Matambala (Potager d'un curieux, 1899)
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Nom accepté : Plectranthus rotundifolius
Le 15 juillet 1884, notre correspondant dans le Transvaal, M. Mingard, nous écrivait : « Avec cette lettre, je vous expédie quelques tubercules de la Pomme de terre fade ou sauvage, appelée par les Magwamba : Matambala. C'est la même culture et les mêmes emplois que la Pomme de terre ordinaire. Les natifs l'apprécient beaucoup et la préfèrent à tout autre tubercule, Ils conservent les semences (1) dans le sable, ou suspendues dans leurs huttes. Ils la plantent au moment de la semaille du Maïs ».
M. Mingard nous écrivait encore le 20 octobre 1884 : « Je remets à la poste un petit sachet de Matambala. Ce seront les dernières que je pourrai vous expédier. Les natifs les ont plantées depuis quinze jours. Elle aime les terrains légers, a la même durée de végétation que la Pomme de terre, mais les tiges sont sensiblement différentes ; elles s'élargissent dès la naissance.
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(1) Lisez tubercules.
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La fleur est petite, de couleur jaune ou bleue (1). Un tubercule planté en entier donne de dix à vingt pour un. La Matambala s'apprête comme la Pomme de terre. Pas de saveur.
« J'ai remis la lettre et le paquet à la poste le 29 octobre courant. Les tubercules commencent à germer. J'ai choisi, selon votre conseil, les plus mûrs et les plus durs. »
Les tubercules de ce dernier envoi ont cependant pourri en route ; mais, fort heureusement, ceux qui nous avaient été adressés au mois de juillet précédent se sont bien conservés dans le sable, et nous avons pu en planter quatre sur couche et sous verre, le 15 mars suivant.
Trois pieds ont végété admirablement ; un seul est démeuré chétif et est mort à la fin de juin. Nous l'avons arraché le 1er juillet, et nous avons trouvé, à notre grande surprise, une douzaine de petits tubercules formant un groupe serré immédiatement au-dessous du collet de la plante. Ces tubercules paraissaient être mûrs et se sont bien conservés dans le sable.
Les trois autres pieds ont végété vigoureusement, ont étalé sur le sol leurs nombreuses tiges, qui s'y sont marcottées spontanément, et ont empli le coffre dans lequel ils étaient plantés ; mais, lorsque nous les avons arrachés, à l'automne, ils ne nous ont donné qu'une récolte à peu près insignifiante.
La plante reprend très facilement de boutures, ce qui nous a permis d'en obtenir un grand nombre de pieds qui ont été distribués au Muséum et à diverses per-
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(1) M. Mingard a certainement confondu les fleurs de plusieurs espèces. Il existe, en effet, sur la côte orientale d'Afrique, plusieurs Coleus et Plectranthus à tubercules comestibles, les unes à fleurs bleues, les autres à fleurs jaunes. Celle nous que avons reçue avait les fleurs bleues.
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sonnes. La floraison en a été obtenue l'hiver suivant dans les serres du Muséum et dans celle du Jardin botanique de l'École vétérinaire d'Alfort.
Le Dr Sagot, dans son Manuel des cultures tropicales, p. 84, dit avoir vu le Matambala doms le jardin de M. Paillieux, à Crosnes, mais seulement en feuille. C'est après l'examen d'un échantillon fleuri, que nous lui montrâmes l'année qui suivit sa visite à Crosnes, qu'il lui appliqua le nom de Solenostemon densiflorus Benth., nom écrit de la main de Bentham sur l'étiquette qui accompagne un échantillon conservé dans l'herbier du Muséum, et qu'il considéra comme étant de tous points comparable à notre plante. L'échantillon du Muséum nous parut n'être qu'une forme à inflorescences compactes du Coleus tuberosus, nom sous lequel nous avons désigné le Matambala dans la seconde édition du Potager d'un Curieux, et que nous rectifions aujourd'hui après la comparaison que nous avons pu faire de notre plante avec des échantillons vivants de Plectranthus ternatus cultivés dans les serres du Muséum et la figure de cette plante, publiée dans le Botanical Magazine, planche 2460.
Le Plectranthus ternatus est originaire des îles Comores et de Madagascar, d'où il a été introduit à Maurice et probablement dans d'autres pays, puisque M. Mingard nous l'a envoyé du Transvaal.
M. Daruty de Grandpré, président de la Société d'acclimatation de l'île Maurice, nous écrivait de Port-Louis : « J'ai lu avec beaucoup d'intérêt vos notes dans le Potager d'un Curieux. Je n'y ai pas vu mentionner une plante à laquelle je m'intéresse en raison de ses qualités alimentaires. Je veux parler du Plectrane-
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thus madagascariensis, que nous appelons ici Oumime (1).
« L’Oumime donne un tubercule que nous consommons absolument de la même manière que la Pomme de terre, quoiqu'elle possède un petit goût particulier qui peut-être ne conviendra pas au premier abord à des palais européens. Cependant, je suis sûr qu'il serait facile par la culture d'arriver à retirer complètement ce goût particulier, en même temps qu'on parviendrait à augmenter le volume des tubercules.
« Je vous adresse par la poste quelques tubercules d’Oumime, afin que vous puissiez en tenter la culture en France. »
Dans son Histoire de la grande Isle de Madagascar, De Flacourt parle des Houmimes ou Voamitza : « Ce sont, dit-il, petites racines grosses comme la poulce. qui multiplient extrêmement, car d'une plante il en viendra plus de deux cents ».
Le Matambala exige trop de chaleur pour qu'il soit possible de le cultiver avec profit sous notre climat.
Mais si l'envoi de notre aimable correspondant n'a pas donné de résultat utile pour la France proprement dite, il a permis de doter notre colonie du Gabon-Congo d'un excellent légume très apprécié, qui, de là, se répandra dans toutes les régions ayant un climat analogue.
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(1) M. N.-E. Brown, auteur d'une note intitulée : Tuberous Labiatæ, parue dans le Bulletin de Kew, numéro de janvier 1894, établit que l’Oumime n'est pas le Plectranthus madagascariensis, mais le P. ternatus Sims.
Le nom appliqué par M. Daruty de Grandpré se rattache à l’Oumime bâtard ou Oumime sauvage, qui ne produit point de tubercules.
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Les tubercules que nous avions donnés au Muséum ont été multipliés, et deux d'entre eux furent remis par M. le professeur Max Cornu à M. Pierre, qui partait pour occuper le poste de directeur du Jardin colonial à Libreville (Gabon-Congo).
M. Pierre cultiva le Matambala, et le succès qu'il obtint fut tel qu'il s'employa activement à propager la plante dans la colonie. Il en remit des tubercules à M. Thollou, attaché à la mission Brazza, qui les transporta à Brazzaville, où ils se multiplièrent et se répandirent rapidement. Dans un voyage qu'il a fait à Paris, M. Thollon nous a donné les renseignements suivants sur notre Labiée :
- « Le Matambala croît avec une vigueur extrême pendant la saison des pluies. Pendant la saison sèche (de juin à octobre), la plante végète, mais a besoin d'être arrosée pour produire des tubercules. C'est pendant cette période que les fleurs se montrent.
- « La récolte doit être faite de décembre en janvier. On obtient par touffe une douzaine de tubercules de la grosseur d'une Noix, et beaucoup d'autres plus petits.
- La plante n'a pas encore été, jusqu'à ce jour, soumise à une culture raisonnée. On se contente de détacher des rameaux qui, mis en terre, s'enracinent avec la plus grande facilité et qui, abandonnés à eux-mêmes, §ans aucun soin, donnent cependant le résultat indiqué plus haut. »
M. Thollon considère le Matambala comme un des légumes les plus utiles à propager dans nos possessions équatoriales de l'Afrique ; il y tiendrait lieu de la Pomme de terre dont la culture est impraticable, le rendement y étant à peu près nul. Il en a fait manger à un grand nombre de voyageurs qui ont éprouvé un plaisir extrême, car sa saveur a une telle analogie avec
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celle de la précieuse Solanée, qu'ils croyaient retrouver ce légume favori, dont l'absence dans les régions Impicales constitue l'une de plus dures privations pour les Européens.
Voici enfin de nouveaux renseignements que M. Pierre a adressés à l'un de nous :
- « De retour d'un voyage dans l'intérieur et le sud du Loango, je viens de trouver votre lettre qui m'a suivi jusqu'ici.
- C'est en 1887 que j'ai apporté dans la colonie deux tubercules de Matambala, gros comme de gros Pois, que M. Cornu m'avait confiés. J'en remis un à M. TholIon, qui le transporta dans l'intérieur de l'Ogoué, à Brazzaville. Il y en a maintenant dans l'Oubanghi par 6° de latitude nord et 17° de longitude est. La plante s'est propagée dans ces pays avec une rapidité extraordinaire.
- La mission Crampel, qui, paraît-il, en a trouvé vers le 4° de latitude nord, en a mangé les tubercules et l'importera peut-être jusqu'au lac Tchad. J'ai remis à M. Crampel, à son départ du Gabon, des graines de Basella alba, plante qui va également se trouver importée dans le centre de l'Afrique.
- Le Matambala existe également dans Loango, où Mgr Carrie l'a introduit de pieds venant de Brazzaville.
- La plante s'est améliorée dans l'intérieur. On a obtenu des tubercules gros comme une Noix, et je suis certain que, si la culture était mieux faite, on obtiendrait encore de bien meilleurs résultats. Il faudrait planter en terrain bien préparé, pas trop sec, humeux, et surtout laisser plus de distance entre les plantes.
- Le goût du tubercule rappelle beaucoup celui de la Pomme de terre. C'est une plante d'avenir, surtout dans l'intérieur de notre colonie. A Libreville, où nous sommes
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- par 5° plus au nord, je n'ai obtenu que des résultats médiocres.
- La plante est connue, dans tout l'intérieur et à la côte, sous le nom de Pomme de terre de Madagascar, que doit lui avoir donné M. Thollon. Ce nom étant impropre, je fais mon possible pour le combattre. »
L'existence de plusieurs Labiées à tubercules comestibles nous est maintenant connue, à savoir :
Le Crosne (Stachys affinis) ;
Le Matambala ou Oumime (Plectranthus ternatus Sims) ;
Le Coleus tuberosus Benth., auquel M. N.-E. Brown (1) rattache le C. parviflorus Benth. (DC. Prodr. XII, p. 72 ; Hook. fil. Flora of Brit. India, IV, p. 625), espèce dont l'origine est un peu incertaine.
Cette plante est cultivée à Java, Amboine, dans d'autres îles de l'Archipel Malais et à Ceylan, où, suivant une note de Gardner, de l'Herbier de Kew, elle est « cultivée par les indigènes comme des Pommes de terre ».
Thwaites dit aussi que les Cingalais la cultivent pour ses tubercules que l'on mange comme légume.
Rumphius parle de cette plante d'une manière assez étendue ; il dit qu'elle a été récemment introduite de Java et de Baly à Amboine, et que l'on mange les tuber-
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(1) N.-E. Brown, Tuberous Labiatæ, Bulletin of miscellaneous information. Royal Gardens Kew, 1894, p. 10.
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cules bouillis ou rôtis. Il ajoute qu'elle fut iprobablement introduite dans l'île, de la péninsule malaise.
D'autre part, il dit que le nom vulgaire employé par les Portugais pour cette plante est Gotte Keligam ou Gotte Kelim, probablement parce qu'on la cultive beaucoup sur la côte de Coromandel, dont on appelle les habitants Kelin ou Quellin. Ni Roxburgh, ni Wight et Arnot, cependant, ne mentionnent cette plante dans leurs ouvrages, quoiqu'il y ait des spécimens dans l'herbier de Kew, recueillis par Wight et Quilon (numéro 2105, Wight, distribution de Kew), mais les étiquettes ne disent pas si elle était sauvage ou cultivée.
M. le Dr Treub, directeur du Jardin botanique de Buitenzorg (Java), a eu l'amabilité de nous adresser des tubercules de cette espèce. Nous n'avons malheureusement pas pu obtenir la floraison de cette plante intéressante qui a, de nouveau, disparu de nos cultures ;
Le Coleus edulis Vatke (Linnæa XXXVII, p. 319), que Richard avait désigné sous le nom de C. tuberosus (Flore d'Abyssinie, 11, p. 185) mais qui est distincte de celle à laquelle Bentham avait déjà donné ce nom. Le C. edulis est le Daunech des Abyssins ; selon Richard (1).
il croît dans les lieux montueux, près du village de Kouaieta, dans les provinces de Chiré et de Godjam.
Il porte des tubercules charnus, assez semblables à ceux de la Pomme de terre, non seulement par la forme, mais par la saveur. Aussi cette plante est-elle abondamment cultivée dans les nombreux jardins qui entourent Kouaieta, situé à une altitude de 6.000 à
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(1) Paillieux et Bois, Revue des Sciences Naturelles appliqués (Bulletin de la Soc. nat. d'Acclimatation, 20 août 1890 : De quelques plantes alimentaires de l'Abyssinie.
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7.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Schimper (Vatke, loc. cit.), aurait récolté la plante à une altitude de 8.200 pieds.
Nous avons demandé le C. edulis à diverses sources, et jusqu'à ce jour les efforts que nous avons faits pour l'obtenir sont restés sans résultat. Dans l'état actuel des relations qui s'ouvrent entre l'Ethiopie et l'Europe, nous pourrons ne pas tarder à recevoir cette intéressante Labiée ;
Le Coleus barbatus Benth. (Plectranthus barbatus Andr.), de l'Inde, de l'Arabie et de la côte orientale tropicale d'Afrique. D'après la Flore de Dalzell et Gibson, et une étiquette du Dr Ritchie, de l'herbier de Kew, cette plante est cultivée dans le Deccan, pour ses racines charnues que les indigènes font mariner ;
Le Plectranthus esculentus N.-E. Brown, espèce à racine tuberculeuse, à fleurs jaunes. Des échantillons de cette plante furent d'abord envoyés à Kew, par M. J.-M. Wood, conservateur du Jardin botanique de Durban, à Natal (numéro 3633), en novembre 1886, sous le nom de Umbondive ou Kaffir Potato, avec une note disant que les indigènes sont très amateurs des tubercules. La plante a été cultivée à Kew.
M. Medley Wood, curateur du Jardin colonial de Natal, a eu l'amabilité de nous adresser quelques tubercules de cette plante, lesquels ont pourri dans le sol avant :d'avoir donné aucun signe de végétation ;
Le Plectranthus floribundus N.-E. Brown, espèce à fleurs jaunes, très voisine du P. esculentus, dont le type est originaire de Natal, mais dont une variété (longipes) croît dans diverses parties de l'Afrique tropicale : Man-
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ganja Hills, lac Nyassa, Blantyre, vallée de la rivière Umzingwani, Angola, etc. M. N.-E. Brown, pense que les racines de cette espèce sont tuberculeuses comme celles du P. esculentus, mais il n'en a pas la preuve ;
Le Lycopus lucidus Turcz. ou Inou Sirône des Japonais, plante vivace qui rappelle quelque peu notre Lycopus europæus, mais à tige donnant naissance à de nombreux stolons. Celte plante a été envoyée du Japon au Muséum par M. l'abbé Faurie, et M. Maxime Cornu a eu l'obligeance de nous en offrir du plan t.
Les rhizomes tubéreux atteignent jusqu'à 20 cenmètres de longueur sur 1 cent. et demi à 2 centimètres de diamètre, et rappellent assez bien ceux du Stachys palustris, dont M. Chappellier a cherché à propager la culture comme plante alimentaire ; mais, bien que leur saveur soit meilleure, et qu'ils soient produits eu grand nombre, il n'y a pas lieu d'en recommander l'usage, leur consistance fibreuse les rendant désagréables à consommer. Le Lycopus lucidus s'est montré d'une rusticité absolue, sous notre climat ; il est regrettable de ne pouvoir en tirer un meilleur parti.