Intérêt des documents anciens
Sommaire
Introduction
A une époque qui se caractérise entre autres par une accélération prodigieuse de l'accroissement des connaissances et la remise en cause de bien des paradigmes, on pourrait penser que seules sont utiles les publications les plus récentes. Dans le même temps, les enjeux liés à l'étude de la biodiversité actuelle et passée rendent nécessaire la mobilisation de corpus importants de données anciennes.
Or ces données sont dispersées dans des bibliothèques souvent orphelines, dont les catalogues sont restés manuels ou ont disparu.
Botanique sytématique
Pour donner un nom à la multitude des plantes (environ 250 000 plantes supérieures), les botanistes ont mis en place des procédures codifiées dans un Code international de nomenclature botanique. Le point de départ de la nomenclature est un ouvrage de Linné, Species plantarum, de 1753, mais de nombreux ouvrages pré-linnéens font partie des protologues des noms de Linné. Les botanistes doivent pour leur travail consulter les premières descriptions des plantes et comparer les données des auteurs successifs. Pour cela, il leur faut disposer de l'ensemble des publications botaniques (flores, monographies, revues scientifiques). Ce qui n'était possible que dans de rares bibliothèques au monde devient envisageable avec Internet.
La Biodiversity Heritage Library préfigure cette nouvelle solution. Ce consortium de 11 bibliothèques a déjà mis en ligne 89 000 volumes et 33 millions de pages. Il constitue la composante bibliographique de Encyclopedia of Life (EOL). Il a développé un module de recherche (uBio's TaxonFinder) qui permet de trouver toutes les pages numérisées qui comportent un nom latin ! Un projet européen de 3 ans, BHL-Europe a vu le jour en 2009, et associe la Bibliothèque nationale de France et le Museum national d'histoire naturelle.
Histoire de la botanique
Les histoires de la botanique publiées jusqu'à aujourd'hui se révèlent lacunaires, car leurs auteurs n'ont eu accès qu'aux ouvrages présents dans la bibliothèque de leur institution et quelques rares autres. De plus, la consultation des livres anciens était et reste malaisée. La mise en ligne de plus en plus large de ces fonds anciens permet enfin de comparer les éditions, et d'étudier les textes et les illustrations en détail. Pour les œuvres traduites (sources de bien d'erreurs), on peut avoir accès aux sources originales.
Exemple : l'étymologie des noms de plantes est un genre littéraire inépuisable. La plupart des ouvrages se contentent de gloser sur les motivations de Linné dans le choix de ses noms. Il se trouve que Linné les a clairement exprimés dans son Hortus cliffortianus. Ce livre est maintenant consultable en ligne.
Pour comprendre les choix de Linné, il faut souvent remonter aux botanistes de la Renaissance. Une recherche sur l'origine du nom Diospyros lotus (cousin ouest-asiatique du kaki) mène d'abord à Bauhin puis à Matthiole, qui l'appellent Lotus. En comparant les diverses éditions de Matthiole, on peut dater l'apparition de l'arbre en Italie : dans les éditions latines de 1554, 1559 et 1562, il n'en est pas fait mention. Par contre, Matthiole dit dans l'édition française de 1572 qu'il l'a reçu de Constantinople de l'ambassadeur Augier de Busbeck. L'arbre est à nouveau mentionné dans l'édition latine de 1586 et l'édition italienne de 1597 (voir le dictionnaire étymologique). Pour mener cette recherche dans un délai raisonnable, il faut disposer des ouvrages en ligne.
Histoire des sciences
Rien de tel pour comprendre les mécanismes de l'innovation scientifique et l'évolution des concepts que d'étudier l'histoire de chaque discipline.
Histoire des techniques
L'Europe est entrée au XVIIIe et XIXe siècles dans l'ère de l'industrie, et de nombreuses pratiques et savoir-faire ruraux et artisanaux ont disparu. La recherche a en conséquence délaissé ces secteurs. Or l'intérêt pour des modes d'agriculture et de gestion de l'environnement durables, pour les régions tempérées mais surtout pour les régions tropicales, amène à mobiliser les connaissances sur ces pratiques et savoir-faire. Ceux-ci se trouvent dans les revues et ouvrages anciens. On citera par exemple les plantes tinctoriales et d'une manière générale toutes les plantes secondaires ou abandonnées. Des ouvrages comme La Maison rustique ou l'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert se révèlent de grand intérêt. Mais de nombreux ouvrages plus spécialisés et moins fameux restent inaccessibles.
Linguistique
Les historiens de la langue ont besoin de réunir des corpus importants de données datées. Ils l'ont fait manuellement depuis deux siècles, mais surtout pour les œuvres littéraires. La littérature technique reste largement à dépouiller. Pour cet objectif, peu importe que l'œuvre soit importante ou secondaire, et plus le corpus est grand, mieux c'est.
Spécialistes ou grand public ?
On entend souvent dire que l'étude des livres anciens relève des spécialistes. Si l'on entend par là ceux qui ont la possibilité de perdre des journées entières pour se déplacer dans plusieurs bibliothèques de grandes villes, c'était le cas jusqu'à aujourd'hui. Dans ces conditions, le nombre de spécialistes restait confidentiel. Avec Internet, tout citoyen éclairé peut maintenant devenir spécialiste, ce qui va faire exploser le lectorat potentiel, à condition que les œuvres soient libres d'accès. Personne ne peut donc anticiper l'intérêt du public pour une œuvre.