''Usage externe''. — L'alcool, employé à l'extérieur, est stimulant, irritant, réfrigérant ou rubéfiant, suivant ses degrés de concentration ou la sensibilité plus ou moins grande des tissus avec lesquels on le met en contact. D'après Nélaton, l'alcool concentré est un des plus puissants résolutifs que possède la médecine ; il le met en usage dans une foule de circonstances, et notamment dans le but de faire avorter les furoncles. Ce moyen, longtemps continué en topique, a aussi opéré la résolution des kystes du poignet.
(Le même professeur, et après lui un de ses internes, mon ancien collègue et ami Chedevergne (4)<ref>''Du traitement des plaies chirurgicales et traumatiques par les pansements à l'alcool'' (in ''Bulletin de thérapeutique'', 1864, t. LXVII, p. 249, 302, 346. — Consultez sur le même sujet : De Gaulejac, ''Des pansements des plaies par l'alcool'', thèse de Paris, 1864, n° 168 ; J. Lecœur, ''Des pansements à l'aide de l'alcool et des teintures alcooliques'', in-8°. Caen, 1864. — Gubler a consacré à cette question un article spécial dans ses commentaires thérapeutiques sur le ''Codex medicamentarius'', 1 vol. in-8°, 1868.</ref>, recommandent de mélanger l'alcool du commerce à
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(1) (2) (3) (4) ''Du traitement des plaies chirurgicales et traumatiques par les pansements à l'alcool'' (in ''Bulletin de thérapeutique'', 1864, t. LXVII, p. 249, 302, 346. — Consultez sur le même sujet : De Gaulejac, ''Des pansements des plaies par l'alcool'', thèse de Paris, 1864, n° 168 ; J. Lecœur,<references/>
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85° centésimaux avec un ou deux tiers d'eau, et d'appliquer ce mélange en lotions et en fomentations sur les plaies. Les plaies, sous l'influence de ce topique, se détergent, deviennent moins douloureuses, perdent toute mauvaise odeur et marchent plus rapidement à la cicatrisation. Les phlébites consécutives s'observent plus rarement. Chedevergne tient aussi compte de l'absorption de l'agent sur la surface des plaies, et de son heureux effet sur l'état général du malade. Cet emploi n'est pas nouveau. Lanzoni (1)<ref>''De vulnere aquæ vitæ curato'', in ''Ephem. nat. cur.'', dec. 2, an. X, p. 225.</ref>, en 1692, et Koppenhagen (2)<ref>''De insigni usu spiritus vini in sanandis vulneribus''. Altorfii, in-4°.</ref>, en 1745, avaient déjà donné à ce sujet les meilleurs préceptes. L'alcool dilué a été employé en injections substitutives dans l'hydrocèle et même dans l'ascite, et avec succès (Jobert) (3)<ref>''Gazette des hôpitaux'', 1833, n° 73, p. 277.</ref>.
Je ne veux pas omettre l'emploi vulgaire de l'alcool introduit dans la bouche, pour engourdir les gencives, dans l'odontalgie. C'est à cette propriété qu'est due la vogue de toutes les liqueurs antiodontalgiques, où l'agent qui nous occupe, présenté seulement comme excipient, joue le plus souvent le rôle principal.
La grande affinité qu'a l'alcool pour l'eau fait que, lorsqu'on le mêle avec ce liquide, il se dégage de la chaleur ; si, au contraire, on le mêle avec de la neige ou de la glace pilée, il se produit du froid. Lorsqu'on mêle de l'alcool anhydre à 0 degré, avec de la neige à la même température, la température peut s'abaisser jusqu'à 37 degrés, quand la quantité de neige excède celle que l'alcool peut fondre (4)<ref>Berzélius, ''Chimie'', t. VI.</ref>. Ces simples notions peuvent trouver une application dans le traitement de certaines maladies qui réclament l'emploi du froid.
=== Usages du vinaigre ===
Le VINAIGRE , quoique tiré du vin, a une action dynamique opposée à celle du vin et de l'alcool. Il est, en effet, reconnu comme un des meilleurs remèdes contre l'ivresse, qu'il dissipe promptement. Il a été de tout temps considéré aussi comme un excellent antidote de l'opium. Son action est donc contro-stimulante, analogue à celle de la saignée.
Etendu dans l'eau au point de ne conserver qu'une légère acidité, le vinaigre est rafraîchissant, il excite l'appétit, favorise la digestion, augmente la sécrétion urinaire, et, suivant Van Swieten et Haller, la diaphorèse. Pris trop peu étendu ou à doses trop répétées, il peut produire des lésions graves, amener l'émaciation. P. Desault (5)<ref>''Dissertation sur la phthisie''. Bordeaux, 1733.</ref> cite l'exemple d'une demoiselle qui se fit maigrir par son usage et devint phthisique. Mérat et Delens (6)<ref>''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 78.</ref> ont vu des jeunes personnes contracter ainsi des irritations gastriques qui ont failli devenir mortelles, ou qui même l'ont été. Haller rapporte l'observation d'un homme excessivement gras, qui se mit au vinaigre pour boisson ordinaire, et qui, au bout de quelques mois, était horriblement maigre ; il fut ainsi la proie d'une mort prématurée, après laquelle on trouva la trachée-artère, le poumon, l'œsophage, l'estomac, le canal intestinal et les autres viscères, indurés, squirreux, épais et très-rétrécis.
Pelletan (7)<ref>''In'' Mérat et Delens, ''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 28.</ref> a vu, dit-on, chez un enfant l'abus du vinaigre produire l'amincissement des membranes de l'estomac. Les chlorotiques, les femmes enceintes sont souvent portées, par la dépravation du goût, à boire abondamment du vinaigre. J'ai connu une demoiselle d'une beauté remarquable,
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''Des pansements à l'aide de l'alcool et des teintures alcooliques'', in-8°. Caen, 1864. — Gubler a consacré à cette question un article spécial dans ses commentaires thérapeutiques sur le ''Codex medicamentarius'', 1 vol. in-8°, 1868. (1) ''De vulnere aquæ vitæ curato'', in ''Ephem. nat. cur.'', dec. 2, an. X, p. 225. (2) ''De insigni usu spiritus vini in sanandis vulneribus''. Altorfii, in-4°. (3) ''Gazette des hôpitaux'', 1833, n° 73, p. 277. (4) Berzélius, ''Chimie'', t. VI. (5) ''Dissertation sur la phthisie''. Bordeaux, 1733. (6) ''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 78. (7) ''In'' Mérat et Delens, ''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 28. <references/>
Etendu dans l'eau (6 sur 50 d'eau), le vinaigre forme l'oxycrat, qui est tempérant, diurétique, antiseptique. Hippocrate en faisait un grand usage comme remède antiphlogistique dans les fièvres, pour étancher la soif et apaiser les inflammations, combattre la putridité, etc. L'addition du miel au vinaigre constitue l'oxymel simple, employé dans les mêmes cas et dans les affections bronchiques, pour faciliter l'expectoration. Le sirop de vinaigre est très en usage, surtout le sirop de vinaigre framboisé.
Desbois, de Rochefort, à l'exemple de Dioscoride et de beaucoup d'autres médecins, cite le vinaigre comme le contre-poison de l'opium, de la ciguë, des champignons et autres végétaux vénéneux. Mais Nysten et Orfila révoquent en doute son utilité dans la plupart de ces cas. Cet acide ne peut que nuire dans les premiers instants de l'empoisonnement par l'opium, en dissolvant le poison et en en rendant ainsi l'absorption plus facile. Plus tard, au contraire, il paraît utile contre l'action hypersthénisante de ce poison. Le vinaigre a été proposé et est communément employé pour neutraliser le principe des champignons vénéneux qui pourraient se trouver mêlés avec les comestibles. (Voy. [[Oronge (fausse) (Cazin 1868)|ORONGE [FAUSSE] ]]). Le vinaigre étendu d'eau (125 gr. pour 1 kilogr. d'eau) est donné avec avantage dans l'empoisonnement par les moules. Je me suis très-bien trouvé en pareil cas d'un mélange d'eau-de-vie et de vinaigre pris par cuillerées à bouche. Dans la dernière des ''Dissertationes et quæstiones medicæ magis celebres'', publiées à Lucques en 1757 par Benvenuti, il est question de l'usage du vinaigre contre la rage. Pline parle de guérisons de la rage obtenues par une macération de nids d'hirondelles dans du vinaigre. Cet acide paraît avoir réussi entre les mains de Léonessa, de Padoue. Baumes raconta le fait suivant, il y a plus de cinquante ans, à la Société de médecine pratique de Montpellier : Une truie ayant été mordue par un chien devint enragée. Le propriétaire la fit enfermer dans sa loge, et lui fit servir, par un trou fait au plancher, du son pétri avec du vinaigre. La truie s'en nourrit et fut guérie. S'il faut en croire Giacomini, le vinaigre, donné à très-forte dose (1/2 kilogr. dans l'eau en vingt-quatre heures), a guéri plusieurs cas d'hydrophobie canine bien déclarée. Mais d'autres praticiens l'ont inutilement employé dans cette funeste maladie, contre laquelle tant d'autres moyens proposés comme efficaces ont échoué. Peut-être, dit-on, dans ces derniers cas, le vinaigre n'a-t-il pas été donné à dose assez forte, ni pendant assez longtemps. Audouard (1)<ref>''Académie des sciences'', séance du 26 juillet 1852.</ref> propose de soumettre ce moyen a de nouvelles expériences ; mais, à cause de la répugnance que la vue d'un liquide inspire aux hydrophobes, il conseille de donner le vinaigre sous forme solide et alimentaire. Or, le moyen d'administration le plus simple, c'est du pain imbibé de vinaigre. — « Si le virus de la rage, disent Mérat et Delens (2)<ref>Tome I, page 28.</ref>, est un poison septique, comme le veut Orfila, pourquoi les acides ne pourraient-ils pas en neutraliser les effets ? » L'hydrophobie canine étant évidemment une maladie à fond hypersthénique, disent les partisans de la doctrine italienne, l'action hyposthénisante du vinaigre, donné à grande dose, peut l'anéantir. Voilà deux théories bien différentes pour expliquer ''à priori'' l'effet d'un médicament et en justifier l'emploi. La vérité en médecine est dans les faits bien observés, rationnellement coordonnés, liés par l'analogie et résumés en principes généraux.
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(1) ''Académie des sciences'', séance du 26 juillet 1852. (2) Tome I, page 28.<references/>
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En Allemagne, le vinaigre a été donné avec avantage, à la dose de 92 gr. plusieurs fois par jour, contre la folie aiguë (Giacomini). Fodéré (1)<ref>''Dictionnaire des sciences médicales'', t. LVI1I, p. 135.</ref> dit l'avoir essayé plusieurs fois dans cette maladie sans aucun avantage. Garnault (2)<ref>''Journal de médecine et de chirurgie pratiques'', t. VIII, p. 432, note.</ref> a traité le choléra épidémique par l'emploi de la limonade très-vinaigrée ou du vinaigre pur. Sur seize malades, ce médecin a obtenu par ce moyen douze guérisons. Il faisait continuer l'usage du vinaigre jusqu'à ce qu'il n'y eût plus de danger. Tous les symptômes du choléra asiatique se trouvaient réunis chez ses malades, à l'exception cependant de la cyanose qui a manqué chez la plupart d'entre eux. Les faits rapportés par Garnault ne sont ni assez nombreux ni assez graves pour que l'on puisse attribuer à sa médication les résultats observés.
(Ce mode de traitement a, dans ces derniers temps, trouvé son analogue dans l'épidémie de 1865-66. Worms a préconisé hautement la limonade sulfurique comme traitement prophylactique et curatif.)
Papon (3)<ref>''In'' Mérat et Delens, ''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 28.</ref> assure que, dans le Levant, le vinaigre est employé à l'intérieur et en lotions comme désinfectant, dans le traitement de la peste. Il est fréquemment employé comme antiseptique dans les fièvres putrides, pétéchiales, les petites véroles de mauvais caractère. Tronchin en faisait faire des lotions générales dans les varioles gangreneuses, pétéchiales, hémorrhagiques ; il le donnait en même temps à l'intérieur avec le quinquina et le diascordium. Dans les fièvres graves, on fait souvent laver et frictionner avec du vinaigre la peau des malades, que l'on a soin de vêtir ensuite bien chaudement. Il peut aussi être utile dans le ''purpura hemorrhagica'', dans les hémorrhagies scorbutiques, dans la diarrhée passive qui accompagne les fièvres typhoïdes, dans les hémorrhagies intestinales et la dysenterie putride : dans ces cas, on le fait entrer pour un quart dans les lavements.
(Guérard a constamment arrêté les hémorrhagies intestinales graves chez les sujets typhoïques, à l'aide d'un lavement de vinaigre et d'eau.)
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(1) ''Dictionnaire des sciences médicales'', t. LVI1I, p. 135. (2) ''Journal de médecine et de chirurgie pratiques'', t. VIII, p. 432, note. (3) ''In'' Mérat et Delens, ''Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique'', t. I, p. 28.<references/>
Le vinaigre est utile à l'extérieur dans les stomacaces, les fongosités des gencives, le relâchement de la luette, les inflammations des amygdales, etc.
Tabès, chirurgien à Toulouse (1)<ref>''Journal général de médecine'', t. III, p. 304.</ref>, a retiré de grands avantages, dans les cas de pollutions nocturnes et de pertes séminales involontaires, suites de masturbation, de l'application au périnée d'une éponge trempée dans du vinaigre.
Barber (2)<ref>''The Lancet'' et ''Gazette médicale'', 1849.</ref> emploie avec avantage le vinaigre pour le pansement des ulcères. Il suffit de baigner chaque matin le membre où siège l'ulcère dans de l'eau chaude ou froide ; on le lave ensuite avec du vinaigre commun, et enfin l'on y applique un morceau de linge imbibé de ce liquide ; le tout est maintenu par un bandage roulé. Sous l'influence de ce pansement régulièrement continué, on voit la suppuration diminuer peu à peu et les bourgeons charnus prendre un bon aspect.
Le mélange, à parties égales, de vinaigre et d'eau-de-vie, que l'on peut se procurer instantanément, m'a constamment réussi, en lotions continuelles, dans les brûlures. En enlevant le calorique, il calme promptement la douleur et prévient l'inflammation et la vésication. J'ai vu maintes fois des enfants atteints de larges brûlures s'endormir sous l'influence bienfaisante de ces lotions. On applique sur la partie des compresses imbibées du même mélange et tenues constamment humides. Quand l'épiderme s'enlève ou que les eschares se détachent, je panse avec le cérat safrané (Voyez SAFRAN). J'emploie comme résolutif, dans les contusions, l'entorse, l'œdème, etc., le mélange d'eau-de-vie ou d'alcool, de vinaigre et de sel commun (alcool et vinaigre, de chaque 180 gr., sel commun 90 gr.). Cette fomentation économique, que l'on peut toujours facilement et promptement se procurer, remplace toutes celles que fournit la pharmacie, et dont l'usage, continué plus ou moins longtemps, devient très-dispendieux.
(Le bain de Smucker, autrefois très-vanté contre les lésions traumatiques, est tout simplement de l'eau vinaigrée additionnée de quelques sels à action résolutive.)
Hévin (3)<ref>''Pathologie et thérapeutique chirurgicales'', t. I, p. 182.</ref> employait contre les ecchymoses, les contusions, et pour maintenir les articulations à la suite des luxations, prévenir l'engorgement, etc., le blanc d'œuf battu avec de l'alun et le vinaigre, dont il enduisait de l'étoupe qu'il appliquait sur la partie malade.
Lecœur, professeur à l'Ecole de médecine de Caen, a employé avec succès contre la gale, les frictions de vinaigre, pratiquées trois fois par jour au moyen d'une éponge un peu rude. La moyenne du traitement est de cinq jours.
On ajoute quelquefois du vinaigre dans les pédiluves qu'on veut rendre un peu révulsifs. Les cataplasmes vinaigrés sont recommandés dans certaines phlegmasies des organes parenchymateux. A. Maldonado (4)<ref>''Journal de la science médico-chirurgicale de Cadix'', 1822, t. III.</ref> les a employés avec le plus grand succès sur la région du foie, contre les maladies chroniques de ce viscère.
On recommande de frictionner avec du vinaigre le point de la peau où l'on veut appliquer un vésicatoire ; l'action de ce dernier est rendue plus prompte. Dans les sinapismes, l'adjonction de vinaigre retarde, au contraire, la vésication.
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(l) ''Journal général de médecine'', t. III, p. 304. (2) ''The Lancet'' et ''Gazette médicale'', 1849. (3) ''Pathologie et thérapeutique chirurgicales'', t. I, p. 182. (4) ''Journal de la science médico-chirurgicale de Cadix'', 1822, t. III.<references/>
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d'un appareil convenable, les a très-souvent dissipés. J'ai vu un engorgement du testicule, suite d'orchite, céder à l'action de la vapeur du vinaigre versé sur des cailloux chauffés au rouge. Butzke (1)<ref>''Rust's Magazine'' et ''Journal de chimie médicale'', 1842.</ref> a obtenu le succès le plus inespéré de l'usage des vapeurs de vinaigre dans un cas de tumeur blanche du genou, qui datait de neuf ans. On plaçait le membre affecté sur une baignoire plus profonde que large, au fond de laquelle était un vase rempli de vinaigre On plongeait dans ce dernier un fer rouge qui en vaporisait une grande quantité, et on recouvrait aussitôt la baignoire avec des tapis ; la vapeur, frappant le membre affecté, y occasionnait une transpiration très-abondante. Après trois semaines de l'emploi de ce moyen, le malade pouvait déjà marcher librement et fléchir le genou avec facilité. L'action de cette même vapeur sur tout le corps, placé dans une baignoire bien recouverte, dissipe promptement l'anasarque, et soulage beaucoup les malades atteints de rhumatisme articulaire chronique. Les fumigations de vinaigre, employées dans la chambre des malades pour masquer les émanations fétides, ne les détruisent point. Il faut pour cela avoir recours au chlore, aux chlorures de chaux ou de soude, etc.
Le vinaigre pur, appliqué sur la peau, la rend plus souple, plus douce et peut remédier aux gerçures causées par le froid. C'est à cette propriété qu'est due la vogue des vinaigres aromatiques, dits ''de Bully, hygiénique'', etc.
L'ACIDE ACÉTIQUE CONCENTRÉ, dit aussi VINAIGRE DE WESTENDORP, VINAIGRE RADICAL ou CRISTALLISABLE, n'est point employé intérieurement à l'état de concentration, son action étant caustique. C'est un poison dont le mode d'action parait être asthénique comme celui des autres acides. Aussi le délaie-t-on dans beaucoup d'eau ou de tisane (1 gr. pour 1 kilogr. de véhicule). Il est alors un puissant antiphlogistique ; il apaise la fièvre, favorise la transpiration et la sécrétion urinaire, abaisse la vitalité comme la saignée et les autres hyposthénisants. Il est employé, de même que le vinaigre, pour stimuler la membrane pituitaire dans les cas de syncope ou d'asphyxie ; mais il faut l'approcher avec précaution des narines, car, mis en contact avec les tissus délicats, il les irrite, les enflamme et peut déterminer la vésication; aussi est-on dans l'usage, pour prévenir ces accidents, d'en imprégner seulement des cristaux de sulfate de potasse, que l'on renferme dans des flacons : c'est ce qu'on nomme improprement Sel de vinaigre, Sel d'Angleterre.
A l'extérieur, l'acide acétique concentré est rubéfiant et vésicant. Bonvoisin (2)<ref>''Mémoires de l'Académie de Turin'', t. IV, p. 380.</ref> a le premier signalé l'action vésicante de cet acide, qu'il a en outre recommandé contre les aphthes, les chancres et la gangrène. On peut s'en servir comme vésicant lorsqu'on craint l'action des cantharides sur la vessie. Pour cela on humecte avec cet acide la surface gommée d'un morceau de taffetas d'Angleterre ou mieux un morceau de papier brouillard, qu'on applique sur la peau. Cloquet (3)<ref>In ''Médecin de la maison'', 15 novembre 1853.</ref> détruit les verrues en les touchant avec de l'acide acétique pur.
(L'action est ici basée sur le pouvoir dissolvant de cet acide pour les substances épidermiques. C'est à cette propriété qu'est due la guérison des cors par l'application quotidienne d'une petite quantité d'acide acétique cristallisable. Neucourt a publié dans le ''Journal de Malgaigne'' (mai 1846) un remarquable travail sur le mode de traitement des excroissances verruqueuses ; il recommande d'appliquer sur les parties malades des compresses vinaigrées, constamment renouvelées, et d'exciser matin et soir les parties ramollies et non douloureuses, puis de cautériser avec l'acide acétique pur. La guérison est obtenue au bout de quinze jours environ. Le même traite-
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(1) ''Rust's Magazine'' et ''Journal de chimie médicale'', 1842. (2) ''Mémoires de l'Académie de Turin'', t. IV, p. 380. (3) In ''Médecin de la maison'', 15 novembre 1853.<references/>
ment guérit aussi les ulcérations qui se produisent à côté ou à la place des verrues. Il en est de même des végétations syphilitiques.) (Blachez.)
Wigan (1)<ref>''Journal für Kinderkrankheiten'', mars 1844.</ref> a proposé l'emploi de l'acide acétique dans le traitement de la teigne. Voici l'exposé qui a été fait de ce traitement dans les ''Annales des maladies de la peau'', t. I, p. 352. Cette méthode consiste d'abord à raser la tête en laissant subsister un cercle de cheveux, si toutefois ils n'offrent pas des traces évidentes d'altération. On emploie ensuite, comme moyen explorateur, l'acide acétique concentré, étendu de trois parties d'eau ; cette première application a pour effet de rougir la peau dans les endroits malades, même dans ceux qui, au premier abord, paraissent parfaitement sains. Chacun de ces endroits, ainsi devenus rouges, est humecté au moyen d'une petite éponge fixée au bout d'une baguette et imbibée d'acide acétique concentré pur. A la suite de ces cautérisations, il se forme une eschare ; cette eschare augmente de volume, et dès qu'elle est complètement desséchée, on peut la détacher, en ayant soin cependant de ne pas l'enlever lorsque la peau sous-jacente est encore à vif. Les cheveux poussent ensuite. Si cependant ce résultat n'était pas obtenu, on devrait réitérer les mêmes applications, quoiqu'il y ait des inconvénients à les employer trop souvent.
On s'est servi avec succès de l'acide acétique concentré pour cautériser les chancres vénériens. Henrotay (2)<ref>''Journal des connaissances médico-chirurgicales'', 1852, p. 380.</ref>, élève de Ricord, a longtemps cru, avec son maître, qu'un chancre cautérisé de bonne heure, puis pansé avec le vin aromatique amer, était généralement guéri au bout de huit ou dix jours ; mais il a reconnu depuis lors qu'en réalité la cicatrisation, dans la plupart des cas, n'était complète qu'au bout d'un mois, et qu'il était nécessaire, pendant cet intervalle, de réitérer trois ou quatre fois la cautérisation, afin d'empêcher le chancre de reprendre ses propriétés contagieuses, un moment endormies par la cautérisation. Enfin, cautérisés profondément et à plusieurs reprises, les chancres s'indurent constamment, annoncent la syphilis constitutionnelle et nécessitent un traitement mercuriel. On écarterait ces graves inconvénients, en substituant l'acide acétique au nitrate d'argent. Cet acide, que Henrotay et plusieurs autres chirurgiens belges ont employé avec un grand succès, est regardé par Ricord comme ayant la propriété de neutraliser le virus syphilitique. On doit l'appliquer avec un pinceau, comme tout autre caustique liquide. Cette application, renouvelée un plus ou moins grand nombre de fois, suivant les circonstances, produit un effet tel, que l'ulcère change bientôt d'aspect et se cicatrise.
(Je me suis très-bien trouvé de ces applications de solution acétique concentrée sur les épithéliomas de la lèvre. Dans ces affections, si on n'obtient pas toujours une guérison, elles améliorent la maladie et soulagent le malade. Tillaux (3)<ref>''Bulletin de thérapeutique'', 30 novembre 1867, t. LXXIII, p. 463.</ref> a publié une intéressante observation où la solution au cinquième a amené un arrêt dans le développement d'un grave cancroïde de la joue. Broadbent (4)<ref>''Cancer, a new method of treatment'' ; par W. H. Broadbent. London, Churchill, 1866.</ref>, s'appuyant sur ce que cet acide ne coagule pas l'albumine et peut ainsi étendre son action par l'innocuité de sa pénétration dans les voies circulatoires, se rappelant sa propriété dissolvante connue, sur les parois et les noyaux des cellules, et en dernier lieu son emploi antérieur contre les cancers, pensa que l'effet dissolvant se produirait sur les cellules des tissus vivants, comme sur celles des tissus morts placés sur le champ du microscope. Le ''Bulletin de thérapeutique'' (15 décembre 1866) cite quatre observations où on a retiré de bons effets d'une solution concentrée d'acide acétique (1 partie sur 2 ou 3 d'eau) en injection sous-cutanée, au milieu de tumeurs cancéreuses ; le contact du liquide, douloureux dans les tissus sains, est indolore dans les tissus de nouvelle formation. On trouvera dans le jour-
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(1) ''Journal für Kinderkrankheiten'', mars 1844. (2) ''Journal des connaissances médico-chirurgicales'', 1852, p. 380. (3) ''Bulletin de thérapeutique'', 30 novembre 1867, t. LXXIII, p. 463. (4) ''Cancer, a new method of treatment'' ; par W. H. Broadbent. London, Churchill, 1866. <references/>