui, au long bouillon, devient musc-doré, clair & transparent.


BOURACHE

BOURACHE, (Borago Officinalis.) Une poignée des feuilles & tiges fleuries de cette plante annuelle, cuite dans une pinte d'eau, n'a communiqué à la laine LF, au très long bouillon, qu'une ignoble nuance de merd'oie sale.


BOURDAINE

BOURDAINE, (Rhamnus Frangula.) Cet arbrisseau devient assez grand sous les arbres de nos forêts, notamment dans les terres humides. Il prend le port de buisson entre les cépées des taillis dans les pays secs & sabloneux. C'est alors qu'il est préférable pour notre art, en ce que tous ses sucs sont perfectionnés par la chaleur, & qu'il s'y charge de baies ou fruits qui acquiè- [94] rent une plus complète maturité. Il peut se multiplier à l'infini par marcottes, drageons enracinés, & sur-tout par ses semences qui levent immédiatement après qu'elles sont mûres, si on prend la peine de les semer un peu à l'ombre, de sorte que les jeunes plants acquièrent assez de consistance pour résister à l'hiver suivant. Ils donnent des fruits dès leur quatrième été. On peut ainsi se procurer partout, dans un espace circonscrit, une grande quantité de ces baies, dont la récolte est alors peu dispendieuse, puisqu'on ne perd point de temps à les chercher çà & là dans les bois & les friches. C'est de nos ingrédients colorants indigênes, celui qui m'a le plus agréablement récompensé de mes soins.

Le premier motif de mon attention à ce végétal, fut la belle couleur jaune de ses racines dont j'espérais former un supplément au bois de Fustet ; mais je n'en obtins sur laine d'apprêt LF qu'un olive-clair, & la même couleur, mais d'une nuance plus intense & plus vive sur la [95] laine AT, bien séchée de son apprêt & lavée ensuite. L'une & l'autre résistèrent au vinaigre & au savon.

Vers le commencement de Juillet l'abondance des baies encore vertes, mais ayant acquis presque toute leur grosseur, m'invita d'en faire l'essai. J'en pris une forte poignée que je triturai dans un mortier & fis cuire dans une demi-pinte d'eau. Il en résulta un bain jaune clair dans lequel un gros de laine LF acquit en demi-heure, entre chaud & bouillon, un jaune brillant & solide. Une seconde mise, poussée au bouillon, porta plus à l'aurore.

La maturité me rendit encore ces baies plus intéressantes. J'en froissai entre les mains deux fortes poignées dans une pinte d'eau, & j'en pris la moitié que je fis bouillir, pendant une demi-heure. Ce bain, d'une couleur entre bleu, violet & pourpre, étant soutiré, j'y abattis un gros de laine LF, qui y prit un gris-de-fer-bleuâtre, presque prune, très solide au savon, mais inégal & bringé.


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Ayant fait cuire le même jour, la moitié mise en réserve, j'y abattis un coupon de drap blanc & un d'espagnolette qui avoient subi l'apprêt LF, & pesoient ensemble un gros. Ils y contractèrent la même couleur, mais très unie, plus brillante, & ayant tranché l'étoffe, c'est-à-dire, que la corde même du drap en étoit empreinte aussi-bien que le poil. Cette couleur s'embellit au savon, mais elle viole un peu dans le vinaigre.

Dans un troisième essai, j'obtins cette couleur un peu plus bleue, au moyen de trente-six grains de nitre purifié que j'avois fait fondre dans le bain ; mais l'immersion dans le vinaigre la reportoit toujours au violâtre.

En substituant le vitriol de Chypre au nitre, l'étoffe fut teinte en merd'oie très solide que le savon embellissoit. Les cristaux de Vénus produisirent, comme de raison, un effet pareil.

Du drap blanc d'apprêt LF ayant été teint en jaune,


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puis abattu dans le bain de baies mûres & fraîches, y a pris un vert composé qui a résisté au savon, mais les acides l'ont encore fait un peu violer.

En faisant cuire ces baies dans le déchet du bouillon d'apprêt LF au lieu d'eau, elles fournissent la couleur prune beaucoup moins intense que dans l'eau pure.

Un bain de trente fois le poids de baies mûres de bourdaine, employées le jour même de leur récolte, contre un poids du sujet à teindre, m'a donné sur drap d'apprêt LF un bleu terne, que l'immersion dans l'acide vitriolique édulcoré au degré du vinaigre a viré en prune violette. En poussant le bouillon le bleu a tourné au vert, & la couleur prune est sortie moins riche du bain acide.

J'ai versé dans le déchet de cette teinture quelques gouttes de sel d'étain dissous dans l'acide marin. Le bain est devenu vraiment bleu, mais un nouveau drap apprêté s'y est teint en un vert qui fléchit à tous les acides.


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Toutes les dissolutions d'étain ont porté ce colorant au vert non solide.

D'après tous ces essais, & plusieurs autres, j'ai tenté le 18 Août 1781, d'opérer un peu en grand.

J'ai donc pris quatre aunes trois-quarts de drap blanc (dit Royale), pesant trois livres six onces poids de marc. Je les ai débouillies sur le moulinet en eau pure pendant demi-heure, puis enlevées & lavées à la rivière.

J'ai mis dans une chaudière soixante pots d'eau de puits dissolvant bien le savon. Amenée au bouillon, j'y ai projetté avec la précaution requise l'apprêt LF suivant, savoir :

  • Trois onces & demie de tartre rouge choisi, pulvérisé & passé au tamis de crin.
  • Trois onces & demie de dissolution de bismuth dans l'eau-forte, à raison d'un poids de bismuth, dans quatre poids d'acide.
  • Sept onces de saumure saturée de sel marin, à froid, à quatre degrés du pèse-liqueur des Savoniers.


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Après avoir bien agité & mêlé ce bouillon d'apprêt, j'y ai abattu l'étoffe & travaillée au moulinet, entre très-chaud & bouillon pendant une demi-heure, puis enlevée, mise égoutter, sans laver.

J'ai fait un bain de soixante pots, tant d'eau que de quatre-vingt-dix livres de baies mûres de bourdaine, cueillies de la veille, bien écrasées entre les mains & non coulées. Lorsque ce bain a commencé de bouillir, j'y ai abattu le drap & l'ai travaillé au moulinet, pendant une heure, entre chaud vif & bouillon. Enlevé, lavé à la rivière, il était d'un bleu terne. Je l'ai repassé au moulinet & réabattu dans un bain froid d'acide vitriolique au degré d'un fort vinaigre de vin : tourné diligemment pendant une minute, levé, lavé dans une cuvée d'eau de puits pour édulcorer l'acide, puis à la rivière.

Alors ce coupon de royale est resté d'un ton violet-bleuâtre un peu prune de Monsieur. Je l'ai envoyé à Elbeuf pour y recevoir l'apprêt & la presse, & m'en suis fait faire un habit complet qui, porté pendant six mois [100] de chaque année, est encore honnête en Septembre 1784. On n'y distingue aucune différence entre la couleur des plis & celle des basques. La teinture avait intimement pénétré la chaîne de ce drap, quoique très foulé. Comme cette couleur était indéfinissable, puisqu'elle participe presque également du violet, du bleu & de la prune, alors fort à la mode, les amateurs s'accordèrent à la nommer prune d'Oissel, à cause qu'elle avait été trouvée dans le village de ce nom, à deux lieues de Rouen.

J'ai répété cette teinture de quatre aunes trois-quarts de royale par quatre-vingt-dix livres de baies mûres & fraîches de bourdaine. J'eus le même succès sur les trois aunes trois-quarts d'un blanc-bluet semblable à celle dont est question ci-dessus ; mais une aune de supplément, qui était d'un blanc écru & mat, prit une nuance de moins, quoiqu'elle fût débouillie, apprêtée, teinte, avivée & lavée avec les autres auxquelles elle était [101] cousue. Il convient donc de préférer le drap d'un blanc-bluet.

J'ai fait cuire des baies mûres & fraîches dans de l'eau blanchie par l'infusion de la marne en poudre. Un échantillon de drap blanc d'apprêt E, n'y prit qu'un vert bringé ; celui d'apprêt LF, un bleuâtre-terne. J'ai versé dans le déchet une cuillerée de solution de sel ammoniac un peu cuivreuse, parce qu'elle avait corrodé le coquemard dans lequel on l'avait faite ; un gros de laine d'apprêt LF y a pris une couleur équivoque entre vert, brun & bleu.

J'ai pris de la laine vierge, que j'ai débouillie dans une légère solution de nitre. Enlevée sans laver, je l'ai abattue dans un bain de baies mûres & sel ammoniac. Elle n'y a rien acquis de solide ; mais du drap d'apprêt LF en est sorti teint d'un bleu violent qui devient prune dans les acides & bluet au savon ; ainsi point encore de bleu solide.

Dans l'espoir de l'obtenir par la décomposition [102] du rouge, qui, sans doute joint à lui dans le suc des baies, produit le violet-pourpré, j'ai monté une petite cuve dans le genre de celles de l'indigo à froid. Elle fut composée d'un gros de vitriol de fer & un gros de chaux fraisée mis séparément chacun dans un huitième de pinte, ou six pouces cubes d'eau, puis mêlés & palliés, j'y ajoutai une demi-pinte de forte décoction de baies mûres & récentes en eau imprégnée de nitre. A une heure après-midi, j'ai mêlé & pallié le tout. Le bain rassis est devenu d'un vert-canard doré ; mais jusqu'à cinq heures du soir le contact de l'air ne lui a point fait acquérir de bleu. Ce bain vert, qui ne m'avoit encore été fourni par aucun de mes essais de cuves des sucs violets, ou pourpres, me donnoit de l'espoir, mais huit jours après il s'est démenti en devenant terne, rien de ce que j'y avais plongé dans l'intervalle n'y ayant acquis de couleur, je l'ai soutiré & fait chauffer. La laine d'apprêt LF que j'y abattis y prit, en une heure de bouillon


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une espèce de musc-verdâtre qui s'embellit au savon sans fléchir au vinaigre, mais ce n'était néanmoins qu'une couleur commune.

J'avais un jour préparé un petit bain de baies mûres & récentes, froissées dans l'eau, que je ne fis point chauffer, & que d'autres expériences plus pressantes me firent négliger. Huit jours après je le trouvai en fermentation vineuse, ce qui ne m'empêcha point de le faire cuire pendant une demi-heure. La laine d'apprêt LF que j'y travaillai en sortit teinte en une espèce particulière de vert agréable, quoique peu brillant, mais d'une résistance unique aux acides comme aux alcalis. Elle y avait acquis une douceur qui permettoit de la filer très-finement. Son unique défaut étoit l'inégalité de la couleur de sorte que les draps qu'on en aurait fabriqués n'auraient jamais pu passer que pour des beaux piquetés ou mélangés. Je répétai plusieurs fois cette Expérience, & le plus ou le moins de suc des baies décidait de l'inten- [104] sité de ce vert natif, que je nuançai depuis le vert-pomme, jusqu'au vert-canard. Mais jamais, sur la laine en flocons, je ne pus éviter les inégalités ou brinjures.

Le drap ou l'espagnolette d'apprêt LF prirent au contraire les nuances très uniment. Je parvins ensuite à égayer ces verts par une légère addition de sucre de Saturne dans le bain. J'admirai les ressources de la Nature qui, en modifiant d'une manière nouvelle par la fermentation vineuse les atomes colorants des baies de bourdaine, en avait détruit le rouge pour n'y laisser que le bleu & le jaune, mais si intimement combinés, que, pour la première fois, on voyait la couleur verte sortir d'un unique & même bain, & d'une solidité bien supérieure à celle de nos verts factices.

Enchanté de cette nouveauté, je résolus de la consacrer par des essais en grand, comme ci-après :

Le 14 Août, vingt-sept livres pesant de baies mûres, & récemment cueillies, ont été triturées entre les mains dans vingt- [105] sept pots d'eau froide ; on a fait bouillir le tout pendant une demi-heure, puis mis dans un sac sous une presse. Il en est sorti vingt-cinq pots d'une liqueur violet-pourpre, que l'on a laissé à l'air dans des vases de faïence découverts.

Ce travail a été fait par trois personnes en deux heures de temps, & a coûté douze sols.

La cueillette des baies revenait à deux sols neuf deniers par livre, mais depuis on a trouvé des cantons plus abondants, de sorte qu'elles n'ont coûté qu'à raison d'un sol dix deniers. Elles ne coûteraient pas un sol la livre si l'on en faisoit des semis dans des lieux circonscrits.

Cinq jours après, ce jus ayant acquis la fermentation vineuse, j'ai pris un coupon de six aunes & un quart d'espagnolette blanche, non passée au souffre, & pesant trois livres quatre onces poids de marc. J'ai mis dans une chaudière quarante pots d'eau de puits dissolvant bien le savon. Lorsqu'elle a commencé à bouillir, j'y ai plongé l'étoffe, lui ai fait faire deux


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tours au moulinet, puis enlevée & égouttée sur la chaudière. J'ai ramené l'ébullition & formé l'apprêt LF, savoir :

  • Vingt-six gros de tartre rouge en poudre.
  • Autant de solution de bismuth dans l'eau-forte.
  • Cinquante-deux gros de saumure de sel marin, à quatre degrés du pèse-liqueur des Savoniers.

J'ai travaillé pendant une demi-heure l'espagnolette dans cet apprêt presque bouillant, puis enlevée & mis égoutter.

On a vidé la chaudière du déchet de cet apprêt, & l'on y a versé les vingt-cinq pots de jus violet en fermentation, & deux seaux ou dix pots d'eau ; en tout, trente-cinq pots de liquide. Quand ce bain a été tiède, j'y ai projeté une once de sel ou sucre de Saturne, que j'ai remué & laissé dissoudre jusqu'à ce que le bain fût assez chaud pour piquer le doigt. Alors on y a plongé l'étoffe apprêtée,


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puis diligemment passée au moulinet, on l'a tournée pendant une heure & demie entre chaud & bouillon, après quoi levée, égouttée, bien lavée à la rivière, elle s'est trouvée teinte très uniment en vert-de-pré naissant, nuance moyenne entre vert-perroquet & vert-de-pré. Elle ne s'est bringée ni démentie au sec ni à la presse.

Nota. Je m'en suis fait faire un habit que j'ai porté pendant les hivers, partie des printemps & automnes de quatre années consécutives sans que la couleur en ait dégénéré.

La main-d'œuvre de teinture a duré six heures
en occupant deux hommes dont le salaire a coûté
1 ? s.
Deux fagots & deux bourrées 12
Cueillette des baies, 27 livres à 2 sols 9 deniers 3 ? 14
Expression & cuite du jus 12
Apprêt de l'étoffe 15
Total 6 ? 13 s.

Ce qui, pour six aunes & un quart d'é- [108] toffe, fait revenir la teinture de chaque aune à 21 sols 3 deniers. Comme il n'en coûterait pas beaucoup plus de main-d'œuvre & de bois pour teindre une pièce de vingt & une aunes, la teinture en reviendrait tout au plus à vingt sols par aune.

Cette jolie couleur fléchit très peu en quinze minutes d'immersion en très forte eau de savon, & à vingt-cinq minutes en vinaigre de vin à froid.


Autre Expérience.

Six aunes un quart d'espagnolette blanche, non soufrée, ont été apprêtées comme ci-dessus & teintes dans trente-six pots de jus, produit de trente-six livres de baies exprimées deux jours auparavant c'est-à-dire, ne faisant qu'entrer en fermentation vineuse. Aussi ce bain était-il beaucoup plus violet que le précédent. J'y fis fondre une once de sucre de Saturne, & travailler l'étoffe pendant une heure trois-quarts ; il en résulta un vert plus intense, aussi so- [109] lide, mais moins brillant que le premier. Cependant le célèbre Macquer, en applaudissant à l'un & à l'autre, donna la préférence au dernier.

Un échantillon de velours blanc de coton, qui y avait été attaché lors de l'apprêt & de la teinture, n'y acquit qu'un petit bleu-clair qui ne résista à aucune épreuve.

Comme les déchets de ces deux bains paraissoient contenir encore beaucoup de parties colorantes, je les réunis dans la même chaudière avec neuf pots de jus, produit de neuf livres de baies fermentées. Six aunes un quart d'espagnolette apprêtée y furent travaillées & en sortirent encore teintes en un joli vert, entre pomme & perroquet, lequel a grisaillé après deux ans de service.

Ce vert natif me démontrant qu'après la fermentation vineuse il ne restoit plus dans le suc des baies de bourdaine que du bleu & du jaune, je pensai que si je parvenais à détruire ce jaune, il me resteroit un bleu indigêne, objet toujours subsistant [110] de mes recherches ; mais ni l'acescence, ni la putrification, ni l'addition d'aucunes substances salines ou métalliques n'ont pu me procurer cet avantage. La combinaison, sans doute, est trop intime, ou mes connoissances fsont trop bornées. Je n'aspire qu'à la satisfaction d'applaudir le premier à l'Artiste qui y réussira : car je crois la chose possible, & de tous nos ingrédients indigênes, c'est dans celui-ci que le bleu manifeste le plus efficacement sa présence.

Les déjections des merles qui ont mangé ces fruits mûrs sont vraiment bleues, sans pourpre ni jaune. Mais de quelle nature est le suc gastrique de ces oiseaux ?

Dans un petit bain de suc fermenté de bourdaine, j'ai versé moitié d'une cuiller à café de solution saturée de sel ammoniac. L'étoffe d'apprêt LF y a pris une riche couleur de vert de Saxe, qui tient au savon, mais rougit au vinaigre. Le vitriol de fer le vire en olive-terne, mais solide. La laine ou l'étoffé, pétries dans la terre du vitriol de Chypre précipitée par [111] l'eau de potasse, puis séchées & lavées, & abattues dans un bain de jus fermenté, y ont acquis un violet-brun-terne, espèce de puce, qui tient à tout. Ces sujets ayant été apprêtés LF avant le pétrissage dans la terre du vitriol de Chypre, n'ont pris dans ce bain qu'un olive sale & bringé.

La laine vierge, pétrie dans la terre précipitée de l'alun & d'un peu de bismuth, séchée, lavée & abattue dans le bain ci-dessus, y a pris un gris-olivâtre assez beau.

Le suc des baies, ayant passé de la fermentation vineuse à l'acéteuse, & presque à la putride, communique à la laine ou étoffe d'apprêt LF un vert-perroquet fort agréable. En continuant le bouillon, on obtient un olive-foncé qui gagne au savon & même au vinaigre.

Des baies de bourdaine, cueillies mûres & gardées pendant onze jours sur une toile en plein air, ont été cuites dans de l'eau aiguisée par de l'acide vitriolique auquel j'avais fait dissoudre de la marne. Il en est résulté un bain rouge-pourpre supérieur à [112] celui de la cochenille ; mais la laine LF y a déblanchi à peine. J'ai ajouté à ce bain une cuillerée de l'apprêt de M. Giroz, qui l'a tourné en prune de Monsieur ; alors la même laine y a pris une nuance brune qui verdit un peu au savon, & se rétablit dans le vinaigre.

Dans le déchet de ce bain, j'ai abattu un gros de laine AT qui y a pris un vert-ronce-d'Artois très transparent, solide au savon & au vinaigre, jolie & bonne couleur. Une nouvelle mise du même apprêt, dans ce second déchet, a encore acquis une jolie dégradation de ronce d'Artois.

L'excellence de ce colorant en violet-bleu & en vert, était balancée par le peu de temps qui restoit pour l'employer, puisque l'intervalle en étoit prescrit entre le 14 Août & le 30 Septembre, durée ordinaire de ces baies en état de maturité. Il étoit question de trouver le moyen de les conserver & rendre disponibles. C'est ce que j'ai tâché de me procurer par les procédés suivants.


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J'ai pris cent quarante-quatre livres de baies mûres que j'ai foulées comme le raisin dans cent quarante-quatre pots d'eau. J'ai fait bouillir le tout pendant une demi-heure, puis tiré au clair ce qui a pu passer à travers d'un canevas. Le marc ensaché a été mis sous le pressoir. Il en est résulté cent trente-six pots de jus violet, que j'ai entonné dans un muid laissé débondé.

La fermentation vineuse s'y est promptement établie, & dès qu'elle a diminué, on a bondé le tonneau. Cette espèce de vin m'a servi utilement pendant trois mois pour teindre en vert. Mais le colorant a dégénéré ensuite, & quoique ce vin se conserve plus de deux années, il ne convient plus que pour faire transparaître & chatoyer les couleurs brunes ou jaunes dans lesquelles on le fait entrer. Peut-être qu'en doublant la dose des baies sur la même quantité d'eau, on ajouterait à la durée de son énergie tinctoriale : c'est ce que je me propose d'expérimenter.

La dessiccation de ces baies me promit [114] d'abord un succès plus durable. En les passant au four, avant que la fermentation vineuse pût s'y établir, je parvins à les rendre sèches, sonnantes & de garde. Comme je reconnus qu'elles perdoient dans cette opération sept huitièmes de leur poids, je m'en fis une règle pour leur emploi. D'après les premiers essais, je fus enchanté de voir qu'elles avoient conservé la propriété de teindre en prune d'Oissel, & je crus avoir un excellent supplément au bois de Campêche, alors très cher. J'y gagnois encore le précieux avantage de la solidité jointe à l'indépendance ; mais cette douce illusion s'évanouit au bout d'un mois vu qu'elles ne procurèrent plus qu'un vert-olivâtre. Sans doute une fermentation insensible les avait modifiées, quoique le lieu du dépôt fût fort sec. Cependant leur ayant reconnu, bien supérieurement au vin de bourdaine, la propriété de rendre transparentes & chatoyantes toutes les couleurs auxquelles on les associoit, je me consolai de ce que je perdois par ce qui [115] me restoit, & qui ne m'a point échappé depuis. On verra dans le cours de mes expériences de quelle utilité constante m'a été cet ingrédient. Il peut être recueilli, & mis à peu de frais en état de conservation, dans les cantons éloignés des grandes villes & des manufactures. Là, le zèle pour le travail ne trouve souvent point de salaire, & cette récolte répandra quelques secours sur les enfants & les vieillards qui s'en occuperont, & dont nos Teinturiers pourront les acheter. Il en est de même de beaucoup d'autres bons colorants que la Nature nous prodigue presque inutilement en Normandie, où le prix excessif de la main-d'œuvre nous empêche de les faire ramasser.

Dans trois verres de ce jus ou vin, gardé depuis un an, j'ai fait cuire trente-six grains de garance. Un gros de laine LF y a pris un très beau ton carmélite ; c'est un moyen des plus prompts pour se procurer cette nuance.

Quatre gros de baies mûres & séchées, [116] cuites dans une demi-pinte d'eau pendant une heure, ont donné un bain dans lequel l'espagnolette d'apprêt LF a pris un jaune-ravenelle-olivâtre. La laine AT, passée en purée de fiente de brebis, y a pris la même couleur, mais moins intense. L'addition d'un peu de garance a donné un assez beau mordoré.


BOURREAU DES ARBRES

BOURREAU DES ARBRES, (Celastrus scandens.) Deux onces de ses cordons, hachées, cuites pendant deux heures en demi-pinte d'eau, ont communiqué à un gros de laine LF une couleur jaune-foncée, mais terne ; ombre ou bruniture de jaune solide.


BOURSE A PASTEUR

BOURSE A PASTEUR, (Thlaspi, Bursa Pastoris.) Une forte poignée de plantes, entre fleur & graine, donne un bain d'un jaune-fauve qui promet assez. Néanmoins la laine LF n'y prend qu'au long bouillon un vilain jaune-terne. Ce bain exhale jusqu'à l'extrémité une forte odeur de chou.

BROMUS TECTORUM

BROMUS TECTORUM. Les feuilles, tiges & épis, de cette plante dans l'état purpurin


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qui annonce sa prochaine maturité, m'ont donné un bain presque aussi coloré que celui de baies mûres & fraîches de bourdaine.

  • La laine d'apprêt LF, y a pris un gris-ardoisé.
  • La laine C un jaune-brunâtre.
  • La laine E un joli olivâtre un peu bringé.
  • La laine F un gris-foncé.
  • Le déchet étant encore net, j'y ai abattu de la laine E, qui y a pris un gris-verdâtre.

C'est un très bon ingrédient, capable de suppléer aux baies sèches. Mais quoique cette herbe soit commune, surtout dans les pays arides, il seroit difficile d'en amasser à la fois une quantité au degré de maturité suffisante ; car ultrà, citràque, nihil.


BROU

BROU de noix, (du Juglans Regia.) C'est un ingrédient d'usage, dans tous les Ateliers de Teinture où il donne les couleurs fauves, parce qu'on ne l'y emploie que dans un état de fermentation presque putrique. Au contraire, je l'ai essayé frais


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et aussi-tôt que la maturité le détachait du bois de la noix. En cet état, deux onces broyées dans un mortier, cuites pendant une heure dans trois-quarts de pinte d'eau, m'ont procuré un bain brun-ardoisé qui, en demi-heure entre chaud & bouillon, & un quart-d'heure d'ébullition, a communiqué à un gros de laine LF un maron-foncé, espèce de noir-bleuâtre très solide. C'est la plus belle des brunitures fortes que l'on puisse employer en tapisseries, parce qu'elle n'est point d'un ton crud & mort comme le noir. D'ailleurs, comme il n'y entre point de couperose, elle ne jaunit point par la longue exposition à l'air. Une seconde mise dans le déchet, en trois-quarts d'heure de bouillon, a contracté la même nuance, mais un peu moins bleuâtre & plus rousse. La bain répand sur sa fin l'odeur du gérofle.

La même dose de brou frais, cuite avec un gros de vitriol de Chypre, a produit un bain sale qui a donné à un gros de laine


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du même apprêt une belle couleur de maron qui résiste à tout.

La même dose cuite pendant une heure sans bouillir, puis mêlée avec deux parties de vin, ou jus fermenté de bourdaine, communique un olive-noirâtre & terne, mais solide. Un peu de dissolution de fer en forme un mordoré-noir bien assuré.

Ayant observé que tous les produits du brou de noix portaient au noir-bleuâtre, j'en ai broyé de tout frais, & l'ai mis dans un vase de verre avec de l'eau chaude pour le faire fermenter, ce qui a eu lieu en quatre jours. Alors avec ce jus, ou suc coulé & exprimé, j'ai monté une petite cuve comme pour indigo à froid. Dès le lendemain il surnageoit une liqueur colorée comme une teinture de safran, dans laquelle la laine d'apprêt LF a pris une véritable couleur d'olive, intense & très solide. Comme cet ingrédient n'est précieux que lorsqu'on peut l'employer frais, & qu'il est très disposé à fermenter, j'ai cherché à le conserver par sa dessication dans un four.


[120]

Mais une inadvertance m'a privé des effets de cet essai, qu'il faudra recommencer l'année prochaine.


BRUNELLE

BRUNELLE, (Prunella vulgaris.) Une poignée de plantes entières fleuries, écrasée dans un mortier & cuite pendant une heure dans une demi-pinte d'eau, m'a donné un bain olive-noirâtre, qui promettoit beaucoup, mais ne communiqua, sur un gros de laine LF, qu'une foible nuance d'olive-grisaille.

BRUYÈRE COMMUNE

BRUYÈRE COMMUNE, (Erica vulgaris.) Trois onces de ses branches ligneuses, hachées, cuites dans une pinte d'eau pendant deux heures, ont donné un bain dans la colature duquel un gros de laine LF a contracté, en deux heures d'ébullition, une belle couleur de noisette-foncée. Une seconde mise pareille a pris la même couleur un peu moins intense. Ce bain ne se salit point, & il peut servir jusqu'à sa réduction totale.

J'ai désiré voir depuis quelle teinte y prendrait la laine d'apprêt E par un hui-


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tième de métal dans parties égales d'acide nitreux & marin. Je trouvai par hasard sous ma main de la bruyère commune coupée & gardée à couvert depuis trois semaines. J'en hachai douze gros, que je fis cuire pendant une heure & demie dans trois-quarts de pinte d'eau. Le bain jaune-olivâtre ayant été soutiré, j'y abattis un gros de cette laine E, qui d'abord y acquit une belle couleur de citron-brillant, que la continuité du bouillon rendit jaune-transparent-ravenelle un peu verdoyant. L'un & l'autre se trouvèrent inaltérables à l'immersion dans le vinaigre.

Dans une pinte d'eau j'ai fait un bain de trois onces de cette bruyère & d'une once de baies sèches de bourdaine. Le bain coulé, j'y ai abattu un gros de laine & un gros de drap d'apprêt E ci-dessus. Ils y ont acquis un beau jaune-ravenelle-maure bien chatoyant & transparent.

Dans une pinte d'eau une once & demie de cette bruyère & une once de paille sèche de sarasin ont produit un bain dans


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lequel la laine & l'étoffe d'apprêt E, ont pris un joli jaune-verdâtre-transparent, que vingt-quatre heures d'immersion dans le vinaigre de vin n'attaquent point.

Cet ingrédient colorant est si vil & si répandu par-tout, que je regarde ces essais comme importants. En faisant cuire la bruyère sans la hacher, & la laissant sécher au soleil au sortir de la chaudière, elle rempliroit encore sa vulgaire destination, qui est de chauffer le four, ou de servir de litière aux bestiaux, de sorte qu'on en aurait la teinture presque gratuitement ; mais l'extrême ténacité de ce jaune me présentoit les plus grands avantages si je pouvois l'appliquer sur les fils de coton & de lin. Nos Toiles & Cotonades y auroient acquis des jaunes & des verts solides dont elles sont privées. Je m'en suis donc sérieusement occupé pendant plusieurs jours ; mais de tous les apprêts que j'ai tentés, voici le seul qui m'ait leurré de l'espoir de quelque succès.

J'ai fait débouillir pendant une heure en


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eau simple un écheveau de coton pesant sept gros. Enlevé, foulé, bien lavé, je l'ai abattu dans un bain d'une pinte & trois-quarts d'eau, un gros de saumure, demi-gros de crème de tartre, & demi-gros de dissolution d'étain : laissé bouillir pendant trois-quarts d'heure, enlevé sans le laver.

Dans une pinte d'eau j'ai fait cuire quinze gros de bruyère sèche. Le bain coulé, j'y ai abattu la moitié ou trois gros de ce coton, qui y a pris un très beau jaune franc, inaltérable au vinaigre. Mais dix minutes de débouilli, dans le quart de son poids en savon, l'ont viré en une couleur de Nankin.

En ajoutant à l'apprêt ci-dessus quelques grains de dissolution de cuivre rouge, le coton prend un jaune plus olivâtre, mais qui ne résiste pas mieux au débouilli dans le savon.

Tous les apprêts relatifs à celui du rouge sur coton n'ont absolument rien produit d'utile.

Dans une pinte & demie d'eau, j'ai fait


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cuire vingt gros de bruyère sèche. Ce bain très fort étant coulé, j'y ai abattu l'autre moitié de cet écheveau d'apprêt un peu cuivreux, déjà teint la veille. Il s'y est chargé de couleur, mais elle n'en a pas été plus solide.

Le déchet de ce bain, réduit à moitié, m'ayant encore paru fort net, j'y ai abattu un gros de laine d'apprêt E. En un quart-d'heure, sans bouillir, il y a pris un jaune éclatant qui serait préférable à celui du peuplier d'Italie s'il peut devenir d'un beau vert dans la cuve-d'Inde.

Comme presque tout le bain me restait encore, j'y ai abattu un gros & demi de laine du même apprêt. Je l'ai poussé & entretenu pendant trois heures au bouillon, & il en est résulté une excellente nuance de ravenelle-maure très unie.


BRUYÈRE ÉLÉGANTE

BRUYÈRE ÉLÉGANTE, (Erica Cinerea.) Trois onces de ses épis fleuris, cuites dans trois-quarts de pinte d'eau, ont produit un bain mordoré dans lequel la laine LF a pris au long bouillon un musc-foncé, &


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le drap blanc du même apprêt, un musc-doré, tous les deux bien solides. Je n'ai point interrogé cette espèce, un peu moins commune que l'autre, par les lainages d'apprêt E.

BRYONE NOIRE

BRYONE NOIRE, (Thamus communis.) Ses baies, ou fruits rouges, donnent un bain couleur de capucine dans lequel la laine ne prend rien au premier bouillon ; mais en le continuant pendant trois heures, elle y acquiert un jaune un peu capucine-terne qui tient bien. La seconde mise prend une couleur de chamois également solide.


BUIS DES FORÊTS

BUIS DES FORÊTS, (Buxus Sempervirens.) Ses brindilles, en feuilles vertes, donnent un bain qui promet du jaune, mais qui jusques après demi-heure de bouillon ne communique à la laine LF qu'un soufre mesquin & terne. De l'ébullition jusqu'à réduction extrême, il résulte enfin une faible nuance équivoque noisette-claire, mais très solide.