Genèse de l'encyclopédie

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Page principale : Encyclopédie des plantes alimentaires.

Pour être à la mode, j'aurais dû intituler cette page "Le making-of" de l'encyclopédie, ou bien "les coulisses".

Cette encyclopédie ne s'est pas faite en un jour. Mon éditeur et mes amis ne cessent de me poser des questions à ce sujet. Il y a effectivement toute une histoire à raconter.

Illustrations

Pas moins de 19 illustrateurs ont contribué, sur plus de vingt ans. Une dizaine d'entre eux ont réalisé la majorité des dessins. Quand le travail a commencé chez Fernand Nathan, Internet n'existait pas, et les livres donnaient rarement des photos en couleur. Le principe retenu a été de faire dessiner des dessins originaux à partir de plantes réelles. Pour chaque plante, l'objectif était de dessiner une silhouette au trait et des dessins en couleur des feuilles, des fleurs, des fruits et des organes consommés, éventuellement entiers et en coupe, bref, la plupart des caractères qui permettent de reconnaître une plante.

Ce qui était relativement facile pour les plantes tempérées s'est avéré bien plus compliqué pour les plantes tropicales. Nous avons réussi à trouver une illustratrice résidant à la Réunion, et une autre en Guyane.

Si les jardins botaniques, arboretums et collections de ressources génétiques ont été sollicités, j'ai également profité de mes missions pour rapporter des plantes que j'achetais sur les marchés la veille de mon retour. J'ai fait cela en Italie, en Espagne, en Argentine, au Brésil et au Kenya. Je prévenais alors un illustrateur parisien pour qu'il vienne les chercher immédiatement et les dessine avant qu'elles fanent.

La commande des dessins s'opérait soit par la fourniture directe d'échantillons, soit par l'envoi d'une liste de plantes à dessiner. Je validais ensuite l'identification, la qualité et la complétude des dessins. Ce processus a bien sûr été émaillé d'une certain nombre de problèmes.

  • J'avais demandé un dessin de scorsonère et un autre de salsifis. J'ai obtenu deux dessins de scorsonère. La raison en est simple : la scorsonère Scorzonera hispanica a totalement remplacé le salsifis Tragopogon porrifolius sur les marchés, au point de lui avoir pris son nom. Il a fallu recourir à un jardinier collectionneur pour trouver du vrai salsifis, qui se reconnaît à ses fleurs mauves et sa racine blanche, alors que la scorsonère a des fleurs jaunes et une racine noire.
  • Peu avant la mise en pages, nous nous sommes aperçus qu'il manquait une illustration du sal, Shorea robusta, arbre indien dont les graines fournissent une matière grasse autorisée comme substitut du beurre de cacao. J'ai envoyé les rares images dispoibles, mais mon illustrateur les a trouvées de mauvaise qualité, et a cru bien faire en en cherchant sur Internet. A ma grande surprise, il m'a envoyé des dessins de Couroupita guianensis, arbre spectaculaire au demeurant, mais qui n'a rien à voir. Il s'est avéré que plus de 80% des images obtenues sur Google Images en questionnant avec "Shorea robusta" représentent en fait le Couroupita. L'erreur vient des jardins botaniques du sud de l'Inde et du Sri Lanka, qui mettent de fausses étiquettes. Le Couroupita, originaire de Guyane, est entré dans la symbolique hindouiste au sud de l'Inde, où l'on ne connaît pas Shorea robusta, qui pousse dans le nord de l'Inde. Et les touristes qui voient cet arbre magnifique qu'est le Couroupita (par exemple devant le Palais Royal de Phnom Penh) s'empressent de le photographier et de mettre leurs photos sur Internet, en recopiant scrupuleusement le faux nom.
  • Certains illustrateurs tiennent à dessiner les plantes telles qu'elles sont, avec par exemple des feuilles présentant des morsures d'insectes ou des taches. D'autres acceptent des modifications, par exemple pour éliminer les meurtrissures que les fruits du commerce peuvent présenter. Pour le fruit de Syzygium samarangense, la pomme d'eau, les fruits achetés avaient leur style cassé, et j'ai demandé à l'illustratrice de rétablir le long style caractéristique d'une Myrtacée. Croyant bien faire, elle m'en a dessiné trois, de quoi faire hurler un botaniste. Comme nous sommes dans l'ère de Photoshop, j'ai facilement éliminé les styles en trop. Mais je comprends mieux les illustrateurs des siècles passés, qui devaient inventer des plantes d'après les descriptions approximatives des voyageurs.

Cartes

Même imparfaites et sommaires, les cartes de répartition ont une valeur en quelque sorte heuristique. On peut visualiser d'une seul coup d'œil l'origine des diverses espèces, ce qui est plus long à exprimer dans un texte. Il est d'autant plus étonnant qu'aussi peu d'auteurs y aient pensé. Mon encyclopédie est la première à comprendre autant de cartes, 340. Ces cartes ont été réalisées par moi-même avec le logiciel Illustrator, sur la base de fonds de carte et de feuilles de style préparées par Belin. Internet m'a permis de localiser des cartes dans les sources les plus variées. Ce travail a duré trois mois.

Les raisons de la rareté des cartes sont nombreuses. L'une d'elles réside dans les procédés d'impression, plus limités naguère. Ce sont les éditeurs qui devaient faire réaliser les cartes.

Mais la raison principale se trouve dans la réticence des auteurs à les dessiner. Soit ils estimaient manquer de données, soit ils hésitaient devant le choix de faire passer un contour à gauche ou à droite d'un élément géographique. De plus, il y a de nombreuses manières de dessiner des cartes : nuages de points, systèmes de projection différents, fonds de carte avec les limites de pays ou avec le réseau fluvial... Il se trouve que j'avais réalisé dans le passé des cartes sommaires à l'encre de Chine sur des photocopies de fonds de carte, et ces cartes avaient été appréciées. J'ai donc osé le faire. Au lecteur de dire s'il les trouve informatives.

Non, mon encyclopédie n'est pas une bible.

"La bible du végétal" (Saveurs), "La bible de nos assiettes" (Rustica Pratique). Je m'attendais un peu à ces qualificatifs, même si ce n'est pas la Bible avec une majuscule. Quand j'ai trouvé la citation d'Ibn al-Baiṭār, j'ai estimé qu'elle convenait parfaitement au sentiment, non pas d'angoisse, mais de responsabilité que je sentais sur mes épaules. C'est une des raisons pour lesquelles j'ai passé autant de temps à chercher des sources et vérifier des données. Beaucoup liront mon encyclopédie comme si elle était "parole d'évangile", alors que, comme tout travail de scientifique, elle est critiquable et doit être critiquée.

"Sachez que les savants devraient être les premiers à bien s’informer et à se tenir sur leurs gardes. Des sages ont dit : Il n’y a pas d’excuse pour l’erreur d’un savant, parce que, dans cette erreur, il entraîne tout le monde" Ibn al-Baiṭār, Traité des simples, XIIIe siècle (notice 718).

L'histoire des plantes alimentaires est-elle un thème sérieux ?

De façon significative, ce sont les revues de jardinage et de cuisine qui ont été les premières à parler de l'encyclopédie. J'attends de voir si les journaux généralistes vont en parler au rang des sujets de société, comme l'Histoire avec un grand H.

Pour une partie importante des gens qui parlent ou écrivent, les plantes alimentaires sont tout juste dignes d'être mangées ou cultivées au jardin. Ce ne sont pas des objets qui relèvent de la culture humaine. Je garde en souvenir cette remarque de Télérama, recensant une émission de France Culture où j'avais parlé de l'histoire du poireau : On nous dit tout sur les noms persans du poireau, mais on ne nous dit pas la recette de la soupe aux poireaux.

Ce mépris pour des objets aussi triviaux (les realia des linguistes et des ethnologues) remonte à loin, comme l'atteste la remarque de Legrand d'Aussy au XVIIIe siècle, que j'ai mise en exergue. Tout le monde ne le partage heureusement pas, comme l'attestent l'ethnologue Claude Lévi-Strauss et tout un courant moderne d'historiens. Mais il perdure dans l'opinion publique.

  • "Ce serait une chose intéressante que l'histoire et l'origine de tous ces fruits, de ces légumes, de ces plantes comestibles que nous comptons aujourd'hui au nombre de nos jouissances. Peut-être même, aux yeux du philosophe, les détails de ces adoptions fortunées paraîtraient-ils préférables aux détails sanguinaires des guerres et des massacres. Mais quel historien s'est jamais occupé de minuties pareilles ?" Legrand d'Aussy, Histoire de la vie privée des Français, 1782.

Être encyclopédiste au XXIe siècle ?

Sans l'avoir vraiment pensé, je me retrouve faire partie de la confrérie des encyclopédistes. J'entends par là les personnes qui consacrent de nombreuses années à rédiger un "grand œuvre", et ce dans une certaine solitude mentale. Le temps passant, je lis d'ailleurs attentivement les préfaces de mes prédécesseurs, et j'y vois souvent que le grand maître est décédé avant d'avoir terminé, et qu'un disciple fervent s'est échiné à déchiffrer ses fiches pour finir l'œuvre. Je suis heureusement toujours là, prêt à relever de nouveaux défis.

Je me définis parfois comme un encyclopédiste du XIXe siècle égaré au XXIe. Cela a des avantages. On n'a plus de fiches, mais des fichiers sur ordinateur, et un accès incomparablement facile à la plupart des ouvrages anciens. Quand j'ai écrit ma thèse, je me souviens de la stratégie qu'il m'a fallu inventer pour identifier les bonnes bibliothèques, m'assurer des jours et heures d'ouverture et consulter des livres introuvables. j'ai par exemple déniché un ouvrage de base sur les plantes utiles de Norvège (écrit en boksmål) dans le Fonds fenno-scandinave de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

Je fréquente maintenant assidûment les écrits des encyclopédistes des siècles passés (Théophraste, Dioscoride, Ibn al-Baytar, Adanson, Mattioli...). Ma frustration est de ne pas trouver leur adresse courriel. Une chose m'étonne dans notre monde moderne. De plus en plus de gens ont reçu une éducation supérieure, de plus en plus de gens écrivent sur Internet, mais pour dire des banalités, et en faisant comme s'ils vivaient dans l'instant, et ne pensaient pas au lendemain. Il existe par exemple de nombreux sites web personnels, voués à disparaître avec leur auteur. Dans le même temps, à côté de cette frénésie scripturale, le nombre des encyclopédistes reste infime, et les éditeurs sont de plus en plus frileux pour les publier.