Haricot commun (Candolle, 1882)
Nom accepté : Phaseolus vulgaris L.
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Haricot commun. — Phaseolus vulgaris Savi.
Lorsque j'ai voulu m'occuper, en 1855 3, de l'origine des Pha-
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3. A. de Candolle. Géogr. bot. raisonnée, p. 961.
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seolus et Dolichos, la distinction des espèces était si peu avancée et les flores de pays tropicaux si rares que j'avais dû laisser de côté plusieurs questions. Aujourd'hui, grâce à des mémoires de M. Bentham et de M. George von Martens 1 complétant ceux antérieurs de Savi 2, les Légumineuses des pays chauds sont mieux connues ; enfin tout récemment des graines tirées des tombeaux péruviens d'Ancon, examinées par M. Wittmack, ont modifié complètement le problème des origines.
Voyons d'abord ce qui concerne le Haricot commun. Je parlerai ensuite d'autres espèces, sans énumérer toutes celles qui se cultivent, car plusieurs d'entre elles sont encore mal définies.
Les botanistes ont cru pendant longtemps que le Haricot commum était originaire de l'Inde. Personne ne l'avait trouvé sauvage, ce qui est encore le cas actuellement ; et l'on s'était figuré une origine indienne, quoique l'espèce fût cultivée aussi en Afrique et en Amérique dans les régions tempérées ou chaudes, du moins dans celles qui ne sont pas d'une chaleur excessive et humide. Je fis remarquer qu'elle n'a pas de nom sanscrit et que les jardiniers du XVIe siècle appelaient souvent le Haricot fève turque. Persuadé en outre, comme tout le monde, que les Grecs avaient cultivé cette plante, sous les noms de Fasiolos et Dolichos, j'émis l'hypothèse qu'elle était originaire de l'Asie occidentale, non de l'Inde. George de Martens adopta cette manière de voir.
Il s'en faut de beaucoup cependant que les mots Dolichos de Théophraste, Fasiolos de Dioscoride, Faseolus et Phasiolus des Romains 3 soient assez définis dans les textes pour qu'on puisse les attribuer avec sûreté au Phaseolus vulgaris. Plusieurs Légumineuses cultivées se soutiennent par les vrilles dont parlent les auteurs et présentent des gousses et des graines qui se ressemblent. Le meilleur argument pour traduire ces noms par Phaseolus vulgaris est que les Grecs actuels et les Italiens ont des mots dérivés de Fasiolos pour notre haricot commun. Les Grecs modernes disent Fasoulia et les Albanais (Pélasges ?) Fasulé ; les Italiens Fagiolo. On peut craindre pourtant une transposition de nom d'une espèce de Pois, de Vesce, de Gesse ou d'un Haricot anciennement cultivé au Haricot commun actuel. Il faut être assez hardi pour déterminer une espèce de Phaseolus d'après une ou deux épithètes dans un auteur ancien, quand on voit la peine que donne la distinction des espèces aux botanistes modernes avec les plantes mêmes sous les yeux. On a voulu cependant préciser que le Dolichos de Théophraste était notre haricot à rames, et le Fasiolos le haricot nain de nos cultures, qui cons-
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1. Bentham, dans Ann. wiener Museum, vol. 2 ; Martens (George von), Die Gartenbohnen, in-4°, Stuttgard, 1860 ; ed. 2, 1869.
2. Savi, Osserv. sopra Phaseolus i Dolichos, 1, 2, 3.
3. Théophraste, Hist., 1. 8, c. 3; Dioscorides, 1. 2, c. 130 ; Pline, Hist., 1. 18, c. 7, 12, interprétés par Fraas, Synopsis fl. class., p. 52 ; Lenz, Botanik d. alten Griechen und Rœmer, p. 731 ; Mertens, l. c., p. 1.
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tituent les deux races actuelles principales du Haricot commun, avec une immense quantité de sous-races quant aux gousses et aux graines. Je me contenterai de dire : C'est probable.
Si le Haricot commun est arrivé jadis en Grèce, il n'a pas été une des premières introductions, car le Faseolus n'était pas encore à Rome du temps de Caton, et c'est seulement au commencement de l'empire que les auteurs latins en ont parlé. M. Virchow a rapporté des fouilles faites à Troie plusieurs graines de Légumineuses, que M. Wittmack 1 certifie être les espèces suivantes : Fève (Faba vulgaris), Pois des jardins (Pisum sativum), Ers (Ervum Ervilia), et peut-être Jarosse? (Lathyrus Cicera), mais aucun Haricot. De même, dans les habitations des anciens lacustres de Suisse, Savoie, Autriche et Italie, on n'a pas encore trouvé le Haricot.
Il n'y a pas non plus de preuves ou d'indices de son existence dans l'ancienne Egypte. On ne connaît pas de nom hébreu répondant à ceux de Dolichos ou Phaseolus des botanistes. Un nom moins ancien, car il est arabe, Loubia, se trouve en Egypte, pour le Dolichos Lubia, et en hindoustani, sous la forme Loba, pour le Phaseolus vulgaris 2. Quant à cette dernière espèce, Piddington n'indique dans les langues modernes de l'Inde que deux noms, tous deux hindoustanis, Loba et Bakla. Ceci, joint à l'absence de nom sanscrit, fait présumer une introduction peu ancienne dans l'Asie méridionale. Les auteurs chinois ne mentionnent pas le Haricot commun (Ph. vulgaris) 3, nouvel indice d'une introduction peu ancienne dans l'Inde, et aussi en Bactriane, d'où les Chinois ont tiré des légumes dès le IIe siècle avant notre ère.
Toutes ces circonstances me font douter que l'espèce ait été connue en Asie avant l'ère chrétienne. L'argument des noms grec moderne et italien pour le Haricot, conformes à Fasiolos, a besoin d'être appuyé de quelque manière. On peut dire en sa faveur qu'il a été employé dans le moyen âge, probablement pour le Haricot commun. Dans la liste des légumes que Charlemagne ordonnait de semer dans ses fermes, on trouve le Fasiolum 4, sans explication. Albert le Grand décrit sous le nom de Faseolus une Légumineuse qui paraît être le Haricot nain de notre époque 5. Je remarque d'un autre côté que des auteurs du XVe siècle ne parlent d'aucun Faseolus ou nom analogue. C'est le cas de Pierre
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1. Wittmack, Bot. Vereins Brandenb., 19 déc. 1879.
2. Delile, Plantes cultivées en Egypte, p. 14 ; Piddington, Index.
3. Bretschneider n'en fait mention ni dans son opuscule On study, etc., ni dans les lettres qu'il m'a adressées.
4. E. Meyer, Geschichte der Botanik, 3, p. 404.
5. « Faseolus est species leguminis et grani, quod est in quantitate parum minus quam Faba, et in figura est columnare sicut faba, et herba ejus minor est aliquantulum quam herba Fabæ. Et sunt faseoli multorum colorum, sed quodlibet granorum habet maculam nigram in loco cotyledonis. » (Jessen, Alberti Magni, De vegetabilibus, ed. critica, p. 515.)
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Crescenzio 1 et Macer Floridus 2. Au contraire, après la découverte de l'Amérique, dès le XVIe siècle, tous les auteurs publient des figures et des descriptions du Phaseolus vulgaris, avec une infinité de variétés.
Il est douteux que sa culture soit très ancienne dans l'Afrique tropicale. Elle y est indiquée moins souvent que celle d'autres espèces des genres Dolichos et Phaseolus.
Personne ne songeait à chercher l'origine du Haricot commun en Amérique, lorsque tout récemment des découvertes singulières ont été faites de fruits et de graines dans les tombeaux péruviens d'Ancon, près de Lima. M. de Rochebrune 3 a publié une liste des espèces de diverses familles d'après une collection de MM. de Gessac et L. Savatier. Dans le nombre se trouvent trois Haricots, dont aucun, selon l'auteur, n'est le Phaseolus vulgaris ; mais M. Wittmack 4, qui a étudié les Légumineuses rapportées de ces mêmes tombeaux par les voyageurs Reiss et Stubel, dit avoir constaté la présence de plusieurs variétés du Haricot commun, parmi d'autres graines appartenant au Phaseolus lunatus Linné. Il les a identifiées avec les variétés du Ph. vulgaris appelées par les botanistes oblongus purpureus (Martens), ellipticus præcox (Alefeld) et ellipticus atrofuscus (Alefeld), qui sont de la catégorie des Haricots nains ou sans rames.
Il n'est pas certain que les sépultures en question soient toutes antérieures à l'arrivée des Espagnols. L'ouvrage de MM. Reiss et Stubel, actuellement sous presse, donnera peut-être des explications à cet égard ; mais M. Wittmack admet, d'après eux, qu'une partie des tombeaux n'est pas ancienne. Je suis frappé cependant d'un fait qui n'a pas été remarqué. Les cinquante espèces de la liste de M. Rochebrune sont toutes américaines. Je n'en vois pas une seule qu'on puisse soupçonner d'origine européenne. Evidemment, ou ces plantes et graines ont été déposées avant la conquête, ou dans certains tombeaux, qui sont peut-être d'une époque subséquente, les habitants ont eu soin de ne pas mettre des espèces d'origine étrangère. C'était assez naturel, selon leurs idées, puisque l'usage de ces dépôts de plantes n'est pas venu de la religion catholique, mais remonte aux coutumes et opinions des indigènes. La présence du Haricot commun parmi ces plantes uniquement américaines me paraît donc significative, quelle que soit la date des tombeaux.
On peut objecter que des graines sont insuffisantes pour déterminer l'espèce d'un Phaseolus, et qu'on cultivait dans l'Amé-
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1. P. Crescens, traduction française de 1539.
2. Macer Floridus, ed. 1485, et commentaire par Choulant, 1832.
3. De Rochebrune, Actes de la Société linnéenne de Bordeaux, vol. 33, janvier 1880, dont j'ai vu l'analyse dans Botanisches Centralblatt, 1880, p. 1633.
4. Wittmack, Sitzungsbericht des bot. Vereins Brandenburg, 19 déc. 1879, et lettre particulière de lui.
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rique méridionale, avant l'arrivée des Espagnols, plusieurs plantes de ce genre, qui ne sont pas encore bien connues. Molina 1 parle de treize ou quatorze espèces (ou variétés?) cultivées jadis, au Chili seulement.
M. Wittmack insiste sur l'emploi fréquent et ancien des Haricots dans divers pays de l'Amérique méridionale. Cela prouve au moins que plusieurs espèces y étaient indigènes et cultivées. Il cite le témoignage de Joseph Acosta, un des premiers écrivains après la conquête, d'après lequel les Péruviens « cultivaient des légumes qu'ils appelaient Frisoles et Palares, dont ils usaient comme les Espagnols de Garbanzos (Pois chiche), Fèves et Lentilles. Je n'ai point reconnu, ajoute-t-il, que ceux-ci ni autres légumes d'Europe s'y soient trouvés avant que les Espagnols y entrassent. » Frisole, Fajol, Fasoler sont des noms espagnols du haricot commun, par corruption du latin Faselus, Fasolus, Faseolus. Paller est américain.
Qu'il me soit permis à l'occasion de ces noms d'expliquer l'origine du nom français Haricot. Je l'ai cherchée autrefois 2, sans la trouver; mais je signalais le fait que Tournefort (Instit., p. 415) s'en est servi le premier 3. Je faisais remarquer en outre l'existence du mot Arachos (αρακος) dans Théophraste, pour une sorte de Vicia probablement, et du mot Harenso, en sanscrit, pour le Pois commun. Je repoussais l'idée, peu vraisemblable, que le nom d'un légume vînt du plat de viande appelé haricot ou laricot de mouton, comme l'avait dit un auteur anglais. Je critiquais ensuite Bescherelle, qui faisait venir Haricot du celte, tandis que les noms bretons de la plante diffèrent totalement et signifient fève menue (fa-munud), ou sorte de pois (Pis-ram). Littré, dans son Dictionnaire, a cherché aussi l'étymologie de ce nom. Sans avoir eu connaissance de mon article, il incline vers la supposition que haricot, légume, vient du ragoût, attendu que ce dernier est plus ancien dans la langue et qu'on peut voir une certaine ressemblance entre la graine du haricot et les morceaux de viande du ragoût, ou encore que cette graine convenait à l'assaisonnement du plat. Il est sûr que le légume s'appelait en français Fazéole ou Faséole, du nom latin, jusque vers la fin du XVIIe siècle ; mais le hasard m'a fait tomber sur la véritable origine du mot haricot. C'est un nom italien, Araco, qui se trouve dans Durante et dans Matthioli, en latin Aracus niger 4, pour une légumineuse que les modernes rapportent à la Gesse Ochrus (Lathyrus Ochrus). Il n'est pas surprenant qu'un nom italien du XVIIe siècle ait été
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1. Molina (Essai sur l'hist. nat. du Chili, trad. française, p. 101) cite les Phaseolus, qu'il nomme Pallar et Asellus, et la Flore du Chili de Cl. Gay ajoute, avec peu d'éclaircissement, le Ph. Cumingii, Bentham.
2. A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée, p. 691.
3. Tournefort, Eléments (1694), 1, p. 328; Instit., p. 413.
4. Durante, Herbario nuovo, 1585, p. 39; Matthioli, ed. Valgris, p. 322; Targioni, Dizionario bot. ital., 1, p. 13.
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transporté par des cultivateurs français du siècle suivant à une autre légumineuse et qu'on ait changé ara en ari. C'est dans la limite des erreurs qui se font de nos jours. D'ailleurs l'Aracos ou Arachos a été attribué par les commentateurs à plusieurs légumineuses des genres Lathyrus, Vicia, etc. Durante donne pour synonyme à son Araco l'αρακος des Grecs, par où l'on voit bien l'étymologie. Le Père Peuillée écrivait en français Aricot. Avant lui, Tournefort mettait Haricot. Il croyait peut-être que l'α du mot grec avait un accent rude, ce qui n'est pas le cas, du moins dans les bons auteurs.
Je résume cet article en disant : 1° Le Phaseolus vulgaris n'est pas cultivé depuis longtemps dans l'Inde, le sud-ouest de l'Asie et l'Egypte. 2° On n'est pas complètement sûr qu'il fut connu en Europe avant la découverte de l'Amérique. 3° A cette époque le nombre des variétés s'est accru subitement dans les jardins d'Europe et tous les auteurs ont commencé d'en parler. 4° La majorité des espèces du genre existe dans l'Amérique méridionale. 5° Des graines qui paraissent appartenir à cette espèce ont été trouvées dans des tombeaux péruviens d'une date un peu incertaine, mélangées avec beaucoup d'espèces toutes américaines.
Je n'examine pas si le Phaseolus vulgaris existait, avant la mise en culture, dans l'ancien et le nouveau monde également, parce que les exemples de cette nature sont excessivement rares parmi les plantes phanérogames, non aquatiques, des pays tropicaux. Il n'en existe peut-être pas une sur mille, et encore on peut soupçonner souvent quelque transport du fait de l'homme 2. Il faudrait du moins, pour aborder cette hypothèse à l'égard du Ph. vulgaris, qu'il eût été trouvé en apparence sauvage dans l'ancien et le nouveau monde, mais cela n'est pas arrivé. S'il avait eu une habitation aussi vaste, on en aurait des indices par des individus vraiment spontanés dans des régions très éloignées les unes des autres sur le même continent. C'est ce qu'on voit dans l'espèce suivante, Ph. lunatus.
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1. Feuillée, Hist. des plantes médicinales du Pérou, etc., in-4°, 1725, p. 54.
2. A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée, chapitre des espèces disjointes.