Sauge (Cazin 1868)
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Sauge officinale
Nom accepté : Salvia officinalis
Salvia major, an sphacelus Theophrasti ? — Salvia major. Dod. — Salvia hortensis. — Salvia domestica. —Herba sacra. — Herba nobilis, etc.
Sauge de Catalogne, — grande sauge, — herbe sacrée, — sale, — thé de la Grèce.
Labiées. — Salviées. Fam. nat. — Diandrie monogynie. L.
Ce sous-abrisseau (Pl. XXXVI) croît naturellement dans les départements méridionaux de la France. On le cultive dans les jardins. — Les bestiaux le négligent, mais les abeilles recherchent ses feuilles. Salvia dérive de salvus.
Description. — Racine : souche ligneuse, dure, fibreuse. — Tige à rameaux dressés, nombreux, presque quadrangulaires, pubescents. — Feuilles opposées, ovales, lancéolées, longuement pétiolées, épaisses, finement denticulées sur les bords. — Fleurs disposées en un épi simple, réunies par verticilles, munies de bractées, caduques, cordiformes (juin-juillet). — Calice tubuleux, quelquefois coloré, bilabié. — Corolle à deux lèvres, d'un bleu rougeâtre ou violacé ; la supérieure obtuse et écbancrée, l'inférieure à trois lobes, celui du milieu plus grand. — Deux étamines à filet court à anthères séparées par un long connectif. — Un style très-long. — Un stigmate bifide. — Fruit : quatre akènes nus au fond du calice.
Parties usitées. — Les feuilles et les fleurs.
Culture et récolte. — La sauge vient dans tous les terrains, mais surtout quand ils sont légers et un peu chauds. On sème sa graine en plates-bandes ou dans des planches bien préparées. On la multiplie ordinairement en éclatant les pieds, les rameaux enracinés, de préférence au printemps, et en les replantant tout de suite dans un terrain bien labouré ; on espace les nouveaux pieds à 45 centimètres les uns des autres. On renouvelle la plante tous les deux, trois ou quatre ans, suivant qu'elle est plus ou moins vigoureuse. — On récolte les feuilles un peu avant la floraison ou en automne, et même en toute saison, parce qu'elles sont toujours vertes. Si on les fait sécher, c'est pour en faciliter le commerce. Ses propriétés ne perdent rien par la dessiccation. Les fleurs se cueillent quand elles sont épanouies. La sauge des pays méridionaux (le Languedoc, la Provence, etc.), et celle qui a crû dans les lieux secs et élevés, est plus énergique que celle que l'on a cueillie dans les jardins. Il est bon de laver avec soin les feuilles de cette plante avant d'en faire usage, la poussière et d'autres impuretés se fixant facilement entre les papilles qui en rendent la surface comme chagrinée.
Propriétés physiques et chimiques ; usages économiques. — L'odeur de la sauge est forte, aromatique et sa saveur chaude, piquante et un peu amère. Elle contient un peu d'acide gallique, de l'extractif et une grande quantité d'huile essentielle de couleur verte, qui fournit 0.125 de camphre. L'eau et l'alcool s'emparent des principes actifs de cette plante.
[L'essence de sauge est formée d'un mélange de deux huiles essentielles : l'une qui est hydrocarbonée et l'autre qui est oxygénée. Traitée par l'acide azotique bouillant, elle est transformée en un camphre analogue à celui des laurinées = C20H16O2 (Rochelder).]
Substances incompatibles. — Les sels de fer.
On emploie quelquefois la sauge comme condiment dans les ragoûts, surfout en Provence. On en aromatise le vinaigre, le lard, les jambons, on en fume les feuilles comme le tabac. Dans certains pays on s'en sert en guise de thé, surtout en Orient, ce qui l'a fait appeler thé de la Grèce. Valmont de Bomare[1] assure que les Hollandais en portent beaucoup à la Chine, et que les habitants la préfèrent à leur thé, à tel point qu'ils donnent, dit-il, deux caisses de ce dernier pour une de la plante européenne. « Ceux de Liège, dit Montaigne, s'enorgueillissent des eaux de Lucques, et les Toscans ne font pas moins de cas des eaux de Spa. » Dans les contrées froides et humides de nos départements du Nord, les habitants de la campagne font usage de la sauge au lieu de thé. Ils prétendent, avec raison, que cette boisson les préserve des fièvres.
PRÉPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.
A L'INTÉRIEUR. — Infusion théiforme de 15 à 30 gr. par kilogramme d'eau. |
Eau distillée, de 30 à 100 gr., en potion. |
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- ↑ Dictionnaire d'histoire naturelle.
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Huile essentielle, 10 à 20 centigr., en potion. |
A l'extérieur. — De 15 à 60 gr. par kilogramme d'eau, pour lotions, fomentations, etc. |
Les vertus de la sauge ont été célébrées par Théophraste, Hippocrate, Dioscoride, etc. Les Latins la nommaient herba sacra. — Cur morietur homo cui salvia crescit in horto ? dit l'École de Salerne, qui ajoute qu'il n'y a pas de meilleur remède contre la mort. Pour faire tomber les meilleures choses dans le discrédit, il suffit d'en faire un éloge outré. Ainsi la sauge, grâce à la sentence de l'École de Salerne, fut condamnée par le scepticisme à un oubli non mérité.
Cette plante, comme stimulant et tonique, réunit à un haut degré les propriétés de la famille à laquelle elle appartient. Elle provoque de la chaleur dans l'estomac, facilite la digestion, excite la sécrétion urinaire, active les fonctions circulatoires et cutanées, exerce une impression marquée sur l'encéphale, et modifie le système nerveux à la manière des antispasmodiques diffusibles ou stimulants. On l'emploie dans l'atonie des voies digestives, la dyspepsie, les vomissements spasmodiques, les diarrhées anciennes, vers la fin des catarrhes aigus avec apyrexie, et dans les catarrhes et les toux chroniques avec expectoration plus ou moins abondante ; dans les vertiges nerveux, le tremblement des membres, la paralysie, les fièvres nerveuses et typhoïdes ; contre la goutte atonique, le rhumatisme chronique, les cachexies, les engorgements froids des viscères abdominaux, l'oedème, l'hydropisie, etc.
La sauge a été fréquemment mise en usage dans l'atonie des voies digestives.
Si, au lieu de romarin, j'avais trouvé de la sauge dans le jardin du malade dont j'ai rapporté l'histoire (p. 921), je l'aurais probablement employée avec autant de succès.
Van Swieten prescrit l'infusion de cette plante pour arrêter la sécrétion du lait chez les nourrices qui veulent sevrer ou qu'une galactirrhée affaiblit, même après l'allaitement. Ce médecin[1] employait le vin de sauge à la dose de cinq à six cuillerées, pour arrêter les sueurs nocturnes et débilitantes qui surviennent après la convalescence des fièvres de longue durée. Quand le vin était insuffisant, il avait recours à la teinture, à la dose de deux cuillerées, répétée deux fois par jour. Hufeland regarde la sauge en infusion aqueuse ou vineuse comme un remède dont l'expérience a établi la spécialité contre l'éphidrose (sueurs excessives et continuelles). L'infusion de cette plante, administrée à froid, m'a réussi pour diminuer les sueurs des phthisiques.
La sauge s'est montrée très-efficace dans la diarrhée ; Salvia sicca est, alvum sistit, dit Hippocrate. Les succès que j'ai obtenus de l'infusion de cette labiée, édulcorée avec le sirop de coing, dans les diarrhées abondantes et épuisantes des enfants à la mamelle, confirment pleinement cette propriété. Dans nos campagnes, on a quelquefois employé avec succès la Liqueur de Sauge (30 gr. de feuilles de sauge macérées pendant huit jours dans 500 gr. d'eau-de-vie), par cuillerées à bouche, pendant la période algide du choléra.
Aëtius a conseillé l'emploi de ce végétal pour combattre l'hémoptysie. Dubois, de Tournai, rapporte deux observations qui en constatent les bons effets dans cette affection ; mais on conçoit que l'administration de la sauge doit être subordonnée à la nature de la maladie, à l'état du malade et à celui des organes affectés. Une pléthore générale ou locale, un état phlegma-
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- ↑ Commentaires, t. II, p. 370.
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sique aigu accompagnant l'hémorrhagie, contre-indiqueraient évidemment l'usage des excitants. Le médecin que nous venons de citer[1] s'est bien trouvé aussi de l'administration d'une forte infusion de sauge contre les pertes utérines. Le vin de sauge m'a souvent réussi dans la leucorrhée atonique. Quelques auteurs ont regardé la sauge comme emménagogue. Elle peut avoir cette propriété, comme tous les excitants, lorsqu'un état d'inertie de l'utérus s'oppose à l'écoulement des règles. Barbeyrac en recommandait l'infusion dans la migraine et dans d'autres douleurs de tête qui provenaient d'un vice de l'estomac. Decker la vantait contre la cardialgie.
Alibert employait avec avantage le vin de sauge dans le scorbut et l'hydropisie, dans l'état de langueur qui accompagne fréquemment la convalescence des fièvres muqueuses, adynamiques et ataxiques. Trousseau et Pidoux regardent cette plante comme un médicament utile dans la forme muqueuse et adynamique des fièvres typhoïdes. Roques a éprouvé, dans quelques fièvres intermittentes, d'heureux effets de l'infusion suivante : feuilles de sauge, 60 gr. ; faites infuser à une douce température dans 1,500 gr. d'eau et autant de vin rouge ou blanc de bonne qualité. Après douze heures d'infusion, passez la liqueur. On donne deux ou trois verres de ce vin fébrifuge, une ou deux heures avant le paroxysme. Riolan considérait la sauge comme très-efficace dans la fièvre quarte.
L'infusion de sauge, édulcorée avec du miel, soulage les asthmatiques et convient à la fin des catarrhes, dans les toux humides avec défaut d'énergie expultrice des poumons. Giacomini regrette que l'usage de cette plante ne soit pas aussi répandu qu'il pourrait l'être ; et c'est surtout dans le traitement des fièvres rhumatiques, des affections éruptives aiguës, des bronchites aiguës et chroniques, qu'elle lui paraît offrir des avantages réels, si on administre à haute dose. Ce médecin en prescrit jusqu'à 40 gr. en infusion dans 500 gr. d'eau.
A l'extérieur, j'emploie quelquefois l'infusion vineuse de feuilles de sauge dans les engorgements articulaires, suites d'entorse, dans l'oedème. Les lotions chaudes, faites chaque soir pendant une demi-heure avec l'infusion vineuse de sauge, à laquelle on ajoute une certaine quantité de sulfate d'alumine et de potasse, m'ont réussi dans les engelures. Une forte infusion de ces feuilles dans la lie de vin bouillante, saturée d'alun, est ce qu'il y a de meilleur pour raffermir l'articulation à la suite de l'entorse ou de la luxation. C'est en général un excellent topique dans tous les cas où de puissants résolutifs sont indiqués. Cette plante, en gargarisme avec le cochléaria et un peu de miel, convient dans les engorgements ulcéreux et scorbutiques des gencives. Il suffit, disent Trousseau et Pidoux, de toucher les aphthes des enfants et des femmes grosses, avec un pinceau trempé dans une décoction vineuse de sauge, pour les voir disparaître. J'emploie souvent en pareil cas une forte infusion de sauge en collutoire. (Elle fait périr le champignon du muguet.) Le thé de sauge avec un peu de vinaigre, est, suivant Macbride[2], un gargarisme efficace contre l'angine tonsillaire. Giacomini recommande l'infusion ou le suc de sauge en lotion dans les contusions, les blessures, les ulcères. Trousseau et Pidoux ont vu plusieurs fois les ulcères atoniques des jambes se fermer, se couvrir d'un tissu cutané nouveau, par l'application de compresses imbibées de vin cuit avec la sauge et le miel. Jobert de Lamballe emploie avec succès, dans le traitement des ulcères atoniques et scrofuleux, une pommade préparée avec la sauge et le lierre terrestre (sauge et lierre terrestre, de chaque 30 gr. ; axonge 250 gr. ; cire blanche, 45 gr.). Les cicatrisants tombés dans le domaine de la médecine
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- ↑ Journal de médecine de Gand, septembre 1852.
- ↑ Instruction méthodique à la pratique, t. II, p. 198.
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populaire, dédaignés par la science, reprennent donc dans la matière médicale leur antique renommée ?
Des bains préparés avec la sauge ont contribué, dit Loiseleur-Deslongchamps[1], à rendre le mouvement à des membres paralysés et à faire cesser l'endurcissement du tissu cellulaire des enfants. Elle agit même assez fortement de cette manière pour qu'on ait vu un état fébrile résulter d'un pareil bain. Vitet recommande dans le rachitis les bains généraux d'infusion de sauge, en augmentant par degrés la force de l'infusion et la durée du bain, auquel on fait immédiatement succéder des lotions froides sur la colonne vertébrale, la poitrine, le bassin et les extrémités, avec une forte infusion de sauge dans l'eau-de-vie. Appliquée seulement en sachets, la sauge ne paraît pas avoir été tout à fait inutile pour dissiper des engorgements œdémateux, et les tumeurs atoniques.
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- ↑ Dictionnaire des sciences médicales, t. IV, p. 62.
SAUGE DES BOIS. Voyez Germandrée des bois (Teucrium prodonia), p. 449.
(Les deux espèces suivantes sont aromatiques et possèdent à un faible degré les propriétés de la sauge officinale.)
Sauge des prés
Nom accepté : Salvia pratensis
SAUGE DES PRÉS. Salvia pratensis. L. ; Salvia pratensis foliis serratis. Tourn. — Se trouve dans les prairies sèches et sur les collines arides. Elle répand une odeur désagréable, est négligée des bestiaux ; sa fleur est recherchée par les abeilles.
Description. — Tige herbacée, dressée, haute de 30 à 60 centimètres. — Feuilles ovales, doublement crénelées, ridées, presque glabres en dessus et légèrement velues en dessous ; les radicales très-amples, cordées, en rosette ; les caulinaires plus petites, sessiles ; bractées ovales, non colorées, et plus courtes que le calice. — Fleurs bleues, assez grandes, en épi terminal. — Calice à lèvre supérieure, dentée. — Corolle beaucoup plus longue que le calice (mai-juillet). — Style plus long que la lèvre supérieure.
Sauge hormin
Nom accepté : Salvia viridis
SAUGE HORMIN. Hormin. Salvia horminum. L. ; Horminum pratense foliis serratis. C. Bauh. — Cette charmante espèce croît naturellement en Espagne et dans les vallées du Piémont. On la cultive dans les jardins comme plante d'ornement.
Description. — Tige ferme, droite, quadrangulaire, pubescente, de 60 centimètres et plus de hauteur, divisée en rameaux nombreux, élancés. — Feuilles oblongues, obtuses, crénelées, d'un beau vert, pétiolées, les supérieures sessiles. — Fleurs verticillées, violettes ou d'un joli pourpre : chaque verticille composé de cinq ou six fleurs dont les calices sont réfléchis après la floraison. — Bractées colorées, nombreuses, ovales. — Odeur forte, un peu aromatique. — Infusée dans le vin ou dans la bière, elle leur donne une qualité enivrante.
Sauge sclarée
Nom accepté : Salvia sclarea
SAUGE SCLARÉE. Sclarée. Orvale. Toute-bonne. Herbe aux plaies. Salvia sclarea. L. ; Horminum sclera dictum. C. Bauh. ; Sclarea. Tab., Tourn. ; Orvala. Dod. — Cette espèce croît dans presque toute la France, surtout vers le midi, dans les lieux rocailleux, au pied des vieux murs, le long des chemins, aux endroits les plus chauds. Je l'ai rencontrée dans les terrains secs et sablonneux du Calaisis. On la trouve aussi en Belgique (environs de Verviers, de Tongres, de Saint-Trond), près de Paris (Montmorency, Calvaire).
Description. — Tige quadrangulaire, articulée, rameuse, haute de 60 à 80 centimètres. — Feuilles opposées, pétiolées, larges, cordiformes à leur base, pointues à leur sommet, rugueuses, velues surtout en dessus, légèrement crénelées. — Fleurs bleuâtres, en épis verticillés, à bractées larges, concaves, ovales-cordiformes, dont les supérieures
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ont une couleur violette, plus longues que le calice dont les divisions sont terminées par une pointe acérée et dure.
Propriétés physiques et chimiques. — Cette plante exhale une odeur forte, pénétrante, très-agréable, et qui semble avoir beaucoup de rapport avec celle du baume de tolu. On assure (1)[1] qu'elle contient des benzoates. Ettmuller affirme qu'infusée dans le vin blanc, elle lui donne une odeur de muscat et le rend très-enivrant. C'est, dit-on, un moyen de fraude employé par les marchands. En Autriche, on s'en sert comme aromate pour l'office, et on trouve qu'elle donne l'odeur d'ananas aux gelées de fruits où on l'ajoute. On pourrait en faire des liqueurs de table fort agréables. Les brasseurs la substituent quelquefois au houblon dans la fabrication de la bière, à laquelle elle donne, dit-on, une qualité enivrante.
Cette plante balsamique, stimulante, antispasmodique et résolutive, peut remplacer la sauge officinale. Son infusion vineuse, administrée par cuillerées, relève le ton de l'estomac et des intestins. Son utilité dans les affections hystériques l'a fait appeler matrisalvia. « Tragus, dit Roques, recommandait cette plante aux femmes stériles comme un remède admirable, et l'on a osé se moquer de ce botaniste à une époque où l'on apprenait au genre humain l'art de procréer les sexes à volonté ! C'était vers la fin du dix-huitième siècle. » Le crédule Matthiole dit qu'en Italie on se sert de l'orvale contre les maladies des yeux, d'où le nom de sclarea : on en met une semence sur les yeux malades, et on ne l'ôte pas que la nébulosité ne soit passée. — Elle est efficace comme détersive et balsamique sur les ulcères de mauvais caractère, et en décoction appliquée sur les tissus relâchés et l'engorgement œdémateux des jambes.
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- ↑ Journal de pharmacie, 1820, t. VI, p. 306.