Fleurs (Planchon, 1888)
[68]
Les Sapotées dont les fleurs sont utilisées par l'homme sont bien moins nombreuses que celles dont on emploie le latex,
[69]
le bois ou les fruits. Si l'on met à part le Mimusops Elengi L. (Magoudam-cotté, Maulsri des Hindous), dont les fleurs servent, à cause de leur arôme pénétrant, à l'extraction d'une huile essentielle et à la fabrication d'une liqueur fort échauffante, les seules espèces intéressantes à étudier ici sont : le Bassia longifolia Willd. et surtout le Bassia latifolia Roxb., dont les fleurs, comestibles et sucrées, entrent pour une part très-importante dans l'alimentation des indigènes. Ces arbres sont connus sous le nom d’Illipés ou d’Illoupés, qui s'applique plus spécialement au B. longifolia, tandis que le nom de Mahwah est donné au latifolia. L'un et l'autre, du reste, ont à peu près les mêmes propriétés et fournissent des produits analogues. Mais le premier se recommande surtout par ses produits oléagineux, dont l'étude sera faite plus loin ; le second est utilisé principalement pour ses fleurs. C'est donc celui-ci qui servira de type dans les pages qui vont suivre.
Le Bassia latifolia Roxb. (Illipe latifolia F. von Müller, Bassia villosa Wall.) porte dans l'Inde des noms très-variés : Madhuca en sanskrit; Mahwah, Mahoua, Mawah, Mawats, en bengali ; Moula en hindoustani; Caat-Illoupé, ou Kat-Elupé, en tamoul, etc., etc. (Hayes, J. Lépine, Lanessan, etc.).
C'est un grand arbre de 15 à 18 mètres de haut, à feuilles elliptiques ou oblongues, plus larges que celles du B. longifolia. Ces feuilles tombent de février à avril, mais sont immédiatement remplacées par de nouvelles. Le calyce est rouge. La corolle, allongée, portant 26-30 étamines, est la partie intéressante.
L'arbre habite l'Inde, depuis les bords de la mer, qu'il préfère, jusqu'aux montagnes, où il supporte en hiver de petites gelées. C'est surtout dans le Guzarate, les parties montagneuses des Circars et du Bengale, qu'on le rencontre, un peu dans tous les terrains, mais plutôt dans les terrains mixtes (Perrottet) ou les sols secs et pierreux (J.-R. Jackson).
[70]
L'arbre est indigène sur une immense étendue ; mais il est aussi cultivé presque partout dans l'Inde (Tranquebar, Karikal, Nagapatam, etc.), par les Hindous, qui l'exploitent et pour qui il est une source de richesse.
On retire des graines un beurre végétal (voy. Corps gras).
La fleur a un calyce persistant, comme c'est le cas normal chez les plantes de la famille.
La corolle gamopétale ne présente rien de spécial jusqu'à l'anthèse. A ce moment, le tube se gorge de matière sucrée, grossit rapidement, dépasse le calyce de beaucoup, et la corolle tombe en entraînant les étamines qu'elle porte (1). Toutes ces fleurs forment sur le sol une couche épaisse.
Au moment de la chute, en février-mars, les femmes et les enfants ramassent les fleurs deux fois par jour, sur le sol qu'on a préparé à l'avance. Les hommes opèrent la dessiccation soit sur place, soit au village s'il est rapproché ; ils exposent au soleil les fleurs après avoir enlevé les lobes non charnus de la corolle. La récolte dure une quinzaine de jours. Les fleurs fraîches ont une saveur douceâtre et une odeur fort désagréable, un peu nauséeuse. Une fois sèches, on les a comparées comme aspect et comme goût à des grains de raisins secs de qualité inférieure. L'odeur et le goût sont, à mon avis, ceux du jus de réglise et des pruneaux de mauvaise qualité : l'aspect est, en effet, celui des raisins secs. On forme avec ces fleurs des gâteaux qui se conservent très-longtemps et peuvent être exportés dans des sacs.
L'arbre en produit, dit-on, de 100 à 200 kilog.
Ces fleurs constituent un aliment très-important pour les Hindous, qui les mangent parfois crues, mais le plus souvent bouillies, seules ou mêlées à du riz ou à d'autres aliments.
____________________
(1) J. Poisson, Note sur les prod. industriels fournis par les Bassia, in Bull. Soc. bot. de Fr., XXVIII, 1881, pp. 18-21.
[71]
Le sucre qu'elles contiennent est susceptible de subir une fermentation et de donner un alcool ; c'est même là une des grandes industries de ces régions, puisque le gouvernement anglais perçoit dans une seule île, en face de Bombay, pour 1,500,000 francs d'impôts sur l'alcool de Mahwah (1). Mais cet alcool a une odeur repoussante et fétide, que le temps fait disparaître en partie et qui est due à une huile fort délétère. Ce qui est certain, c'est que les médecins anglais attribuent à cet alcool une influence assez grande sur la mortalité des soldats, surtout dans la province de Guzarate. Non pas que cette liqueur soit directement mortelle, mais elle donne une irritation gastrique qui prédispose l'homme aux fièvres pernicieuses. (Dr Gibson, Dr Waring). Cet alcool pourrait pourtant rendre des services comme stimulant, à la condition de ne l'employer que vieilli, lorsque cette odeur empyreumatique, comparée à celle du wisky d'Irlande, a à peu près disparu.
On a eu naturellement l'idée d'introduire en France les fleurs de Mahwah pour fabriquer des vins artificiels, et il en est arrivé à cet effet des cargaisons considérables à Marseille (400,000 kil. de janvier à septembre 1880). Mais le gouvernement a dû prohiber cette industrie, car on a reconnu que cet alcool causait des troubles cérébraux. Actuellement on ne reçoit plus de Mahwah en France.
Il parait qu'en Amérique on emploie ces fleurs comme fourrage (2).
L'analyse a montré dans les fleurs de Mahwah 52,8 p. 100 de glucose, 3,2 de sucre de canne, 2,2 de matières albuminoïdes, etc. (3). D'autres analyses ne concordent pas parfaitement (4).
____________
(1) J.-L. Soubeiran, Note sur les Bassia de l'Inde (J. de pharm., 1869). Id., Note sur le Bassia latifolia (Journ. de pharm.., 1881, p. 399).
(2) J. Poisson, la Nature, 1881, t. I. p. 227.
(3) Church, Gardeners Chronicle, 1886, 16 janvier.
(4) Amer. pharm. Journ., 1887.
[72]
Les chacals et autres animaux sauvages sont friands des fleurs de Mahwah. On en nourrit aussi parfois les animaux domestiques. Les oiseaux s'attaquent surtout aux fruits.
L'importance du Bassia latifolia pour les Hindous est indiquée par ce fait, que la menace de détruire les arbres est un puissant moyen d'action du gouvernement anglais dans les cas de rébellion des indigènes.
Il reste peu de choses à dire du Bassia longifolia Willd., dont les fleurs sont analogues et employées aux mêmes usages, mais moins appréciées. On en fait (comme du reste avec celles du B. latifolia) des boules serrées, qui servent d'article d'échange contre d'autres denrées. A. Riche et A. Rémont ont montré en 1880 que ces fleurs sèches contienent 60 p. 100 de sucre fermentescible et 8 1/2 p. 100 de sucre cristallisable. L'alcool qu'on en retire est semblable à celui du Mahwah. Les deux arbres vivent dans les mêmes régions.
Un mot encore sur un arbre voisin, dont il sera question à propos des matières grasses, le Bassia butyracea ou Ghee. Les fleurs donnent un suc douceâtre : on ne les mange pas, mais, mélangées à du sucre, elles constituent un bonbon de bazar (1).
____________
(1) J.-R. Jackson, Lond. pharm. Journ., 1878, p. 646.