Vigne (Cazin 1868)
[Les titres de section ne sont pas de Cazin. Ils ont été ajoutés pour faciliter la lecture de cette longue page.]
Sommaire
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Nom accepté : Vitis vinifera
Vitis vinifera. C. Bauh. — Vitis apyrena seu Corinthiaca. J. Bauh.
AMPÉLIDÉES. Fam. nat. — PENTANDRIE MONOGYNIE. L.
La vigne cultivée, originaire de l'Asie, mais acclimatée depuis plus de vingt siècles dans toutes les contrées chaudes ou tempérées de l'Europe, est connue de tout le monde. Les Phéniciens en introduisirent la culture dans les îles de l'Archipel, dans la Grèce, dans la Sicile, et successivement en Italie et dans le territoire de Marseille, d'où elle se répandit peu à peu dans toutes les Gaules. Elle a produit des variétés innombrables. Bosc en avait réuni, dit-on, plus de quatorze cents dans les pépinières du Luxembourg.
Parties usitées. — Les feuilles, la sève, le bois, les fruits.
Récolte. — Les feuilles de vigne se cueillent pendant toute la belle saison et n'exigent rien de particulier pour leur dessiccation. Les raisins que l'on veut conserver doivent être cueillis un peu avant leur complète maturité par un temps sec et chaud, mis sur la paille dans des greniers, ou mieux suspendus à des ficelles, après les avoir divisés en grappes de moyenne grosseur, pas trop serrées, en ayant soin de les aérer dans les temps doux. On les conserve parfois jusqu'à Pâques, et même au delà dans les bonnes années. Dans les ménages, on se sert souvent de sacs de papier ou de crin pour conserver aux grappes toute la fraîcheur du raisin fraîchement cueilli, pour les desserts de l'hiver. La récolte des raisins destinés à la cave est du ressort de l'agriculture.
Propriétés physiques et chimiques ; usages économiques. — Les FEUILLES de vigne ont une saveur astringente. Elles contiennent du tannin. Les vrilles sont acidules. La SÈVE, qui coule abondamment des rameaux tailles en avril et mai, est aqueuse, transparente, inodore et insipide. Suivant Deyeux, elle contient une matière végéto-animale, qui est dissoute par de l'acide acétique, et de l'acétate de chaux.
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Elle se putréfie facilement au contact de l'air. — Le BOIS (sarment) donne par sa combustion des cendres très-alcalines. Ces cendres sont employées en médecine comme celles de genêt, de genévrier, etc. — Le FRUIT ou RAISIN (uva) avant sa maturité porte le nom de VERJUS (omphacium); sa saveur est alors fortement acide et astringente. Son suc sert d'assaisonnement culinaire, et remplace pour certains mets le citron et le vinaigre. On en prépare aussi un sirop rafraîchissant. A sa maturité, le raisin contient une pulpe délicieusement succulente, douce, sucrée, légèrement acidule, quelquefois même accompagnée d'un arôme très-suave ; il contient[1] beaucoup d'eau, du mucilage, du sucre, de la gelée, de l'albumine, du gluten, du tannin, du bitartrate de potasse, du tartrate de chaux, du phosphate de magnésie, du chlorure de sodium, du sodium, du sulfate de potasse, et des acides tartrique, citrique et malique. — Le suc extrait des raisins mûrs ou MOUT est très-sucré et nutritif. On obtient par l'évaporation du moût une sorte de confiture qui porte le nom de raisiné ; elle est saine, précieuse pour l'habitant des campagnes, pour la classe ouvrière des villes. Dans les campagnes, lorsqu'on a peu de moût de raisin, on augmente la masse du raisiné en y ajoutant des poires à chair ferme, telles que le messire-jean, le martin-sec, le bon chrétien d'hiver, le rousselet, le catillac, le coing, que l'on coupe par tranches. On y met quelquefois aussi des quartiers de pommes, de carottes, de potiron, de melon, de betteraves. Les pots de raisiné remplis, on les met dans le four après la cuisson du pain, deux ou trois fois de suite. Il se forme une croûte à la surface du pot, ce qui conserve parfaitement cette confiture. Lorsqu'il est bien préparé, le raisiné est doux et moelleux, un peu grenu et un peu acide. — Pendant le blocus continental, le sucre de canne étant à un prix très-élevé, le sirop de raisin, obtenu par évaporation du suc, servait de matière sucrante.
On sèche le raisin à l'aide du calorique pour le conserver. On prépare pour l'usage médical les GROS RAISINS SECS ou GROS RAISINS DE CAISSE (passulæ seu uvæ majores), que l'on distingue ensuite en RAISINS DE SMYRNE OU de DAMAS quand ils sont gros comme de petites prunes, allongés, ridés, d'un jaune-brunâtre ; en RAISINS DE FRANCE, de MARSEILLE OU d'ESPAGNE lorsqu'ils sont plus petits et brunâtres. Les RAISINS DE CORINTHE (passulæ sive uvæ minores) sont gros comme des lentilles, noirs, très-ridés, sans pépins apparents.
Les semences de raisins (pépins) donnent 10 à 11 pour 100 d'une huile bonne pour l'usage alimentaire et pour l'éclairage[2].
Vin
Le VIN est le produit de la fermentation alcoolique des principes du suc ou moût de raisin. Soutiré dans des tonneaux, le vin fermente encore pendant plusieurs mois. A mesure qu'il s'alcoolise, il laisse précipiter son tartre et se purifie complètement, ce qui donne lieu à un dépôt qu'on appelle LIE. Cette dernière est un mélange des sels de vin, de ferment, de matière colorante et de débris atténués du fruit. On s'en sert en médecine sous forme de bains, de fomentations, etc. On en fait aussi usage dans la chapellerie. Lorsque le vin est bien dépouillé de sa lie, on le colle au moyen du blanc d'œuf, de la colle de poisson ou de la gélatine dissoute. L'une ou l'autre de ces substances, coagulée par l'alcool ou le tannin, entraîne, en se précipitant, toutes les matières en suspension dans le vin. Telle est la préparation des vins ordinaires rouges ou blancs. Ils sont rouges lorsqu'on emploie du raisin noir avec l'enveloppe des fruits, et d'un blanc plus ou moins jaune lorsqu'on emploie du raisin blanc ou même du raisin noir, pourvu qu'on ne laisse pas le moût fermenter sur l'enveloppe de celui-ci. L'odeur et la saveur de ces vins varient beaucoup et ne sont pas en rapport avec la quantité d'alcool qu'ils contiennent. Le vin de Bourgogne, par exemple, n'est guère plus spiritueux que celui de Surènes ; cependant il est d'une qualité bien supérieure. En général, les vins des pays chauds ont plus de bouquet; ceux des pays froids sont âpres et souvent même très-acides.
Les VINS SUCRÉS ou DE LIQUEUR se préparent dans les pays chauds, en Espagne, en Italie, et même dans le midi de la France. Pour les obtenir, on arrête la fermentation du raisin écrasé. Dans quelques contrées, pour augmenter encore la quantité proportionnelle du sucre dans le raisin, on tord la grappe et on la laisse quelque temps en cet état sur le cep, afin que le soleil concentre la pulpe intérieure en la privant d'une grande partie de 1'eau qu'elle contient. Dans d'autres pays, on fait subir au moût un commencement d'évaporation sur le feu (vin cuit) ; mais ce moyen n'est pas aussi avantageux.
Les VINS BLANCS MOUSSEUX ou de CHAMPAGNE s'obtiennent en mettant dans des bou-
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teilles, que l'on a soin de bien ficeler, le moût de raisin qui a déjà subi un commencement de fermentation. L'acide carbonique s'y accumule en raison de la pression qu'il subit. Aujourd'hui on champagnise les vins blancs de Bourgogne comme ceux des coteaux d'Aï et de Sillery en Champagne. Presque toujours on met dans ces vins un peu de sucre candi pour augmenter leur richesse en acide carbonique et en alcool.
Tous les vins donnent à l'analyse chimique à peu près les mêmes produits, savoir : beaucoup d'eau, de l'alcool, un peu de sucre indécomposé, de mucilage, de tannin, d'acide malique et acétique, de tartrate acide de potasse, de tartrate et de malate de chaux, de sulfate de potasse, de chlorure de calcium, une matière colorante jaune et dans les vins rouges une matière colorante bleue ; enfin un principe huileux très-fugace qu'on nomme bouquet du vin, que Liebig et Pelouze sont parvenus à isoler, et auquel ils ont donné le nom d’éther œnanthique. Cette huile, qui est toujours en faible proportion, paraît se former pendant la fermentation et le travail qui suit. Fauré suppose qu'il provient de la pellicule du raisin complètement mûr.
Fauré a trouvé du tartrate de fer dans les vins de la Gironde.
C'est à la présence de l'alcool que les vins doivent principalement leurs propriétés stimulantes, diffusibles et enivrantes. Ceux qui en contiennent plus de 11 pour 100 se nomment vins généreux. Le tableau suivant indique les proportions d'alcool contenues dans les principales espèces de vin.
Vin de Lissa — de Marsala — de Madère — de Collioure — de Constance blanc — de Roussillon — de l'Hermitage blanc — de Malaga — de Bordeaux blanc — de Lunel — de Bourgogne |
25.12 25.09 20.48 21.62 18.17 16.67 16.03 15.87 15.00 14.27 13.40 |
Vin de Sauterne — de Champagne — de Grave — — mousseux — de Frontignan — de Côte-Rôtie — de l'Hermitage rouge — du Rhin — de Bordeaux rouge — de Tokay |
13.08 12.69 12.30 11.60 11.76 11.45 11.38 11.11 11.00 9.08 |
Des auteurs ont dressé des tableaux analogues où les proportions varient sur celles-ci de 1 à 2 volumes, quelquefois en moins et très souvent en plus. (Dorvault.)
[La détermination de la proportion d'alcool dans les vins se fait par distillation dans le petit appareil de Salleron. On prend un volume de vin, soit 1 décilitre ; on le distille pour obtenir 1/2 décilitre. On ajoute à l'alcool obtenu quantité suffisante d'eau distillée pour compléter 1 décilitre. On plonge dans le liquide un alcoomètre centésimal et un thermomètre : le premier marque le degré alcoométrique, le second la température qui sert à faire la correction.
La proportion d'alcool est extrêmement variable dans les vins, nous l'avons vu ; toutefois celui-ci ne doit pas dépasser 7 à 8 pour 100 pour le vin de consommation parisienne ordinaire; il faut de plus qu'un bon vin naturel laisse, par l'évaporation, un résidu sec de 1.90 à 2.2 pour 100 ; au-dessous de ces chiffres, il est probable que le vin serait additionné d'eau ; et au-dessus, il pourrait être mêlé à du cidre ou du poiré, qui laissent jusqu'à 30 et 35 de résidu sec pour 1000.]
CRÈME DE TARTRE ou TARTRATE ACIDULE DE POTASSE. — Le tartre ou tartrate de potasse contenu dans le vin se dépose, avec le temps, au fond des tonneaux, mêlé avec un peu de tartrate de chaux et une matière à laquelle chaque espèce de vin doit la couleur qui lui est particulière. Il y a trois sortes de tartre : 1° le tartre rouge; 2° le tartre blanc, que les vins déposent, et qui ne diffère du précédent que par sa couleur ; 3° le tartre purifié ou crème de tartre, qu'on obtient en faisant dissoudre et cristalliser le tartre ordinaire ; il est sous la forme d'aiguilles assez dures sous la dent, d'une saveur aigrelette, agréable, inodore, inaltérable à l'air, insoluble dans l'alcool ; il se dissout dans 15 parties d'eau bouillante et dans 60 d'eau froide ; mais on peut le rendre beaucoup plus soluble, au point de n'exiger pour se dissoudre que son poids d eau froide et la moitié seulement de ce liquide bouillant, en le faisant bouillir avec une certaine quantité d'acide borique ou de borax (crème de tartre, 4 ; acide borique, 1 ; eau, 24). Cette préparation porte le nom de crème de tartre soluble (tartre boraté, tartro-borate de potasse ou tartrate borico-potassique). La dissolution aqueuse se décompose rapidement au contact de l'air.
Substances incompatibles. — Les sels de chaux, de plomb, les acides forts.
VINS MÉDICINAUX ou ŒNOLÉS. — Préparations pharmaceutiques dont le vin est l'excipient. Les vins médicinaux sont faits tantôt avec les vins rouges, tantôt avec les vins
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blancs, suivant la nature des principes à extraire et celle des indications à remplir. Ces vins doivent être de première qualité, sans être trop vieux, car ils tendraient à la décomposition. Les vins alcooliques, comme ceux de Madère, de Malaga, de Xérès (les seuls employés en Angleterre, dans ce cas), etc., fournissent des produits de plus longue durée que ceux de France. On ajoute de l'alcool à ces derniers lorsqu'on ne peut pas se procurer les premiers.
Les substances qui entrent dans la composition des vins médicinaux doivent être sèches, excepté les plantes dont les propriétés se perdent par la dessiccation, telles que le cresson, le cochléaria, etc.; mais alors il faut ajouter un peu d'alcool au vin. La préparation consiste, en général, dans la macération plus ou moins prolongée, puis dans la filtration et la conservation à la cave, dans des bouteilles bien bouchées. Un vin médicinal, si bien préparé qu'il soit, tend toujours à se décomposer ; il ne se conserve pas plus d'un an, même dans des vases bien clos et dans une cave bien fraîche. Il se décompose d'autant plus facilement qu'il est plus composé. Toute bouteille entamée se corrompt avec une promptitude extrême, ce qui oblige à la mettre dans des vases graduellement plus petits, chose d'une difficile et minutieuse exécution. Je me contente, lorsque le vin médicinal est fait, de le partager en deux demi-litres et de l'employer le plus tôt possible. — Le procédé de Parmentier, qui consiste à mettre dans le vin la teinture alcoolique des substances, donne un produit moins susceptible de s'altérer ; mais il ne contient pas les mêmes principes que celui qui est préparé par le vin, puisqu'il est privé de ceux que l'eau de celui-ci peut retirer. Le procédé adopté par le Codex réunit tous les avantages ; il consiste à mouiller préalablement les substances avec une suffisante quantité d'alcool, à ajouter le vin, et à prolonger convenablement la macération.
(Beral a proposé de donner le nom d’œnolatures aux préparations dont nous venons de parler, où les substances macérées ne cèdent au vin que les parties extractives, tandis qu'il réserve celui d’œnolé au médicament que l'on obtient en dissolvant directement et en totalité dans le vin un sel ou l'un des principes immédiats des végétaux.)
Alcool
ALCOOL. — L'alcool (C4H6O2) est un liquide blanc qu'on obtient par la fermentation de toute substance végétale sucrée (carottes, fruits sucrés, sucre, etc.) ou susceptible de se transformer en glucose. Presque tout l'alcool du commerce est tiré du vin, de la betterave ou de la fécule de pomme de terre. L'alcool résultant de la distillation du vin, où il se trouve tout formé, est le seul admis par le Codex français, et celui qu'on doit préférer pour l'usage médical.
L'alcool est, ainsi que l'indique sa formule, composé d'oxygène, d'hydrogène et de carbone ; et cela, en des proportions telles que ses éléments peuvent être représentés par des volumes égaux de vapeur d'eau et d'hydrogène carboné. Il dissout le phosphore, le soufre, l'iode, les résines, les huiles volatiles, la presque totalité des acides, le tannin, les alcalis végétaux, le sucre de raisin : il dissout aussi les corps gras, mais en petites proportions, surtout à la température ordinaire ; il ne dissout ni la gomme, ni l'amidon, ni l'albumine végétale. La quantité d'eau qui est mêlée à l'alcool influe d'ailleurs sur ses propriétés dissolvantes ; ainsi, quand il n'est pas concentré, il dissout le sucre de canne, les matières extractives et les gommes-résines.
(La moindre quantité d'alcool peut être révélée dans un liquide par une solution de bichromate de potasse (réactif de Masing)[1]. Anstie a montré que 1/200 de grain d'alcool colorait en vert émeraude 1 centimètre cube de ce réactif.)[2]
(On distingue dans le commerce, à proprement parler, trois sortes d'alcool :
1° Les liqueurs qui renferment de 50 à 55 pour 100 d'alcool en volume constituent l'eau-de-vie. Elles marquent de 16 à 22 degrés à l'alcoomètre de Cartier, et 50 à 55 à celui de Gay-Lussac.
2° Celles qui s'élèvent à un plus haut chiffre s'appellent des esprits ; il est nécessaire de les couper pour les boire. Celui qui nous vient de Montpellier a reçu le nom de trois-six ; c'est le point de départ de la fabrication des eaux-de-vie usuelles ; ce nom de trois-six indique que, pour obtenir cette eau-de-vie, il faut mélanger 3 volumes d'eau à 3 volumes d'esprit, pour arriver à marquer 19° à l'alcoomètre Cartier.)
Si l'on veut purifier l'esprit de Montpellier, on le met dans le bain-marie d'un alambic, et on le distille. Il porte alors le nom d’esprit de vin ou d’alcool rectifié, et marque 90° centésimaux. C'est un liquide blanc et diaphane comme de l'eau, mais plus fluide et moins pesant que cette dernière, s'évaporant très-facilement à l'air libre, s'enflam-
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- ↑ De mutationis spiritus vini in corpus inqesti. Scrips. R. Masing, Dorpati, 1854.
- ↑ Stimulants and narcotics ; by Fr. S. Anstie. London, 1864.
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mant à l'approche d'une lumière et brûlant avec une flamme bleuâtre, sans fumée sans laisser de résidu. Il est d'une odeur vive et aromatique, d'une saveur âcre et brûlante. Il entre en ébullition à 70° centésimaux. Mais quand il contient de l'eau, le terme de son ébullition est retardé à proportion de la quantité de cette dernière.
(3° L'alcool absolu, entièrement privé d'eau, ou anhydre.)
Pour se procurer de l'alcool très-concentré, on le distille avec des corps qui, pour être propres à cet usage, doivent réunir à la condition d'une affinité assez grande pour l'eau celle de ne pouvoir faire éprouver d'altération à l'alcool. Ainsi, on obtient de l'alcool à 95° centésimaux en redistillant l'alcool rectifié sur de l'acétate de potasse dans les proportions de 4 du premier sur 1 du second ; de l'alcool absolu ou anhydre à 100° centésimaux, en distillant l'alcool à 95° centésimaux sur de la chaux.
L'alcool rectifié par simple distillation suffit aux besoins de la pharmacie. Il est le seul dont on puisse se servir avec avantage pour la préparation des liqueurs suaves. Quand on prescrit l'alcool ou qu'on veut se procurer des dissolutions alcooliques, il faut s'assurer du degré de pureté et de concentration, soit avec un alcoomètre, soit par tout autre procédé connu, ou bien enfin en le goûtant.
Alcoolats
ALCOOLATS. — Les alcoolats, esprits, baumes, gouttes, essences, eaux spiritueuses, sont des préparations résultant de la distillation de l'alcool sur une (alcoolats simples) ou plusieurs (alcoolats composés) substances médicamenteuses. Ils contiennent tous les principes qui peuvent se volatiliser en même temps que l'alcool. L'essence est le principe immédiat qui y domine. Les alcoolats diffèrent des teintures, non-seulement par leur mode de préparation, mais encore parce qu'ils ne contiennent que les principes volatils des substances employées, et principalement leur huile volatile, tandis que les teintures contiennent en outre les principes fixes solubles dans l'alcool. Il faut, pour les alcoolats, que les substances soient convenablement divisées, puis macérées avant la distillation dans l'alcool, et distillées au bain-marie.
(On emploie l'alcool à 80° centésimaux pour les alcoolats simples ; quelquefois on se sert de celui à 60° pour les alcoolats faibles, comme le vulnéraire, ou à 90° pour un plus fort, l'eau de Cologne, par exemple.)
On peut faire les alcoolats au moyen d'une simple solution des huiles volatiles dans l'alcool ; mais ils ne valent pas ceux que l'on obtient avec la plante elle-même. — Les alcoolats se conservent bien et gagnent même, avec le temps, sous le rapport de l'arôme. — Beaucoup d'alcoolats peuvent être transformés en liqueurs de table par une addition de sucre. Les alcoolats médicamenteux, si l'on en excepte celui de mélisse, sont plus souvent employés à l'extérieur qu'à l'intérieur.
Alcoolatures
ALCOOLATURES. — L'alcool chargé par macération des principes solubles des plantes dans leur état frais constitue l'alcoolature, ou teinture avec les plantes fraîches du Codex. Hahnemann les avait mises en usage lorsque Béral les introduisit dans la pharmacie allopathique. Les teintures mères des homœopathes ne sont, en effet, autre chose que des alcoolatures. — Il y a deux moyens généraux de les préparer : l'un consiste à extraire le suc des plantes, à le mêler sans le clarifier à l'alcool à 89° centésimaux, et à filtrer après quelques jours pour séparer les matières insolubles. L'autre consiste à faire agir l'alcool sur la plante elle-même contuse. Cette méthode est généralement préférée parce qu'elle donne des produits toujours plus semblables et qui représentent miens la substance employée.
Les alcoolatures sont simples et préparées avec des plantes actives ou celles qui perdent en partie ou en totalité leurs propriétés par la dessiccation. Les proportions et la préparation sont les suivantes : parties égales de plantes fraîches et d'alcool ; après quinze jours de macération, passer avec expression et filtrer. Bien que les alcoolatures soient peu altérables, il est bon cependant de les soustraire à l'action de la lumière.
Les alcoolatures jusqu'ici usitées sont celles de :
Aconit (feuilles). |
Colchique (bulbes). |
Morelle. |
Alcoolés
ALCOOLÉS. — Teintures alcooliques médicinales. — Les teintures alcooliques sont des dissolutions de diverses substances dans l'alcool. Ces substances doivent être sèches, pulvérisées ou concassées, et en quantité suffisante pour saturer autant que possible l'alcool. Les teintures sont simples ou composées, suivant qu'elles contiennent un ou plusieurs médicaments. Dans ce dernier cas, on doit mettre en contact avec l'alcool, d'abord les substances des plus dures, ensuite celles qui se dissolvent facilement. La
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force de l'alcool varie suivant la nature des substances à dissoudre. On doit employer l'alcool le plus pur possible, et le ramener ensuite, par l'addition de l'eau distillée simple, au degré le plus convenable pour chaque teinture. Lorsque l'alcool doit agir sur des matières insolubles dans l'eau, il a besoin d'être plus concentré ; si, au contraire, on désire le charger de principes solubles en même temps dans l'eau et l'alcool, ou solubles dans l'eau et insolubles dans l'alcool rectifié, il faut se servir d'alcool plus ou moins étendu. Le Codex a réduit à trois les degrés de l'alcool destiné aux teintures médicinales : l'alcool à 60° centésimaux ; l'alcool à 80° centésimaux ; l'alcool à 90° centésimaux.
Le premier est pour les matières qui sont plutôt de nature extractive ; le deuxième, pour les substances plus riches en principes résineux et en huile volatile ; le troisième est réservé pour les résines pures et les substances chargées de matières grasses peu solubles. — Le plus grand nombre de substances nécessitent 5 parties d'alcool pour être épuisées. Les teintures se préparent par simple solution, lorsque les matières que l'on emploie sont solubles entièrement dans l'alcool : tels sont le camphre, l'iode, les térébenthines, etc. L'opération se fait dans un matras de verre, et l'on opère par macération ou par digestion. La chaleur dissout plus promptement les corps ; la macération économise les frais de chauffage, mais elle exige plus de temps. A chaud, on bouche le vase avec un parchemin percé de trous d'épingle ; à froid, on ferme exactement pour empêcher une déperdition d'alcool, après avoir simplement trituré la matière avec l'alcool dans un mortier, ou mis le tout dans un flacon en l'agitant.
Les teintures sont des médicaments précieux, et qui se conservent très-longtemps. L'alcool agit, non-seulement comme dissolvant et comme conservateur, mais aussi en ajoutant ses propriétés à celles de la substance médicamenteuse. On ne devrait donc, en général, admettre pour ces préparations que des médicaments dont le mode d'action est analogue à celui de l'alcool, tels que l'opium, les substances aromatiques, l'ammoniaque, etc. Les substances très-actives font exception à cette règle, à cause du peu d'action de l'alcool à petite dose, comparée à celle du médicament : telle est la teinture de digitale, plante sédative opposée à l'alcool, qui est stimulant.
Vinaigre
VINAIGRE ou ACIDE ACÉTIQUE IMPUR. — Le vinaigre est le résultat de la fermentation acide des liqueurs alcooliques, telles que le vin, le cidre, la bière, etc. Le vinaigre de vin est le seul qui soit employé en pharmacie. Le vinaigre blanc est préféré au rouge. Ce dernier peut se décolorer par le charbon animal. Le lait écrémé peut aussi le décolorer en partie. Le vinaigre de vin a la même composition que le vin ; mais l'alcool y est remplacé par l'acide acétique. Il doit avoir une odeur agréable, une saveur acide et piquante, être limpide. Frotté sur la main, il ne laisse pas de mauvaise odeur. (Il est constitué par un mélange d'eau, d'acide acétique, de surtartrate et sulfate de potasse, d'acide malique, de tartrate de chaux et d'une matière colorante.) Il doit renfermer environ 2 gr. 1/2 de tartre par litre, se troubler peu par le nitrate de baryte, l'oxalate d'ammoniaque et le nitrate d'argent.
Le vinaigre est souvent falsifié par l'eau, par des acides étrangers ou des matières âcres, ou par des vinaigres de qualité inférieure.
VINAIGRES MÉDICINAUX. — Le vinaigre peut dissoudre à peu près les mêmes principes que le vin, mais il a la propriété d'en modifier quelques-uns. Il corrige, dit-on, l'âcreté de la scille et du colchique ; il diminue l'action vireuse de l'opium. Il s'empare plus facilement des alcaloïdes, quand il est en contact avec les plantes qui en contiennent, Les vinaigres médicinaux, comme les vins, se préparent par macération et de la même manière, c'est-à-dire que les substances doivent être sèches et convenablement divisées. Ils sont simples ou composés. Les premiers ne se font qu'avec une seule substance, comme le vinaigre framboisé, le vinaigre scillitique, le vinaigre colchique, etc., lesquels servent à composer le sirop de vinaigre framboisé, l'oxymel scillilique, l'oxymel colchique. Les vinaigres composés sont ceux dans lesquels il entre plusieurs substances, comme le vinaigre antiseptique ou sel des Quatre-Voleurs. On doit choisir, pour la préparation des vinaigres médicinaux, un vinaigre fort, très-odorant et le plus déflegmé possible.
Certains vinaigres médicinaux se préparent par distillation. Ces derniers portent les noms de vinaigres distillés, d’oxéolats ou d’acétolats. Ils ne contiennent que les principes volatils des substances.
Dans les préparations pharmaceutiques on se sert ordinairement du vinaigre distillé.
ACIDE ACÉTIQUE CONCENTRÉ ou VINAIGRE RADICAL (C4 H3 O5). — Il se rencontre tout formé dans le règne organique, surtout dans un grand nombre de fruits, dans la sève, etc., dont on peut l'obtenir par la distillation. On le tire ordinairement du vinaigre et de
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l'acétate de cuivre neutre, à l'aide de la distillation. Il est d'une odeur forte et piquante, d'une saveur âcre et brûlante, soluble dans l'eau, solidifiable sous forme cristalline. Il dissout les résines, l'albumine, la fibrine.
Substances incompatibles. — Le tartrate de potasse, de soude et d'ammoniaque les alcalis, les oxydes métalliques.
A L'INTÉRIEUR. — Décoction des feuilles de vigne, 30 à 60 gr. par kilogramme d'eau. |
de cannelle, 96 ; jaunes d'œuf n° 2 ; sucre 15 gr.; teinture de cannelle, 80 centigr.; doses, de 10 à 50 gr., comme léger excitant. |
Feuilles de vigne
Les FEUILLES de vigne sont astringentes. On les a employées clans la dysenterie, la diarrhée chronique, les hémorrhagies passives. Flamant[2], médecin peu connu, recommande contre les pertes utérines la feuille de vigne blanche séchée à l'ombre, pulvérisée et administrée à la dose de 2 à 4 gr. dans un demi-verre de vin rouge. G. G. Fenuglio, de Turin[3], rapporte trois cas de ménorrhagie dans lesquels l'usage des feuilles de vigne de raisin muscat noir, séchées à l'ombre et pulvérisées, à la dose de 4 gr. par jour, a été couronné de succès. Il cite aussi un cas d'hémorrhagie nasale chez un jeune homme d'une constitution très-robuste, dont la vie était en danger pour avoir perdu une grande quantité de sang ; il fut instantanément débarrassé de cet écoulement au moyen de la poudre de feuilles de vigne prise en guise de tabac.
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- ↑ Pierlot, in Bulletin de thérapeutique, t. LV, p. 544.
- ↑ Le Véritable médecin. Paris, 1649, r. 245.
- ↑ Journal universel des sciences médicales, octobre 1822, t. XXVIII.
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Fenuglio dit qu'il a vu réussir ce remède dans les cas d'excitation comme dans ceux d'atonie. « Il doit en être ainsi, dit-il, puisque le tannin exerce son action sur les tissus surexcités, comme sur ceux qui sont atteints de faiblesse. » Il ne laisse, suivant lui, aucun trouble dans les parties sur lesquelles il agit ; il les plonge, au contraire, dans un calme que les malades n'eussent jamais espéré. On l'administre dans du bouillon, dans du vin ou dans de l'eau.
J'ai employé deux fois la poudre de feuilles de vigne contre l'hémorrhagie utérine, avec débilité et anémie ; elle m'a complètement réussi, bien qu'elle n'eût point agi avec la promptitude signalée par Fenuglio, qui l'a employée dans un climat où toutes les plantes sont beaucoup plus énergiques que dans le Nord. Disons, toutefois, qu'il en est de ce moyen comme de tous les astringents, qu'on ne doit employer que lorsqu'il n'existe ni pléthore ni état inflammatoire. Tous les praticiens savent qu'il est des hémorrhagies nécessaires, et que l'on se garde bien d'arrêter avant qu'elles aient amené le soulagement et l'atonie des organes.
L'extrait de vigne (extractum pampinorum vitis) est astringent et peut être employé dans les mêmes cas que la poudre et le suc des feuilles. Dans certaines contrées, on le considère, en outre, comme diurétique, nervin et antispasmodique ; on s'en sert aussi contre les taches de rousseur.
Bredel[1], indique les feuilles de vigne comme pouvant servir à faire des moxas tout aussi efficaces que ceux que l'on obtient avec le duvet extrait l’artemisia chinensis. On les prépare de cette manière : « A la fin de l'automne, lorsque déjà les gelées ont provoqué la chute des feuilles des tiges sarmenteuses, et qu'elles sont passablement dépouillées de l'humidité qu'elles pouvaient encore contenir, on les prend et on les jette à plusieurs reprises dans un four modérément chauffé. Lorsqu'elles sont bien desséchées, on les pile dans un mortier en fonte, jusqu'à ce qu'elles forment une masse mollette et bien cotonneuse. Pour conserver le duvet qui résulte de cette simple opération, on les renferme dans des boîtes de carton ou de bois, exposées dans un lieu sec et chaud.
Les vrilles de la vigne sont acidules et un peu astringentes.
Sève
La SÈVE limpide qui découle au printemps des incisions faites aux rameaux de la vigne, quoique vantée par les commères comme propre à guérir les ophthalmies, les dartres, en l'employant en lotion, et comme diurétique administrée à l'intérieur, paraît tout à fait inerte.
La cendre de sarments est diurétique, et peut être employée comme celle de genêt, de genévrier, d'écorce de fèves, etc. A l'extérieur elle est utile, en lessive, dans tous les cas où les bains alcalins sont indiqués.
Raisins
Les RAISINS frais et mûrs ont une saveur délicieuse et sont nourrissants, rafraîchissants, légèrement laxatifs ; ils conviennent aux personnes d'une constitution sèche et irritable, aux tempéraments sanguins ou bilieux, dans les maladies inflammatoires, les fièvres bilieuses, les exanthèmes, les phlegmasies chroniques des viscères, la phthisie, etc. Mangés abondamment, les raisins ont guéri des engorgements des viscères abdominaux, des hydropisies, des maladies cutanées chroniques, le scorbut. On en a vu d'heureux effets dans l'hypochondrie, l'hystérie, les affections des voies urinaires avec irritation, la diarrhée, la dysenterie, les hémorrhagies, etc. Pris avec excès, ils peuvent produire des coliques, la diarrhée, la dysenterie, etc.
Desbois, de Rochefort, a vu des fièvres intermittentes vernales qui se prolongeaient dans l'été, avec jaunisse et engorgement des viscères du bas-ventre, guérir par le raisin pris en grande quantité. « Ce fruit, dit cet auteur, n'agit alors que comme savonneux et fondant, et non comme fébrifuge.»
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- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. VII, p. 353.
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(Vers le milieu du mois d'août, plusieurs centaines de malades vont passer six semaines environ dans diverses localités d'Allemagne (surtout à Durkheim, en Bavière) ou de Suisse (Vevey), et y faire la cure aux raisins. La quantité de raisins qu'il convient de manger varie de 1/2 à 4 kilogr par jour, pris en trois, quatre ou cinq fois, autant que possible pendant la promenade, et en cueillant soi-même le fruit. Il se produit un effet purgatif et diurétique assez marqué ; comme sa réaction est alcaline, la cure est utile dans toutes les affections qui réclament l'emploi des alcalins. Les graveleux, les goutteux se trouvent très-bien du traitement par les raisins ; mais il faut évidemment tenir compte de l'exercice obligatoire, de l'alimentation concomitante et de l'air pur qu'on respire dans les localités où se fait la cure. On trouvera sur ce sujet tous les renseignements nécessaires dans le mémoire de Carrière[1] et le livre d'Herpin, de Metz)[2].
Le suc de raisin encore vert (VERJUS) est fortement acide et astringent. On en prépare une boisson tempérante (100 à 200 gr. par kilogr. d'eau) qui convient dans les maladies inflammatoires, les fièvres bilieuses, les irritations gastro-intestinales, les diarrhées légères, etc. On l'emploie aussi dans les gargarismes contre le ramollissement des gencives, le relâchement de la luette, et au début ou à la fin des angines.
Dans les cantons où croît la vigne sauvage, les pauvres font, avec ses raisins fermentés dans l'eau, une boisson acidulé agréable. « C'est, dit Thore[3], notre tisane populaire dans les fièvres ardentes et autres qui exigent l'emploi des acides. »
Le suc exprimé des raisins mûrs ou MOÛT contient beaucoup de sucre ; il est nourrissant. C'est un laxatif agréable, mais il dérange souvent les fonctions digestives, et ne convient pas aux personnes sujettes aux flatuosités. Soumis à l'ébullition, ce vin doux prend la dénomination générique de vin cuit, et présente des différences suivant le degré de coction qu'il a subi. Il est nutritif, pectoral, adoucissant, mais peu facile à digérer. Réduit à la consistance de sirop, de rob, de gelée, le moût peut, dans beaucoup de cas, remplacer le sucre, et servir à édulcorer les préparations pharmaceutiques.
Marc
Le MARC (ou râpe passée) qui reste après l'expression des raisins, et qui acquiert souvent une température de 30 degrés ou plus, est stimulant, aromatique. On l'emploie en bains, en y plongeant la partie malade pendant une heure ou deux, contre les douleurs rhumatismales, les engorgements arthritiques, l'ankylose, les rétractions musculaires, la sciatique, la paralysie, (surtout celle qui ne reconnaît pas pour cause une altération cérébrale et résulte de l'influence du rhumatisme), la faiblesse des membres. Ces bains agissent non-seulement par l'humidité et la chaleur, mais aussi par les vapeurs alcooliques et le gaz acide carbonique qui s'en dégagent, et produisent une excitation à laquelle on peut principalement attribuer les avantages obtenus par ce moyen.
(Il est certaines précautions à prendre avant et pendant le bain. Avant, il faut, en entrant avec une lumière dans l'endroit où il doit avoir lieu, voir si elle continue à brûler, ce qui prouverait qu'il n'est pas rempli d'émanations de gaz acide carbonique. Il faut ensuite s'assurer que la température du marc n'est pas trop élevée. Pendant, afin d'éviter l'ivresse et même la syncope, il faut tourner la face du malade vers le côté d'où vient l'air, ou même faciliter vers lui l'accès de l'oxygène, en l'éventant assez fortement.
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- ↑ Les cures du petit-lait et du raisin en Allemagne et en Suisse dans le traitement des maladies chroniques. Paris, 1860.
- ↑ Du raisin et de ses applications thérapeutiques, études sur la cure aux raisins ou Ampélothérapie. Paris, 1865.
- ↑ Flore des Landes.
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I1 est bien entendu qu'un état inflammatoire ou fébrile est une contre-indication absolue à l'usage de ces immersions.)
Les raisins secs, plus sucrés que les raisins frais, sont béchiques, émollients, relâchants. On les prescrit en décoction dans les affections catarrhales et les phlegmasies des organes de la respiration ; ils entrent, ainsi que les figues, dans la plupart des tisanes et des boissons que l'on emploie dans ces cas (30 à 60 gr. par kilogr. d'eau). Par leur fermentation dans l'eau, on obtient un vin léger et agréable.
Usages du vin
Le VIN est une liqueur plus ou moins excitante, tonique, astringente et nourrissante, selon qu'elle contient plus ou moins d'alcool, de tannin ou de matière sucrée.
Les vins rouges foncés sont astringents et ont une action plus durable que les vins blancs, qui excitent plus particulièrement les reins et sont employés comme diurétiques. Les vins doux sont très-nourrissants. Les vins spiritueux agissent plus particulièrement sur le système nerveux, et enivrent plus facilement. Ceux qui sont acidules, chargés d'acide carbonique, mousseux, produisent un effet fugace, une ivresse passagère.
A dose modérée, le vin augmente l'action de tous les organes ; il excite surtout la circulation et les fonctions cérébrales, produit la gaîté, éclaircit les idées, dispose à la confiance, à l'expansion, donne de la valeur et de la jactance, exalte, en un mot, toutes les facultés.
Pris en grande quantité, surtout quand on n'en a pas l'habitude, le vin produit une forte excitation, une joie turbulente et déraisonnable, l'affaiblissement des sens, des vertiges, la vacillation, la perte de l'équilibre, la suspension de la digestion, des vomissements, la somnolence, l'ivresse enfin, qui peut amener le délire furieux, le sommeil profond ou coma, et même l'apoplexie et la mort.
Quand l'ivresse se renouvelle fréquemment et devient habituelle, l'estomac perd sa sensibilité, l'appétit se détruit, l'intelligence s'engourdit, les affections du cœur s'éteignent, l'action musculaire s'affaiblit. Quelquefois surviennent la fièvre, des douleurs intestinales, une vive irritation du cerveau, la chaleur de la peau, une sueur fétide, le delirium tremens. Dans cet état, le sang est noir, extrêmement poisseux, et moins propre à la circulation. Enfin, l'abus continuel du vin peut produire la goutte, l'apoplexie, des inflammations et des engorgements chroniques des viscères abdominaux, des hydropisies incurables.
Chez les femmes, cet abus est encore plus dangereux que chez les hommes. Il rend la peau rude, bourgeonnée, couperosée, dérange la menstruation et produit la stérilité ; il abrutit, fait oublier la modestie et la pudeur, détruit la sensibilité et jusqu'aux liens du sang et de la nature. Il altère le lait des nourrices, et en fait une sorte de poison pour l'enfant.
L'usage du vin est en général nuisible aux enfants. Il les dispose aux affections cérébrales, aux phlegmasies gastro-intestinales, à la phthisie pulmonaire, à l'hémoptysie, au croup, etc. Pris modérément, il convient aux vieillards, aux mélancoliques, aux tempéraments lymphatiques, aux personnes qui se nourrissent d'aliments grossiers et peu nutritifs, accablées sous le poids des chagrins, des soucis, de la misère, habitant des lieux insalubres et humides, surtout dans les saisons pluvieuses et brumeuses ; à ceux qui fréquentent les hôpitaux et les prisons, ou qui sont exposés à l'action du principe contagieux ou épidémique de certaines maladies, telles que le typhus, les fièvres typhoïdes, le choléra asiatique, etc.
Le vin ne convient pas aux sujets maigres et irritables, aux tempéraments sanguins et bilieux, aux personnes sujettes aux congestions sanguines du cerveau, des poumons ou du cœur ; à ceux qui sont disposés aux affections de la peau, à la phthisie pulmonaire, à l'hémoptysie, aux irritations phlegma-
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siques de l'estomac et des intestins, aux rétentions d'urine, etc., ou qui sont héréditairement prédisposés aux affections goutteuses.
Le vin est un médicament précieux contre une foule de maladies, surtout pour les personnes qui n'en usent pas habituellement. Le citadin n'en éprouve pas les mêmes effets que le paysan. J'ai vu guérir, dans nos campagnes du Nord, des fièvres intermittentes rebelles, la chlorose, le scorbut, les scrofules, par le seul usage inaccoutumé du vin vieux de Bordeaux. 11 convient dans toutes les maladies où la faiblesse est évidente et essentielle, indépendante de tout point central d'irritation. C'est ainsi qu'on l'emploie avec avantage après de grandes évacuations, un allaitement trop prolongé, des pertes séminales trop fréquentes, une longue salivation, une abstinence prolongée, une leucorrhée ou blennorrhée abondante. Dans ces cas, on le donne souvent avec le bouillon, ou mêlé avec le jaune d'œuf. Les convalescences réclament aussi l'usage du vin.
Dans la période adynamique des fièvres typhoïdes, dans les fièvres mucoso-vermineuses et putrides, le vin produit de bons effets. Il s'oppose à cet affaissement, à cette prostration des forces qui caractérisent ces maladies, et qu'on ne peut attribuer, quoi qu'en disent les partisans de la doctrine dite physiologique, à l'existence d'une gastro-entérite spéciale et sourde, dont le développement est aujourd'hui considéré, avec plus de raison, comme coïncidence ou comme effet de l'altération primitive du sang. J'ai vu, pendant plusieurs années, administrer avec avantage l'eau vineuse ou le vin de Bordeaux pur, suivant la dépression plus ou moins grande des forces, dans toutes les fièvres adynamiques et adynamico-ataxiques qui régnaient dans les hôpitaux militaires du premier camp de Boulogne. Ma conviction à cet égard n'a point été ébranlée : j'ai continué le même traitement dans ma pratique civile, et je m'en suis toujours bien trouvé. Lorsque la prostration augmente, je fais même prendre le vin de Malaga, d'Alicante ou de Madère pur, par cuillerées souvent répétées, et je parviens ainsi à maintenir les forces, à activer les sécrétions, à provoquer par des crises favorables l'élimination du principe morbifique. J'ai observé des cas où le sujet n'aurait pu supporter en santé le tiers de la quantité de vin que je lui faisais prendre, sans obtenir d'autre résultat qu'un peu d'élévation dans le pouls, la distribution plus égale d'un reste de forces, une tendance à la solution heureuse que je tâchais d'obtenir, et que souvent la persévérance réalisait.
Petit administrait aussi le vin avec succès dans la fièvre typhoïde, quand cette affection s'accompagnait d'un état de faiblesse très-prononcé et de coma. Pinel employait, dans ce cas, le vin de Malaga par cuillerées fréquemment répétées.
L'usage du vin de Bordeaux, généreux et pur, est quelquefois nécessaire dès le début de certaines fièvres, parce que les signes d'adynamie, d'ataxie, de décomposition sont si rapides et si évidents, que la seule indication est de relever le système nerveux, de ranimer le mouvement artériel. De pareils cas se sont présentés dans ma pratique rurale, chez des sujets soumis à l'influence destructive d'une saison froide humide, d'une habitation malsaine, de miasmes délétères, d'une mauvaise nourriture, du chagrin, de misère, etc. Nous ayons vu, dans ces malheureuses circonstances, des médecins, séduits par une doctrine aussi facile en théorie que simple dans l'application, poursuivre comme cause efficiente une irritation chimérique, perdre rapidement leurs malades, et regretter de n'avoir pas appliqué un plus grand nombre de sangsues !
Toutefois, hâtons-nous de le dire, le médecin qui, dans certains cas appréciés par l'homme de l'art exempt de toute prévention, ne traite que les symptômes typhoïdes, sans jamais prendre en considération l'altération
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organique interne, lors même qu'elle est portée au plus haut degré d'intensité, nous paraît aussi aveugle que celui qui s'attache exclusivement à combattre par les antiphlogistiques la phlegmasie intestinale, dont les caractères non identiques diffèrent ici essentiellement de l'inflammation franche. Nous avouerons qu'il n'est pas toujours facile de concilier des indications contradictoires, ni de déterminer quel est le genre de traitement qui convient le mieux. Placé entre une susceptibilité viscérale irritative ou inflammatoire, et la diminution ou l'absence de réaction générale avec désordre du système nerveux, on est parfois très-embarrassé. Dans ces circonstances délicates et équivoques, le praticien exercé agit avec circonspection, s'arrête à propos, et n'attaque vigoureusement qu'après s'être assuré de sa position et de ses avantages.
(Béhier, Monneret, cité par Bricheteau[1], emploient aussi le vin à doses généreuses dans les fièvres typhoïdes, mais ne paraissent pas en spécialiser l'usage dans la période adynamique.)
Tissot, Borsieri, Neumann, Burdel et beaucoup d'autres auteurs considèrent le bon vin, pris à fortes doses, comme le meilleur remède contre les fièvres intermittentes, rebelles au quinquina. J'en ai observé les bons effets en pareils cas ; lorsqu'il y avait cachexie, engorgement splénique ou hépatique, œdème, je donnais de préférence le vin blanc. (Voyez l'article ALCOOL, page 1125.)
J'ai employé souvent le vin de Champagne mousseux, comme la potion de Rivière, contre les vomissements par irritation nerveuse, surtout chez les femmes enceintes. Il s'est montré utile dans l'épidémie de fièvre jaune de 1819, à la Nouvelle-Orléans[2].
(On l'a mis en usage dans les affections typhiques. Navier a publié sur ce sujet un travail ayant pour titre : Question agitée dans les Ecoles de la Faculté de médecine de Reims, le 14 mars 1777, sur l'usage du vin de Champagne mousseux contre les fièvres typhoïdes et autres maladies de même nature. Paris, 1778. Le vin dont nous venons de parler est aussi très-efficace pour combattre les dyspepsies légères résultant de l'atonie de l'estomac.)
Arétée conseillait le vin, à doses faibles, mais répétées, dans la pneumonie des vieillards. Moscati, Laënnec el Chomel disent en avoir obtenu de bons effets dans la même maladie. Suivant Pinel et Franck, certaines pneumonies épidémiques ou adynamiques, où les saignées sont meurtrières, se modifient avantageusement par l'emploi des toniques et en particulier par celui du vin généreux.
(C'est le traitement par excellence d'une certaine forme de la pneumonie des vieillards, que, eu égard à ce traitement électif, on a proposé d'appeler pneumonie à vin. Chez les buveurs, il est très-important de traiter la phlegmasie pulmonaire, si promptement accompagnée de délire (alcoolisme concomitant), par le vin ou les spiritueux à haute dose (Chomel). Nous verrons, en traitant de l'alcool, que, dans ces derniers temps, on a été plus loin dans cette voie.)
Le vin chaud est souvent employé à la campagne pour provoquer la sueur et faire avorter une fluxion de poitrine. Ce remède a quelquefois réussi ; mais le plus souvent c'est jouer à quitte ou double que de l'employer, surtout chez les sujets vigoureux et sanguins.
(Le danger existe ici surtout parce que la dose est excessive et prise en une seule fois. Les Anglais usent largement du Port wine (Porto) dans les pneumonies ; mais ils soumettent son administration à des règles précises qui en modifient avantageusement l'action. Pour tout ce qui concerne les
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- ↑ Journal des connaissances médico-chirurgicales, 1862, p. 485.
- ↑ Rapport fait au nom de la Société de médecine de cette ville, p. 11. Nouvelle-Orléans, 1820.
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travaux modernes sur l'emploi du vin dans les affections fébriles aiguës nous renverrons à l'article ALCOOL, où cette question est résumée.)
Le vin chaud a souvent rappelé immédiatement les règles supprimées par l'immersion des mains dans l'eau froide, par la suppression de la transpiration, etc., surtout chez les femmes d'une constitution délicate et d'un tempérament lymphatique. Il a quelquefois été utile dans les exanthèmes aigus (rougeole, scarlatine, variole), où l'éruption languit par le défaut d'énergie du sujet, et quand il y a dyspnée avec pouls petit, concentré, pâleur, etc., ce qui se rencontre assez fréquemment chez les enfants anémiques des pauvres qui habitent des lieux bas, marécageux, peu aérés.
J'ai vu le choléra asiatique céder, à son début, à une abondante transpiration provoquée au moyen d'une bouteille de vin chaud, prise par tasses fréquemment répétées. Ce même vin, pris chaque soir et provoquant de la sueur pendant la nuit, a guéri des diarrhées chroniques qui avaient résisté aux remèdes ordinairement employés. Tous les praticiens savent combien il est difficile de combattre avantageusement les diarrhées rebelles. Souvent les astringents sont nuisibles ou n'ont qu'un effet momentané, et les mucilagineux sont impuissants, surtout quand le malade, conservant l'appétit, surcharge l'estomac et fatigue les organes digestifs par le travail pénible et irritant de la digestion. Dans ces cas, le traitement qui m'a le mieux réussi consiste à administrer chaque matin un tiers de lavement de vin rouge, d'abord tiède et ensuite froid, dans lequel je fais quelquefois délayer un ou deux jaunes d'œufs, et à mettre le malade à l'usage des œufs, avalés crus et entiers, pour toute nourriture, au nombre de deux le premier jour, trois le second, ainsi de suite en augmentant graduellement, selon l'effet obtenu. J'arrive ainsi quelquefois à faire prendre dix à douze œufs dans les vingt- quatre heures. Le malade s'abstient de toute boisson. Ce traitement, à la fois alimentaire et médicamenteux, produit un effet prompt et durable ; mais ordinairement, dans les diarrhées anciennes, je le fais continuer pendant vingt, trente et même quarante jours. Je ne reviens que peu à peu aux aliments ordinaires, en commençant par les plus faciles à digérer.
Cette médication, que j'ai exposée en 1850 dans la première édition de cet ouvrage (p. 567), a été adoptée par Aran[1], professeur agrégé à la Faculté de médecine de Paris. Ce médecin en a retiré les plus grands avantages, non-seulement dans la diarrhée chronique, mais aussi dans la chlorose, dans la dyspepsie, dans les cachexies tuberculeuse et paludéenne, dans la convalescence des maladies graves, la phthisie, etc.
« L'emploi des lavements médicamenteux, dit Aran, remonte à une époque très-reculée ; mais on chercherait vainement dans les auteurs des traces de l'administration du vin par la voie rectale. Hoffmann est, à ma connaissance, le seul auteur qui en fasse mention, et qui conseille ces lavements chez les sujets dont les forces sont languissantes, en associant au vin le baume qui porte son nom. Ce n'est cependant pas à cet illustre médecin que je dois l'idée de l'application des lavements de vin au traitement de diverses maladies. J'avais lu dans ce journal et dans le Traité des plantes médicinales indigènes de M. Cazin, l'exposition d'un traitement recommandé par ce médecin dans la diarrhée chronique, traitement qui consiste dans l'emploi des lavements de vin et dans l'administration des œufs crus pour nourriture exclusive. J'avais précisément à cette époque, dans le service dont j'étais chargé à l'Hôtel-Dieu, une femme de trente-cinq ans, affectée depuis treize semaines d'un dévoiement que rien ne pouvait arrêter, et qui présentait, avec un état anémique des plus prononcés, un œdème des jambes, sans affection du cœur ni urines albumineuses. Trois lavements de vin furent administrés tous les jours à cette malade, et, sans être immédiat
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- ↑ Bulletin général de thérapeutique, 1855, t. XLVIII, p. 11 et 54.
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« ni complet, le résultat de ce traitement fut des plus remarquables : le nombre des selles diminua, mais surtout les forces revinrent, l'œdème disparut, la face prit une coloration plus naturelle, et la malade put être occupée dans la salle comme infirmière.
« J'avais été frappé surtout chez cette malade de l'influence exercée par ces lavements sur l'état général, et je me demandai si, dans la convalescence des maladies graves, alors que les fonctions digestives sont encore languissantes, on ne pourrait pas abréger la convalescence par ce moyen ; si même, dans les cas où l'estomac ne pourrait pas tolérer des aliments et encore moins des toniques, il ne serait pas possible de soutenir momentanément et de relever les forces des malades à l'aide de ces lavements. L'occasion se présenta bientôt de vérifier cette prévision, et l'événement vint me montrer que je ne m'étais pas trompé.
« ... Je n'ai jamais hésité, depuis cette époque, à recourir aux lavements de vin dans la convalescence de toutes les maladies graves, lorsque la convalescence marchait avec lenteur, et surtout lorsque les fonctions digestives conservaient une susceptibilité morbide qui mettait obstacle à la nutrition. J'y ai eu recours avec non moins de succès dans des cas où une diarrhée persistante compromettait gravement la nutrition pendant la convalescence ; et, dans la fièvre typhoïde en particulier, j'ai vu, à la fin de la maladie, les lavements de vin, continués pendant plusieurs jours, triompher définitivement de la diarrhée, et ramener très-rapidement à une convalescence parfaite des malades dont la vie semblait compromise.
« Mais une des maladies dans lesquelles j'ai observé des effets bien remarquables et bien inattendus des lavements de vin, c'est la phthisie pulmonaire. En employant les lavements chez les phthisiques, j'avais seulement pour but de faire cesser la diarrhée. Le hasard voulut que ces premiers essais fussent suivis de bons résultats sous ce rapport. Mais, en même temps que la diarrhée se suspendait, les malades éprouvaient, dans leur étal général surtout, une amélioration inespérée.
« Dans une période moins avancée de la maladie, ces lavements associés à d'autres moyens, à l'huile de foie de morue ou de pied de bœuf, à l'emploi du tartre stibié, à doses fractionnées, m'ont paru exercer une influence favorable sur la marche de la maladie, et je n'hésite pas à les recommander comme une précieuse ressource à l'attention de mes confrères.
« La dyspepsie, cette maladie, ou plutôt ce groupe de maladies caractérisé par des troubles variés des fonctions digestives, nous a fourni, dans quelques-unes de ses formes, l'occasion de nous servir avec avantage des lavements de vin. Ainsi, il est une forme de dyspepsie qui a reçu avec raison le nom de gastralgie, parce que c'est la douleur qui est le phénomène prédominant. Chez beaucoup de gastralgiques, chez lesquels d'ailleurs l'état général de faiblesse semblerait indiquer l'emploi des toniques, le vin ne peut être supporté, même à faible dose, et peu à peu beaucoup de ces gastralgiques, surtout parmi les femmes, arrivent à renoncer complètement à l'usage du vin, qui leur occasionne, disent-ils, une sensation de brûlure intolérable. Plusieurs de ces malades, que nous avons soumis à l'emploi des lavements de vin, ont repris rapidement des forces, et, en très-peu de temps, la sensibilité exaltée de l'estomac s'est calmée chez quelques-uns, au point de leur permettre de faire un usage modéré du vin à leur repas. Mais ici se place une remarque qui s'applique, du reste, à tout ce qui précède comme à tout ce qui va suivre, c'est qu'il y a d'autant plus à attendre des lavements de vin, que les personnes qui sont soumises à ce traitement ont moins l'habitude des boissons vineuses et alcooliques. Aussi les effets de ces lavements sont bien plus marqués chez les femmes, dont les habitudes sont généralement tempérantes, que chez les hommes, qui sont trop souvent adonnés aux boissons spiritueuses, et dont la constitution est habituée et en quelque
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« sorte blasée relativement à ces boissons ; chez les jeunes filles que chez les femmes, dont quelques-unes ont des habitudes qui se rapprochent souvent de celles des hommes. Je tiens encore de l'habile rédacteur en chef de ce journal, Debout, qui a expérimenté ces lavements dans une contrée de la Picardie où l'usage du vin est tout à fait inconnu, que les effets de ce traitement se sont montrés bien autrement puissants chez les campagnards que parmi les malades de Paris auxquels il a eu l'occasion de le prescrire.
« Une autre forme de dyspepsie, qui me paraît également susceptible d'être modifiée avantageusement par les lavements de vin, c'est celle qui est caractérisée par des vomissements, surtout par des vomissements de matières alimentaires. J'ai vu des malades que ces vomissements avaient considérablement affaiblis, et qui, traités à la fois par les moyens propres à combattre la dyspepsie, et par les lavements de vin, ont repris, avec la plus grande rapidité, leurs forces et leur embonpoint. Mais la maladie dans laquelle les effets des lavements de vin m'ont le plus grandement surpris, surtout avec les idées et les préceptes thérapeutiques qui ont généralement cours aujourd'hui parmi les médecins, c'est la chlorose.
« Combien de personnes professent, en effet, que le fer est le seul traitement spécifique de la chlorose, et que, sans les préparations ferrugineuses, la guérison de cette maladie serait impossible à une période avancée ! Et cependant, qu'y aurait-il donc d'étonnant à ce que l'introduction journalière et répétée d'une assez grande quantité d'un tonique aussi vivifiant que le vin, pût amener dans l'économie une modification de nature à assurer la guérison de cette maladie ? A quelque point de vue qu'on se place, que la chlorose soit due à une sanguification imparfaite, à la diminution du nombre des globules de sang que les belles recherches d'Andral et Garniet ont mise hors de doute, voire même à la diminution dans la proportion du fer, à une déferrugination du sang, comme l'ont pensé quelques chimistes, opinion dont les expériences de Réveil ont fait justice dans ces derniers temps, ou bien que celte altération du flux sanguin dépende d'un trouble dans les fonctions de l'innervation, du non-rétablissement d'une fonction importante telle que la menstruation : n'est-il pas évident que ce que l'on a à combattre dans la chlorose, c'est l'état de faiblesse générale, c'est la langueur de toutes les fonctions, et qu'à ce titre les stimulants de toute nature, ceux qui s'adressent surtout à l'ensemble, à la généralité de l'organisme, auront beaucoup de chances de réussir ? C'est ce qui explique les succès de l'insolation, du séjour à la campagne, des bains de mer et de l'hydrothérapie ; c'est ce qui explique également les effets avantageux des lavements de vin dans cette affection.
« J'avais d'abord fait marcher parallèlement l'administration des lavements de vin et celle des ferrugineux, dans le but de hâter la guérison, toujours assez lente, de la chlorose, quel que soit, d'ailleurs, le traitement qu'on emploie. Bientôt je voulus savoir à quoi m'en tenir, et, supprimant les préparations ferrugineuses, je soumis simplement les malades à un traitement composé de lavements de vin, de frictions générales stimulantes, avec un liniment composé de :
Alcoolat camphré
|
de chaque parties égales. |
Et de poudres antigastralgiques, composées comme il suit :
Sous-nitrate de bismuth | 4 grammes. |
Poudre de rhubarbe
|
a ͡a 50 centigrammes. |
Et, dans quelques cas :
Poudre de safran | 50 centigrammes. |
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« Je ne fus pas peu surpris de voir que la guérison s'opérait avec autant de facilité, et presque de la même manière qu'au moyen des préparations ferrugineuses. En quelques jours, les forces reparaissaient, l'œdème et la bouffissure disparaissaient, les palpitations et l'essoufflement ne se montraient plus qu'après un exercice un peu violent, l'appétit devenait meilleur, les maux d'estomac et la sensation de défaillance faisaient place à un sentiment de force et de bien-être ; puis la coloration devenait meilleure, les bruits de souffle vasculaire cessaient d'être continus, et le bruit de souffle intermittent perdait beaucoup de son intensité ; aucune trace de bruit de souffle cardiaque ; bref, les malades, qui se trouvaient rentrées dans les conditions normales de la santé, sortaient de l'hôpital dans un état au moins aussi bon que si elles eussent été soumises à un traitement par les ferrugineux.
« Voilà maintenant trois années que j'ai entièrement renoncé à l'emploi des ferrugineux dans la chlorose ; et, bien que j'aie rencontré des cas de chlorose très-intense, il ne m'est pas arrivé une seule fois d'être obligé de renoncer à ce traitement, et de donner les ferrugineux pour hâter ou terminer la guérison. Mais je tiens à répondre à une objection qui ne manquera pas de se produire : les malades, dira-t-on, n'étaient pas guéries, car elles conservaient encore, lors de leur sortie de l'hôpital, un bruit de souffle intermittent dans les gros vaisseaux. En bien ! indépendamment de ce que cette objection est plus spécieuse que solide (car la présence d'un léger bruit de souffle intermittent dans les vaisseaux du cou est une chose très-commune et presque indifférente, comme je l'ai montré il y a longtemps), - cette objection pourrait certainement être retournée contre les ferrugineux eux-mêmes. Je ne me souviens pas avoir jamais vu entièrement disparaître le bruit de souffle intermittent chez les chlorotiques après l'emploi du fer, pas plus chez les malades des hôpitaux que chez les malades de la ville ; et, si j'ai pu constater plus tard cette disparition du bruit de souffle, ç'a été par le fait des conditions nouvelles dans lesquelles les malades convalescentes avaient été placées : insolation, séjour à la campagne, bains de mer, etc.
« Ne semble-t-il pas, en effet, à entendre les partisans exclusifs des ferrugineux, que cette médication soit toujours efficace, toujours certaine dans ses résultats ? Il ne faut pas cependant une bien longue expérience pour se convaincre du contraire. Les chlorotiques pourraient même, au point de vue du traitement par les ferrugineux, être divisées en trois catégories : la première, et la plus nombreuse, je le reconnais, dans laquelle les ferrugineux, administrés convenablement, amènent une guérison durable, ou du moins qui se prolonge quelques années ; la deuxième catégorie, dans laquelle les ferrugineux produisent une amélioration très-rapide, suivie d'une rechute dès qu'on cesse le traitement, qui en triomphe de nouveau, ainsi de suite pendant des années (nous connaissons des femmes qui prennent, depuis dix, quinze et vingt années, des ferrugineux, sans être parvenues à se débarrasser entièrement de leur chlorose) ; la troisième, qui comprend les cas, et ils ne sont pas rares, dans lesquels les ferrugineux échouent complètement, ou dans lesquels l'amélioration qu'ils produisent n'est que momentanée, et ne s'élève jamais au niveau d'une guérison.
« Mais lorsqu'une chlorose récidive d'une manière incessante, lorsque surtout une chlorose se montre, depuis longtemps, rebelle à l'action des ferrugineux, pourquoi ne pas avoir recours à l'emploi des lavements de vin Et qui sait si ces lavements ne triompheraient pas définitivement des accidents chlorotiques !...
« Personne ne me prêtera, je l'espère, la pensée de conseiller aux médecins l'abandon des préparations ferrugineuses dans la chlorose en général. Le fer est un médicament justement estimé, et qui rend de trop grands services pour qu'on puisse songer à le rayer de la thérapeutique. Aussi bien,
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« il n'y aura jamais de comparaison à établir entre un traitement simple et facile, consistant dans l'administration de quelques paquets de poudre ou de quelques pilules, comme le traitement ferrugineux, et un traitement compliqué, dont beaucoup de pratiques qui le composent doivent répugner au malade, comme celui que j'ai exposé plus haut. Je ne me fais aucune illusion sur les difficultés que ce traitement doit rencontrer ailleurs que dans les hôpitaux, et si, depuis trois années, je n'en ai pas employé d'autre dans la pratique hospitalière, c'est que je tenais à bien m'édifier sur la valeur et la portée de ce traitement.
« ... Les lavements de vin déterminent, dans les premiers jours de leur emploi, lorsque la personne qui y est soumise n'y est pas encore habituée, des phénomènes particuliers qui varient suivant la dose de vin qui a été injectée, et suivant la susceptibilité individuelle. Ces phénomènes sont ceux de l'ivresse, mais d'une ivresse dont les suites sont bien différentes de celles produites par l'ingestion des alcooliques dans l'estomac. Huit ou dix minutes après le lavement, lourdeur de tête, besoin de dormir, face animée, yeux brillants, pupilles dilatées, peau moite, accélération des battements artériels, et quelquefois un peu d'excitation ou même de délire gai ; mais ces derniers phénomènes ne se montrent que chez les malades qui sont restés debout et qui ont continué à causer avec les personnes qui les entourent. Les malades qui se couchent après l'injection du vin s'endorment, en général, profondément ; et, si le lavement a été donné le soir, comme je le fais ordinairement, les malades se réveillent, le lendemain matin, frais et dispos, sans conserver aucun reste de leur ivresse de la veille, sans présenter aucun trouble dans leurs fonctions digestives. Au contraire, leur appétit est meilleur et leurs forces plus grandes. Ce qui m'a frappé également dans ces effets des lavements de vin, c'est l'impression plus grande produite sur le système nerveux par une dose de vin qui resterait presque sans effet général, si elle était ingérée dans l'estomac. Il y a donc lieu de penser que l'introduction des médicaments par la voie rectale produirait peut-être, dans beaucoup de cas, des effets fort différents de ceux qui résultent de leur introduction dans l'estomac ; et il serait bien à désirer que des recherches fussent faites à cet égard, car elles conduiraient probablement à la découverte de plusieurs faits utiles à la pratique.
« Comme on le comprend, la quantité de vin à injecter dans le rectum n'est pas chose indifférente ; elle varie, du reste, suivant l'effet que l'on veut obtenir. Un quart de lavement de vin ou 150 gr. de ce liquide suffisent souvent pour amener une stimulation convenable dans les cas légers et chez les personnes impressionnables. Il faut souvent aller jusqu'à 250 et 350 gr., administrés en une seule fois, dans les cas graves et rebelles ; mais la dose peut être moindre si, au lieu de faire prendre un seul lavement de vin, on en administre deux, un le matin et un le soir. Cette stimulation, répétée deux fois dans les vingt-quatre heures, nous a paru avoir une influence très-heureuse, surtout chez les chlorotiques, et accélérer de beaucoup la guérison. Cette pratique a principalement des avantages en hiver, où l'on est privé de la stimulation que l'on peut demander à la promenade au grand air, à l'insolation, etc. En général, cependant, un lavement de vin suffit, et la dose de liquide varie entre 150 et 250 gr. de vin rouge de bonne qualité. Si le vin est trop riche, il faut souvent le couper d'eau ; et, en ville, il convient d habituer les malades par des quarts ou des demi-lavements d'eau vineuse, que l'on charge tous les jours davantage.
« Il est encore quelques précautions à prendre pour assurer le succès de cette médication. La première, c'est de vider préalablement le rectum avec un lavement tiède, et de faire suivre immédiatement l'évacuation du premier lavement de l'injection du second ou du lavement médicamenteux, celui-ci doit toujours être à une douce température, afin de ne pas provo-
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« quer la contraction brusque de l'intestin. Enfin, le malade doit faire effort pour garder le lavement, et pour cela il doit se coucher, ce qui prévient en même temps la manifestation des phénomènes d'excitation. Mais cette précaution n'est pas indispensable chez les personnes qui sont habituées à ce traitement ; elles finissent par garder sans difficulté les lavements et par n'en être que très-légèrement influencées.
« Je n'insisterai pas sur le mode d'action de ces lavements, mode d'action qui ne diffère pas au fond de celui des alcooliques. C'est évidemment sur le système nerveux qu'ils portent leur influence, et cette influence consiste en une stimulation momentanée, d'autant plus précieuse, que ses effets s'effacent très-rapidement. Mais ce qui nous échappe, et ce qui nous échappera probablement toujours, c'est le mécanisme en vertu duquel cette stimulation, portée sur le système nerveux, réagit sur l'ensemble des fonctions, et les restaure dans les conditions normales. Heureusement, le fait pratique reste avec son utilité, et je serais heureux si ce mémoire avait porté dans l'esprit du lecteur cette conviction :
« 1° Que les lavements de vin constituent une précieuse ressource dans plusieurs maladies, caractérisées par un état de débilité primitive ou consécutive, et, en particulier, dans la chlorose, dans la dyspepsie, dans certaines cachexies, telles que la cachexie tuberculeuse, paludéenne, etc., ainsi que dans la convalescence des maladies graves ;
« 2° Que ces lavements, administrés à dose convenable, et répétés suffisamment, relèvent les forces, rétablissent l'harmonie des fonctions, et peuvent, soit amener la guérison, soit permettre aux malades de résister plus ou moins longtemps aux conséquences graves et terribles qu'entraînent quelques-unes de ces maladies. »
Dans un cas de convalescence d'une fièvre grave, avec symptômes de gastro-entérite et de péritonite, et affaiblissement extrême, Herpain[1] prescrivit un quart de lavement de vieux vin de Bordeaux, renouvelé trois fois par jour. Mais ces lavements réussirent mal pendant deux jours, furent rejetés et firent même succéder de la diarrhée à la constipation. On ajouta alors 60 gr. de sirop simple aux 100 gr. de vin qui composaient les trois petits lavements. Dès lors ils ne furent plus rejetés, et la diarrhée ne tarda pas à s'arrêter. Une seconde convalescence s'établit, et la guérison s'ensuivit.
Tout ce que nous venons de rapporter sur les heureux effets du vin administré en lavement me dispense de parler des nombreux cas où j'ai eu à me louer de ce puissant moyen. Leur complète analogie avec ceux qu'Aran a exposés, n'offrirait d'ailleurs qu'une répétition de faits dont la narration dépasserait inutilement les limites, peut-être trop souvent franchies, des articles de cet ouvrage. Je me contenterai de faire remarquer que, dans les cas où les lavements de vin pur n'étaient pas tolérés, l'addition du jaune d'œuf me procurait le même avantage que le sucre dont s'est servi Herpain.
(Les hémorrhagies et surtout les métrorrhagies succédant aux fausses couches et aux accouchements, et qui sont le résultat de l'inertie utérine, sont heureusement modifiées par les lavements de vin[2].
Employé sous cette forme, il est probable que le vin n'agit pas seulement par ses propriétés stimulantes générales ; et le professeur Béhier est porté à admettre qu'alors il exerce encore sur l'utérus une action réflexe qui sollicite le réveil des contractions de cet organe, et en ce sens son application sur la muqueuse rectale serait beaucoup plus et plus directement utile dans
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- ↑ Journal de médecine de Bruxelles et Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, 1857, p. 14.
- ↑ Llewellyn Williams, British med. Journ., septembre 1858 : Debout, Bulletin de thérapeutique, 1859, t. LVI, p. 86.
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le cas d'hémorrhagie utérine que ne peut l'être l'usage du même moyen administré par la voie de l'estomac.)
Dehaen, Welse, Strambio ont trouvé le vin très-efficace, même à forte dose, pour calmer et guérir les accidents dont l'ensemble constitue la colique saturnine. On peut même le donner en lavement dans cette affection. Guersant l'a vanté contre l'incontinence d'urine chez les enfants. Il est aussi très-utile dans les affections gangreneuses, les hémorrhagies passives, le purpura hemorrhagica[1], dans la dysménorrhée qui dépend de l'atonie, de l'inertie de l'utérus, etc. Bryson[2] a vu sur les rives de la Plata l'armée anglaise ravagée par le scorbut, tandis que l'armée française, qui coopérait avec elle au blocus de Buenos-Ayres, n'avait presque pas de scorbutiques et les deux armées étaient dans les mêmes conditions hygiéniques ; mais l'armée anglaise recevait chaque jour une petite ration de rhum, tandis que l'armée française recevait une ration de vin rouge astringent, d'où Bryson a conclu que les alcooliques n'ont pas de propriétés prophylactiques contre le scorbut, et qu'ils nuisent à la santé des hommes qui ne reçoivent pas d'aliments végétaux, tandis que le vin rouge préserve de l'influence scorbutique.
Le vin a aussi été regardé comme anthelminthique. On a remarqué que les enfants auxquels on en faisait prendre avaient plus rarement des vers intestinaux que ceux qui n'en faisaient point usage. Pris à jeun, il m'a réussi chez les habitants des marais, ne vivant que de légumes et de laitage, pour prévenir le retour des affections vermineuses, en combattant la débilité des vois digestives qui en favorisait le développement. On m'a rapporté que, dans une fièvre vermineuse épidémique qui enlevait la plupart des malades, aucun prêtre n'avait été atteint de la maladie. On attribua cette heureuse exemption au vin pur pris à jeun en disant la messe.
Le gros vin rouge, en injection dans l'urèthre, suspend la gonorrhée dès son début, et la fait avorter sans inconvénient, si l'on en continue l'usage quatre à huit fois par jour.
On se sert pour ces injections d'un mélange de gros vin rouge et d'eau. Au bout de quelques jours, on augmente la quantité du vin, et l'on ne met plus ensuite que du vin pur, que l'on est même quelquefois obligé d'aiguiser, vers la fin du traitement, avec un sixième ou un cinquième d'eau-de-vie. On laisse séjourner le liquide trois ou quatre minutes, en bouchant l'orifice de l'urèthre avec le pouce gauche. Chaque injection se fait en trois fois, c'est-à-dire par tiers, et l'on réitère d'autant plus souvent que l'écoulement est plus récent (quatre à huit fois par jour). Il faut employer ces injections le plus tôt possible, sans avoir égard à l'inflammation et à la douleur qui se manifestent au début de l'affection. Pour obtenir l'effet désiré, il faut que ces injections soient douloureuses ; elles produisent une cuisson vive dans le gland et quelquefois jusqu'au col de la vessie. S'il y a absence ou diminution de douleur, on augmente la force du liquide. L'écoulement cesse du deuxième au cinquième jour ; mais il n'en faut pas moins continuer les injections pendant un mois et même six semaines après la cessation de l'écoulement, en en diminuant graduellement le nombre, de manière à n'en plus faire que trois et même deux par jour à la fin du traitement.
Ce moyen simple, qu'on peut employer partout et à l'insu de tout le monde, ne coûte rien et ne cause aucun accident. Ces avantages, que Mérat a signalés il y a quarante ans, m'ont été démontrés dans de nombreux de blennorrhagie, contre lesquels je n'ai employé que les injections vineuses
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- ↑ Voyez l'observation très-intéressante publiée par Faure dans le n° 120 de la Gazette des hôpitaux, 1861, p. 178.
- ↑ Bouchardat, Annuaire de thérapeutique, 1851, p. 45.
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plus ou moins fortes et continuées plus ou moins longtemps, suivant les circonstances.
Les injections vineuses conviennent aussi dans les plaies sinueuses, dans les conduits relâchés, dans le vagin contre la leucorrhée, dans la tunique vaginale pour la cure radicale de l'hydrocèle, en y ajoutant de l'eau-de-vie. Le vin chaud, pur ou miellé, appliqué sur les plaies, leur donne du ton, les avive, les déterge et hâte la cicatrisation. Le vin rouge alcoolisé est encore employé comme résolutif sur les contusions, les infiltrations cellulaires, les engorgements articulaires suites d'entorses, etc. On l'a aussi employé en lotion et même en bain comme fortifiant chez les enfants faibles, scrofuleux ou rachitiques.
(La lie de vin est d'un emploi populaire comme rubéfiant, tonique, résolutif; on la met en usage contre les lésions traumatiques que nous venons de citer. Bouvier[1] conseille d'en frictionner les enfants affectés de rachitisme, de déviation de la colonne vertébrale.)
Payan, médecin de l'hôpital d'Aix[2], a retiré les plus grands avantages de cataplasmes vineux contre la gangrène ou pourriture d'hôpital. Ces cataplasmes, d'après les faits rapportés par ce médecin, produisent une prompte amélioration et bientôt une guérison qui ne laisse aucun doute sur leur efficacité comme moyen curatif de cette terrible complication des plaies. Voici comment Payan prépare ses cataplasmes : du pain commun est dépecé dans un poêlon, et par-dessus on verse du vin ordinaire. Quand le pain est bien imbibé de ce liquide, on expose le poêlon au feu pour faire bouillir le mélange pendant quelques instants. On agit alors avec la spatule pour faire une sorte de pâte. Deux cataplasmes par jour suffisent. On doit continuer leur application jusqu'à ce que la cicatrisation soit complète.
Usage du tartrate
Le TARTRATE ACIDULE DE POTASSE ou CRÈME DE TARTRE a une action variable suivant la dose à laquelle on l'administre. A petite dose, elle est absorbée et agit comme antiphlogistique, et comme telle elle est utile dans les embarras gastriques, les fièvres bilieuses et inflammatoires, les fièvres putrides, l'ictère, etc. A. dose plus élevée, elle porte principalement son action sur le tube intestinal et provoque des évacuations alvines, surtout lorsqu'elle est tonnée en poudre. Sa saveur, moins désagréable que celle des sulfates de magnésie et de soude, et des autres sels neutres, la fait préférer comme purgatif doux. Je l'ai toujours employée en cette qualité comme succédanée du tamarin, substance exotique trop coûteuse pour les ouvriers et les indigents, et dont les propriétés, d'ailleurs, sont principalement dues au tartrate acide de potasse qu'elle contient. La crème de tartre soluble à la dose de 30 à 45 gr., dissoute dans 1 kilogr. d'eau bouillante et édulcorée, a un effet plus certain et coûte beaucoup moins que le citrate de magnésie. C'est sous cette forme que je l'emploie toujours avec succès dans la première période de fièvres bilieuses et typhoïdes ; elle purge sans effort, modère l'ardeur fébrile, rétablit le cours des urines et dissipe le météorisme. Triturée avec le jalap, même à faible dose (60 centigr. par 2 gr.), elle en favorise la division, le rend facile à suspendre dans une potion et en augmente l'effet purgatif. On la donne souvent dans du bouillon aux herbes, de l'eau de veau, de la tisane de chicorée ou de pissenlit, du petit-lait, etc. On la donne quelquefois en poudre, que l'on incorpore dans du miel.
La crème de tartre a aussi une action diurétique très-prononcée, ce qui rend très-efficace dans le traitement des hydropisies, des engorgements chroniques des viscères, dans la jaunisse avec irritation phlegmasique du foie, etc. C'était, à la dose de 12 à 15 gr., un des remèdes favoris d'Ali-
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- ↑ Leçons cliniques sur les maladies de l'appareil locomoteur. Paris, 1858.
- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XXVI, p. 533.
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bert[1] contre l'hydrothorax idiopathique. Je me suis presque toujours bien trouvé de l'usage de la crème de tartre soluble à la dose de 15 gr. dans deux verres d'eau, pris chaque matin, contre l'anasarque et notamment dans les cas où cette affection est accompagnée d'angioténie ou de pléthore sanguine. Son action a lieu non-seulement sur les reins, mais aussi sur les vaisseaux lymphatiques, sur les membranes séreuses, ce qui la faisait considérer par nos prédécesseurs comme apéritive et désobstruante. Meyer[2] la prescrivait alternativement avec le carbonate de magnésie, par cuillerées à café contre le tænia, l'acide carbonique qui s'en dégage dans l'estomac étant, dit-on, anthelminthique. Un malade ainsi traité rendit le troisième jour une portion de tænia, et en rendait de nouveau chaque fois que recommençait le traitement, qui consistait à prendre ces sels, l'un immédiatement après l'autre, par cuillerées à café d'heure en heure.
Usages et effets de l'alcool
(DE L'ALCOOL. — Nous aurions peut-être dû donner à ce paragraphe le titre de : les alcooliques, que certains passages eussent rendu légitime, et réunir en une seule description l'action des spiritueux sous quelque forme qu'on les emploie. Pour la clarté de l'exposition, nous avons préféré scinder la question. Le vin, lequel a, du reste, des effets particuliers et des indications spéciales, a d'abord été étudié. Nous allons maintenant traiter de l'alcool proprement dit, sans cependant nous attacher à ce point d'une façon exclusive, et en ne négligeant aucune occasion de nous occuper en passant des alcooliques en général.
ACTION PHYSIOLOGIQUE. — L'alcool concentré agit sur les tissus comme un irritant, produisant, après une impression passagère de froid due à l'évaporation, une sensation de brûlure plus ou moins intense. A l'intérieur, on n'a guère à observer les effets de l'alcool absolu que dans les cas d'empoisonnement[3]. Il agit comme un corrosif violent ; il amène dans le tube digestif tous les désordres d'une vive inflammation ; il dessèche, raccornit la muqueuse (Jacobi)[4], et produit secondairement les phénomènes généraux dont nous nous occuperons plus loin, mais qui prennent ici une rapidité d'évolution en rapport avec l'énergie de l'agent producteur.
L'alcool additionné d'eau, l'eau-de-vie, à dose modérée, cause une chaleur plus ou moins vive à l'épigastre, stimule le système nerveux, accélère la circulation et produit, en un mot, une excitation générale. A plus forte dose, il cause l'ivresse. A l'excitation générale, à la gaîté succèdent l'abattement, l'hébétude, le défaut de coordination du mouvement, quelquefois même des convulsions, le délire, l'immobilité, l'insensibilité, l'assoupissement, la dilatation des pupilles, de la dyspnée, la congestion de l'encéphale, et à la suite un état apoplectique qui se dissipe souvent au bout de quelques heures, mais qui, aussi, devient quelquefois mortel. Quand on sort de cet état, les idées sont confuses, la marche hésitante, l'appétit nul, la soif vive, la parole embarrassée. Peu à peu les choses rentrent dans leur cours normal, et il ne reste plus de l'ébriété de la veille qu'un peu de dégoût pour les aliments et un peu de pesanteur de tête, La répétition de pareils ébranlements donnés à l'économie ne tarde pas à nuire à la santé. Si, pour certains buveurs, les ivresses renouvelées sont innocentes, l'usage habituel de l'eau-de-vie amène des désordres nombreux. Ce ne sont plus les effets physiologiques, mais les effets pathologiques, ou plutôt pathogéniques de l'alcool, qu'on désigne sous le nom d’alcoolisme. Ce n'est plus la surexcitation passagère, qui suit l'ivresse ; des phénomènes morbides se déclarent et amènent à leur suite des modifications plus persistantes.
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- ↑ Nosologie naturelle, t. I, p. 395.
- ↑ Dictionnaire des sciences médicales, t. LIV, p. 247.
- ↑ Barrion, Sur l'empoisonnement par l'alcool, thèse de Montpellier, 1827, n° 62.
- ↑ Deutsche Klinik, 1857, n° 22, 26 et suivants.
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Sans amener toujours ces perturbations aussi profondes, l'usage habituel des spiritueux donne à l'individu qui se livre à leur abus, un état physique et fonctionnel particulier ; il le prédispose à la perte de l'appétit, aux vomissements surtout matutinaux, à l'hypersécrétion particulièrement acide de la muqueuse stomacale, aux gastralgies, à la dyspepsie. Ces troubles de l'estomac s'expliquent facilement. Si Claude Bernard[1] a reconnu qu'à la dose de 5 à 6 centimètres cubes, étendus de moitié d'eau, l'alcool facilite la digestion, en augmentant la sécrétion du suc gastrique, celles du suc pancréatique et des glandes intestinales, il a aussi démontré que, pris seul, et à des doses assez élevées, il arrête l'action de l'estomac, tarit les sécrétions et cause une sorte d'indigestion. Dans les deux cas, l'usage immodéré peut être nuisible ; car, d'un côté, l'alcool stimule les sécrétions et les force à une hypercrinie quotidienne ; de l'autre, il entrave la production du travail digestif. L'état général de l'homme adonné à la brutale passion de l'ivrognerie a été bien décrit par Magnus Huss[2]. Laissons parler cet auteur :
« Une personne qui a fait abus d'alcooliques commence à avoir des tremblements des mains, surtout le matin. Au commencement, ces tremblements cessent après l'ingestion de stimulants ; plus tard, le tremblement tend à continuer l'après-midi. Il peut devenir semblable à une espèce de chorée. — Sentiment particulier de faiblesse dans les bras et les jambes, ou plutôt diminution générale de la tonicité musculaire, surtout le matin. Fourmillements dans les jambes ; éblouissements ; dilatation des pupilles le matin.
« Au réveil, sensation de pesanteur du corps et de l'esprit ; mauvaise humeur; sécheresse de la gorge ; quelquefois vomiturition. Souvent alors tremblement vermiculaire de la langue, difficulté de parler. — Ordinairement, un peu d'embonpoint. Souvent augmentation de volume du foie. Bonnes digestions ; tendance à la constipation. Selon la manière de vivre, ces symptômes peuvent augmenter, ou diminuer, ou varier. — Ils augmentent rapidement à la suite d'une affection intercurrente qui affaiblit l'organisme ou qui oblige à suspendre l'usage de l'alcool.
« Ainsi, l'usage continu de l'alcool, ou la suspension de cet usage, donne lieu à des manifestations semblables du côté du système nerveux. »
Revenons à l'alcoolisme, expression proposée par Magnus Huss, mais dont le sens a été depuis fort étendu. Il comprend tous les troubles graves consécutifs à l'abus des spiritueux.
Sous le nom d’alcoolisme aigu, on entend tous les troubles de l'intelligence, du sentiment, du mouvement et des fonctions organiques, qui éclatent rapidement, ont une durée courte et ne sauraient persister longtemps dans leur exagération sans amener la perte du malade. Si nous spécifions seulement les manifestations qui ont le système nerveux pour siège, on trouve le delirium tremens et la folie ou manie alcoolique aiguë[3].
L'alcoolisme chronique représente tous les accidents qui suivent à longue échéance l'abus des spiritueux ; dans ces cas, la continuation actuelle des excès n'est plus nécessaire pour la production des symptômes morbides. Ce sont là des effets secondaires dont l'évolution se poursuit comme celle d'une diathèse, en l'absence même de l'agent provocateur.
On comprend que les limites de notre travail ne nous permettent que d'énumérer les altérations que présentent les différents systèmes organiques.
Gastrite chronique, ulcère simple (Cruveilhier)[4], diarrhées chroniques,
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- ↑ Comptes-rendus des séances de la Société de biologie, 1856, t. VIII, p. 30.
- ↑ Alcoholismus chronicus. Stockholm, 1852. — Chronische Alcohols-Krankeit, traduction allemande; par G. Van dem Busch. Leipzig, 1852.
- ↑ Racle, De l'alcoolisme, thèse de concours pour l'agrégation, 1860, p. 56.
- ↑ Consultez aussi Leudet, de Rouen, Des ulcères de l'estomac à la suite des abus alcooliques. Congrès médical de Rouen, 1863.
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voilà pour le tube digestif. De plus, l'excitation chronique de l'estomac peut réveiller une susceptibilité individuelle et jouer le rôle de cause efficiente dans le développement du cancer de l'estomac.
Du côté du foie, chaque excès est l'origine d'une fluxion passagère, d'une hypercrinie momentanée dont la répétition incessante développe un état de congestion habituel de l'organe. Il s'ensuit quelquefois un ictère particulier (ictère des buveurs ; Michel Lévy) ; la cirrhose peut aussi en être la conséquence.
La voix du buveur est rude, rauque et caverneuse (voix de rogomme), la respiration est souvent courte. Les Anglais ont décrit une forme spéciale de dyspnée produite par la cause qui nous occupe.
L'alcool favorise le développement des maladies pulmonaires, surtout celui du catarrhe et de l'emphysème. On a même décrit une pneumonie alcoolique. Magnus Huss note comme très-fréquentes des indurations pulmonaires résultant des phlegmasies chroniques dues à son influence. Les spiritueux, quoi qu'on en ait dit, loin d'arrêter la solution des tubercules pulmonaires, prédisposent à leur développement, en favorisent la dispersion, en accélèrent la marche. Il paraît même que la phthisie revêt assez souvent chez les buveurs la forme granuleuse galopante[1].
Le système circulatoire offre des troubles variés : palpitation, hypertrophie graduelle du cœur, artérites, dilatations vasculaires, couperose, troubles menstruels. Le sang présente des altérations dyscrasiques véritables ; elles porteraient sur le nombre des globules et la quantité de la fibrine, et constitueraient une forme particulière d'anémie, l'anémie des buveurs. Qu'on examine au microscope le sang d'un alcoolisé : il présente une multitude infinie de globules graisseux ; on a affaire à une véritable piarrhémie. Ces globules sont déposés par le liquide nourricier dans tous les organes ; aussi observe-t-on la stéatose du foie (Peters, de New-York), dont les cellules sont infiltrées de graisse (Frerichs), des reins (albuminurie des buveurs), des muscles, du cœur, etc.
En ce qui concerne les altérations du système nerveux, Magnus Huss a décrit cinq formes d'alcoolisme, ou folie alcoolique chronique ; 1° les formes paralytique ou parésique ; 2° anesthésique ; 3° hyperesthésique ; 4° convulsive ; 5° épileptique.
Nous venons d'envisager d'une façon générale les effets les plus apparents des alcooliques, qu'ils soient primitifs ou qu'ils soient secondaires, prochains ou éloignés. Nous n'avons pu qu'ébaucher cette question dont la connaissance intéresse plus la pathologie que la thérapeutique.
Nous renvoyons à la thèse de Racle, et aux travaux récents sur la matière, pour l'étude plus complète de l'alcoolisme et pour celle des variations des effets de l'alcool, suivant les différentes conditions où se trouve l'organisme, suivant les climats et les races, selon les conditions sociales, etc.
Nous allons actuellement entrer plus avant dans la connaissance du rôle de l'alcool, recherchant son mode d'entrée dans l'organisme, comment il s'y comporte, comment il en sort, en un mot son mode d'action intime :
Absorption de l'alcool. — L'estomac est la voix ordinaire de l'absorption de l'alcool ; on observe pourtant des phénomènes d'ébriété chez les personnes qui respirent un air chargé de vapeurs alcooliques ; la physioiogie expérimentale s'est assurée que l'absorption se fait par les séreuses, par tissu cellulaire, etc.
L'absorption, qu'Orfila avait niée, rapportant toute l'action à un phéno-
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- ↑ Davis, Report of the influence of ahoholic drinks on the development and the progress of pulmonary tuberculosis. (Transact. of Amer. med. assoc., vol. XIII, p. 565.) — Kraus, Union médicale, 1862, 2e série, t. XIV, p. 592. — Alfred Fournier, article ALCOOLISME du Nouveau Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. I, p. 666.
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mène de contact sur les extrémités nerveuses, et se propageant de là au centre cérébro-spinal, l'absorption, dis-je, est actuellement hors de doute. Elle est nulle par les chylifères[1], et se fait exclusivement par les veines[2], particulièrement par celles de l'estomac. Mais cette absorption se fait-elle sans que l'alcool soit modifié dans sa constitution, ou a-t-il préalablement subi une transformation, celle en acide acétique par exemple (Leuret et Lassaigne)? Non, l'alcool est absorbé en nature, et on le retrouve dans le sang de la veine-porte, puis dans le foie, puis dans le poumon, dans tous les organes enfin[3]. La substance nerveuse paraît avoir pour le corps qui nous occupe une affinité toute spéciale ; elle s'en imprègne, et le cerveau des sujets ayant succombé pendant l'ivresse exhale ordinairement une odeur fortement alcoolique[4].
Lallemand, Perrin et Duroy[5] ont démontré d'une façon précise que l'alcool tend à s'accumuler dans le sang d'abord, qu'il ne coagule pas, dont il ne change pas la coloration, dont il n'altère pas la constitution des globules, puis dans le foie et dans l'axe cérébro-spinal.
Flourens[6] a de plus avancé que le cervelet était le point des centres nerveux qui semble exercer sur le liquide qui nous occupe une attraction particulière. Böcker[7], qui n'est pas aussi exclusif, pense que, d'une façon générale, l'alcool agit sur les parties postérieures et inférieures du cerveau.
Le séjour de l'alcool dans l'économie se prolonge assez longtemps. Ainsi l'air expiré ne cesse d'en contenir qu'au bout de huit heures, l'urine au bout de seize.
L'élimination se fait par les reins, les poumons et la peau. Cette élimination a lieu quand bien même il n'y aurait pas eu excès, et par le fait même de l'ingestion d'une petite quantité du liquide. On retrouve l'alcool dans l'urine, dans la sueur[8], dans les produits de l'expiration pulmonaire. Mais tout l'alcool ingéré n'est pas éliminé. Que devient le reste ? Cette question trouvera sa solution dans le chapitre que nous allons aborder.
Ce que devient l'alcool dans l'organisme ; ses effets sur la nutrition générale. - Nous distinguerons, avec Maurice Perrin[9], deux cas :
A. — Les boissons sont prises à doses immodérées, ou pathogéniques. Il se développe alors les troubles fonctionnels, qui marquent les phases progressives de l'intoxication alcoolique, sur lesquels nous nous sommes étendu plus haut, et dont l'ensemble fait classer l'alcool dans la classe des poisons stupéfiants.
B. — Les boissons alcooliques, employées avec discernement et dans des proportions sages, réveillent les forces, agissent comme stimulant de tous les ressorts de la vie, et procurent un sentiment de mieux être que tout le monde connaît. Pris dans ces conditions, l'alcool agit comme un excitant de toutes les fonctions vitales.
Ces symptômes, vivacité de l'intelligence, accélération et ampleur du
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- ↑ De la digestion des boissons alcooliques et de leur rôle dans la nutrition. (In Annales de chimie et de physique, 1847, 3e série, t. XXI, p. 449.)
- ↑ Magendie, Précis élémentaire de physiologie, 4e édit., t. II, p. 285. — Segalas, Le sang peut-il être cause de maladies ? mémoire lu à l'Académie des sciences, 1825.
- ↑ Recherches physiologiques et chimiques pour servir à l'histoire de la digestion, p. 200.
- ↑ Ogston, Phenomena of the more advanced stages of alcoholic intoxication. (In The Edinburgh med. and surg. Journ., 1842.) — Tardieu, Observations médico-légales sur l'état d'ivresse considéré comme complication des blessures et comme cause de mort prompte ou subite. (In Annales d'hygiène publique et de médecine légale, 1848.)
- ↑ Du rôle de l'alcool et des anesthésiques dans l'organisme.
- ↑ Recherches expérimentales sur les propriétés et les fonctions du système nerveux dans les animaux vertébrés ; par P. Flourens.
- ↑ Archives générales de médecine, 1849, t. XX, p. 375.
- ↑ Smith, in Journ. of Society of arts, 1861.
- ↑ Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, t. II, p. 584. — De l'influence des boissons alcooliques prises à doses modérées sur la nutrition. Paris, 1864, in-8°.
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pouls, chaleur de la peau, vivacité du regard, reproduisent ceux d'une fièvre passagère.
C'est là l'effet perceptible, direct, immédiat, temporaire, des alcooliques.
Mais quel est leur rôle dans la nutrition ?
L'alcool a été classé par Liebig parmi les aliments respiratoires c'est-à-dire que, réductible par la combustion pulmonaire et générale en acide carbonique et en eau, il fournit des matériaux à la production de la chaleur animale.
Avant d'arriver à cette réduction finale, l'alcool passerait par des transformations intermédiaires dues à son extrême avidité pour l'oxygène. Ainsi Duchek[1] pense qu'il est immédiatement transformé en aldéhyde à son entrée dans les vaisseaux ; d'autres ont cru observer sa transformation transitoire en acide acétique ; d'autres en acide oxalique.
Cette théorie de l'alcool aliment respiratoire régnait sans conteste dans la science, lorsque les minutieuses et ingénieuses recherches de Ludger Lallemand, Maurice Perrin, et Duroy vinrent l'ébranler très-profondément.
Se basant sur la conservation de la coloration rouge du sang, sur l'abaissement de la température animale à la suite de l'ingestion de l'alcool[2], la diminution manifeste de l'acide carbonique exhalé par les poumons, et celle de la vapeur d'eau, ces observateurs ont pu avancer que l'alcool n'est pas éliminé par la respiration après s'être dédoublé en acide carbonique et en eau, et qu'en un mot l'alcool n'est pas brûlé, qu'il n'est pas un aliment respiratoire.
Allant plus loin, ils ont cherché à prouver qu'il ne subit aucune modification dans l'organisme, qu'il reste inaltérable pendant son séjour dans les organes, où il s'accumule, d'où il est ensuite éliminé en nature et en totalité par l'exhalation pulmonaire et cutanée, par la bile, par les reins ; il ne fait donc que traverser le corps sans y subir de modification appréciable[3].
Les expériences dont nous donnons le résumé ont une grande valeur ; mais, comme nous l'avons dit plus haut, on n'extrait pas des voies d'élimination une dose d'alcool égale à celle ingérée. Bien plus, il résulte des recherches de Strauch[4], de E. Baudot[5] et de Schulinus[6] que la quantité éliminée par les urines, etc., est plus faible que celle qui reste dans l'organisme ou disparaît par une autre voie, inaccessible à nos moyens d'observation, ou sous une forme qui n'est plus la forme primitive.
Je veux bien que l'alcool ne subisse pas dans l'économie la transformation signalée par Duchek, celle indiquée par Bouchardat et Sandras, etc.; mais qui sait, ainsi que le dit Ginjeot[7], s'il ne subit pas une autre transformation inconnue ? La question certaine, c'est qu'il n'est pas éliminé en totalité. Qu'est devenue la portion qu'on ne peut retrouver ?
Il est permis de penser qu'une partie de l'alcool fournit à la combustion intra-vasculaire et supplée par sa propre combustion à celle de nos tissus, et que l'autre, de beaucoup la moins considérable, est éliminée en nature par les voies que nous avons signalées.
L'action utilisable de l'alcool ne se borne donc pas à l'excitation dyna-
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- ↑ Ueber das Verhalten des Alkohols im thierischen Organismus. (In Vurteljahresschrift für die praktische Heilkunde in Prag, t. XXXIX, orig., p. 104.)
- ↑ Dumeril et Demarquay, Recherches expérimentales sur les modifications imprimées à la température, etc., 1848. — Sydney Ringer et Walter Rickard, The influence of alcohol on the temperature of nonfebrile and febrile persons. (In The Lancet, 1866.)
- ↑ Hammond, The physiological effects of alkohol and tobacco upon the human system. (American Journ. and med. sciences, octobre 1856.)
- ↑ De demonstratione spiritus vini in corpus ingesti. Dorpati, 1862.
- ↑ Union médicale, 1865, t. XXVI.)
- ↑ Untersuchungen über die Vertheilung des Weingistes in thierischen Organismus. (In Archiv der Heilkunde, t. II, 1866.)
- ↑ Essai sur l'emploi thérapeutique de l'alcool chez les enfants et en géneral sur le rôle de cet agent dans le traitement des maladies aiguës fébriles. Paris, 1867.
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mique du système nerveux ; mais, ainsi que le dit Jaccoud[1], à cet effet s'ajoute une modification matérielle des combustions nutritives.
L'alcool sans contredit entretient la vie plus longtemps qu'elle ne durerait en l'absence de tout secours extérieur. Inmann[2] et Anstie[3] ont cité des individus qui ont subsisté pendant longtemps en ne prenant que des spiritueux. Allant plus loin que Liebig, Todd[4] avance que l'alcool pourrait servir à la réparation des tissus et constituerait l'aliment le plus approprié à la nutrition directe du système nerveux.
Gardner[5] avance qu'il facilite l'assimilation des aliments proprement dits.
Pour L. Lallemand, Perrin et Duroy, son action n'est pas réellement réparatrice, ses propriétés réconfortantes ne sont dues qu'à la stimulation momentanée qu'il exerce sur le système nerveux.
De plus, ces auteurs ne sont pas éloignés de se rattacher aux idées de ceux qui, récemment, ont attribué à l'alcool la propriété de ralentir les phénomènes chimiques dont l'ensemble constitue la désassimilation. Si l'abaissement de la température, la réduction des excrétions et le maintien relatif non-seulement des forces, mais du poids des sujets[6], n'établissent pas les qualités alibiles de l'alcool, on peut, avec ces données, affirmer qu'il joue un rôle antiperditeur. Cette entrave à la dénutrition (Boëker) est la théorie la plus satisfaisante.
Quoiqu'il en soit de ces questions d'une haute importance (nous n'avons fait que les effleurer et pour plus amples détails nous renverrons aux publications récentes sur ce sujet), que l'alcool soit aliment direct ou indirect, qu'il ne soit ni l'un ni l'autre[7], il n'en est pas moins avéré que l'usage méthodique et modéré de l'alcool dilué augmente l'énergie fonctionnelle du système nerveux, et que, par un mécanisme non encore suffisamment déterminé, peut-être en fournissant au malade un aliment éminemment combustible, à décomposition très-rapide, dont la combustion limite nécessairement la dépense de l'organisme (Jaccoud), il relève les forces quand elles sont déprimées.
THERAPEUTIQUE. — C'est du laboratoire des alchimistes, c'est de l'officine des apothicaires qu'est sorti l'alcool pour devenir d'un usage général. Il a perdu de son prestige comme médicament en descendant au rang de boisson journalière. La pharmacie a continué de l'employer, mais presque exclusivement comme excipient. Par un heureux retour aux choses du passé, une forte tendance se manifeste actuellement pour le faire rentrer, sans l'associer à d'autres substances, au nombre des agents les plus précieux de la thérapeutique.
A l'état de dilution et à doses modérées, l'alcool est généralement considéré comme stimulant.
A ce titre, son emploi est indiqué dans les affections asthéniques, dans le typhus, dans la période adynamique des fièvres typhoïdes, dans les convalescences des maladies graves.)
J'emploie souvent une boisson composée d'un litre d'eau de fontaine, de
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- ↑ Leçons cliniques professées à l'hôpital de la Charité, 1867.
- ↑ Is alkohol food. (In The British med. Journ., 1862.)
- ↑ Stimulants and narcotics, their mutual relations, with special researches on the action of alcohol, æther and chloroform on the vital organism. London and Cambr., 1864.
- ↑ Clinical lectures on certain acute diseases. London, 1860.
- ↑ Clinical observations delivered on the Glasgow royal infirmary. (In The Lancet, 1866.)
- ↑ The physioloqical effects of alcohol and tobacco upon the human system ; by W. Hammond (In The Amer. Journ. of med. sc., 1856.)
- ↑ Beale, On deficiency of vital Power in disease and on support. (In The British medical Journ., 1863. - E. Smith, On the mode of action of alcohol in the treatment of disease. (In The Lancet, 1861.)
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60 gr. de miel et de 30 gr. d'alcool rectifié ou de bonne eau-de-vie. Cette boisson, que je conseille aux moissonneurs pour apaiser la soif et maintenir les forces, m'a été utile chez les pauvres dans la cachexie paludéenne, les convalescences pénibles, les fièvres putrides, et pour boisson ordinaire dans les convalescences. Dans ces derniers cas, je me sers quelquefois d'infusion de houblon ou de racine d'angélique, au lieu d'eau, pour la préparation de cette boisson.
(C'est en continuant une stimulation devenue nécessaire par l'habitude que l'eau-de-vie fait disparaître le tremblement alcoolique); j'ai vu beaucoup d'ivrognes dont les mains tremblaient chaque matin jusqu'à ce qu'une certaine quantité d'eau-de-vie fût ingérée dans l'estomac, et qui ensuite avaient les mains fermes. D'autres fois, les alcooliques arrivent à modifier les delirium tremens observés dans le cours d'une affection grave. Dans ces cas, suivant l'heureuse comparaison de Hirtz[1], l'alcool, semblable à la lance d'Achille, devient le remède des maux qu'il avait causés.
Nous renverrons à l'article VIN, pour tout ce qui concerne l'usage des spiritueux dans les débilités générales, dans les hémorrhagies.
La stimulation locale produite par l'ingestion modérée de l'alcool potable dans l'estomac, si bien étudiée par Cl. Bernard, a été le point de départ d'applications thérapeutiques plus ou moins heureuses. Lanzoni le recommandait déjà contre les vomissements des femmes enceintes. Tripier[2] a préconisé le même mode de traitement contre les vomissements si pénibles qui fatiguent les phthisiques. Forster, répondant à des vues théoriques différentes, a recommandé les spiritueux unis à l'usage de la viande crue, dans les cas de diathèse tuberculeuse.
C'est sans doute en considérant aussi l'alcool comme aliment respiratoire et pour suppléer dans l'économie la perte du sucre, que Guntzler[3] a essayé l'alcool dans le diabète. Les résultats pratiques, en faisant constater une augmentation considérable de la glycosurie, ont mis la théorie en défaut.
Signalons pour mémoire l'emploi de l'alcool contre les empoisonnements par l'acide arsénieux[4].
Alcooliques à hautes doses. — L'action anesthésique de l'ivresse a été utilisée dans certaines affections spasmodiques graves ; la résolution musculaire qu'elle amène a été, par exemple, sollicitée dans le but de contre-balancer la contraction tonique du tétanos. — Les observations[5] publiées sont on ne peut plus favorables à ce mode de traitement, facile à conduire et n'offrant pas de danger, quoiqu'il ait souvent fallu porter l'ivresse jusqu'à ses dernières limites. Les succès obtenus par l'inhalation du chloroforme et de l'éther donnent à ces faits une valeur incontestable.
On a conseillé l'ivresse pour réduire les luxations. Mon père a vu Percy employer avec succès ce moyen, dans des luxations de l'humérus et de la hanche, chez les militaires fortement constitués et offrant une grande résis-
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- ↑ Nouveau Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. I, p. 614.
- ↑ De l'eau-de-vie dans la phthisie. (In Bulletin général de thérapeutique, 1864, t. LVIII, p. 27 et suivantes.
- ↑ I.: Cannstatt's, 1856.
- ↑ Delarue, Empoisonnements dus à l'acide arsénieux et traités avec succès par l'eau-de-vie. (In Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, 1857, t. V, p. 453.)
- ↑ Baldwin, in The American Journ. of med. science. (Extrait in Gazette médicale de Paris, 1833, p. 628. — Wilson, in The Lancet. 1845. — J.-W. Stapleton, On the administration of intoxicating doses of alcohol in traumatic tetanos. (In The Lancet, 1845, t. I, p. 317.) — Guérison d'un tétanos traumatique par l'ivresse. (In Annales médico-physiologiques, 1848, t. XI, p. 450. — Americ. med. Times, 26 janvier 1861. — Collis et Wilmott, in Dublin med. Press, 1862. — W. Hutchinson, Cure of tetanos by large quantities of alcohol. (in Dublin med. Press, 1862, 2e série, t. V, p. 308. — Indications bibliographiques extraites de l'excellent article ALCOOL (thérapeutique), inséré par le professeur Béhier dans le Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, t. II, p. 601 et 610.
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tance aux moyens de réduction ordinaires. C'est un moyen auquel on pourrait encore avoir recours dans le cas où l'on n'aurait pas de chloroforme à sa disposition.
Certains praticiens ont proposé de réveiller le travail de l'accouchement et d'en atténuer les douleurs en plongeant les femmes dans l'ivresse. Ce moyen, outre ce qu'il peut avoir de dégradant pour la femme qui le suit et le médecin qui le conseille, ne nous paraît pas exempt de danger.
En Afrique et en Amérique, l'usage des spiritueux à hautes doses est communément connu contre les morsures des reptiles venimeux (crotale, etc.). Nous ne rappelons ces faits que pour donner à nos compatriotes la pensée de conseiller le même traitement dans le cas, moins grave sans doute, mais cependant assez sérieux, de morsures de vipère.
L'action perturbatrice des spiritueux à hautes doses a été préconisée pour couper le stade algide de la fièvre intermittente[1]. Ce mode de traitement a l'avantage de trouver son indication pendant l'accès même ; dans la fièvre pernicieuse algide, par exemple, il trouble l'accès, il atténue son intensité et permet d'attendre que l'on ait pu se procurer du sulfate de quinine.
Les alcooliques ont été au même titre préconisés dans la période algide du choléra. Il est certain qu'on en a obtenu d'excellents résultats ; mais il faut savoir s'arrêter à temps, et nous répéterons ici ce que nous disions à propos de l'opium, il faut songer à l'intensité probable de la période réactionnelle. Si les spiritueux réussissent dans le choléra déclaré, nous pouvons affirmer qu'ils sont très-nuisibles comme moyen préventif. Trop souvent, dans l'épidémie de 1866, nous avons vu abuser du rhum, pour se donner du ton. L'usage inaccoutumé de ce stimulant mettait l'économie dans des alternatives d'excitation et de prostration qui donnaient prise au mal et qui, par la dépression secondaire, prédisposaient ces organisations rendues maladives à l'irruption des phénomènes graves de l'épidémie.
C'est encore comme agent perturbateur que l'eau-de-vie à hautes doses a été proposée pour empêcher les accès d'asthme (Hyde Salter)[2].
Alcooliques à doses méthodiques, fractionnées. — Jusque dans ces derniers temps l'alcool était considéré comme un excitant dont nous avons indiqué les indications ; l'état phlegmasique des organes, et l'état fébrile général, constituaient pour son administration une contre-indication absolue.
L'école anglaise moderne, qui a à sa tête Todd (Robert Bertley), par une innovation qui surprend au premier abord, considère l'alcool comme le remède capital des affections aiguës, fébriles. Les données de la physiologie viennent rendre compte jusqu'à un certain point de l'efficacité de cette méthode.
L'indication la plus générale en thérapeutique est de soutenir les forces du patient jusqu'à ce que la maladie ait accompli une évolution spontanée : « I1 faut, de la part de l'économie, un certain degré de force pour résoudre une inflammation[3]. » Eh bien ! qu'on admette l'une ou l'autre des théories sur son mode intime d'action, qu'on le considère comme excitant arti-
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- ↑ Lanzoni, De viribus aq. vitæ, in Ephem. nat. cura, dec. S, an. X, p. 221. — Meza, De efficacia spiritus vini ac succi citri in tertiana debellanda. (In Act. R. Soc. med. Havn., 1792, t. III, p. 392. — J.-P. Albrecht, in Ephem. nat. cur., dec. 2, an. VIII, p. 405. — J. Guyot, De l'emploi de l'alcool comme méthode abortive des fièvres d'accès. (In Union médicale, 1860, 2e série, t. VII, p. 465.) — Burdel, De l'emploi des spiritueux dans le traitement des fièvres palustres. Ibid., p. 578.) - Leriche, De l'emploi de l'alcool à 55 degrés comme méthode abortive des fièvres intermittentes. (In Gazette médicale de Lyon, 1861, n° 4, p. 80.) — Herard, De l'utilité des boissons alcooliques au début des accès de fièvre intermittente. (In Gazette des hôpitaux, 1861, n° 88, p. 349.) — Constantinides, De l'emploi des alcooliques dans le traitement des fièvres intermittentes, thèse de Paris, 1863, n° 143.
- ↑ On the treatment of the asthmatic paroxysm by full doses of alcohol. (In The Lancet, 1863, t. II, p. 558.
- ↑ Kaltenbrunner, cité par Béhier et Hardy, Traité de pathologie interne, 1864, t. II.
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ficiel du système nerveux, comme combattant son collapsus, ou comme agent d'épargne, suppléant par sa propre combustion à celle des tissus, l'alcool donne le temps de guérir ; il élève aussi (Ginjeot)[1] le niveau de la résistance ; il modifie les tendances morbides et change parfois heureusement le cours d'un processus pathologique. Il nous est impossible de rentrer ici dans tous les intéressants détails que nécessiterait l'étude complète de la méthode qui nous occupe ; nous renverrons, à ce sujet, au traité de Todd[2], aux excellentes leçons[3] et à l'article déjà cité du professeur Béhier, à la bibliographie qui suit ledit article, au travail de Legras[4], et en dernier lieu à la thèse très-bien faite de mon ancien collègue et ami Ginjeot, à laquelle j'ai fait plus d'un emprunt.
Il est cependant nécessaire que nous entrions dans quelques détails sur ce sujet qu'aucun praticien ne peut ignorer aujourd'hui.
Le mode d'administration joue un rôle important ; l'alcool doit être donné par petites doses plus ou moins fréquemment répétées. « Il y a une différence énorme, entre soutenir l'économie épuisée d'un malade, avec de faibles doses d'alcool administrées toutes les heures et les demi-heures, et le plonger dans une ivresse partielle trois ou quatre fois par jour[5]. »
Dans la majorité des cas, afin d'éviter l'action directe sur la muqueuse stomacale, on administre l'alcool dans un excipient. Ce dernier varie. (Voyez Préparations pharmaceutiques et doses.)
« L'alcool peut être employé dans toutes les maladies où existe une tendance à la dépression des forces vitales ; et il n'est point de maladie aiguë où cette dépression fasse défaut » (Todd)[6].
C'est spécialement dans les fièvres typhoïdes, le typhus, la pneumonie, le rhumatisme articulaire, l'érysipèle, qu'il trouve son application. L'auteur que nous citons pense que l'on peut l'administrer dès le début de la phlegmasie, opinion vivement combattue, même par plusieurs de ses compatriotes, qui veulent laisser passer la période d'éréthisme avant d'en commencer l'usage.
L'alcool administré à doses fractionnées dans les maladies aiguës fébriles, paraît avoir la même action thérapeutique aux différents âges de la vie, même pendant l'enfance. Dans ce dernier cas, il ne présente pas plus de dangers (Ginjeot). Administré de cette façon et dans les limites que nous avons prescrites, l'alcool calme le système nerveux, provoque en général un sommeil calme et conjure le délire. — Voici quels sont les effets physiologiques de cet agent dans les maladies aiguës fébriles, d'après le résumé que Ginjeot a tracé d'après les nombreux auteurs qui se sont occupés de la question. La langue reste humide ; elle acquiert souvent de l'humidité si elle était sèche, elle se nettoie si elle était sale ; les troubles digestifs se bornent à une légère stimulation de l'estomac ; le pouls devient moins fréquent et plus fort, les capillaires ne sont le siège d'aucune congestion ; la température peut s'élever ou s'abaisser selon qu'elle était au-dessous ou au-dessus de la normale ; la tendance à l'inflammation n'est pas accrue, ni l'inflammation préexistante ; la respiration, loin de s'accélérer, devient au contraire moins fréquente ; l'air expiré n'exhale point l'odeur d'alcool. L'alcool n'amène pas de céphalalgie ; il produit le sommeil, relève les forces, diminue la tendance aux mouvements convulsifs, prévient ou fait cesser le délire et l'agitation ; et, fait remarquable, ne produit jamais l'ivresse, quand il est admi-
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- ↑ Essai sur l'emploi thérapeutique de l'alcool chez les enfants et en général sur le rôle de cet agent dans le traitement des maladies aiguës fébriles, p. 117.
- ↑ Clinical lectures on certain acute diseases. London, 1860.
- ↑ Conférences de clinique médicale, 1864, p. 357 et suivantes. — Note sur l'emploi interne de l'alcool. (In Bulletin de thérapeutique, 1865.)
- ↑ Contribution à l'emploi thérapeutique de l'alcool. Paris, 1867.
- ↑ On the treatment of the fever ; by William Brinton. (In The Lancet, 1853.)
- ↑ Clinical lectures on certain acute diseases. Londres, 1860.
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nistré d'une façon méthodique. L'action de la peau est augmentée ; elle devient le siège d'abondantes transpirations. La nutrition reçoit le contrecoup de ces heureux effets, l'émaciation est ralentie, et la convalescence marche plus rapidement.
Il est un point sur lequel nous voulons insister : c'est la tolérance produite par l'état fébrile à l'égard des alcooliques. Ainsi que le fait remarquer Anstie[1], un malade peut ingérer sans tomber dans l'ivresse et même acquérir l'haleine alcoolique, des doses d'eau-de-vie susceptibles d'amener des désordres graves chez l'homme sain. On verra à l'article VIN que mon père connaissait déjà cette tolérance.
Dès que cette propriété cesse, l'haleine exhale l'odeur caractéristique de l'eau-de-vie. C'est là, suivant les Anglais, un indice qu'il faut en suspendre, en diminuer ou en éloigner les doses.
Bien des exagérations ont été commises par les élèves et les imitateurs de Todd ; sans se laisser entraîner par des idées préconçues, sans s'écarter de l'observation rigoureuse des faits, le professeur Béhier a le premier en France expérimenté cliniquement la méthode anglaise. Le premier il en a publié une judicieuse critique, le premier il en a fait ressortir les avantages et les dangers. Aussi ne pensons-nous mieux faire en terminant ce paragraphe que de citer textuellement les conclusions de son remarquable article[2]. « Les préparations alcooliques, méthodiquement administrées, sont d'un usage beaucoup moins dangereux, beaucoup plus facile et beaucoup plus innocent que l'on n'est généralement porté à l'admettre ; elles constituent un premier moyen de relever et de consolider les forces de l'économie et enfin on peut les employer à doses plus larges qu'on n'a l'habitude de le faire assez ordinairement dans ce pays, pourvu que les doses restent fractionnées.
Nous renverrons aussi à l'excellente leçon professée par Jaccoud, à l'hôpital de la Charité, sur la médication tonique dans le traitement de la pneumonie. Le professeur y a bien fait ressortir combien on se méprenait en étendant à toutes les pneumonies le traitement par l'alcool, comme le voulait Todd :
« Que l'alcool puisse être donné sans danger dans des pneumonies qui n'en réclament pas impérieusement l'emploi, cela est parfaitement vrai, et la connaissance de ce fait est d'une importance réelle ; mais en thérapeutique, autre chose est de ne pas nuire, autre chose est d'être utile. Or, pour que l'alcool soit utile, pour que, d'agent toléré, il devienne agent thérapeutique, il faut que l'administration en soit dirigée par des indications rigoureuses. Pour moi, l'indication est unique, c'est l'adynamie vraie ; mais celle-là est formelle, et il est juste d'ajouter que, dans ces conditions, l'alcool est le remède par excellence, c'est votre plus précieuse ressource[3]. »
Usage externe. — L'alcool, employé à l'extérieur, est stimulant, irritant, réfrigérant ou rubéfiant, suivant ses degrés de concentration ou la sensibilité plus ou moins grande des tissus avec lesquels on le met en contact. D'après Nélaton, l'alcool concentré est un des plus puissants résolutifs que possède la médecine ; il le met en usage dans une foule de circonstances, et notamment dans le but de faire avorter les furoncles. Ce moyen, longtemps continué en topique, a aussi opéré la résolution des kystes du poignet.
(Le même professeur, et après lui un de ses internes, mon ancien collègue et ami Chedevergne[4], recommandent de mélanger l'alcool du commerce à
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- ↑ The alcohol question. (In London medical Review, 1862.)
- ↑ Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales, t. II, p. 610.
- ↑ Leçons de clinique médicale faites à l'hôpital de la Charité, 1867, p. 73, in-8°.
- ↑ Du traitement des plaies chirurgicales et traumatiques par les pansements à l'alcool (in Bulletin de thérapeutique, 1864, t. LXVII, p. 249, 302, 346. — Consultez sur le même sujet : De Gaulejac, Des pansements des plaies par l'alcool, thèse de Paris, 1864, n° 168 ; J. Lecœur, Des pansements à l'aide de l'alcool et des teintures alcooliques, in-8°. Caen, 1864. — Gubler a consacré à cette question un article spécial dans ses commentaires thérapeutiques sur le Codex medicamentarius, 1 vol. in-8°, 1868.
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85° centésimaux avec un ou deux tiers d'eau, et d'appliquer ce mélange en lotions et en fomentations sur les plaies. Les plaies, sous l'influence de ce topique, se détergent, deviennent moins douloureuses, perdent toute mauvaise odeur et marchent plus rapidement à la cicatrisation. Les phlébites consécutives s'observent plus rarement. Chedevergne tient aussi compte de l'absorption de l'agent sur la surface des plaies, et de son heureux effet sur l'état général du malade. Cet emploi n'est pas nouveau. Lanzoni[1], en 1692, et Koppenhagen[2], en 1745, avaient déjà donné à ce sujet les meilleurs préceptes. L'alcool dilué a été employé en injections substitutives dans l'hydrocèle et même dans l'ascite, et avec succès (Jobert)[3].
Je ne veux pas omettre l'emploi vulgaire de l'alcool introduit dans la bouche, pour engourdir les gencives, dans l'odontalgie. C'est à cette propriété qu'est due la vogue de toutes les liqueurs antiodontalgiques, où l'agent qui nous occupe, présenté seulement comme excipient, joue le plus souvent le rôle principal.
La grande affinité qu'a l'alcool pour l'eau fait que, lorsqu'on le mêle avec ce liquide, il se dégage de la chaleur ; si, au contraire, on le mêle avec de la neige ou de la glace pilée, il se produit du froid. Lorsqu'on mêle de l'alcool anhydre à 0 degré, avec de la neige à la même température, la température peut s'abaisser jusqu'à 37 degrés, quand la quantité de neige excède celle que l'alcool peut fondre[4]. Ces simples notions peuvent trouver une application dans le traitement de certaines maladies qui réclament l'emploi du froid.
Usages du vinaigre
Le VINAIGRE , quoique tiré du vin, a une action dynamique opposée à celle du vin et de l'alcool. Il est, en effet, reconnu comme un des meilleurs remèdes contre l'ivresse, qu'il dissipe promptement. Il a été de tout temps considéré aussi comme un excellent antidote de l'opium. Son action est donc contro-stimulante, analogue à celle de la saignée.
Etendu dans l'eau au point de ne conserver qu'une légère acidité, le vinaigre est rafraîchissant, il excite l'appétit, favorise la digestion, augmente la sécrétion urinaire, et, suivant Van Swieten et Haller, la diaphorèse. Pris trop peu étendu ou à doses trop répétées, il peut produire des lésions graves, amener l'émaciation. P. Desault[5] cite l'exemple d'une demoiselle qui se fit maigrir par son usage et devint phthisique. Mérat et Delens[6] ont vu des jeunes personnes contracter ainsi des irritations gastriques qui ont failli devenir mortelles, ou qui même l'ont été. Haller rapporte l'observation d'un homme excessivement gras, qui se mit au vinaigre pour boisson ordinaire, et qui, au bout de quelques mois, était horriblement maigre ; il fut ainsi la proie d'une mort prématurée, après laquelle on trouva la trachée-artère, le poumon, l'œsophage, l'estomac, le canal intestinal et les autres viscères, indurés, squirreux, épais et très-rétrécis.
Pelletan[7] a vu, dit-on, chez un enfant l'abus du vinaigre produire l'amincissement des membranes de l'estomac. Les chlorotiques, les femmes enceintes sont souvent portées, par la dépravation du goût, à boire abondamment du vinaigre. J'ai connu une demoiselle d'une beauté remarquable,
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- ↑ De vulnere aquæ vitæ curato, in Ephem. nat. cur., dec. 2, an. X, p. 225.
- ↑ De insigni usu spiritus vini in sanandis vulneribus. Altorfii, in-4°.
- ↑ Gazette des hôpitaux, 1833, n° 73, p. 277.
- ↑ Berzélius, Chimie, t. VI.
- ↑ Dissertation sur la phthisie. Bordeaux, 1733.
- ↑ Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique, t. I, p. 78.
- ↑ In Mérat et Delens, Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique, t. I, p. 28.
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qui, pour combattre un embonpoint qu'elle redoutait, s'était réduite au dernier degré de marasme par l'usage journalier du vinaigre et du suc de citron : elle a succombé à une lésion organique de l'estomac. Comme cet empoisonnement lent n'a rien de particulier, on doit le combattre par la suppression de la cause qui le produit et par le traitement approprié aux gastrites chroniques. Ce traitement est toujours long et difficile.
Etendu dans l'eau (6 sur 50 d'eau), le vinaigre forme l'oxycrat, qui est tempérant, diurétique, antiseptique. Hippocrate en faisait un grand usage comme remède antiphlogistique dans les fièvres, pour étancher la soif et apaiser les inflammations, combattre la putridité, etc. L'addition du miel au vinaigre constitue l'oxymel simple, employé dans les mêmes cas et dans les affections bronchiques, pour faciliter l'expectoration. Le sirop de vinaigre est très en usage, surtout le sirop de vinaigre framboisé.
Desbois, de Rochefort, à l'exemple de Dioscoride et de beaucoup d'autres médecins, cite le vinaigre comme le contre-poison de l'opium, de la ciguë, des champignons et autres végétaux vénéneux. Mais Nysten et Orfila révoquent en doute son utilité dans la plupart de ces cas. Cet acide ne peut que nuire dans les premiers instants de l'empoisonnement par l'opium, en dissolvant le poison et en en rendant ainsi l'absorption plus facile. Plus tard, au contraire, il paraît utile contre l'action hypersthénisante de ce poison. Le vinaigre a été proposé et est communément employé pour neutraliser le principe des champignons vénéneux qui pourraient se trouver mêlés avec les comestibles. (Voy. ORONGE [FAUSSE] ). Le vinaigre étendu d'eau (125 gr. pour 1 kilogr. d'eau) est donné avec avantage dans l'empoisonnement par les moules. Je me suis très-bien trouvé en pareil cas d'un mélange d'eau-de-vie et de vinaigre pris par cuillerées à bouche. Dans la dernière des Dissertationes et quæstiones medicæ magis celebres, publiées à Lucques en 1757 par Benvenuti, il est question de l'usage du vinaigre contre la rage. Pline parle de guérisons de la rage obtenues par une macération de nids d'hirondelles dans du vinaigre. Cet acide paraît avoir réussi entre les mains de Léonessa, de Padoue. Baumes raconta le fait suivant, il y a plus de cinquante ans, à la Société de médecine pratique de Montpellier : Une truie ayant été mordue par un chien devint enragée. Le propriétaire la fit enfermer dans sa loge, et lui fit servir, par un trou fait au plancher, du son pétri avec du vinaigre. La truie s'en nourrit et fut guérie. S'il faut en croire Giacomini, le vinaigre, donné à très-forte dose (1/2 kilogr. dans l'eau en vingt-quatre heures), a guéri plusieurs cas d'hydrophobie canine bien déclarée. Mais d'autres praticiens l'ont inutilement employé dans cette funeste maladie, contre laquelle tant d'autres moyens proposés comme efficaces ont échoué. Peut-être, dit-on, dans ces derniers cas, le vinaigre n'a-t-il pas été donné à dose assez forte, ni pendant assez longtemps. Audouard[1] propose de soumettre ce moyen a de nouvelles expériences ; mais, à cause de la répugnance que la vue d'un liquide inspire aux hydrophobes, il conseille de donner le vinaigre sous forme solide et alimentaire. Or, le moyen d'administration le plus simple, c'est du pain imbibé de vinaigre. — « Si le virus de la rage, disent Mérat et Delens[2], est un poison septique, comme le veut Orfila, pourquoi les acides ne pourraient-ils pas en neutraliser les effets ? » L'hydrophobie canine étant évidemment une maladie à fond hypersthénique, disent les partisans de la doctrine italienne, l'action hyposthénisante du vinaigre, donné à grande dose, peut l'anéantir. Voilà deux théories bien différentes pour expliquer à priori l'effet d'un médicament et en justifier l'emploi. La vérité en médecine est dans les faits bien observés, rationnellement coordonnés, liés par l'analogie et résumés en principes généraux.
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En Allemagne, le vinaigre a été donné avec avantage, à la dose de 92 gr. plusieurs fois par jour, contre la folie aiguë (Giacomini). Fodéré[1] dit l'avoir essayé plusieurs fois dans cette maladie sans aucun avantage. Garnault[2] a traité le choléra épidémique par l'emploi de la limonade très-vinaigrée ou du vinaigre pur. Sur seize malades, ce médecin a obtenu par ce moyen douze guérisons. Il faisait continuer l'usage du vinaigre jusqu'à ce qu'il n'y eût plus de danger. Tous les symptômes du choléra asiatique se trouvaient réunis chez ses malades, à l'exception cependant de la cyanose qui a manqué chez la plupart d'entre eux. Les faits rapportés par Garnault ne sont ni assez nombreux ni assez graves pour que l'on puisse attribuer à sa médication les résultats observés.
(Ce mode de traitement a, dans ces derniers temps, trouvé son analogue dans l'épidémie de 1865-66. Worms a préconisé hautement la limonade sulfurique comme traitement prophylactique et curatif.)
Papon[3] assure que, dans le Levant, le vinaigre est employé à l'intérieur et en lotions comme désinfectant, dans le traitement de la peste. Il est fréquemment employé comme antiseptique dans les fièvres putrides, pétéchiales, les petites véroles de mauvais caractère. Tronchin en faisait faire des lotions générales dans les varioles gangreneuses, pétéchiales, hémorrhagiques ; il le donnait en même temps à l'intérieur avec le quinquina et le diascordium. Dans les fièvres graves, on fait souvent laver et frictionner avec du vinaigre la peau des malades, que l'on a soin de vêtir ensuite bien chaudement. Il peut aussi être utile dans le purpura hemorrhagica, dans les hémorrhagies scorbutiques, dans la diarrhée passive qui accompagne les fièvres typhoïdes, dans les hémorrhagies intestinales et la dysenterie putride : dans ces cas, on le fait entrer pour un quart dans les lavements.
(Guérard a constamment arrêté les hémorrhagies intestinales graves chez les sujets typhoïques, à l'aide d'un lavement de vinaigre et d'eau.)
Maldonado (in Mérat et Delens) l'a employé avec succès en boisson et en lavement, dans une épidémie de fièvre scarlatine avec tendance à la putridité. On l'a prescrit comme vermifuge, surtout dans les fièvres putrides vermineuses ; car lorsque les vers existent sans fièvre, il ne réussit pas aussi bien. Une cuillerée de vinaigre, suivant Desbois, de Rochefort, arrête les vomissements nerveux et les hoquets spasmodiques. La seule odeur de cette liqueur suffit souvent pour faire cesser une syncope. Les aspersions, les lotions et les frictions de vinaigre sont utiles dans l'asphyxie, surtout dans celle qui est causée par la vapeur du charbon.
On a pu arrêter l'épistaxis en appliquant des linges trempés dans le vinaigre sur les tempes et sur le front, et en introduisant dans les narines un bourdonnet de charpie imbibé de cet acide. Des compresses imbibées du même liquide et appliquées sur le scrotum ont produit le même effet. On a aussi recours au vinaigre dans les pertes utérines qui accompagnent l'avortement, en tamponnant le vagin avec de l'étoupe trempée dans l'oxycrat, et dans celles qui suivent l'accouchement, en appliquant des compresses imbibées de ce liquide et en en injectant clans la matrice. Un mélange de vinaigre et d'eau-de-vie, injecté dans l'utérus, m'a souvent réussi après l'accouchement, pour faire cesser l'inertie de cet organe et la métrorrhagie qui en était conséquence. Les injections d'eau vinaigrée froide, dans le cordon ombilical, ont été conseillées par Mojon, et depuis par plusieurs accoucheurs, soit pour hâter le décollement du placenta et la délivrance, soit pour faire cesser une métrorrhagie. Ce moyen m'a promptement et complètement
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- ↑ Dictionnaire des sciences médicales, t. LVI1I, p. 135.
- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. VIII, p. 432, note.
- ↑ In Mérat et Delens, Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique, t. I, p. 28.
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réussi deux fois, dans un cas de métrorrhagie et dans celui d'adhérence du placenta.
Le vinaigre est utile à l'extérieur dans les stomacaces, les fongosités des gencives, le relâchement de la luette, les inflammations des amygdales, etc.
Tabès, chirurgien à Toulouse[1], a retiré de grands avantages, dans les cas de pollutions nocturnes et de pertes séminales involontaires, suites de masturbation, de l'application au périnée d'une éponge trempée dans du vinaigre.
Barber[2] emploie avec avantage le vinaigre pour le pansement des ulcères. Il suffit de baigner chaque matin le membre où siège l'ulcère dans de l'eau chaude ou froide ; on le lave ensuite avec du vinaigre commun, et enfin l'on y applique un morceau de linge imbibé de ce liquide ; le tout est maintenu par un bandage roulé. Sous l'influence de ce pansement régulièrement continué, on voit la suppuration diminuer peu à peu et les bourgeons charnus prendre un bon aspect.
Le mélange, à parties égales, de vinaigre et d'eau-de-vie, que l'on peut se procurer instantanément, m'a constamment réussi, en lotions continuelles, dans les brûlures. En enlevant le calorique, il calme promptement la douleur et prévient l'inflammation et la vésication. J'ai vu maintes fois des enfants atteints de larges brûlures s'endormir sous l'influence bienfaisante de ces lotions. On applique sur la partie des compresses imbibées du même mélange et tenues constamment humides. Quand l'épiderme s'enlève ou que les eschares se détachent, je panse avec le cérat safrané (Voyez SAFRAN). J'emploie comme résolutif, dans les contusions, l'entorse, l'œdème, etc., le mélange d'eau-de-vie ou d'alcool, de vinaigre et de sel commun (alcool et vinaigre, de chaque 180 gr., sel commun 90 gr.). Cette fomentation économique, que l'on peut toujours facilement et promptement se procurer, remplace toutes celles que fournit la pharmacie, et dont l'usage, continué plus ou moins longtemps, devient très-dispendieux.
(Le bain de Smucker, autrefois très-vanté contre les lésions traumatiques, est tout simplement de l'eau vinaigrée additionnée de quelques sels à action résolutive.)
Hévin[3] employait contre les ecchymoses, les contusions, et pour maintenir les articulations à la suite des luxations, prévenir l'engorgement, etc., le blanc d'œuf battu avec de l'alun et le vinaigre, dont il enduisait de l'étoupe qu'il appliquait sur la partie malade.
Lecœur, professeur à l'Ecole de médecine de Caen, a employé avec succès contre la gale, les frictions de vinaigre, pratiquées trois fois par jour au moyen d'une éponge un peu rude. La moyenne du traitement est de cinq jours.
On ajoute quelquefois du vinaigre dans les pédiluves qu'on veut rendre un peu révulsifs. Les cataplasmes vinaigrés sont recommandés dans certaines phlegmasies des organes parenchymateux. A. Maldonado[4] les a employés avec le plus grand succès sur la région du foie, contre les maladies chroniques de ce viscère.
On recommande de frictionner avec du vinaigre le point de la peau où l'on veut appliquer un vésicatoire ; l'action de ce dernier est rendue plus prompte. Dans les sinapismes, l'adjonction de vinaigre retarde, au contraire, la vésication.
Le vinaigre, réduit à l'état de vapeur, est résolutif. Cette vapeur, que Galien employait contre les maladies de la matrice, dirigée sur des tumeurs lymphatiques, des engorgements œdémateux, articulaires, etc., au moyen
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- ↑ Journal général de médecine, t. III, p. 304.
- ↑ The Lancet et Gazette médicale, 1849.
- ↑ Pathologie et thérapeutique chirurgicales, t. I, p. 182.
- ↑ Journal de la science médico-chirurgicale de Cadix, 1822, t. III.
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d'un appareil convenable, les a très-souvent dissipés. J'ai vu un engorgement du testicule, suite d'orchite, céder à l'action de la vapeur du vinaigre versé sur des cailloux chauffés au rouge. Butzke[1] a obtenu le succès le plus inespéré de l'usage des vapeurs de vinaigre dans un cas de tumeur blanche du genou, qui datait de neuf ans. On plaçait le membre affecté sur une baignoire plus profonde que large, au fond de laquelle était un vase rempli de vinaigre On plongeait dans ce dernier un fer rouge qui en vaporisait une grande quantité, et on recouvrait aussitôt la baignoire avec des tapis ; la vapeur, frappant le membre affecté, y occasionnait une transpiration très-abondante. Après trois semaines de l'emploi de ce moyen, le malade pouvait déjà marcher librement et fléchir le genou avec facilité. L'action de cette même vapeur sur tout le corps, placé dans une baignoire bien recouverte, dissipe promptement l'anasarque, et soulage beaucoup les malades atteints de rhumatisme articulaire chronique. Les fumigations de vinaigre, employées dans la chambre des malades pour masquer les émanations fétides, ne les détruisent point. Il faut pour cela avoir recours au chlore, aux chlorures de chaux ou de soude, etc.
Le vinaigre pur, appliqué sur la peau, la rend plus souple, plus douce et peut remédier aux gerçures causées par le froid. C'est à cette propriété qu'est due la vogue des vinaigres aromatiques, dits de Bully, hygiénique, etc.
L'ACIDE ACÉTIQUE CONCENTRÉ, dit aussi VINAIGRE DE WESTENDORP, VINAIGRE RADICAL ou CRISTALLISABLE, n'est point employé intérieurement à l'état de concentration, son action étant caustique. C'est un poison dont le mode d'action parait être asthénique comme celui des autres acides. Aussi le délaie-t-on dans beaucoup d'eau ou de tisane (1 gr. pour 1 kilogr. de véhicule). Il est alors un puissant antiphlogistique ; il apaise la fièvre, favorise la transpiration et la sécrétion urinaire, abaisse la vitalité comme la saignée et les autres hyposthénisants. Il est employé, de même que le vinaigre, pour stimuler la membrane pituitaire dans les cas de syncope ou d'asphyxie ; mais il faut l'approcher avec précaution des narines, car, mis en contact avec les tissus délicats, il les irrite, les enflamme et peut déterminer la vésication; aussi est-on dans l'usage, pour prévenir ces accidents, d'en imprégner seulement des cristaux de sulfate de potasse, que l'on renferme dans des flacons : c'est ce qu'on nomme improprement Sel de vinaigre, Sel d'Angleterre.
A l'extérieur, l'acide acétique concentré est rubéfiant et vésicant. Bonvoisin[2] a le premier signalé l'action vésicante de cet acide, qu'il a en outre recommandé contre les aphthes, les chancres et la gangrène. On peut s'en servir comme vésicant lorsqu'on craint l'action des cantharides sur la vessie. Pour cela on humecte avec cet acide la surface gommée d'un morceau de taffetas d'Angleterre ou mieux un morceau de papier brouillard, qu'on applique sur la peau. Cloquet[3] détruit les verrues en les touchant avec de l'acide acétique pur.
(L'action est ici basée sur le pouvoir dissolvant de cet acide pour les substances épidermiques. C'est à cette propriété qu'est due la guérison des cors par l'application quotidienne d'une petite quantité d'acide acétique cristallisable. Neucourt a publié dans le Journal de Malgaigne (mai 1846) un remarquable travail sur le mode de traitement des excroissances verruqueuses ; il recommande d'appliquer sur les parties malades des compresses vinaigrées, constamment renouvelées, et d'exciser matin et soir les parties ramollies et non douloureuses, puis de cautériser avec l'acide acétique pur. La guérison est obtenue au bout de quinze jours environ. Le même traite-
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- ↑ Rust's Magazine et Journal de chimie médicale, 1842.
- ↑ Mémoires de l'Académie de Turin, t. IV, p. 380.
- ↑ In Médecin de la maison, 15 novembre 1853.
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ment guérit aussi les ulcérations qui se produisent à côté ou à la place des verrues. Il en est de même des végétations syphilitiques.) (Blachez.)
Wigan[1] a proposé l'emploi de l'acide acétique dans le traitement de la teigne. Voici l'exposé qui a été fait de ce traitement dans les Annales des maladies de la peau, t. I, p. 352. Cette méthode consiste d'abord à raser la tête en laissant subsister un cercle de cheveux, si toutefois ils n'offrent pas des traces évidentes d'altération. On emploie ensuite, comme moyen explorateur, l'acide acétique concentré, étendu de trois parties d'eau ; cette première application a pour effet de rougir la peau dans les endroits malades, même dans ceux qui, au premier abord, paraissent parfaitement sains. Chacun de ces endroits, ainsi devenus rouges, est humecté au moyen d'une petite éponge fixée au bout d'une baguette et imbibée d'acide acétique concentré pur. A la suite de ces cautérisations, il se forme une eschare ; cette eschare augmente de volume, et dès qu'elle est complètement desséchée, on peut la détacher, en ayant soin cependant de ne pas l'enlever lorsque la peau sous-jacente est encore à vif. Les cheveux poussent ensuite. Si cependant ce résultat n'était pas obtenu, on devrait réitérer les mêmes applications, quoiqu'il y ait des inconvénients à les employer trop souvent.
On s'est servi avec succès de l'acide acétique concentré pour cautériser les chancres vénériens. Henrotay[2], élève de Ricord, a longtemps cru, avec son maître, qu'un chancre cautérisé de bonne heure, puis pansé avec le vin aromatique amer, était généralement guéri au bout de huit ou dix jours ; mais il a reconnu depuis lors qu'en réalité la cicatrisation, dans la plupart des cas, n'était complète qu'au bout d'un mois, et qu'il était nécessaire, pendant cet intervalle, de réitérer trois ou quatre fois la cautérisation, afin d'empêcher le chancre de reprendre ses propriétés contagieuses, un moment endormies par la cautérisation. Enfin, cautérisés profondément et à plusieurs reprises, les chancres s'indurent constamment, annoncent la syphilis constitutionnelle et nécessitent un traitement mercuriel. On écarterait ces graves inconvénients, en substituant l'acide acétique au nitrate d'argent. Cet acide, que Henrotay et plusieurs autres chirurgiens belges ont employé avec un grand succès, est regardé par Ricord comme ayant la propriété de neutraliser le virus syphilitique. On doit l'appliquer avec un pinceau, comme tout autre caustique liquide. Cette application, renouvelée un plus ou moins grand nombre de fois, suivant les circonstances, produit un effet tel, que l'ulcère change bientôt d'aspect et se cicatrise.
(Je me suis très-bien trouvé de ces applications de solution acétique concentrée sur les épithéliomas de la lèvre. Dans ces affections, si on n'obtient pas toujours une guérison, elles améliorent la maladie et soulagent le malade. Tillaux[3] a publié une intéressante observation où la solution au cinquième a amené un arrêt dans le développement d'un grave cancroïde de la joue. Broadbent[4], s'appuyant sur ce que cet acide ne coagule pas l'albumine et peut ainsi étendre son action par l'innocuité de sa pénétration dans les voies circulatoires, se rappelant sa propriété dissolvante connue, sur les parois et les noyaux des cellules, et en dernier lieu son emploi antérieur contre les cancers, pensa que l'effet dissolvant se produirait sur les cellules des tissus vivants, comme sur celles des tissus morts placés sur le champ du microscope. Le Bulletin de thérapeutique (15 décembre 1866) cite quatre observations où on a retiré de bons effets d'une solution concentrée d'acide acétique (1 partie sur 2 ou 3 d'eau) en injection sous-cutanée, au milieu de tumeurs cancéreuses ; le contact du liquide, douloureux dans les tissus sains, est indolore dans les tissus de nouvelle formation. On trouvera dans le jour-
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- ↑ Journal für Kinderkrankheiten, mars 1844.
- ↑ Journal des connaissances médico-chirurgicales, 1852, p. 380.
- ↑ Bulletin de thérapeutique, 30 novembre 1867, t. LXXIII, p. 463.
- ↑ Cancer, a new method of treatment ; par W. H. Broadbent. London, Churchill, 1866.
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nal que nous venons de citer des détails dans lesquels nous ne saurions entrer sans sortir du cadre de notre travail.
Disons seulement que les résultats cliniques, en France du moins, n'ont pas confirmé les brillantes espérances du chirurgien anglais, et qu'il n'est que trop évident que nous n'avons encore aucun moyen topique ou interne de guérir le cancer et le cancroïde.)