Oranger (Cazin 1868)
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Noms acceptés : Citrus sinensis (oranger doux) et Citrus aurantium (oranger amer)
Malus aurantia major. C. Bauh. — Aurantium declei medullâ vulgare. Tourn.
AURANTIACÉES. Fam. nat. — POLYANDRIE ICOSANDRIE. L.
Cet arbre, originaire de la Chine ou des îles de la Sonde, est naturalisé en Espagne, en Portugal, en Italie et dans le Midi de la France, où il a été introduit à l'époque des croisades, sur la fin du XIe siècle. Au Centre et au Nord de la France, on le cultive en caisse pour en orner les jardins l'été ; on le rentre en serre pendant l'hiver, où il languit et ne produit pas de fruits mûrs.
Description. — Racine épaisse, branchue, jaune en dedans. — Bois dur, d'un blanc jaunâtre. — Tige ramifiée presque dès la base, à rameaux réunis en cime touffue, s'élevant dans les pays chauds jusqu'à 8 à 12 mètres de hauteur. — Feuilles alternes, persistantes, pétiolées, ovales-lancéolées, glabres, luisantes, portées sur un pétiole bordé d'une aile foliacée, cordiforme. — Fleurs blanches, très-odorantes, disposées en bouquets à l'extrémité des rameaux (juin-juillet). — Calice à cinq divisions, — Corolle à cinq pétales. — Une vingtaine d'étamines à filaments réunis en faisceaux anthérifères. — Un style ; un stigmate. — Fruits : baie sphérique, de la grosseur d'une pomme, à écorce d'un jaune doré en dehors, blanche en dedans ; l'intérieur divisé en plusieurs loges, contenant chacune plusieurs semences cartilagineuses, un peu amères.
Parties usitées. — Les feuilles, les fleurs, les fruits (oranges), l'écorce des fruits.
(Culture. — Elle est du domaine exclusif de l'horticulture et réclame des soins spéciaux, qui ont valu aux bâtiments où on les remise l'hiver le nom d’orangeries.)
Récolte, choix, etc.— On fait sécher à l'ombre les feuilles que l'on cueille sur les orangers et non celles qui, étant tombées, ont perdu une partie de leurs qualités. On les fait sécher avec précaution, promptement, et de manière qu'elles conservent leur couleur verte, une partie de leur odeur et toute leur saveur ; on les conserve dans un lieu sec, à l'abri de la lumière. Il faut rejeter les feuilles jaunies ou tachetées. Dans le commerce on ne les choisit pas toujours assez bien. Celles que l'on cueille sur des arbres venus en pleine terre, dans le Midi, ont beaucoup plus de vertus que les feuilles de nos orangers élevés en caisse, et qui, souvent, sont recueillies lorsqu'elles tombent des arbres pendant leur transport des orangeries dans les jardins ; ces dernières ne contiennent plus de principes actifs. On peut employer les feuilles d'oranger fraîches ; le plus souvent on les emploie séchées et telles qu'on les trouve en abondance dans le commerce.
Les fleurs se recueillent dans le climat de Paris vers la fin de juillet et en août, pour être employées fraîches, en faire de l'eau distillée, des conserves, en préparer des liqueurs de table, etc. Dans les pays chauds, la récolte des fleurs peut se faire pendant la plus grande partie de l'année, parce que l'arbre porte toujours. Les fleurs de l'oranger amer, ayant une odeur plus suave, sont préférées à celles de l'oranger doux. C'est l'espèce que l'on emploie à Paris, et c'est pourquoi l'eau de fleurs d'oranger qui y est préparée est préférable a celle qui nous vient du Midi. Les fleurs séchées perdent une grande partie de leur arôme et sont à peine reconnaissables. On les prescrit pourtant en poudre, mais c'est une mauvaise préparation. Avant de les porter au séchoir, elles doivent être dépouillées de leur calice ; elles demandent beaucoup de soins pour leur conservation.
D'après Rouelle, on peut conserver les fleurs d'oranger pour en préparer en tout temps l'eau distillée, en les réduisant en pâte dans un quart de leur poids de sel, lorsqu'on les récolte, et en renfermant ce mélange dans un flacon. Au bout de quelques années, on peut distiller ces fleurs, et l'eau est aussi suave que si on la préparait avec des fleurs fraîches, ainsi que l'a vérifié Chevallier[1].
A la fin de l'hiver, les oranges mûres nous arrivent de Nice, de Portugal, de Malte, etc. ; avant cette époque, elles sont aigres et mauvaises. — L'écorce d'orange mûre s'emploie fraîche ou se conserve pour servir à l'état de dessiccation. Plus elle est fine, plus elle est estimée, et plus l'orange qu'elle recouvre est recherchée. Il faut la débarrasser autant que possible de la matière blanche et spongieuse qui, à l'intérieur, la sépare du paren-
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- ↑ Journal de chimie médicale, 1828, t. IV, p. 546.
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chyme succulent. Cette précaution est souvent négligée dans le commerce. Il en résulte que les préparations d'écorce d'orange, contenant beaucoup de cette substance blanche, sont plus amères sans être plus actives. Dépouillée de la matière blanche, l'écorce est très-facile à sécher, et conserve son odeur et sa saveur aromatiques, sans une grande amertume.
On nomme petits grains et orangettes, les oranges tombées de l'arbre étant petites. Sèches, elles sont très-dures et servent à faire les mêmes pois à cautère dits d’oranges. — L'orange amère se nomme aussi bigarade. Les écorces vertes sont appelées curaçao et servent à préparer le ratafia dit curaçao de Hollande. C'est une variété petite de bigarade que l'on confit dans l'eau-de-vie et au sucre sous le nom de chinois. - Risso a fait une espèce distincte du bigaradier (citrus vulgaris).
Propriétés chimiques. — Les feuilles d'oranger ont une saveur chaude et amère ; elles exhalent, quand on les presse, une odeur fragrante, agréable, qui est due à l'huile volatile contenue dans de petites vésicules dont elles sont parsemées. C'est à la présence de cette huile âcre et odorante et d'un principe amer qu'elles doivent leurs propriétés thérapeutiques. L'eau et l'alcool s'emparent de leurs principes actifs.
Les fleurs d'oranger (et non d'orange) ont aussi une saveur amère, et sont remarquables par l'extrême suavité de leur odeur. Leur analyse a donné à Boulay un principe amer, jaune, insoluble dans l'éther, mais soluble dans l'alcool ; une matière gommeuse, de l'albumine, de l'acide acétique en excès, de l'acétate de chaux, etc. Elles contiennent une huile essentielle (néroli), qui, par la distillation, passe entièrement dans l'eau, à laquelle elle donne les propriétés des fleurs elles-mêmes (eau de fleurs d'oranger ; aqua naphe, en terme de pharmacie). Cette eau, préparée à Paris, où l'on n'ôte pas l'huile essentielle ou néroli, parce qu'elle y est en trop petite quantité, est plus odorante et préférable, quoique louche à l'oeil, à celle de Provence, qui, claire, transparente, est privée de son essence. La première, bouchée avec du papier seulement, ne se corrompt pas ; la seconde, bouchée avec du liège, s'aigrit, se corrompt et est très-amère. « La fleur d'oranger contient de l'acide acétique. Il passe à la distillation ; aussi, l'eau de fleurs d'oranger est acide, ce qui est un inconvénient grave pour celle du commerce que l'on expédie dans des estagnons de cuivre mal étamés[1], et qui dissout à la longue une portion du métal. Boulay avait proposé d'ajouter dans la cucurbite 16 gr. de magnésie par kilogr. de fleurs pour saturer cet acide. Je ne sache pas que sa proposition ait eu de suite, ni que son adoption eût amélioré le produit. » (Soubeiran.)
Le néroli contient une huile solide, à laquelle Plisson, qui l'a découverte, a donné le nom d’aurade ou auradine. Il la séparait en mêlant le néroli avec de l'alcool à 85 degrés et abandonnant au repos pendant quelques jours. (L'auradine se dépose sous la forme de cristaux en écailles ; elle est soluble dans l'éther ; à 55 degrés, elle fond en prenant l'aspect de la cire, pèse 0.913 et se volatilise à une température plus élevée. Sa formule est = C5.76 H15.05 O1.16).
L'écorce d'orange est amère, piquante et aromatique. Elle renferme des vésicules nombreuses qui la rendent transparente, et qui contiennent de l'huile essentielle analogue à celle des fleurs, mais plus pure. Si on presse une écorce d'orange devant la flamme d'une lumière, l'huile qui s'en échappe s'enflamme en répandant une odeur agréable. Cette écorce contient, en outre, une matière très-amère. L'eau et l'alcool s'emparent des principes actifs. — La partie blanche de l'écorce contient une matière encore peu étudiée, qui s'est présentée sous la forme d'un extrait amer, insoluble dans l'éther et soluble dans l'alcool. On y a découvert également une substance cristalline blanche, brillante, satinée qu'on a nommée hespéridine ou aurantiine, et qui paraît se rapporter à la série des résines cristallisables, insolubles ou peu solubles dans l'alcool.
Les semences contiennent une matière amère cristallisée, nommée par Bernays limonine ou limone, insoluble clans l'eau et dans l'éther, et très-soluble dans l'alcool et les acides étendus. (Sa formule = C42 H25 O15).
Les orangettes ou petits grains contiennent, d'après Lebreton[2], une huile volatile, du soufre, de la chlorophylle, une matière grasse, un principe particulier cristallisable, etc. Brandes[3], dans une autre analyse, y indique un principe amer particulier, qu'il appelle aurantin, de l'ulmine, une sous-résine, etc.
Le suc des fruits est acide, plus ou moins sucré, et doit ses propriétés à l'acide citrique.
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- ↑ L'eau de fleurs d'oranger, conservée dans des vases de cuivre même étamés, est dangereuse.
- ↑ Journal de pharmacie, 1828, t. XIV, p. 377.
- ↑ Journal de chimie médicale, 1829, t. V, p. 552.
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Substances incompatibles. — Le sulfate de fer, l'infusion de quinquina jaune et l'eau sont incompatibles avec l'écorce d'orange.
A L'INTÉRIEUR. — Infusion de fleurs, de feuilles, d'écorce (4 à 8 gr. par 500 gr. d'eau), par petites tasses de:temps en temps, après l'avoir édulcorée. |
Huile essentielle de fleurs (néroli), idem. On prépare l'huile essentielle d'écorce d'orange en soumettant à la presse la partie colorée de l'écorce d'orange. On l'obtient encore en distillant cette écorce avec l'eau, mais
l'essence a alors une odeur moins suave. |
Les feuilles d'oranger sont antispasmodiques, stomachiques, toniques, fébrifuges, vermifuges, sudoriflques. On les emploie avec avantage dans la débilité des organes digestifs marquée par l'inappétence, les flatuosités, la dyspepsie. - Elles sont utiles aussi dans les maladies nerveuses et convulsives : l'hystérie, l'hypochondrie, les toux spasmodiques, les palpitations, la cardialgie, les céphalalgies nerveuses, les accidents ataxiques des fièvres typhoïdes, l'épilepsie.
Locher les trouva très-avantageuses dans l'épilepsie et parvint par leur usage à guérir quelquefois cette maladie, et, dans la plupart des cas, à en rendre les accès plus rares et moins violents. Ce médecin purgeait ou faisait tirer préalablement un peu de sang, selon les circonstances ; il donnait ensuite depuis 2 gr. jusqu'à 4 gr. de ces feuilles en poudre, une, deux, et jusgu'à quatre fois par jour, ou bien le decoctum d'une poignée de feuilles bouillies dans une livre d'eau réduite à moitié, en une fois le matin à jeun. Dehaen, Welse et Storck ont aussi employé avec succès les feuilles d'oranger, soit en infusion, soit en poudre, contre des épilepsies qui avaient résisté à
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d'autres moyens. Hufeland a vu les feuilles d'oranger guérir l'épilepsie, quand elle était la suite de l'onanisme, en les donnant à la dose de 4 gr. trois fois par jour, et par-dessus une infusion de feuilles fraîches. Tissot ne leur accorde pas la même confiance comme antiépileptiques ; mais il les considère comme très-utiles dans les affections convulsives et l'hystérie. Dehaen en a retiré de grands avantages dans cette dernière maladie et dans la chorée. Le Journal de médecine de la Gironde, t. I, p. 117, cite un fait de guérison de tic douloureux par l'usage des feuilles d'oranger. Dalberg rapporte trois cas où ces feuilles en poudre et en infusion bue en abondance, ont complètement réussi dans la toux convulsive. Trousseau et Pidoux les ont également vu réussir en pareil cas. Je m'en suis très-bien trouvé dans l'hystérie accompagnée de douleurs vagues et de spasmes de l'estomac, ainsi que dans toutes les névroses par débilité. Elles paraissent, dans toutes ces affections, porter sur l'organisme en général, et sur le cerveau et les nerfs en particulier, une influence à la fois calmante et tonique. J'ai souvent prescrit par cuillerées, dans les névroses, le mélange de parties égales de poudre de feuilles d'oranger et de poudre de racine de valériane, avec suffisante quantité de sirop d'écorce d'orange. L'administration d'une tasse chaude d'infusion de feuilles d'oranger, immédiatement après l'injection de l'huile de foie de morue, est un excellent moyen de la faire tolérer chez les individus les plus délicats, et qui réussit constamment dans le service clinique du professeur Dupré, à Montpellier[1].
Les fleurs d'oranger, comme nous l'avons dit plus haut, sont rarement employées en nature. L'eau distillée de ces fleurs (eau de fleurs d'oranger), exerce son action sur le système nerveux comme antispasmodique et sédative. On en fait un fréquent usage dans les spasmes, les convulsions, les palpitations, les anxiétés précordiales, les coliques nerveuses, l'hystérie, et, dans cette longue série de maux de nerfs qui, dans nos grandes cités, abreuvent d'amertume la femme incomprise, accablée sous le poids du bonheur et de l'ennui, et dont la vie se consume soit à la lecture des romans du jour ou à des broderies qui n'exercent que les doigts, soit à recevoir, mollement étendue sur un divan, des visites que l'oisiveté procure, et qui ne sont plus que le pâle reflet des délices de la société.
L'écorce d'oranges et les jeunes oranges sont toniques, excitantes, stomachiques, carminatives ; elles conviennent dans toutes les maladies que caractérise ou accompagne la débilité des organes digestifs. On les a employées comme fébrifuges dans les cas où des symptômes graves ne forcent pas d'avoir recours de suite au quinquina. J'ai quelquefois associé avec avantage l'écorce d'orange à l'écorce de saule contre les fièvres intermittentes ordinaires. J'ai souvent mis en usage, dans la période adynamique des fièvres typhoïdes, l'infusion d'écorce d'orange alcoolisée (30 gr. d'alcool sur 1 kilogr. d'infusion). Cette écorce et ses diverses préparations sont encore employées avec avantage dans la chlorose, l'hystérie, l'hypochondrie, la dyspepsie, et comme vermifuge. « Vidi quemdam pro tabido habitum et quasi conclamatum, qui potu pulveris corticum aurantiorum ad 1 dragm. per tres vices, in vino, curatus fuit, ejectione innumerorum verminum[2]. » Thomas Burnet[3] recommande contre le flux immodéré des menstrues, la décoction de l'écorce de trois oranges acides encore un peu vertes dans trois litres d'eau réduits à deux, dont on administre 230 à 300 gr. chaque matin.
L'écorce d'orange, tenue dans la bouche, diminue la fétidité de l'haleine, de même que la racine d'angélique et les feuilles de menthe. Suivant <Frédérick[4], l'huile de foie de morue passe plus facilement, si l'on a la
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- ↑ Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, 1853, t. I, p. 635.
- ↑ Petrus Borellus, cent. I, observ. XC.
- ↑ Thésaurus médicinal. Genève, 1648, p. 672.
- ↑ Journal des connaissances médico-chirurgicales, t. XXXIII, p. 30.
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précaution dé mâcher immédiatement, avant d'avaler cette huile, des morceaux d'écorce d'orange séchée. Le médicament pris, on remet encore dans la houche un autre morceau d'écorce d'orange. L'amertume de cette écorce a quelque chose de pénétrant qui se substitue avantageusement au goût désagréable de l'huile.
Hannon[1] a appelé l'attention des praticiens sur l'efficacité de l'huile essentielle d'écorce d'orange amère dans certains cas de névroses gastro-intestinales. Il rapporte l'histoire de cinq malades chez lesquels cette essence lui a rendu un très-grand service. A la dose de 6 à 8 gouttes par jour, en deux fois, et à deux heures d'intervalle dans la matinée, sur du sucre, elle agit comme stomachique et n'entraîne aucune incommodité. (Il n'en est plus dé même à une dose plus élevée ; elle irrite fortement l'estomac et amène dans l'organisme des troubles variés décrits par Imbert-Goubeyre[2], et consistant principalement en éruptions de diverse nature, et en phénomènes nerveux, tels que céphalalgie, névralgie faciale, bourdonnements d'oreille, oppression thoracique, gastralgies, pandiculations, agitations, insomnie et même des convulsions épileptiformes.)
Le suc d'orange douce délayé dans l'eau (orangeade) est tempérant ; il est journellement employé dans les fièvres inflammatoires, bilieuses, typhoïdes : dans les phlegmasies, la dysenterie, la péritonite, la néphrite, la blennorrhagie, les irritations gastriques et génito-urinaires, les dispositions scorbutiques et le scorbut, en un mot, dans toutes les affections aiguës ou chroniques dans lesquelles convient la limonade faite avec le suc de citron, mais il est plus doux et plus délayant que ce dernier. Le sirop de suc d'orange se donne dans les mêmes cas que l'orangeade.
(Le suc, à la fois amer et acide, de la bigarade convient aussi en orangeade, mais surtout dans les cas où il y a atonie, dans les affections scorbutiques, par exemple.)
Wright[3], applique avec un grand succès la pulpe cuite d'orange en guise de cataplasme sur les ulcères fétides. La partie blanche de l'orange a été conseillée dans la dysurie (in Ferrein).
L'usage des plus petites orangettes en guise de pois à cautère présente un avantage sur celui des pois formés avec la racine d'iris ; ceux-ci se gonflant dans le sens des fibres de la racine y deviennent difformes ; les pois d'orange, au contraire, conservent leur forme ronde en se gonflant autant que les autres, sans produire les douleurs résultant de la compression causée par les changements de forme du trou.
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