Bambous comestibles (Potager d'un curieux, 1899)
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Page générale : Bambou
Dans un livre intitulé Etude pratique du commerce d'exportation de la Chine, paru en 1848, M. Natalis Hondot dit, à l'article Bambou : « Les usages du Bambou sont si nombreux en Chine, les services qu'il rend sont si grands, qu'il mérite, à juste titre, le nom d'arbre national. » Après avoir énuméré les emplois des diverses parties de la plante, il ajoute : « Ses jeunes pousses, tendres et délicates, constituent un légume qui s'accommode de diverses manières, elles valent, dit-on, nos Asperges. Bouillies, assaisonnées et confites, elles produisent d'excellentes conserves, tellement recherchées, qu'elles forment une branche assez importante du commerce intérieur et qu'on en fait de fortes expéditions dans les diverses parties de l'empire, et surtout pour la capitale, où elles vont figurer aux banquets des grands. Les prêtres de Bouddha, qui font vœu d'abstinence et s'astreignent à un régime alimentaire peu nutritif et très végétal, ont trouvé dans ce mets une ressource égale à celle que le poisson offre à notre clergé. »
Tous les voyageurs qui ont visité la Chine et le Japon citent à l'envi les nombreuses applications de cette précieuse plante. H. Fortune termine ainsi le chapitre qu'il a consacré au Bambou dans son Voyage agricole et horticole en Chine : « Quelque incrédulité que cette longue énumération puisse trouver chez le lecteur, j'ajouterai
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que je suis loin d'avoir cité tous les usages du Bambou en Chine, el, en vérité, il serait presque aussi difficile de dire à quoi il ne sert pas que d'indiquer tous les emplois qu'on lui donne ; on le demande partout et pour tout; il est utile aux Chinois pendant toute leur vie et ne les abandonne même pas à leur mort, puisqu'il sert à ombrager leur tombe. »
D'après le Dr Mène[1], les espèces de Bambou usitées au Japon, sous le point de vue alimentaire, se nomment Mô-sô, Madake, Ofetchiku, Hatchiku, Metake.
« Les Japonais appellent les jeunes pousses de Bambou Take-noko. Ils les mangent cuites ; d'autres fois, ils les conservent dans la saumure ou dans le vinaigre, les unes entières, les autres coupées dans leur moitié longitudinale; elles ressemblent à des Asperges de moyenne grosseur, remarquables par leurs noeuds espacés de 1 à 2 centimètres. Les Chinois les soumettent aussi à la dessiccation et en forment des ballots qui s'expédient par grandes quantités dans la Mandchourie et en Mongolie ; on n'a qu'à les plonger dans l'eau chaude pour les faire revenir à leur grosseur normale, sans qu'elles aient rien perdu de leur goût.
« Dans l'Inde, les pousses de Bambou se mangent en salades, eu purées, en fritures. »
Le Dr H., à l'obligeance duquel nous avons eu tant de fois recours, nous a fourni les renseignements suivants sur l'emploi des Bambous comestibles au Japon : « Après la plantation, il faut au moins trois ans avant d'avoir des pousses qui vaillent la peine d'être mangées.
On ne coupe jamais toutes les tiges, seulement on éclaircit en hiver les tiges vieilles, en ôtant toujours les plus faibles et l'on prend comme légume la moitié ou les
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- ↑ Productions végétales du Japon, page 28.
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trois quarts des jeunes pousses, en ménageant les plus grosses pour fortifier la plante, qu'on fume du reste très abondamment chaque année à la surface et de préférence avec du fumier de cheval.
« En automne, on garnit les pieds d'une certaine épaisseur de feuilles sèches ou de litière.
« Je crois qu'il y a bien peu d'Européens qui aient autant que moi pratiqué les pousses de Bambou. J'en ai mangé deux ou trois fois par semaine pendant quatre mois chaque année, pendant trois ans. Je vais vous dire comment on les emploie au Japon.
« En avril, on mange les pousses du Mô-so-také. C'est le plus précoce et c'est celui qui produit les pousses les plus grosses ; elles ont souvent 12 ou 15 centimètres de diamètre et pèsent souvent 2 kilogrammes. En mai, quand les pousses de Mô-sô deviennent trop dures, on mange Hâ-tsikou et Go-santsikou. Ces pousses, beaucoup moins grosses, sont très bonnes aussi. En juin et juillet, on mange Ma-také, qui est le plus tardif ; ses pousses ont le grand inconvénient d'être assez amères.
On ne peut les manger qu'après les avoir fait blanchir dans deux ou trois eaux. A part cela, la préparation est la même pour toutes : on les dépouille des gaines spathiformes, coriaces, dont elles sont revêtues, en les coupant circulairement à leur point d'insertion. Pour peu que la pousse soit avancée, on ôte le haut, qui est désagréable à manger; le reste a une consistance analogue au fond d'Artichaut ou à la racine de Cardon. On découpe en tranches minces, on fait blanchir, puis on accommode avec une sauce composée de Cho-you et de Katsouô râpé (viande séchée d'un poisson du même nom, lequel est voisin du thon).
« C'est ainsi que je les mangeais, et je m'en régalais ; mais, pour le goût des Européens qui ne sont pas habi-
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tués à se passer de corps gras dans leurs sauces, il serait préférable de les accommoder, comme du Cardon ou du Céleri, avec du beurre et du jus de viande.
« On dit au Japon que les Bambous grainent une fois tous les cinquante ans et que cette année-là le Riz manque. Il est probable qu'ils ne grainent que dans des années très chaudes et très sèches.
« J'ai rapporté du Japon, et je cultive en plein air avec succès, trois des espèces énumérées plus haut; malheureusement, la quatrième, qui est la plus belle et la meilleure espèce comme plante alimentaire, Mô-sô-také, ne pousse pas ici ; elle n'a pas assez chaud pendant l'été ; c'est dire qu'elle pousserait encore moins dans les environs de Paris, ou du moins pas mieux.
« Le seul dont je sache le nom botanique : Phyllostachys aurea, est celui qui est appelé Go-san tsikou (Bambou du pays de Go). Il se nomme aussi Hotei tsikou, Zin-men tsikou (Bambou à visage d'homme). Il est cultivé en Chine, jusqu'au nord de la grande muraille, où le thermomètre descend tous les hivers à — 20°. On me l'avait beaucoup recommandé au Japon à cause de sa résistance au froid. C'est, en effet, le plus rustique des gros Bambous et le moins difficile sur la nature des terrains. Il est très bon à manger et donne un bois d'excellente qualité. Ses défauts sont d'avoir un port raide et de ne pas devenir bien gros.
« Le Ha tsikou a un très joli port demi-pleureur. Il est un peu moins dur au froid que le précédent et plus exigeant sur la nature du terrain. Il est très bon à manger. Il a été importé de Chine au Japon.
« Ma-daké est le seul gros Bambou qu'on trouve à l'état sauvage dans les montagnes du Japon. Il est très robuste, atteint 25 ou 30 mètres de hauteur sur 10 ou 12 centimètres de diamètre. On le mange quelquefois
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au Japon, mais il est amer et bien inférieur aux autres comme légume. »
Le Bambou connu sous le nom vulgaire de Ma-daké est le Phyllostachys mitis (Bambusa mitis, B. edulis) probablement Phyllostachys edulis ; quant au Mô-sô, c'est vraisemblablement le B. macroculmis A. Hivière probablement Dendrocalamus macroculmis. Comme le dit très bien le Dr H., cette dernière espèce n'est pas cultivable sous notre climat, mais elle réussit très bien en Algérie, et c'est celle qui donne les plus grosses touffes et les plus fortes liges ; elles atteignent rapidement 15 à 25 mètres de hauteur sur un diamètre de 15 à 20 centimètres.
MM. Auguste et Charles Rivière, dans un travail étendu, publié en 1878[1], disent avoir essayé de manger des jeunes pousses de Bambou préparées de diverses manières. Ils déclarent n'avoir obtenu qu'un résultat médiocre, mais ils ajoutent qu'ils ne leur avaient fait subir aucune préparation préliminaire[2], ce qui, seion le Dr H., est une chose essentielle.
Sous le climat de Paris, les Phyllostachys aurea et mitis résistent parfaitement au froid, mais ils donnent des pousses trop grêles, et nous devons avouer que, jusqu'à ce jour, il ne nous a pas paru possible de les utiliser.
Pour renseignements complémentaires, lire, outre les ouvrages cités plus haut :
- Verdier de Latour, Études sur les Bambous, Alger, 1854.
- Dr J. Vidal, Notes sur les usages des Bambous (Bulletin de la Société nationale d'Acclimatation, 1874, p. 743).
- Munro, Transactions of the Linnean Society, XXVI.
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