Gestion des ressources génétiques (chapitre 3, Chauvet et Olivier)

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Chapitre 2
Les bases scientifiques
Chauvet et Olivier, La biodiversité, enjeu planétaire, 1993
Chapitre 4
La protection de la nature


Chapitre 3
La gestion des ressources génétiques


« De tout être vivant, de toute chair, tu introduiras un couple dans l'arche pour les faire survivre avec toi ; qu'il y ait un mâle et une femelle »

Dieu à Noé, Bible, Genèse, 6, 19.


Sommaire

L'émergence du problème

On demande beaucoup à l'amélioration des plantes et des animaux. Les agriculteurs et les industriels veulent des cultivars et des races de plus en plus performants, avec des caractéristiques de plus en plus précises. Les responsables politiques et l'opinion publique, angoissés par l'accroissement de la population du globe et le problème de la faim, mettent beaucoup d'espoirs dans cette amélioration.

De fait, l'amélioration génétique a montré son efficacité, mais cette efficacité même a des conséquences redoutables. Elle entraîne chez les plantes une érosion génétique à un triple niveau :

- le nombre d'espèces cultivées diminue, sous l'effet d'une logique implacable qui fait que les plantes très cultivées sont les plus étudiées parce que les enjeux commerciaux sont importants, et que leurs progrès génétiques sont donc plus rapides. Les producteurs de petits pois de conserve se sont ainsi inquiétés de la perte de compétitivité de leur culture par rapport au maïs, du simple fait que l'on mène peu de recherches sur le pois. Les cultures de masse donnent des sous-produits qui, une fois valorisés, concurrencent d'autres plantes. Le soja, cultivé en Occident pour l'extraction de son huile, a donné des tourteaux riches en protéines qui se sont imposés dans l'alimentation du bétail. La production d'huile de germes de maïs ne s'explique que par la valorisation des germes que l'on doit enlever des grains pour les transformer en farine. Enfin, il devient de plus en plus facile de faire produire à une plante déjà très connue des matières originales, ce qui est le cas du colza à haute teneur en acide érucique, ou de transformer industriellement l'amidon de maïs en sucre ;

- la diversité de la gamme variétale diminue au sein d'une espèce. Le nombre des cultivars inscrits aux catalogues est souvent trompeur, car ils tendent à correspondre à un idéotype ajusté aux contraintes du marché, et sont souvent apparentés entre eux ;

- la variabilité interne aux variétés diminue, pour des raisons techniques, commerciales et réglementaires. Les variétés-populations sont progressivement remplacées par des lignées pures ou des hybrides F1.

La situation est un peu différente chez les animaux, où le nombre d'espèces domestiques a toujours été faible, et aurait même tendance à augmenter. Par contre, le nombre de races diminue sensiblement, même si pour l'instant il subsiste une variabilité importante au sein des grandes races. En résumé, la tendance est la même que pour les plantes, mais a suivi d'autres rythmes, du fait des différences de leur biologie.

Le paradoxe des sélectionneurs est donc que le résultat de leur travail entraîne la disparition de la diversité qu'ils ont utilisée et dont ils auront besoin dans l'avenir. On a commencé à parler de ressources génétiques quand on s'est rendu compte qu'elles étaient en train de disparaître, et les sélectionneurs ont été les premiers à alerter l'opinion et à rassembler des collections pour les préserver.

Les cas ne manquent pas dans l'histoire où l'étroitesse de la base génétique a été la cause de catastrophes. A l'époque contemporaine, un des événements qui a marqué le début de la prise de conscience des enjeux aux États-Unis et dans le monde est l'épidémie provoquée par un champignon (Helminthosporium maydis) dans les cultures de maïs en 1970. Cette maladie a provoqué une chute de production de 30% au niveau fédéral, et de 50% dans les États du Sud des États-Unis. Les semenciers ont dû abandonner d'une année sur l'autre les variétés hybrides au bénéfice de variétés classiques, qui par chance étaient encore disponibles. En effet, les chercheurs ont vite montré que le champignon avait muté, et que la nouvelle souche attaquait précisément les plantes qui possédaient le cytoplasme « Texas », présent dans tous les parents femelles des variétés hybrides parce qu'il apportait un facteur de stérilité mâle.

A la suite de cet accident, l'Académie nationale des sciences des États-Unis publiait un rapport sur la vulnérabilité génétique des principales cultures, et des crédits importants étaient consacrés à la mise sur pied d'un système national de ressources génétiques.

Le mildiou (Phytophtora infestans) a réduit de moitié la production de pommes de terre en Irlande en 1846, causant une famine catastrophique qui a entraîné l'émigration d'un quart de la population vers les États-Unis. Aucune des quelques variétés de pomme de terre irlandaises n'était résistante à la maladie. La crise du phylloxéra en France n'a pas eu de conséquences aussi graves, mais a entraîné la reconversion de nombreuses régions viticoles. La parade a été trouvée avec le greffage des vignes sur des porte-greffes d'origine américaine.

Que sont les ressources génétiques ?

La locution « ressources génétiques » a été popularisée en 1967 par Otto Frankel, sélectionneur australien qui a joué un rôle de pionnier dans la prise de conscience du problème. Les ressources génétiques d'une plante ou d'un animal que l'on veut améliorer sont constituées par l'ensemble des espèces, races, variétés, génotypes que l'on peut utiliser pour intégrer certains de leurs caractères génétiques dans la forme améliorée. Cet ensemble varie dans le temps en fonction des techniques et des besoins.

Historiquement, les sélectionneurs ont puisé dans les variétés locales, que l'on appelle aussi cultivars primitifs. Ce sont souvent des variétés-populations hétérogènes, mais elles présentent déjà nombre des caractéristiques que l'on attend d'une plante cultivée.

Au fur et à mesure de leur diffusion, les cultivars modernes sont devenus une catégorie de ressources génétiques de plus en plus importante. Dotés de caractéristiques intéressantes, ils peuvent être utilisés en sélection même s'ils sont protégés par un droit d'obtention végétale. Quand ils sont retirés du marché, ils entrent ainsi en banque de gènes comme « cultivars obsolètes ».

Les lignées de sélection et l'ensemble du matériel présélectionné sont le produit du travail des sélectionneurs. Elles ont été obtenues en conditions contrôlées, et on dispose d'informations précises sur leurs caractéristiques génétiques. De ce fait, elles ont une valeur importante, et les entreprises privées ne les échangent que dans le cadre de contrats privés, car c'est la base de leur compétitivité.

Les formes sauvages et adventices constituent une catégorie dont l'importance ne cesse de croître. Les sélectionneurs ne les utilisent qu'en dernier recours, car elles apportent de nombreux caractères indésirables liés à leur génotype sauvage. Mais elles représentent le réservoir à long terme de la diversité génétique, car elles continuent à évoluer avec leur environnement, au contraire des formes cultivées modernes. Avec les progrès de la biologie, non seulement les formes sauvages de la même espèce biologique (le pool génique primaire) peuvent être utilisées, mais aussi les espèces apparentées (pool secondaire), voire les espèces des genres voisins (pool tertiaire), sans qu'il y ait de limite théorique.

Les modes de gestion

Les acteurs de la conservation se caractérisent par leur grande diversité. Chacun a son histoire et ses motivations, qu'il importe de connaître pour évaluer la participation qu'il est susceptible d'offrir à l'effort collectif.

Les instituts de recherche et banques de gènes

Depuis les débuts de la sélection raisonnée, au xixe siècle, des collections ont été constituées dans les jardins botaniques, puis les centres de recherche agronomique. La gestion et l'étude de collections importantes faisaient partie des rôles des laboratoires d'amélioration des plantes. Au début du xxe siècle, les États-Unis ont été les premiers à constituer un service spécialisé dans l'introduction des plantes, et l'effort n'a pas été relâché. La raison en est simple : rares sont les plantes cultivées qui proviennent de leur territoire, et le sentiment d'une dépendance vis-à-vis de l'extérieur a maintenu la motivation. Mais c'est l'URSS qui a eu un rôle de pionnier dans la connaissance de l'ensemble de la diversité génétique du globe, avec l'équipe de Vavilov à Léningrad.

A l'époque contemporaine, il faut souligner l'effort remarquable accompli par le Japon depuis les années 1980. On connaît la vigueur de leur dispositif de recherche en biologie ; mais le constat de leur dépendance en matière de ressources génétiques les a aussi conduits à financer un grand nombre de prospections, à devenir un des principaux contributeurs de l'IPGRI, voire maintenant à racheter les collections que les pays d'Europe de l'Est ne sont plus en mesure de maintenir. Ils ont ainsi comblé leur retard en quelques années dans un domaine qu'ils considèrent comme stratégique (Nouaille, 1991). Le contraste est en tout cas saisissant avec l'indifférence dont nous souffrons dans la plupart des pays européens.

Il a fallu attendre les années 1960 pour que les chercheurs proposent la création de structures spéciales chargées de rassembler, d'entretenir, de décrire et de diffuser des collections de ressources génétiques pour les espèces importantes. La formulation de « banques de gènes » s'est alors imposée, bien qu'elle soit impropre, car on y conserve des génotypes entiers, et non des gènes isolés.

Le lien entre les banques de gènes et les utilisateurs est un problème crucial. Trop souvent, les banques de gènes ont eu tendance à accumuler des collections énormes, mais n'ont pas eu les moyens de les décrire, ni même de régénérer les graines. De ce fait, elles sont sous-utilisées.

Le secteur privé

Toutes les firmes semencières entretiennent des collections de travail, qui sont à la base de leurs programmes d'amélioration des plantes. Ce matériel est surtout constitué de lignées où ont été identifiés des caractères génétiques précis, dont on connaît l'intérêt. Résultat du travail de nombreux chercheurs pendant de longues années, ces ressources ont une valeur considérable qui détermine la capacité concurrentielle des entreprises. Elles relèvent donc du secret d'entreprise, et se vendent à l'occasion fort cher. Les rachats d'entreprises permettent de mettre en commun ressources et capacités de recherche. La constitution de groupes transnationaux donne accès à du matériel varié de tous les continents, dont l'échange échappe largement à toute tentative de contrôle de la part des États. On pourrait donc penser que le secteur privé est à même d'intégrer dans sa politique une gestion optimale de la diversité génétique des plantes d'importance économique.

La réalité est sensiblement différente. Même quand ces firmes ont une stratégie élaborée, celle-ci porte sur le moyen terme, à l'échelle de la décennie. Le maintien d'une collection immobilise des moyens dont la rentabilité n'est pas évidente, et les besoins de la concurrence amènent à les gérer au plus juste. Quand un programme s'arrête ou quand les orientations changent, le sort habituel d'une collection est donc de disparaître. L'investissement que représentent l'étude et l'évaluation d'un matériel brut d'intérêt potentiel est tel que souvent, les firmes s'associent en clubs de sélection pour les premières phases de ce travail. C'est le cas en France, où de tels clubs regroupant l'INRA et des firmes privées existent pour les principales espèces : populations-sources de maïs, clubs tournesol, soja, colza.

Le problème est aggravé par les mutations actuelles du secteur semencier. Les nouveaux venus que constituent les grandes firmes de l'agro-chimie arrivent avec une culture d'entreprise différente, qui ignore largement l'enjeu de la constitution patiente et de l'étude approfondie de larges pools génétiques. Il faudra du temps avant que les comportements évoluent. Il serait donc dangereux de laisser au seul secteur privé le soin de conserver la diversité dont ils ne percevront peut-être l'intérêt qu'après de longues années.

Or, la gestion des ressources génétiques est une œuvre de long terme, voire de très long terme, et le rôle des instituts de recherche publics doit y rester central. L'objectif est en effet de conserver des formes dont l'intérêt immédiat apparaît nul, mais qui peuvent se révéler précieuses dans vingt ou trente ans.

Les gestionnaires du patrimoine

La gamme de nos races et variétés traditionnelles fait partie de notre patrimoine culturel. Le recueil et la valorisation de ce patrimoine motive de nombreux groupes, et a abouti à la création de parcs naturels régionaux, d'écomusées et autres manifestations locales. Les motivations vont du souci de conserver des témoins du passé à celui de maintenir des modes de vie propres aux régions (« vivre au pays »). Après la collecte d'objets matériels, on en est venu à celle d'espèces, races et variétés domestiques perçues comme des marqueurs culturels : les pommiers à cidre normands, les mirabelles de Lorraine, le houblon en Alsace, le millet Panicum en Vendée, l'épeautre de Haute-Provence, le haricot tarbais, l'oie de Toulouse, la chèvre poitevine, le cheval boulonnais... La liste est longue. Peu après sa création, en 1983, l'Association française des musées d'agriculture (AFMA) s'est posé le problème de la conservation de ce patrimoine vivant, qui suppose une approche spécifique. Le concept d'écomusée vulgarisé par Georges-Henri Rivière a permis d'intégrer des plantes et des animaux dans une démarche muséologique. Mais c'est aux parcs naturels régionaux, fédérés au sein de la FPNF, que l'on doit les programmes les plus élaborés. Ces programmes inter-parcs ont formé le noyau des réseaux nationaux dans le secteur des arbres fruitiers et des animaux domestiques (Parcs, 1990).

Cette approche est importante à deux titres. Elle a un rôle pédagogique essentiel ; elle est la mieux à même d'attirer le grand public et de le convaincre qu'il a un rôle à jouer dans le maintien de la diversité. Par ailleurs, elle intéresse les élus locaux et régionaux, soucieux de l'image de marque de leur territoire et des éventuels débouchés touristiques, voire du développement des productions locales. La démarche peut aller jusqu'à la relance de « produits du terroir » et la promotion de labels de qualité.

Les structures régionales

Avec la régionalisation, on a vu apparaître progressivement des structures diverses qui se sont donné pour objectif de recenser et de conserver les espèces, races et variétés qui font partie du patrimoine local. L'avantage de ces groupes est d'être proches du terrain, et de pouvoir ainsi engager un dialogue à la base sur des problèmes concrets, alors qu'il est souvent plus difficile de le faire au niveau national. Ils doivent souvent leur existence au bénévolat de leurs fondateurs, ce qui explique leur absence dans de nombreuses régions. On ne peut que souhaiter qu'il en naisse d'autres, car ces structures jouent un rôle irremplaçable pour identifier les priorités et les groupes actifs, évaluer la qualité des actions et en assurer la pérennité.

Les associations et les ONG

Le secteur associatif se caractérise par la grande diversité de ses membres, de leurs centres d'intérêt et de leurs motivations. Comme l'a souvent exprimé André Cauderon, une politique de ressources génétiques ne peut se développer sur la seule base de spécialistes qui travailleraient dans l'indifférence générale. Les difficultés rencontrées par les jardins botaniques et les arboretums sont là pour en témoigner. La diversité génétique doit être un souci de la collectivité nationale, quel que soit le secteur d'activité. Le secteur associatif est bien placé pour toucher l'opinion publique la plus large, pour la raison évidente qu'il en est l'expression structurée. Il est riche de dynamisme, et l'expérience montre que le dialogue permet de surmonter bien des incompréhensions entre scientifiques et militants. C'est en tout cas l'expérience que nous avons vécue en France, où la création d'une structure légère de concertation, le Bureau des ressources génétiques, a permis ce dialogue depuis dix ans. Dans d'autres pays où la conservation des ressources génétiques s'est structurée plus tôt au sein des organismes de recherche agronomique, ce dialogue est soit inexistant, soit conflictuel.

Un des résultats les plus significatifs de cette collaboration est le manuel réalisé par deux ethnobotanistes, Philippe Marchenay et Marie-France Lagarde (A la recherche des variétés locales de plantes cultivées), à l'usage des amateurs désireux de prospecter ces variétés. Il n'a pas d'équivalent à l'étranger.

Il ne faudrait cependant pas en conclure que n'importe qui peut faire n'importe quoi. Le secteur associatif est très hétérogène. On le qualifie parfois de « secteur non officiel » ou de « secteur informel », ce qui n'est pas toujours le cas, puisque le statut associatif peut être choisi pour regrouper des structures tout à fait officielles. La vraie différence réside dans le fait qu'une association se donne ou non les moyens de réaliser des tâches précises en s'entourant des conseils des spécialistes, et d'assurer la pérennité de ses entreprises. Sinon, le reflux de la mode et la démobilisation des militants de la première heure réduira les efforts à néant.

On peut discerner trois grandes tendances dans les motivations des associations qui se préoccupent de notre patrimoine génétique. De la mouvance patrimoniale, nous avons parlé plus haut. Mais on peut aussi distinguer des groupes de collectionneurs et des groupes écologistes.

La mentalité du collectionneur, souvent critiquée pour ses excès (la « collectionnite »), n'en a pas moins été historiquement à l'origine des cabinets de curiosités, et ceux-ci ont formé le noyau des musées d'histoire naturelle qui ont tant contribué à l'inventaire du monde vivant (Schnapper, 1988). Si les collectionneurs sont souvent individualistes par penchant, ils s'organisent en réseaux d'échanges qui, confidentiels pour la plupart, peuvent cependant prendre une importance considérable avec les effets de mode.

L'intérêt des collectionneurs de plantes va surtout aux espèces spectaculaires ou curieuses, qui apparaissent proches. Les plantes ornementales sont bien sûr les plus représentées, et parmi elles les orchidées et les succulentes. Il existe aussi des collectionneurs de plantes médicinales ou d'arbres fruitiers. Le jardin potager se prête bien à cette passion. Certaines espèces ou variétés de légumes semblent d'ailleurs se perpétuer uniquement comme curiosités. Ce n'est pas un hasard si Pailleux et Bois ont écrit Le potager d'un curieux.

L'ampleur de ce courant d'intérêt pour les collections de plantes se manifeste par la multiplicité des bourses d'échanges ou Journées des plantes, dont les plus connues se déroulent aux châteaux de Courson et Saint-Jean-de-Beauregard dans la région parisienne.

Pour les animaux, la mode se porte surtout sur les poissons d'aquarium et les oiseaux de cage, mais parfois aussi les reptiles. Pour les animaux plus gros, tels que la volaille ou les bovins, on trouve plutôt des « éleveurs sportifs » ou passionnés par une race que des collectionneurs proprement dit.

Du point de vue de la conservation, le monde des collectionneurs présente une double face. D'un côté, la passion peut les mener aux pires comportements pour acquérir la pièce rare. Certains n'hésitent pas à voler leurs propres collègues, d'autres sillonnent le monde pour piller les stations naturelles. Un commerce fructueux se développe pour approvisionner ce marché spécialisé, et le danger est d'autant plus grave que ces excès portent sur les espèces les plus rares. Mais d'un autre côté, les collectionneurs sont souvent les meilleurs spécialistes de leur groupe, et peuvent se révéler de précieux alliés pour la protection des espèces.

Sous l'étiquette approximative de mouvance écologiste, on regroupera les préoccupations de ceux qui estiment que les espèces et variétés anciennes sont plus rustiques et de meilleure qualité, ou plus adaptées à une production biologique. C'est le cas par exemple de Nature et Progrès. Il faut signaler que ces groupes sont parmi les seuls à s'intéresser aux céréales, aux plantes fourragères ou industrielles, qui n'attirent guère les collectionneurs. Des groupes d'éleveurs en agriculture biologique peuvent contribuer à sauver des races menacées, comme la vache bretonne Pie noire.

Dans le domaine végétal, l'Association française pour la conservation des espèces végétales (AFCEV) mérite une mention particulière. Créée à l'initiative de la Direction de la protection de la nature (ministère de l'Environnement), elle comporte des membres de droit : DPN, BRG, INRA, CNRS et Fédération des parcs naturels de France (FPNF). Les membres fondateurs sont les trois Conservatoires botaniques nationaux de Porquerolles, Brest et Nancy, ainsi que le Muséum national d'histoire naturelle. Les membres adhérents sont majoritairement des personnes morales qui ont parmi leurs objectifs la collecte, la conservation ou la valorisation des espèces et variétés de plantes tant sauvages que cultivées. L'AFCEV fonctionne au travers de groupes de travail thématiques, parmi lesquels on peut citer les arbres fruitiers, les messicoles et les jardins botaniques.

Dans le domaine animal, l'action pionnière de la Société d'ethnozootechnie n'a pas été relayée encore par une association nationale. Il faut souhaiter que cela change prochainement.

Aux États-Unis et dans d'autres pays anglo-saxons existent d'importants réseaux de Seed Savers qui organisent des réseaux d'échanges de semences de plantes cultivées. Au niveau international, les ONG sont globalement plus actives dans les débats sur les thèmes de l'appropriation des ressources génétiques et de la brevetabilité. Le dialogue ne fait que débuter entre les associations environnementalistes et les associations de développement, et les divergences sont nombreuses. On citera parmi celles qui ont la réflexion la plus élaborée l'association française SOLAGRAL et l'ONG internationale GRAIN (Genetic Resources International), qui jouent un rôle important d'information et de groupe de pression.

Les communautés paysannes

La gestion par les communautés locales de leurs propres ressources génétiques est un des thèmes privilégiés des ONG. Des chercheurs comme Pernès voient en elle la meilleure façon de maintenir de façon dynamique des variétés locales adaptées aux besoins des paysans et aux caractéristiques de leurs agrosystèmes. Ce mode de gestion est à encourager, mais il faut reconnaître qu'il suppose des formes de démocratie locale, et la prise en charge de leur destin par ces populations elles-mêmes. On ne peut moralement pas imposer à une population de garder un mode de vie et des pratiques qu'elle ne souhaiterait pas. L'avenir dira si cela est possible dans un contexte où les pressions sont fortes vers l'uniformisation culturelle. Paradoxalement, ces perspectives sont les seules réalistes dans des régions comme les Andes, qui cumulent des contraintes climatiques fortes (altitude et froid) et un grand isolement social (Mario Tapia, comm. pers.)

L'avenir est aux réseaux

Le sentiment général est que les banques de gènes centralisées, trop lourdes à gérer et trop loin des utilisateurs, remplissent mal leur rôle. On assiste à la montée en puissance des réseaux décentralisés.

Le besoin apparaît maintenant d'une rationalisation des réseaux de collections, par spécialisation, partage du travail ou constitution d'un échantillon représentatif (core collection) de taille raisonnable et donc susceptible de faire l'objet de programmes concertés de description et d'évaluation. Ceci rejoint le souci lié à l'utilisation de ces ressources, qui suppose des études préliminaires (pre-breeding) en liaison avec les sélectionneurs.

Mais la conservation ex situ n'est pas une panacée. Chaque fois que c'est possible, il convient de favoriser la diffusion, sinon dans l'agriculture, en tout cas dans les jardins d'amateurs, les écomusées... Pour être efficaces, ces actions doivent être coordonnées, et le rôle des associations est central. La gestion de la diversité est un enjeu social, qui dépasse largement la constitution de quelques collections de spécialistes.

Les moyens

Les moyens de conservation

Les collections de ressources génétiques sont couramment appelées banques de gènes, bien que l'on n'y conserve pas les gènes eux-mêmes, mais plutôt des génotypes entiers. Par souci de clarté, on réservera le nom de collections de ressources génétiques aux collections dont la majeure partie est constituée par des populations, cultivars, clones ou lignées au sein d'un complexe d'espèces donné. Elles sont conservées de façon différente suivant les types biologiques. Ainsi, les arbres forestiers ou fruitiers sont le plus souvent conservés en vergers, les plantes pérennes ou à multiplication végétative sont conservées au champ. Les plantes à graines sont conservées en chambre froide (à +4 °C ou à -20 °C). Des techniques plus élaborées, comme la conservation in vitro et dans l'azote liquide, sont à l'étude pour les cas difficiles, ainsi que pour réduire le coût de la conservation et allonger l'intervalle entre chaque régénération, évitant ainsi la dérive génétique.

Chez une majorité de plantes, les graines se dessèchent naturellement et se conservent dans le sol pendant la saison froide, parfois même plusieurs dizaines d'années. C'est ce qu'on appelle les semences orthodoxes. On peut conserver ces graines de façon satisfaisante en les desséchant à 5 à 10% d'eau et en les mettant au réfrigérateur (vers 0 °C) ou mieux au congélateur (-20 °C). En règle générale, la longévité des graines est d'autant plus grande que l'on dessèche plus et que l'on abaisse la température de conservation. Par exemple, les semences de céréales peuvent se conserver 100 ans. La longévité des graines de lotus (Nelumbo nucifera) atteint plusieurs centaines d'années, le record étant détenu par Lupinus arcticus, avec plus de 10 000 ans (Côme, 1991).

La technique de la lyophilisation permet de conserver les graines à température ambiante, y compris celles qui sont riches en huile.

La conservation au froid suppose un approvisionnement fiable en électricité, ce qui amène dans de nombreux pays à prévoir des générateurs en cas de défaillance du réseau. Mais la conservation au froid a aussi un coût d'entretien non négligeable. On a donc envisagé de placer des collections de sécurité en des lieux gelés naturellement en permanence, dans les Andes ou les zones polaires. Le gouvernement norvégien a officiellement proposé de mettre à la disposition de la communauté internationale, sous l'égide de la FAO, une mine désaffectée dans le pergélisol des îles Svalbard (au Spitzberg). Ce site est déjà utilisé par la Banque nordique de gènes.

On qualifie de récalcitrantes les graines qui ne se comportent pas de façon orthodoxe. Il s'agit en particulier de grosses graines comme les glands de chênes ou celles de nombreux arbres tropicaux. Ces graines sont détruites par le froid, ou bien elles n'ont aucune dormance, et germent dès qu'elles sont tombées au sol. Chez les arbres tropicaux, comme chez le chêne ou le hêtre, la dormance intervient en fait chez le jeune plant, qui ne se met à pousser que s'il dispose d'assez de lumière, c'est-à-dire quand la chute de vieux arbres a produit une trouée dans la forêt.

On doit alors utiliser d'autres modes de conservation, comme la conservation au champ, ou la conservation in vitro.

Il y a quelques années, la conservation au champ était le seul mode de conservation praticable pour les plantes à multiplication végétative. Pour les arbres fruitiers, on parle maintenant de verger-conservatoire, mais ce mode de conservation est aussi utilisé pour les arbres (arboretum), les arbustes (fruticetum), la vigne et des plantes tropicales comme le caféier ou l'hévéa. L'avantage réside dans la durée de vie de ces plantes pérennes et dans le fait qu'on peut les observer au fil des ans.

Les risques dus aux maladies ou aux aléas climatiques sont limités par la duplication des collections dans des lieux différents, et l'on peut réduire l'encombrement et le coût d'entretien par des pratiques comme la taille ou l'application de nanifiants.

Les plantes pérennes comme l'asperge, le houblon, l'artichaut ou certains fourrages se conservent également au champ. Par contre, les plantes à bulbes, à rhizomes ou à tubercules posent des problèmes quand elles ont un cycle annuel. Il faut alors les récolter chaque année et les replanter, ce qui est dispendieux en main d'œuvre, sans parler des problèmes de mélanges dans les manutentions. De plus, le risque est grand de voir s'accumuler les virus, et l'on doit alors utiliser des moyens sophistiqués (culture de méristème, chimiothérapie) pour les éliminer.

Ces problèmes font que de nombreuses recherches sont menées pour aboutir à des modes de conservation plus fiables et moins coûteux.

L'un de ces moyens est la conservation in vitro, qui consiste à prélever des fragments de plantes (en particulier des méristèmes apicaux) et à les placer en éprouvette sur un support de gélose, en milieu contrôlé. Le milieu de culture doit aussi inclure un certain nombre de composants (minéraux, vitamines, substances de croissance...) qui varient suivant les espèces. Par ailleurs, la régénération de plantes entières n'est pas toujours facile, et demande des recherches pour être mise au point.

La culture in vitro est utilisée commercialement pour la multiplication en masse de plantes horticoles. Avec un objectif de conservation, on cherche plutôt à ralentir la croissance qu'à l'accélérer. Par ailleurs, toutes les formes d'une même espèce n'ont pas forcément le même comportement, la réponse génotypique étant très marquée.

Pour simplifier encore ces techniques, on cherche de plus en plus à les associer à la cryogénie. Les fragments cultivés sont alors maintenus dans l'azote liquide (de - 150 à - 196 °C), ce qui arrête la croissance et devrait permettre une conservation à très long terme.

Ces méthodes de conservation évitent les aléas de la culture au champ, et en particulier les viroses. Mais elles supposent la permanence de l'activité de laboratoires de recherche compétents. L'avenir dira si leur sophistication est compatible avec le long terme. Dans certains cas, elles ont apporté une solution élégante. Le cocotier a par exemple des graines volumineuses, puisqu'il s'agit de la noix de coco ! L'ORSTOM a mis au point une technique qui consiste à prélever sur le terrain, non pas la noix entière, mais le seul embryon, qui est mis immédiatement dans l'azote liquide.

Mais il ne faut pas oublier que ces méthodes peuvent exercer, elles aussi, des pressions de sélection sur les souches conservées, et qu'il peut apparaître des problèmes de conformité génétique.

Une autre méthode utilise la lyophilisation du pollen. L'avantage de ce dernier est son faible encombrement. L'inconvénient est que l'on a besoin d'une plante femelle pour l'utiliser. Il ne convient donc pas pour conserver des variétés pour elles-mêmes, mais plutôt en tant que géniteurs dans un programme de croisement. La conservation du pollen a donc un rôle complémentaire aux autres techniques. Elle est surtout utilisée pour le transport de matériel génétique entre pays, ou encore pour croiser des plantes qui ne fleurissent pas au même moment.

La fiabilité de la conservation est bien sûr une question essentielle. La conservation des semences à long terme apparaît efficace, et elle peut s'appuyer sur le savoir-faire des spécialistes de l'amélioration des plantes et des jardins botaniques. Elle présente néanmoins quelques inconvénients. Les semences sont en effet des êtres vivants, et les techniques de conservation les soumettent à des pressions de sélection. Certaines d'entre elles vont mourir, et si l'on n'y prend garde, on aura sélectionné les génotypes les plus aptes à une longue conservation. C'est pourquoi un bon gestionnaire effectue régulièrement des tests de germination. Quand le taux de germination descend au-dessous de 80%, il doit régénérer les semences. Mais ceci coûte cher et demande de la main d'œuvre.

Interviennent alors d'autres phénomènes. Pour des raisons d'encombrement et de coût, on ne peut multiplier que des lots de taille réduite. Il y a alors risque de dérive génétique, les allèles rares ayant une certaine probabilité de ne pas se retrouver dans la descendance. Même si l'on fait attention, il suffira de quelques cycles de régénération pour que cette probabilité se transforme en quasi-certitude. De plus, chez les plantes allogames, il faut éviter les échanges de pollen entre lots, ce qui amène à utiliser des serres étanches aux insectes ; mais il faut aussi favoriser le brassage du pollen au sein du lot, et donc introduire des insectes pollinisateurs (l'abeille...) dans chaque serre. Ces procédures sont vite lourdes et coûteuses.

Ce n'est pas tout. Quand on sème une plante, on ne récolte habituellement que ce qui pousse la première année. On sélectionne donc les génotypes qui ont des graines non dormantes. De plus, la culture se fait dans l'environnement des terrains ou des serres de la banque de gènes, et comme l'on cherche à produire beaucoup de graines, on va « soigner » la culture, en irriguant par exemple. Ces pratiques exercent des pressions de sélection très fortes. Pour y pallier, il faudrait pouvoir régénérer les semences dans le pays ou le milieu d'origine, ce qui est l'un des intérêts d'un réseau international.

Pour certaines espèces où il n'y a pas d'intérêt particulier à conserver des variétés, les chercheurs préfèrent réunir plusieurs lots en un seul bulk, ce qui permet de traiter des quantités plus grandes.

Les banques de gènes sont donc loin d'être la panacée que l'on croit. Ces problèmes techniques se posent à toutes, mais ils sont trop souvent aggravés par la propension à accumuler des collections gigantesques que l'on est ensuite incapable de gérer. La routine peut amener à un relâchement du suivi de la conservation et de la régénération, et il arrive que l'on constate que des collections sont mortes, que les lots ne correspondent plus à la description, ou que les étiquettes ont été mélangées !

Enfin, dernier problème, si les ressources génétiques maintenues en banques de gènes sont soumises à des pressions de sélection spécifiques, elles ont également l'inconvénient de ne plus l'être aux pressions de sélection naturelles. Certains généticiens des populations considèrent donc qu'un tel mode de conservation statique ne permettrait pas de fournir les caractères d'adaptation aux changements de l'environnement.

L'idée a donc été émise de développer des modes de conservation dynamique, en cultivant au champ des populations très hétérogènes, qui pourraient évoluer librement et faire apparaître des combinaisons de caractères inédites. Il y a encore peu d'expériences de ce type ; l'une d'elles est en cours en France sur le blé tendre, dans un réseau qui s'appuie sur les écoles d'agriculture.

Les types de collections

On distingue classiquement trois types de collections. Le plus fréquent est constitué par les collections de travail, que chaque sélectionneur rassemble pour son programme de recherche. Elles évoluent sans cesse en fonction des objectifs, et ont vocation à disparaître quand le programme s'interrompt. Mais leur intérêt réside dans le fait que le sélectionneur les connaît bien.

Les collections actives sont conservées à moyen terme, et multipliées régulièrement. Elles servent à diffuser des échantillons à la demande des utilisateurs.

Les collections de base sont conservées à long terme, le plus souvent au congélateur. Par souci de sécurité, elles doivent être dupliquées, de préférence dans un pays différent pour éviter les risques, tant naturels que politiques.

Le profane pourrait penser qu'il faut des installations coûteuses pour créer une banque de gènes. Or, si certains centres disposent de chambres froides élaborées, d'autres ont pris un parti très différent. La Banque nordique de gènes, par exemple, conserve ses collections actives dans des congélateurs domestiques de type placard, et ses collections de base dans des congélateurs de type bac. Ces congélateurs sont de même modèle, et si l'un tombe en panne, il suffit de transvaser les échantillons dans un congélateur laissé vide à cet effet.

En fait, ce qui coûte cher, c'est la main d'œuvre nécessaire à l'enregistrement des données et à la gestion des graines.

Les moyens de description et d'étude

Une collection ne sert à rien si elle n'est pas correctement décrite, et si ces données ne sont pas rendues disponibles aux utilisateurs. Dans un passé récent, les chercheurs travaillaient souvent isolément, et griffonnaient des masses de données sur des fiches cartonnées, avec des codes qu'eux seuls étaient en mesure de comprendre. Ces informations avaient toute chance de disparaître avec leur créateur. C'est pourquoi l'une des premières tâches que s'est donnée l'IBPGR a été de réunir des groupes de travail pour normaliser la présentation des données et faciliter ainsi leur échange. C'est l'objet des listes de descripteurs qui existent maintenant pour la plupart des espèces.

Avec l'expérience, on a été amené à distinguer trois types d'informations. Les données de passeport permettent d'identifier une entrée, et doivent être relevées à la collecte (nom du collecteur, lieu, date, types de milieu, nom de l'espèce...). Il faut savoir que malgré leur apparente évidence, elles manquent trop souvent dans les banques de gènes. Ensuite, les données de caractérisation et d'évaluation préliminaire sont observées directement au champ à la première régénération. Enfin, les données d'évaluation, plus poussées, ne peuvent être rassemblées que lors de programmes de recherche, avec des techniques de laboratoires. Il s'agit de résistances à des maladies, de caractères agronomiques, de description du génome par isozymes, RFLP, etc.

Les bases de données

Depuis des siècles, les jardins botaniques diffusent des Index seminum, catalogues des semences offertes pour échange. L'indication du nom de l'espèce et de son lieu de récolte suffisait à la plupart des utilisateurs. Les banques de gènes ont continué cette pratique en publiant des catalogues. Mais ceux-ci se résumaient souvent à de longues listes où trop d'introductions étaient identifiées par un simple numéro, et l'utilisateur manquait de critères pour choisir ce qui l'intéressait dans des milliers de références.

L'évolution rapide des techniques informatiques renouvelle sans cesse notre façon d'aborder la valorisation des données. L'expérience a montré que le plus important, dans un système de bases de données, ne réside pas tant dans les aspects purement informatiques que dans l'intérêt que trouvent les créateurs et les utilisateurs de données à faire vivre ces bases pour répondre à leurs besoins. La tendance actuelle est de créer des bases de données spécifiques à un complexe d'espèces, et de les gérer sur micro-ordinateur. La transmission des données se fait par disquette pour l'utilisateur qui le souhaite, mais le plus souvent, il faudra un dialogue avec lui pour que le gestionnaire puisse traduire ses demandes et produire une réponse adaptée à ses besoins.

Les plantes agricoles tempérées

Les premières banques de gènes et le rôle d'EUCARPIA

EUCARPIA est une association européenne de chercheurs en amélioration des plantes, qui organise régulièrement des colloques et des ateliers de travail. Elle comporte de nombreuses sections spécialisées par groupe de plantes, mais aussi une section « ressources génétiques ». Cette section est le résultat de la fusion en 1983 d'une ancienne section « espèces sauvages et formes primitives » et d'un Comité des banques de gènes ; elle a été longtemps marquée par la personnalité du Pr. Hawkes, son président jusqu'en 1986.

EUCARPIA a commencé à s'intéresser à la conservation des ressources génétiques vers 1960. L'inquiétude que suscitait la disparition rapide des variétés de pays et des cultivars obsolètes a amené la création d'un Comité des banques de gènes en 1968. Ce comité a eu un rôle pionnier en proposant l'établissement d'un réseau de banques de gènes en Europe. Comme l'on considérait alors qu'il serait trop coûteux que chaque pays se dote de sa propre banque, il était proposé de créer des banques régionales suivant le schéma suivant :

- Europe du Nord-Ouest : Braunschweig (RFA) ;

- Europe de l'Est et du Centre : Léningrad (URSS), créée dans les années 1920 par Vavilov ; et Gatersleben (RDA), créée après la Deuxième Guerre mondiale ;

- Europe du Sud et Méditerranée : Bari (Italie) ;

- Scandinavie : Lund (Suède), créée conjointement par les cinq pays nordiques.

Bien qu'EUCARPIA n'ait qu'un rôle de proposition, en tant qu'association scientifique, force est de constater que ses propositions ont été suivies d'effet. EUCARPIA n'a cessé de contribuer à l'animation scientifique du secteur des ressources génétiques. Elle est devenue l'interlocuteur privilégié de la FAO, qui créait en 1968 une « Unité d'écologie des plantes cultivées et de ressources génétiques », puis de l'IBPGR à sa naissance en 1974.

La coopération européenne a pris une autre dimension avec le démarrage du PCE/RG.

Le Programme coopératif européen pour la conservation et l'échange des ressources génétiques (PCE/RG)

Ce programme a débuté en 1980 à l'initiative du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et de la FAO. A l'origine, son objectif était de favoriser les relations scientifiques entre l'Europe de l'Ouest et de l'Est. Son secrétariat a été confié à l'IBPGR. Tous les pays d'Europe (y compris Chypre, la Turquie et Israël) participent au programme, sauf l'Islande, l'Albanie et la Roumanie. L'URSS y est entrée en 1990. Un Comité technique consultatif composé des coordinateurs nationaux le supervise.

Le programme s'articule autour de groupes de travail spécialisés par plante (ou plutôt par complexe d'espèces). Les plantes retenues sont celles dont une fraction significative des ressources génétiques est présente en Europe. Les plantes plus spécifiquement méditerranéennes en sont écartées pour l'instant, le cadre européen n'étant pas adapté.

Ces groupes se composent d'un spécialiste par pays, nommé en principe par les coordinateurs nationaux. Ils se réunissent au moins une fois tous les trois ans, et établissent des priorités d'action, qui portent entre autres sur la constitution de bases de données européennes sur les collections, la réalisation de missions de prospection, la diffusion de synthèses taxinomiques, bibliographiques ou cartographiques, la mise sur pied d'un réseau de multiplication, de description et d'évaluation. L'objectif global est de rationaliser le réseau des collections, en limitant les doubles emplois et en comblant les lacunes.

Les groupes de travail sont arrivés à des résultats inégaux, mais qui montrent clairement le rôle central joué par les responsables des bases de données spécialisées (tableau vi). Ces bases de données sont accessibles sous forme de catalogues papier, et de plus en plus sous forme de disquettes informatiques. Leur existence met en lumière le manque de données et leur hétérogénéité, ce qui stimule les responsables de collections. Elle permet d'orienter la collecte de descriptions plus complètes. Leur analyse permet d'identifier les formes botaniques et les zones géographiques peu représentées, ainsi que les redondances. En un mot, elles deviennent le nœud du réseau.

L'intérêt politique de ce programme est indéniable. Alors qu'un débat international se développe sur le thème de l'appropriation des ressources génétiques, l'Europe se doit de montrer l'exemple, en s'organisant pour que ses ressources soient disponibles, non seulement dans les principes, mais aussi dans la réalité, ce qui suppose que les échantillons soient viables, en quantité suffisante, correctement décrits (avec au minimum les données de passeport), et que de bons catalogues soient diffusés aux utilisateurs potentiels.

Les arbres fruitiers

Le renouveau de l'intérêt du public pour les variétés locales date des années 1980. Il s'est manifesté par l'émergence de deux mouvements parallèles, au sein des parcs naturels régionaux et dans des sociétés d'amateurs.

C'est ainsi qu'en 1977, le parc Normandie-Maine demandait à Philippe Marchenay, du laboratoire d'ethnobotanique du Muséum national d'histoire naturelle, de réaliser un inventaire des variétés locales de pommier à cidre et de poiriers à poiré. L'idée était de chercher à préserver le patrimoine génétique et ethnographique de la cidriculture traditionnelle, dont l'extinction semblait inéluctable. Dans les années suivantes, d'autres parcs régionaux et nationaux développaient des actions similaires, et un programme inter-parcs voyait le jour sous l'impulsion de la FPNF, avec le soutien du ministère de l'Environnement.

Par ailleurs, des amateurs issus principalement de Belfort et du Val de Loire créaient l'Association des Croqueurs de Pommes. Ces férus de pomologie entreprenaient de collectionner les vieilles variétés, et organisaient des expositions où le public pouvait obtenir l'identification des pommes de son jardin ou obtenir des greffons.

Ce contexte explique que les variétés locales d'espèces fruitières aient été choisies comme thème du premier colloque organisé en 1984, à Nancy, par l'AFCEV et le BRG nouvellement créés. Ce colloque a eu l'originalité de rassembler des personnes qui s'ignoraient souvent, des amateurs aux généticiens de l'INRA, des responsables économiques à ceux des parcs naturels. Le premier constat a été que l'on ne partait pas de rien, comme le croyaient certains amateurs, mais plutôt que l'on fermait une parenthèse de vingt ans de désintérêt. En effet, des prospections importantes de variétés locales ont été menées par les pomologues de l'INRA depuis les années 1930, et les collections rassemblées ont survécu pour l'essentiel.

La pomologie a une longue histoire. Elle a connu son apogée au xixe siècle, avec des œuvres comme le Dictionnaire de pomologie de Leroy (1873) et la Pomologie de Mas (1884). Au début du siècle, les sociétés de pomologie rassemblent encore les amateurs et les professionnels, dont les intérêts et les connaissances sont proches. En 1947-48, la Société pomologique de France publie la dernière édition de son catalogue, qui offre l'intérêt d'inclure les variétés du sud de la France. Mais les deux guerres mondiales et les mutations sociales de notre siècle ont profondément altéré la situation. La production des fruits s'est structurée et concentrée pour faire face à des marchés qui, de locaux, deviennent nationaux, puis internationaux. La recherche fruitière s'est organisée pour répondre à ces nouveaux besoins. Les professionnels se sont détournés des variétés locales. La rénovation du verger s'est faite à partir de matériel étranger, comme le montre l'exemple du pêcher, dont de nombreux cultivars californiens ont été introduits à partir de 1950. Dans le même temps, l'urbanisation a distendu nos liens avec la nature et les jardins, et le monde des amateurs s'est étiolé. La Société pomologique de France a ainsi disparu. Seules ont subsisté des sociétés régionales, en Berry et en Alsace entre autres. Pour illustrer l'ampleur de ce désintérêt, on peut citer le sort réservé à l'ouvrage de Caillavet sur les variétés de prunier. Bien connu pour sa monographie des pêchers, Caillavet, ingénieur de recherche à la station INRA du Pont-de-la-Maye, avait pendant vingt ans décrit minutieusement les variétés de pruniers cultivées en France. Son ouvrage une fois rédigé et prêt à être envoyé à l'imprimeur a fini dans un tiroir où il est resté... trente ans. C'est en 1991 que l'INRA et le BRG l'ont retrouvé et publié.

A la suite du colloque de Nancy, un groupe de travail « arbres fruitiers » a été constitué au sein de l'AFCEV. Face à la profusion des initiatives, il s'est donné comme tâche de définir un cahier des charges pour les vergers-conservatoires, et de développer des fiches de description pomologique communes à ces conservatoires. Une réflexion de fond a été engagée sur le rôle et l'apport potentiel des structures associatives et des parcs. Deux enquêtes de terrain couvrant l'ensemble du territoire national ont été réalisées en 1987 et en 1990-91. Elles ont permis d'identifier et d'expertiser l'essentiel des vergers-conservatoires, et ont mis en évidence la précarité dans laquelle se trouvent la plupart d'entre eux. L'AFCEV a décidé de donner son agrément aux vergers répondant aux exigences de son cahier des charges et présentant des garanties suffisantes de compétence et de pérennité (encadré).

La constitution d'un verger-conservatoire est une tâche qui ne s'improvise pas. Pour être efficace, elle doit suivre certains protocoles. Dans un premier temps, le résultat des prospections est placé dans un verger d'introduction. Il faut ensuite décrire les arbres pour les identifier et les caractériser, ce qui se fait dans un verger d'observation, où tous les arbres doivent avoir le même âge et être présents en plusieurs exemplaires, à des endroits différents. Il faut aussi penser à planter des variétés témoins, autrement dit des variétés de grande diffusion comme la Golden. Ce détail a son importance, car ce n'est pas le réflexe des conservateurs, qui cherchent précisément à lutter contre la prédominance de cette variété. Et pourtant, les descriptions pomologiques n'ont d'intérêt que par rapport à des témoins. Enfin, une fois l'évaluation terminée, on passera à un verger de conservation, et à la diffusion éventuelle des variétés jugées intéressantes.

Grâce au groupe de travail de l'AFCEV, un accord a pu être trouvé sur des fiches de description pomologique utilisables par les amateurs, mais suivant les normes de l'IBPGR, et des manuels de description sont diffusés par les membres du réseau. Un logiciel a été élaboré afin de permettre aux conservatoires de constituer des bases de données. A terme, si la conservation du matériel est mieux assurée dans un réseau décentralisé, les données devraient être rassemblées dans une base de données nationale, voire européenne.

Le dialogue initié à Nancy a également débouché sur la création par le CTPS d'une liste de variétés d'amateurs dans le catalogue officiel. En effet, les variétés anciennes, du domaine public ou simplement délaissées par le marché, étaient en principe interdites à la commercialisation. L'inscription classique, procédure lourde et onéreuse, est adaptée au marché professionnel, qui exige un haut niveau de garantie du matériel végétal. Par contre, l'inscription sur la liste amateur est gratuite et simplement subordonnée à la désignation d'un pied-mère et à la remise d'une fiche de description. L'AFCEV a coordonné les demandes d'inscription de variétés choisies pour leurs caractères de rusticité, de goût et de témoins des patrimoines locaux.

Les amateurs sont loin d'être les seuls à constituer des collections. L'INRA en particulier entretient de nombreuses collections qui sont à la base des programmes de sélection (tableau vii). Ces collections sont cependant fragiles sur le long terme, car la vocation première de l'INRA n'est pas de conserver des collections. Quand un programme s'arrête, quand un chercheur meurt ou part à la retraite, quand les stations veulent construire de nouveaux bâtiments, les vergers peuvent disparaître. On en citera deux exemples.

A Portet-sur-Garonne, dans les environs de Toulouse, le professeur Rivals avait réuni dans sa propriété une collection de figuiers, fruit d’un patient travail de prospection réalisé dans le sud de la France et d’échanges de matériel végétal avec des amateurs et divers instituts méditerranéens. Sa collection avait servi de support à plusieurs mémoires de fin d'études réalisés par des étudiants des universités de Toulouse. A sa mort, ses enfants voulaient se défaire de ces collections qui immobilisaient d'importantes surfaces de terrain cultivable. Alerté par un professeur de l'université de Toulouse, le Conservatoire botanique national de Porquerolles et une équipe du CNRS de Montpellier ont pu entrer en contact avec la famille et récupérer une part essentielle du matériel végétal au début des années 1980. Malheureusement, les données de passeport et les résultats des observations réalisées par Rivals n'ont pu être récupérées, ce qui ôte à la collection une partie de son intérêt. De ce fait, elle est actuellement redécrite et réévaluée.

Les variétés locales de pêchers sont bien connues par l'ouvrage de Caillavet et Souty (1950). Mais une enquête réalisée en 1980 par le Conservatoire de Porquerolles a donné des résultats décevants. Une bonne partie des variétés avaient disparu des collections des centres de recherche et des pépiniéristes. Avec l'aide d'un ingénieur stagiaire de l'INRA de Montfavet, un inventaire a été réalisé de 1984 à 1986 dans la vallée du Rhône, en privilégiant les exploitations isolées et les agriculteurs âgés. Une centaine de cultivars ont pu être collectés, dont 22 de pêches sanguines. Ils se trouvent maintenant à Porquerolles, et sont dupliqués à Manosque, Charance et chez les Croqueurs de pommes du Jarez.

Dans le cas des poiriers, la menace est venue de la propagation d'une maladie, le feu bactérien. La collection de l'INRA à Angers était menacée à terme. Après consultation des experts, il a été estimé que le feu bactérien n'arriverait pas en moyenne montagne, ou n'y serait pas virulent, compte tenu de son écologie. La collection a pu être dupliquée au Conservatoire botanique alpin de Charance, avec l'aide du Conservatoire de Porquerolles et du BRG.

Dans les pays voisins, la Belgique a joué un rôle de pionnier dans l'évaluation des variétés fruitières anciennes pour la résistance aux maladies. Populer a commencé en 1975 à rassembler à la station de phytopathologie de Gembloux plus de 1 800 variétés de pommiers, poiriers et pruniers, provenant de Belgique et des régions limitrophes. A la suite d'un patient travail d'observations dans des vergers non traités (il faut dix ans pour évaluer une variété à partir de son introduction), Populer a pu recommander une quinzaine de variétés résistantes aux maladies, tout en donnant une production acceptable et des fruits de bon goût (encadré). Le programme a peu à peu évolué vers la constitution d'un conservatoire, où les variétés après évaluation sont plantées sous forme de cordons taillés très court pour réduire l'encombrement. Les variétés recommandées font l'objet de contrats avec des pépiniéristes qui en assurent la diffusion (Populer et al., 1985). Il faut dire que cette action méritante, si elle a suscité l'engouement du public, s'est déroulée dans une certaine incompréhension des autorités, aggravée par la crise budgétaire de l'État belge.

Au niveau européen, les efforts de coordination ont tourné court pour les pommiers et les poiriers. Mais un réseau important a été développé dans le cadre du PCE/RG pour les Prunus. Ce genre botanique regroupe de nombreux fruits à noyau : pêcher, amandier, cerisier, prunier, abricotier. Une base de données européenne a été constituée à Lund, et sera prochainement transférée à la station INRA du Pont-de-la-Maye (Bordeaux).

Les légumes

Les légumes forment un groupe hétérogène. Certains, comme le chou-fleur ou la laitue, sont cultivés en grand et exportés, alors que d'autres n'apparaissent que sur des marchés locaux. La tomate est une plante industrielle d'importance mondiale, mais d'autres légumes, comme le pissenlit, restent essentiellement des produits de cueillette.

Pendant de nombreux siècles, les légumes ont été cultivés dans les potagers attenant à chaque maison, ou dans des marais qui facilitaient l'irrigation des cultures. Des ceintures vertes se constituaient autour des villes. Mais les légumes restaient des produits de proximité, trop périssables pour voyager loin. C'est l'arrivée du chemin de fer (entre 1850 et 1870 en France) qui a bouleversé la situation. Il devenait possible d'expédier des légumes et des fruits de Nantes, Cavaillon ou Châteaurenard vers Paris. Il allait ainsi se constituer des régions d'expédition, avec l'aide technique des sociétés de chemin de fer. Avec l'introduction de l'électricité, les techniques de réfrigération permettaient des voyages plus longs, et les tomates du Maroc pouvaient arriver jusqu'à nous. Chaque avancée technique a ainsi profondément modifié les conditions de la production. Maintenant, les haricots du Kenya arrivent par avion à Paris, et les laitues iceberg viennent de Californie.

Notre gamme variétale a dû s'adapter à cette évolution. Auparavant, les maraîchers de chaque région avaient sélectionné de façon empirique des variétés différentes, correspondant souvent à des usages locaux très affirmés. On en retrouve l'image dans un pays comme l'Italie, qui a gardé des traditions régionales fortes, et une large gamme de variétés. Chez nous, le radis semble résister à la normalisation variétale, certaines villes préférant encore des radis demi-longs et d'autres des radis ronds.

L'amélioration génétique des légumes n'a vraiment démarré qu'après la Seconde Guerre mondiale, avec les premiers hybrides F1 de tomate et de chou dans les années 1950.

Le nombre d'espèces actuellement conservé à l'INRA est relativement réduit, à l'image de l'importance des programmes de sélection. Les variétés-populations de chou et de chou-fleur ont été collectées à l'INRA de Rennes dans le cadre d'un programme européen. Une banque de gènes pour la tomate a été créée à Montfavet par une association (l'ASRGLF) entre l'INRA et les établissements Clause, Tézier et Vilmorin (Philouse, 1992). L'oignon a fait l'objet à l'ENSH de Versailles d'une collecte de variétés anciennes, dans le cadre du groupe Allium du PCE/RG. La pomme de terre est conservée in vitro à Ploudaniel en Bretagne. Enfin, l'INRA entretient aussi des collections importantes de chicorées, de poivrons et d'aubergines.

Le jardin potager se prête bien à la passion du collectionneur. Certaines espèces ou variétés de légumes semblent d'ailleurs se perpétuer uniquement comme curiosités. Il existe donc un certain nombre de collectionneurs de légumes rares ou anciens. Seuls quelques groupes d'espèces spectaculaires comme les courges, les tomates ou les Allium ont suscité l'apparition de collections spécialisées. Pour des raisons techniques évidentes, ces collections de légumes sont bien plus fragiles que celles d'arbres fruitiers. Il n'existe pas pour l'instant de réseaux d'échanges structurés au niveau national comme les Seed Savers. Il faut dire également que de telles collections ne peuvent jouer qu'un rôle de complémentarité et de pédagogie. Si l'on prend l'exemple de la tomate, les collectionneurs seront bien plus attirés par la diversité des formes et des couleurs, et privilégieront la culture de tomates roses, ou jaunes en forme de poire..., ou celles qui ont un goût particulier. Or, la plupart des caractères génétiques intéressants n'ont pas d'effet visible.

Les céréales

A la suite d'un rapport d'André Cauderon (1985), un programme d'inventaire des ressources génétiques de céréales à paille a été mis sur pied début 1988, dans le cadre d'une convention signée entre l'Office national interprofessionnel des céréales (ONIC), le Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), l'Institut technique des céréales et des fourrages (ITCF), le Syndicat des producteurs de semences sélectionnées (SPSS), le ministère de l'Agriculture, l'INRA et le BRG.

Ce programme s'est appuyé sur la station d'amélioration des plantes de l'INRA à Clermont-Ferrand, qui avait précédemment réalisé un inventaire informatisé des collections de blé tendre dispersées dans les différentes stations de l'INRA à Rennes, Versailles, Dijon et Clermont-Ferrand. La première phase consistait à élargir cet inventaire à l'ensemble des collections françaises, en particulier celles des sélectionneurs privés, et à l'ensemble des espèces de céréales à paille. On a pu ainsi identifier les doublons résultant des échanges passés, ainsi que les introductions qui sont présentes dans une seule collection, et doivent faire l'objet d'une duplication de sécurité. Dans une deuxième phase a été mis en place un réseau de régénération et de description des introductions, nécessaire à leur valorisation. Après des années de précarité, l'engagement du ministère de l'Agriculture et du GEVES permet maintenant de jeter les bases d'un Centre de ressources génétiques des céréales.

L'originalité de ce programme par rapport à beaucoup de banques de gènes européennes a été d'associer dès le début les sélectionneurs privés.

Le secteur des céréales intéresse essentiellement les spécialistes. Le grand public est peu concerné. On citera néanmoins des productions relictuelles comme l'épeautre, qui était naguère cultivé en Belgique, et subsiste en Haute-Provence dans un créneau de spécialité gastronomique, la soupe d'épeautre. Deux cas curieux montrent l'intérêt de la conservation des variétés, indépendamment de leur utilité apparente. En Suisse, une productrice de chapeaux de paille tressée s'est adressée à la station agricole de Changins pour obtenir une variété de blé à longue paille résistant au tressage. Une vieille variété de pays, la 'Rouge de Gruyères' s'est avérée adaptée à cet usage, et ce n'est qu'après une recherche bibliographique que l'on a redécouvert que les paysans la cultivaient en fait uniquement pour en faire des bouquets de faîtage au moment des fêtes de moisson (Kleijer, comm. pers.). Dans le Massif Central, c'est une variété de seigle à haute paille, récoltée à la faucille et battue au fléau pour ne pas abîmer la paille, qui fait l'objet de cultures spéciales pour la fabrication des paillons dont les pépiniéristes enveloppent les jeunes arbres.

Une centaine de variétés françaises d'orge ont pu être préservées parce qu'au début du siècle, les brasseurs avaient créé une société, la SECOBRA, chargée d'améliorer les variétés d'orge de brasserie, dont les grains germés donnent le malt nécessaire à la production de la bière. Cette société a fait une prospection des variétés locales de l'époque, mais une fois le programme terminé, les collections ont été conservées grâce à la persévérance de quelques personnes, alors qu'elles sombraient dans l'indifférence. Il aura fallu une aide de l'IBPGR pour que cette collection soit inventoriée, régénérée et évaluée pour quelques caractères de résistance à des maladies et aux pucerons.

Le maïs fait l'objet d'un programme « Variabilité génétique » qui porte plus sur l'étude que sur la conservation d'un matériel de populations sources et de formes sauvages de téosinte. L'objectif est d'élargir la base génétique des variétés cultivées.

Les oléo-protéagineux

Ce groupe de plantes illustre bien les bouleversements que peuvent provoquer l'évolution des relations politiques et économiques entre pays et la nécessité d'être prêts à y faire face.

Tant que la France pouvait compter sur ses productions coloniales, notre approvisionnement en huiles s'appuyait sur le cocotier (coprah) et le palmier à huile (palme et palmiste). Avec la décolonisation est apparu le souci d'une diversification, et le colza et le tournesol sont devenus des cultures importantes, que chacun a pu remarquer dans le paysage à la couleur jaune de leurs champs en fleurs.

Le tournesol a été domestiqué par les Indiens d'Amérique du Nord, et il est longtemps resté une plante des jardins, dont on récoltait les énormes capitules pour en manger les graines. C'est en Russie, dans le bassin de la Volga, que sont apparues des variétés à courte tige qui allaient se répandre pour la production d'huile. On doit à un chercheur de l'INRA, Leclerc, la découverte du caractère de stérilité mâle qui est maintenant employé dans le monde entier pour la production des hybrides F1. Cela illustre l'interdépendance entre pays qui caractérise l'histoire de nos plantes cultivées. Les recherches se poursuivent maintenant pour trouver dans les espèces sauvages de tournesol (le genre Helianthus, dont les 50 espèces sont spontanées en Amérique du Nord) d'autres stérilités mâles qui permettraient d'élargir la base génétique des cultivars modernes.

L'histoire récente du colza est très mouvementée. L'acide érucique que contenaient les cultivars classiques a été accusé d'être cancérigène et d'accentuer le risque de maladies cardio-vasculaires. Quoi qu'il en soit de la polémique, les sélectionneurs ont dû en quelques années produire des cultivars « zéro-éruciques ». Mais il restait un handicap technique. Le tourteau de colza contenait des quantités trop élevées de glucosinolates pour être utilisé dans l'alimentation du bétail. Ces glucosinolates, qui procurent la saveur piquante de la moutarde ou du radis, sont indigestes et toxiques à forte dose. Des cultivars « double zéro » ont pu être mis au point en très peu de temps. Il a fallu pour cela mobiliser très rapidement les ressources génétiques du colza, l'enjeu étant alors la survie ou la disparition d'une culture.

Le soja, quant à lui, a soulevé un problème qui relève de l'indépendance nationale. Pour l'alimentation du bétail, et surtout l'élevage porcin, Français et Européens s'étaient habitués à se fournir en protéines en important des tourteaux de soja des États-Unis. Cela a fonctionné jusqu'en 1973, où ce pays a connu une récolte tellement basse que pour protéger ses propres élevages, il a décidé d'interdire les exportations de soja. Le Brésil, autre pays producteur, ne pouvant faire face, l'élevage européen s'est trouvé devant une crise grave. Le Président de la République d'alors, Georges Pompidou, s'en est alarmé, et a lancé des programmes de recherches sur des plantes de substitution, qui avaient jusque-là été considérées comme mineures. Ces programmes ont abouti, et nous voyons maintenant dans les champs des féveroles (qui sont des fèves à petites graines) et des pois protéagineux. Parallèlement, le soja, qui était quasiment inconnu en France, est maintenant cultivé dans le Sud-Ouest et une large partie de la France. Il faut signaler que dans le cas de cette plante, il a fallu non seulement sélectionner des cultivars, mais aussi trouver les souches les plus performantes du Rhizobium à inoculer, car le soja ne pousse que si ses racines rencontrent cette bactérie pour former des nodosités et fixer l'azote.

Les plantes fourragères

Les plantes fourragères sont principalement des légumineuses et des graminées. On y trouve aussi bien des plantes cultivées en culture spécialisée (luzerne, trèfle rouge, sainfoin dans les Alpes) que des plantes à demi sauvages qui forment les composants principaux des prairies permanentes. Certaines d'entre elles servent également de plantes à gazon, et l'on cherche pour cet usage des génotypes à croissance lente pour limiter les tontes, alors qu'on cherche le contraire chez les formes fourragères.

Ces plantes sont le plus souvent répandues sur de vastes territoires, et leurs populations peuvent se regrouper en écotypes. Leur préservation pose des problèmes spécifiques, car les écotypes intéressants ne sont maintenus que par la pression de sélection exercée par les animaux qui les pâturent, ce qui suppose la permanence d'un élevage plus ou moins extensif. Or, les agronomes conseillent souvent une intensification, par fumure, sursemis avec des cultivars améliorés ou retournement des prairies. Une transformation plus radicale encore est apportée par la transformation en champ de maïs, dont les prix sont suffisamment intéressants pour supporter le risque d'avoir à récolter le champ inondé !

Les prairies permanentes n'hébergent pas seulement des plantes fourragères, mais aussi des orchidées, des fritillaires et autres plantes de milieux humides en voie de raréfaction.

Les cultures spéciales

La vigne a toujours fait l'objet de beaucoup d'attention en France, et une réglementation très sévère a imposé la gestion de collections importantes pour des raisons d'identification précise des cépages.

Quant aux plantes textiles, elles ont beaucoup souffert de la concurrence des fibres synthétiques. Il subsiste néanmoins une petite production de lin, et une collection à l'INRA. Pour d'autres plantes comme le houblon, après l'arrêt des programmes de sélection, la collection de Colmar a pu être transférée à l'écomusée d'Alsace, à Ungersheim.

Bien d'autres plantes sont délaissées, comme l'osier, les mûriers (Morus) conservés à Porquerolles, la cardère cultivée (Dipsacus fullonum) que la revue La Hulotte a diffusée à des amateurs pour la sauver...

La culture des plantes tinctoriales a pratiquement disparu avec la production de colorants industriels, moins chers et souvent plus stables que les colorants naturels. La garance, la gaude, le safran, qui ont eu une importance considérable dans certaines régions les siècles passés, sont maintenant devenues des curiosités, conservées dans des jardins botaniques et des musées d'agriculture, comme témoins du passé. Il est en effet improbable qu'elles reviennent un jour en estime. Mais il subsiste quelques cultures artisanales destinées à la restauration des tapisseries anciennes et à la production de tissus artisanaux.

Les plantes agricoles tropicales

Les plantes cultivées tropicales forment un monde immense et méconnu, qui a été profondément influencé par la colonisation européenne. Certaines d'entre elles sont devenues des produits de base dans les pays développés, et les puissances coloniales les ont introduites dans les régions qu'elles contrôlaient. A leur indépendance, les nouveaux États du Sud se sont appuyés sur elles pour asseoir leurs économies, avec beaucoup d'aléas. Ces plantes essentiellement destinées à l'exportation et souvent cultivées en grandes plantations avec des techniques modernes sont appelées cultures de rente en français, cash crops en anglais. Elles ont été encouragées par les services de développement, au détriment de toutes les autres cultures vivrières, qui ne font l'objet que d'un commerce local, ou restent consommées dans les familles paysannes.

Le faible niveau d'amélioration des plantes tropicales impose de réaliser d'abord des prospections de l'ensemble des cultivars traditionnels. Par ailleurs, les cas sont fréquents où la forme cultivée et ses cousins sauvages sont en sympatrie et échangent des gènes. Cette situation explique que les plantes tropicales ont été les principaux modèles à partir desquels ont été élaborées les conceptions modernes sur les ressources génétiques, personnalisées par Harlan et Pernès.

Les cultures de rente

Nombre de cultures de rente présentent une situation curieuse au premier abord. Elles font l'objet d'une production de masse dans un autre continent que leur continent d'origine (carte 8). On peut y trouver deux types d'explication. La première est d'ordre biologique. Une plante introduite ne retrouve pas dans son milieu d'accueil ses maladies et ravageurs naturels. Elle dispose donc d'un répit de quelques siècles pour exprimer toutes ses potentialités, jusqu'à ce que des introductions accidentelles ou l'adaptation d'un nouvel organisme ne la mette à mal. Une seconde série de raisons est d'ordre socio-culturel. La plante introduite est extérieure aux systèmes de représentation du monde qui la régulent dans ses ethnies d'origine, où elle peut faire l'objet de tabous, d'une insertion dans des rites de production et d'usage, ou se voir affecter une place précise dans des agrosystèmes complexes.

Cette histoire a une conséquence qui est restée longtemps ignorée ou négligée. La base génétique des cultures est extrêmement étroite. On citera l'histoire très connue du caféier, dont quelques plants originaires de Java ont transité par le Jardin botanique d'Amsterdam (1710) et le Jardin des Plantes de Paris avant d'arriver en Martinique vers 1725, puis de se répandre dans toute l'Amérique tropicale. Les hévéas cultivés en Malaisie proviennent de quelques arbres introduits du Brésil par Wickham en 1876.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, les Fondations américaines Ford et Rockefeller ont soutenu la création de centres internationaux de recherche spécialisés dans les principales espèces. Ce réseau de Centres internationaux de recherche agronomique ou CIRA a été ensuite structuré sous l'égide d'un club de pays donateurs regroupés au sein du Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI) placé auprès de la Banque mondiale (tableau ix). C'est à ce réseau que l'on doit la révolution verte due aux blés à paille courte et haut rendement créés par Borlaug au CIMMYT, et qui lui ont valu le prix Nobel de la Paix (Plucknett et al.,1990). L'IRRI peut aussi s'enorgueillir d'avoir diffusé de nombreux cultivars de riz à haut rendement en Asie du Sud.

Les CIRA ont été très critiqués pour leurs liens politiques avec les États-Unis, et pour leur mode de fonctionnement jugé trop distant des instituts nationaux des pays en voie de développement. La France est restée longtemps à l'écart, préférant soutenir des programmes de recherche bilatéraux dans le monde francophone, en s'appuyant sur l'ORSTOM et le CIRAD. Mais les CIRA ont des atouts qui résident dans leur efficacité, et la prédominance des scientifiques dans les décisions. Ils ont fait l'objet, ces dernières années, d'une revue de détail de leurs actions, qui les a amenés à mieux prendre en compte une gamme plus large de plantes, la formation de scientifiques locaux et l'animation de réseaux régionaux. Rares sont en effet les pays du Sud capables de maintenir des structures de recherche sur le long terme, et d'offrir à leurs chercheurs les conditions nécessaires à leur travail.

La politique originale des instituts français est surtout associée à leur implication dans les cultures de rente non prises en compte par les CIRA (tableau x).

Ainsi pour les riz, à partir de 1974, l’ORSTOM et l’IRAT ont réalisé avec leurs partenaires 14 prospections dans 11 pays d’Afrique, à Madagascar, mais aussi en Inde et en Australie. Les riz africains étaient alors négligés, et peu représentés dans les collections de l’IRRI. Pourtant, en plus de variétés locales d’Oryza sativa, on trouve en Afrique une autre espèce domestique, O. glaberrima, ainsi que ses cousins sauvages.

La collecte des mils (Pennisetum) et des sorghos dans les régions soudano-sahéliennes a été effectuée par l’ORSTOM pour le compte de l’IBPGR en Afrique occidentale et centrale. D'autres millets endémiques (Digitaria) ont été également étudiés, et ces dernières années ont été centrées sur les mils sauvages de la zone sahélienne. Certains des mils collectés ont disparu en culture, du fait de l'avancée du désert. On assiste aussi à un recul du mil devant le sorgho, et du sorgho devant le maïs. De plus, les populations urbanisées tendent à leur préférer les produits à base de blé, très valorisé socialement, mais le plus souvent importé. Cette situation préoccupante illustre les enjeux sociaux et politiques des ressources génétiques.

Les organismes français ont joué un rôle essentiel dans l'étude des ressources génétiques des caféiers. Des collectes réalisées par le MNHN, l’IRCC et l’ORSTOM ont permis de rassembler dans les années 1960 plus de 2 000 caféiers appartenant à 50 taxons dans une collection à Madagascar. Des essais d’acclimatation d’une cinquantaine d’origines différentes de Coffea arabica éthiopiens ont été réalisés à Madagascar, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, où leur conservation est assurée en altitude. Enfin, depuis 1975, une quinzaine de taxons de caféiers spontanés d’Afrique tropicale, de la Guinée à la Tanzanie, ont été rassemblés dans une collection de base en Côte d’Ivoire. Le centre de ressources génétiques caféières de ce pays compte 8 500 génotypes originaux et une vingtaine d’espèces en collection de conservation à long terme (Marrou et Charrier, 1992).

Il faut enfin souligner le rôle particulier joué par les DOM-TOM en régions tropicales, car ils permettent le maintien de collections au champ dans de bonnes conditions, comme les bananiers, la canne à sucre et le caféier arabica en Guadeloupe, les ananas en Martinique, l’hévéa et le cacaoyer en Guyane.

Les plantes vivrières

Les plantes vivrières sont très mal connues, au point que l'on ignore parfois le nombre d'espèces biologiques dans lesquelles on doit classer les variétés connues. C'est le cas du complexe des ignames (Dioscorea), ou des aubergines africaines (Solanum aethiopicum), dont on connaît des formes dont on mange les fruits et d'autres les feuilles. Ce n'est que récemment que les chercheurs de l'ORSTOM ont découvert qu'une variété africaine de gombo avait un nombre de chromosomes différent des autres, et constituait une espèce amphiploïde à part.

Le gombo (Abelmoschus esculentus) est un bon exemple de ce que l'on peut faire. De ce légume-fruit très apprécié en Afrique de l’Ouest, en Inde, dans les Antilles et la Méditerranée, il n'existait qu'une collection aux États-Unis. Grâce à un programme de collecte dans les années 1980 en Afrique et en Asie du Sud-Est, l'IBPGR et l'ORSTOM ont pu rassembler 2 500 cultivars et espèces du genre Abelmoschus, qui sont maintenant conservées en Inde, au Nigéria et à Fort Collins (États-Unis).

Le paripou (Bactris gasipaes) est un palmier tropical connu en Guyane française et répandu dans l'Amazonie brésilienne sous le nom de pupunha, en Colombie, au Vénézuéla et jusqu'au Costa-Rica où il est appelé pejibaye. Ce pays est le seul pour l'instant à le valoriser comme fruit appertisé pour l'exportation. Il est présent dans de nombreux jardins de case, et montre une variabilité extraordinaire, mais méconnue. Son fruit peut être mangé frais, mais certaines formes sont une source importante de féculents, d'autres sont très riches en huile (Clement, 1987). Il a des potentialités variées qui pourraient s'exprimer dans l'agriculture paysanne. La valorisation de ses ressources génétiques suppose une coordination régionale des efforts, qui est en cours.

On pourrait multiplier les exemples de ces plantes pour lesquelles des recherches de base permettraient d'aboutir rapidement à des progrès génétiques considérables, et utilisables directement par l'agriculture traditionnelle.

Les réseaux internationaux

En plus des espèces prises en compte dans les CIRA, l'IPGRI s'efforce maintenant de mettre sur pied des réseaux régionaux et internationaux pour les plantes tropicales. Il en existe pour l'arachide, la patate douce (Ipomoea batatas), le maïs, le gombo, l'orge, les luzernes, la betterave et les bananes et plantains (Musa). La France joue un rôle original dans le réseau banane, car Montpellier est avec l'INIBAP un centre international de transit pour les échanges de matériel génétique, qui posent des problèmes phytosanitaires. Cette tâche ne pouvait se réaliser que dans un pays qui ne produit pas de bananes, pour éviter la diffusion des maladies. L'INIBAP a récemment été intégré au réseau des CIRA.

La station INRA/IRFA de San Giuliano (Corse) partage avec Saragosse la responsabilité des ressources génétiques méditerranéennes pour les agrumes (Citrus). Cela s'explique par l'histoire, car la recherche agrumicole était très développée en France quand l'Afrique du Nord était sous administration française.

Les plantes médicinales et aromatiques

Les plantes médicinales forment un groupe nombreux et hétéroclite. On y adjoint d'ordinaire les plantes aromatiques et les plantes à parfum. Leur nombre, joint aux effets de mode fait que leur marché est très changeant, ce qui a empêché la création d'entreprises semencières comme pour les autres productions agricoles. Une partie du marché fait l'objet d'intégration verticale, les industries pharmaceutiques ou alimentaires faisant cultiver sous contrat des formes de plantes ayant les spécifications recherchées.

Plus de la moitié des médicaments de par le monde proviennent des plantes. Cela est particulièrement vrai pour les pays du Sud. Dans les pays développés, on s'est efforcé depuis le début de ce siècle de développer des filières de médicaments de synthèse. Les produits naturels présentent en effet un certain nombre d'inconvénients. L'identité botanique des plantes du commerce en provenance de lointains pays tropicaux n'est pas toujours fiable, l'approvisionnement est irrégulier et surtout, le contenu en matière active peut varier considérablement suivant l'origine et les conditions de cueillette. Par ailleurs, les produits naturels présentent parfois des substances toxiques indésirables qu'il est difficile d'éliminer. La mise en culture permet de remédier à ces problèmes, mais elle n'est pas facile et requiert parfois la reconstitution d'habitats spéciaux. Domestiquer une plante sauvage représente un investissement que le marché ne justifie pas forcément.

Cependant, l'intérêt pour les substances naturelles s'est maintenu pour diverses raisons. Certaines d'entre elles servent de matière première pour la fabrication de substances dérivées, qui sont alors semi-synthétiques. Les plantes à saponines telles que les ignames sauvages du Mexique (Dioscorea) donnent les sapogénines qui sont à la base de la fabrication de la cortisone, des hormones sexuelles et des contraceptifs.

Dans d'autres cas, la plante a donné le modèle chimique que les chercheurs ont ensuite utilisé pour produire des médicaments de synthèse. C'est le cas des dérivés de la cocaïne (obtenue à partir d'Erythroxylum coca) comme la procaïne. La morphine et la codéine issues des pavots à opium (Papaver somniferum et P. bracteatum) sont à la base de plusieurs antalgiques. L'atropine et la scopolamine provenant des Atropa (belladonnes) et des Duboisia sont utilisées pour de nombreux anticholinergiques.

L'intérêt pour les plantes et les savoirs traditionnels a été relancé par quelques succès spectaculaires. La serpentine (Rauvolfia serpentina), qui vit dans les forêts tropicales de l'est de l'Inde, était utilisée dans des remèdes populaires de l'Inde ancienne pour traiter des désordres mentaux ou nerveux et divers stress physiques. Ce n'est que dans les années 1950 qu'un alcaloïde, la réserpine, en a été extrait et isolé. C'est maintenant une des principales matières actives utilisées contre l'hypertension, la dysenterie, la fièvre, ou comme tranquillisant, c'est-à-dire pratiquement les mêmes indications que dans le passé. La conséquence de son succès a été la quasi-extinction des populations sauvages d'Inde et de Java dès 1955, et son remplacement par l'espèce africaine Rauvolfia vomitoria.

La pervenche de Madagascar (Catharanthus roseus) est certainement le cas le plus connu. Dans les années 1950, des chercheurs canadiens avaient noté dans les Antilles l'usage d'une infusion de feuilles de cette pervenche pour traiter le diabète. Deux alcaloïdes en ont été extraits, la vincristine et la vinblastine. Ils se sont révélés efficaces contre un grand nombre de cancers. Ce que l'on sait moins, c'est que si Catharanthus roseus est une espèce horticole très répandue, d'autres espèces de Catharanthus sont des endémiques malgaches menacées d'extinction par la disparition des forêts.

Le taxol est une autre substance active contre le cancer. Elle est actuellement extraite des feuilles d'un if américain, Taxus brevifolia. Mais sa concentration est trop faible pour que les populations d'if suffisent aux besoins, et l'if pousse trop lentement. Les chercheurs s'activent donc pour mettre au point un procédé de fabrication biotechnologique.

L'histoire du quinquina est exemplaire. La découverte de l'efficacité de l'écorce de quinquina contre la malaria dès le xviie siècle a été une étape importante pour la santé humaine. Cette « écorce du Pérou » a été exportée en masses des forêts tropicales d'altitude des Andes. Vers 1850, la surexploitation des populations naturelles avait amené le déclin des approvisionnements, au moment même où les puissances européennes en avaient des besoins accrus pour leurs entreprises coloniales. Les Anglais et les Hollandais ont donc organisé des missions de prospection de matériel génétique pour implanter des cultures dans leurs colonies asiatiques. Ledger récolta en Bolivie des graines d'une espèce (Cinchona ledgeriana) qui s'est révélée très productive, avec 7% de quinine. L'amélioration de ce matériel a permis de passer à 17%, et les Hollandais établirent des plantations à Java avec ce matériel greffé sur C. succirubra. En 60 ans, ils avaient obtenu le quasi-monopole de la production mondiale, les Anglais ayant utilisé des espèces beaucoup moins productives.

La concentration de la production à Java et Sumatra allait avoir des conséquences graves lors de la Seconde Guerre mondiale, quand les Japonais occupèrent ces îles. Les Allemands étaient alors les seuls à avoir obtenu des antipaludéens de synthèse. Les États-Unis, qui devaient combattre dans des régions tropicales infestées de paludisme, se trouvaient dépendre des seuls quinquinas sauvages d'Amérique du Sud. Des plantations étaient alors créées à la hâte au Guatémala, au Costa-Rica et ailleurs. Elles ne devaient pas contribuer à l'effort de guerre, puisqu'il faut dix ans pour qu'un arbre entre en production. Une collection de ressources génétiques était aussi créée au Guatémala par l'USDA, mais l'arrivée des antipaludéens de synthèse en 1944 allait causer l'abandon de ces efforts.

L'apparition de souches de Plasmodium résistantes aux antipaludéens de synthèse a de nouveau affecté la santé des soldats américains pendant la guerre du Vietnam. Elle a aussi relancé l'intérêt du quinquina. Il est étonnant dans ces conditions que les plantations existantes continuent à reposer sur une base génétique étroite, et que la diversité génétique du genre Cinchona ne fasse pas l'objet de plus d'attention. A une époque où de nouvelles souches résistantes de Plasmodium apparaissent, c'est une preuve de notre grande légèreté.

La cueillette de populations sauvages peut mettre les espèces en danger. Au Mexique, les populations de Dioscorea composita ont été surexploitées depuis les années 1940, et la demande s'est alors portée sur d'autres espèces comme Dioscorea floribunda du Guatémala. Si l'on voulait un jour cultiver ces espèces, il est à craindre qu'une partie de leurs ressources génétiques ait déjà disparu (Oldfield, 1989).

En France, deux conservatoires sont actifs dans le domaine des plantes médicinales et aromatiques, à Milly-la-Forêt et à Savoillan. Parmi les groupes les plus étudiés, on peut citer les menthes, les lavandes, les origans, les thyms.

Les arbres forestiers

Depuis de nombreux siècles, l'homme a aménagé et exploité les forêts pour la production de bois. Les besoins ont beaucoup varié, et l'on sait que les beaux chênes que nous voyons aujourd'hui à Fontainebleau avaient été plantés sous Colbert pour fabriquer les mâts des bateaux à voile. Si certaines forêts donnaient des bois de construction, d'autres proches des villes et villages étaient exploitées en taillis pour fournir les énormes quantités de bois de chauffe nécessaires au chauffage domestique et à la boulange. De nos jours, l'accueil du public prend une importance croissante. On voit ainsi que les forêts ont dû répondre à des besoins divers, qui n'ont cessé d'évoluer. Malgré tout, les forêts demeurent des écosystèmes complexes, qui constituent une grande part des milieux hébergeant la flore et la faune sauvages. Elles jouent également un rôle majeur dans la préservation de la qualité de l'air et des eaux. Les incertitudes sur l'avenir que représentent le changement du climat et les pollutions amènent à élaborer une stratégie globale de maintien de leur diversité biologique à tous les niveaux (Arbez, 1992).

Les principales essences forestières

En fonction des besoins de l'économie, les forestiers ont favorisé un petit nombre d'espèces autochtones en les plantant et en éliminant les espèces concurrentes. Ils ont aussi procédé à l'introduction d'espèces exotiques qui produisaient un bois de meilleure qualité, avaient une croissance plus rapide ou étaient mieux adaptées à des milieux particuliers. Ce choix d'espèces fait l'objet d'une politique nationale très structurée. Le code forestier français autorise aujourd'hui 19 espèces de reboisement, auxquelles s'ajoutent 14 autres visées par l'arrêté de 1961 concernant la répression des fraudes. Ces espèces donnent lieu à subvention. Par ailleurs, l'ONF a élaboré des directives de reboisements, et des recommandations d'aménagement et de gestion consignées dans les Orientations régionales (ORLAM) et les Directives locales d'aménagement (DIRLAM), qui s'appliquent aux forêts domaniales et soumises. On parvient ainsi à maintenir des modes de gestion variés, qui témoignent d'une longue histoire sylvicole (futaie régulière ou irrégulière, taillis sous futaie, peuplements purs ou mélangés, régénérations naturelles ou plantations...).

Les menaces sur la diversité génétique des arbres forestiers sont de plusieurs ordres. Les plus spectaculaires sont les attaques de maladies et ravageurs. L'orme champêtre et l'orme de montagne sont décimés par la maladie hollandaise due à Ceratocystis. Ils disparaissent sous leur forme d'arbres, et ne se maintiennent que sous forme de rejets de souche lorsque les arbres morts sont exploités. L'orme lisse, beaucoup plus rare au départ et peu prisé des forestiers, subit le même sort. Le pin maritime des Maures et de l'Estérel a considérablement régressé depuis 1956 sous les assauts d'une cochenille (Matsucoccus) et le hêtre est attaqué en Normandie par une autre cochenille, (Cryptococcus).

D'autres espèces courent des risques liés à leur gestion par l'homme. Le peuplier Populus nigra est menacé dans son existence par certains aménagements fluviaux, et dans son intégrité génétique par la proximité d'hybrides euraméricains introduits en reboisement. Les épicéas des tourbières vosgiennes et du haut Jura, les écotypes originaux de pin sylvestre de Wangenbourg, Bitche ou Haguenau, ceux de mélèze des Alpes-Maritimes, le pin de Salzmann dans les Cévennes sont menacés d'introgression par le pollen provenant des reboisements avec des écotypes allochtones.

Si les autorités peuvent agir directement sur les forêts du domaine public, il n'en est pas de même des forêts privées. Les propriétaires ont rarement la capacité de se consacrer à la gestion de leurs forêts, et quand ils le font, la faible rentabilité des investissements et le fait que ce sont les fils qui récoltent ce qu'ont planté les pères les amènent à dépenser le minimum. Ils ont tendance à acheter les semences les moins chères, au risque d'aller contre leur propre intérêt. Après les grands incendies de 1949 dans les Landes de Gascogne, des reboisements massifs ont été effectués avec des graines venant du Portugal. Ces arbres ont été très touchés par les hivers rigoureux de 1985 et 1986, car les écotypes portugais ne sont pas adaptés au froid. La confusion peut porter sur les espèces. Du pin mugho (Pinus mugo) a pu être planté au lieu du pin à crochets (Pinus uncinata) dans les Pyrénées et en Auvergne, et du Fraxinus angustifolia de Lombardie en Picardie, à la place du frêne commun, Fraxinus excelsior.

La conservation in situ des populations autochtones et naturalisées est seule à même de garantir une adaptation continue aux conditions locales, qui évoluent sous l'effet des pollutions comme les « pluies acides », du réchauffement de l'atmosphère, et de l'apparition de nouvelles maladies. Cela dit, la conservation ex situ ne doit pas être négligée, car les changements globaux pourraient avoir des conséquences plus graves, mettant en péril la survie des espèces. Les espèces éparses ou en voie de disparition doivent aussi être conservées ex situ sur des sites proches des conditions écologiques d'origine. C'est le cas actuellement de l'orme champêtre, du merisier et du peuplier noir.

La diversité des espèces forestières autochtones et introduites est à préserver en elle-même. Une espèce très appréciée aujourd'hui pourra se trouver au siècle prochain détrônée par l'évolution des besoins industriels, les péripéties du commerce international, ou sa sensibilité particulière à de nouvelles adversités climatiques ou sanitaires.

Après avoir porté sur les résineux jusqu'en 1970, l'intérêt des forestiers français s'est déplacé vers les feuillus (chênes, merisier, aulnes, orme, frêne). Mais la gestion de la diversité inclut aussi la possibilité d'introduire du matériel exotique. Les prospections françaises sont très actives à l'étranger dans la zone tempérée (épicéa, pin sylvestre, mélèze et chênes en Europe, cèdres en Afrique du Nord et en Turquie, cyprès en Méditerranée orientale, douglas et chêne rouge aux États Unis). Des essais d'introduction d'arbres du sud du Caucase (pour les feuillus précieux) et de Chine sont en cours. Dans la région méditerranéenne, plusieurs arboretums d'élimination permettent de tester l'intérêt d'espèces d'Afrique du Sud, d'Australie ou du Chili pour le reboisement, la lutte contre le feu et l'amélioration de la couche d'humus.

Une espèce exotique naturalisée, lorsque son importance économique le justifie, peut bénéficier d'importantes mesures de prospection, d'évaluation, d'amélioration et de conservation ex situ sur le territoire français. C'est le cas du douglas, du chêne rouge d'Amérique, et du cèdre de l'Atlas, entre autres exemples. Pour les cyprès, une collection exhaustive des espèces du genre Cupressus a été rassemblée à la Villa Thuret (INRA-Antibes). Elle comprend de nombreuses espèces micro-endémiques mexicaines et californiennes. Le cas de Cupressus dupreziana est exemplaire. Il reste de cette espèce relique moins de cent arbres très vieux dans le Tassili, qui ne peuvent plus se régénérer depuis la désertification du Sahara. Trente-cinq clones ont été identifiés et sont maintenus à Antibes. Quelques-uns sont commercialisés par des pépiniéristes.

Les essences mineures et l'approche écologique

Les espèces autochtones considérées comme mineures par les forestiers sont largement méconnues. Les merisiers, alisiers, cormiers, poiriers sauvages, autrefois présents à l'état de pieds isolés dans les taillis sous futaie, sont menacés aujourd'hui par l'extension progressive d'une futaie monospécifique plus productive de hêtres ou de chênes. La conservation de ces espèces ne peut donc pas reposer sur des études approfondies de leur diversité génétique. Elle passe par la conservation des biotopes.

Mais les forêts ne sont pas de simples populations d'arbres. Elles constituent des écosystèmes complexes, où les espèces mineures ont leur fonction, de même que les arbustes et les plantes herbacées. L'intensification des forêts, qui se traduit par des peuplements monospécifiques, voire des façons culturales répétées et même l'application d'herbicides, devrait donc être envisagée avec beaucoup de prudence. Pour ne citer qu'un exemple, l'abandon du tremble comme essence forestière entraîne la disparition de l'un de nos plus beaux papillons, le grand sylvain (Limenitis populi).

Contrairement à une idée répandue dans le public, les forêts les plus riches biologiquement ne sont pas celles qui présentent des peuplements denses d'arbres adultes. Les clairières et les lisières en sont des éléments essentiels, et le nombre des espèces d'oiseaux, par exemple, dépend de l'hétérogénéité du milieu. La présence de très vieux arbres est nécessaire à la vie des cétoines et des longicornes, et les arbres morts hébergent les nids de certains oiseaux. Le goudronnage des routes forestières est la cause d'une hécatombe des plus beaux de nos papillons, qui viennent se nourrir des cadavres d'animaux restant sur la chaussée, et se font happer à leur tour par les voitures (Robert, 1991). Ces préoccupations ne viennent pas spontanément à l'esprit des gestionnaires forestiers, et illustrent la nécessité du dialogue avec les naturalistes et les utilisateurs des forêts pour arriver à une gestion optimale du patrimoine écologique forestier.

Le programme français

Depuis la publication d'un premier inventaire (Arbez, 1987), un programme national de conservation des ressources génétiques forestières en France a progressivement été élaboré. Il s'appuie sur les résultats de quarante ans de recherches sur la variabilité génétique des espèces forestières et l'expérience des actions de conservation en cours, et résulte de cinq ans de réflexions entre chercheurs et gestionnaires forestiers.

Ce programme est piloté par une Commission technique nationale de conservation des ressources génétiques forestières travaillant sous l'égide des ministères de l'Agriculture (DERF) et de la Recherche (BRG). Cette commission n'est autre que l'officialisation d'un groupe de travail informel qui fonctionnait depuis 1986 et regroupait sous la présidence de Steinmetz du CEMAGREF, chargé de la coordination nationale, des représentants de l'ONF, de l'INRA, des universités, du CNRS, de l'AFOCEL, de l'Arboretum national des Barres et de France-Nature-Environnement.

Pour chacune de nos grandes espèces forestières sociales autochtones, un réseau de quelques dizaines de placettes, représentatif de l'essentiel de la variabilité génétique intraspécifique, sera mis en place sur le territoire et renouvelé par régénération naturelle. Le hêtre (Fagus silvatica) et le sapin pectiné (Abies alba) font déjà l'objet de telles mesures de conservation in situ, totalisant chacun une trentaine de populations. Le réseau sera progressivement étendu à une dizaine d'espèces résineuses et feuillues d'ici à l'an 2000. Il est complété par des mesures de conservation ex situ, déjà en place pour l'orme et le merisier. Il fera l'objet d'une coordination au niveau européen (Arbez, 1992).

Parallèlement se met en place un réseau écologique forestier, sous l'égide de la DERF (ministère de l'Agriculture) et de la DPN (ministère de l'Environnement), qui s'articule en réseaux régionaux, de façon à mieux mobiliser les gestionnaires, les naturalistes de terrain et les sociétés de protection de la nature. Le colloque de Nancy en 1990 (Rameau, 1991) a permis de faire le point des actions entreprises et de jeter les bases d'une stratégie nationale qui, une fois n'est pas coutume, inclut les DOM-TOM. Ces territoires qui mettent la France dans la position unique d'avoir à gérer des parcelles d'écosystèmes tropicaux de tous les continents sont souvent oubliés dans les actions de conservation nationales, alors qu'ils nous donnent une responsabilité particulière au niveau international.

Les programmes internationaux

La gestion de la diversité des espèces forestières et des forêts se conçoit globalement à l'échelle de leurs aires naturelles. Elle ne peut aboutir sans coopération et coordination internationales efficaces. La Conférence ministérielle de Strasbourg sur la protection des forêts en Europe, réunie en décembre 1990 à l'initiative de la Finlande et de la France, a enclenché une dynamique qui s'étend aux 31 pays de la Grande Europe. Une structure permanente de coordination, associant la FAO, l'IPGRI, la CCE et un comité de suivi, devrait rapidement voir le jour et lancer une enquête sur l'état d'avancement des programmes nationaux. Trois réseaux pilotes de conservation des ressources génétiques devraient être engagés sur l'épicéa commun, le chêne-liège et les fruitiers précieux. Le bilan de ces actions sera fait à la prochaine conférence d'Helsinki, en mars 1993.

Dans le domaine intertropical, la FAO gère un réseau de conservation des arbres forestiers dans le cadre du Plan d'action forestier tropical, auquel participe en France le CTFT, institut forestier du CIRAD.

Les forestiers pouvaient s'enorgueillir d'avoir longtemps été les seuls à avoir le souci d'une gestion rationnelle sur le long terme. Nombre d'entre eux étaient des écologistes avant la lettre. Ces dernières décennies, il leur avait été demandé de concentrer leurs efforts sur l'intensification de la production de bois. Le choc provoqué par les effets des pluies acides et les prévisions alarmistes sur les changements globaux nous rappellent que les forêts, encore plus que les autres milieux, doivent se gérer sur le très long terme en préservant une biodiversité optimale.

Les plantes d'agrément

L'horticulture ornementale a toujours été soumise à des effets de mode. La tulipomanie au xviie siècle a atteint des excès proprement incroyables aux Pays-Bas, jusqu'à un véritable krach en 1637. La passion des collectionneurs s'est porté sur les œillets, les anémones, les orangers... (Schnapper, 1988). Ces derniers montrent bien la tendance des collectionneurs à rechercher la forme rare, curieuse. Un grand nombre de bizarreries, en l'occurrence des chimères botaniques, ont été décrites chez les agrumes.

Au xixe siècle, le siècle des hybrideurs, de nombreux pépiniéristes ont laissé leur nom attaché à des gammes entières de cultivars. Une part importante de ces collections a disparu avec la mode qui les avait portées. Beaucoup de ces cultivars ne représentaient probablement que des variations infimes de quelques types biologiques. Mais que ne donnerions-nous pour retrouver les types botaniques disparus, ou certaines formes dont l'histoire nous transmet la réputation ?

Les sociétés d'horticulture françaises étaient très actives au xixe siècle et au début du xxe. Après une longue période de déclin, due comme pour la pomologie aux guerres et aux mutations sociales, on constate depuis une dizaine d'années un renouveau de l'intérêt pour les plantes de jardins. Les foires aux plantes sont très prisées, et le niveau des revues horticoles s'améliore. Les associations spécialisées renaissent. Il existe ainsi plusieurs associations nationales d'orchidophiles. Les amateurs de succulentes sont organisés au niveau international. Parmi les groupes très prisés, on trouve aussi les plantes à bulbes, les plantes alpines et les arbustes d'ornement. Certains de ces groupes plus anciens se retrouvent comme sections spécialisées de la Société nationale d'horticulture de France (SNHF). La parution récente d'un répertoire de toutes les espèces et cultivars de plantes commercialisés en France (Cordier et Cordier, 1992) est un signe de ce renouveau, alors que les Anglais disposaient d'un tel outil depuis de nombreuses années avec le Plant Finder.

Chaque fois que l'on a besoin de vérifier l'identité d'une plante, il est nécessaire de disposer d'une collection de référence. Ainsi, quand on diffuse un cultivar, il faut s'assurer, suivant le Code international de nomenclature des plantes cultivées, qu'il est nouveau et que le nom proposé n'est pas déjà utilisé pour un cultivar du même groupe. Dans le domaine de l'horticulture ornementale, la Société internationale de la science horticole (SISH) a nommé un certain nombre d'autorités internationales pour l'enregistrement des noms de cultivars (International Registration Authorities for Cultivar Names), qui disposent souvent de collections annexes. Les noms de cultivars de bégonias sont par exemple enregistrés auprès de l'American Begonia Society. La France est restée absente de ce réseau.

Le souci est analogue dans le domaine de la protection des obtentions. L'UPOV préconise donc l'établissement de collections de référence, auxquelles on peut avoir recours en cas de problème. Les collections de l'INRA à Angers jouent ce rôle pour les Weigela.

Il y a cependant en France un grand nombre de collections dispersées dans les jardins botaniques, les arboretums, les services d'espaces verts et les jardins privés. A la suite du colloque de Paris (Chauvet et Delmas, 1991), un vaste inventaire a été réalisé pour rendre cette information disponible, avec l'aide des associations spécialisées, l'Association des responsables et techniciens de jardins botaniques (ARTJB) et l'Association des parcs botaniques de France (APBF) (Guide, 1991).

Le Conservatoire des collections végétales spécialisées (CCVS) a vu le jour en 1990 à l'initiative de l'APBF. Cette association ambitionne de développer un réseau de collections nationales sur le modèle anglais du National Council for the Conservation of Plants and Gardens (NCCPG). Ces collections nationales ou régionales concernent des plantes d'intérêt botanique et horticole, qu'elles soient gérées par des jardins botaniques publics, des collectivités territoriales, des personnes ou des groupes privés (tableau xii). Le principe est que seules une ou deux collections sont reconnues par groupe taxinomique, et que l'agrément peut être retiré si la collection n'est plus d'un niveau suffisant.

Si les roses attirent tant de monde (quelle ville n'a pas sa roseraie ?), l'intérêt va surtout aux roses modernes. Dans le domaine des roses anciennes, la préséance revient sans contexte à une collection historique, celle de L'Haÿ-les-Roses dans le Val-de-Marne. Cette collection a été partiellement dupliquée au Conservatoire botanique alpin de Charance, qui conserve aussi les Rosa sauvages endémiques des Alpes. Un réseau est en cours de constitution avec le soutien du GEVES.

Dans le cas des géraniums (Pelargonium), un réseau de conservation et d'évaluation des ressources génétiques des trois espèces les plus cultivées s'est constitué entre l'ENSH à Versailles, l'INRA et les professionnels de la création variétale (GIE Clause-Limagrain) et de la production de plants (Union France-Pélargonium). Par ailleurs, une collection botanique est maintenue par la ville de Bourges.

Ces initiatives diverses montrent que la situation est en train de changer. Il reste à les structurer de façon à garantir leur pérennité, ce qui n'a pas toujours été le cas dans le passé.

Les animaux domestiques

La prise de conscience de l'érosion de notre patrimoine de races traditionnelles peut être datée des années 1960. Elle doit beaucoup à la Société d'ethnozootechnie, où se sont retrouvés zootechniciens, éleveurs, amateurs, historiens et ethnologues. Dès le départ donc, les réflexions animées par Laurans, ancien directeur de la Bergerie nationale de Rambouillet à qui l'on doit un musée du mouton, ont inclus l'étude des races traditionnelles dans leur environnement social et culturel. Dans nul autre secteur on ne constate une telle imbrication des motivations, qui vont du souci de maintenir un patrimoine génétique à la volonté de « vivre au pays » en maintenant des agrosystèmes qui soient en résonance avec les cultures régionales. « Peut-on imaginer la Normandie sans vaches normandes paissant dans des vergers de pommiers à cidre en fleurs ?», s'écriaient certains. Cette perspective explique que les chercheurs de l'INRA qui se sont le plus impliqués dans les actions de sauvegarde proviennent du secteur « Systèmes agraires et développement » (Vissac, 1980).

Cet intérêt s'est manifesté par la tenue de colloques et de journées d'étude qui ont rythmé les années 1970 (Ethnozootechnie, 1973, 1974, 1976, 1978). En 1976, la Commission nationale d'amélioration génétique (CNAG) du ministère de l'Agriculture décidait d'affecter une petite fraction (0,5% !) des crédits d'amélioration génétique à la conservation des races à faibles effectifs.

Que veut-on conserver ?

Pour les gènes identifiés, on ne conservera que quelques dizaines d'animaux. Il suffit en effet de vérifier que le gène est bien présent à chaque génération. Dans une majorité de cas, on peut même rendre la population homozygote pour ce gène, ce qui a pour effet de le fixer.

Les gènes de fréquence élevée, dont l'ensemble définit la race, peuvent être conservés dans des populations relativement réduites. Si la consanguinité est un handicap dans un but de production, elle l'est beaucoup moins dans un but de conservation stricte, car elle n'affecte pas la fréquence des gènes très fréquents.

Les gènes rares apparaissent régulièrement par mutation. Les éleveurs éliminent régulièrement ceux qui donnent un phénotype hors-type. Par ailleurs, ce sont ces allèles rares qui disparaîtront le plus vite sous l'effet de la dérive génétique dans les populations à faible effectif. Par contre, ce type de variabilité se retrouve dans les grandes races, et leur conservation passe par un suivi de la diversité chez ces races, diversité qui peut être menacée à terme par les techniques modernes (faible nombre de reproducteurs mâles, clonage des embryons).

Cette approche permet de dégager quelques critères utiles pour une politique de conservation. Si les moyens ne permettent de conserver que 100 animaux, il vaudra mieux conserver 10 animaux de 10 races que 100 d'une seule race.

Cependant, toutes les races n'ont pas la même importance, certaines étant très originales et d'autres ne représentant que des rameaux tardifs de races plus importantes. Une évaluation d'ensemble de leurs distances génétiques permettrait de définir plus objectivement les priorités de conservation.

Il nous faut aussi parler de la rusticité de nombre de races menacées, qui est un des principaux arguments avancés. C'est une notion floue, difficile à transcrire en termes génétiques. Mais les praticiens reconnaissent que certaines races ont des aptitudes particulières à valoriser une alimentation grossière, à se déplacer en terrain difficile ou à vivre en extérieur toute l'année. Elles seraient donc mieux adaptées à des formes d'élevage extensif.

Comment conserver ?

L'opposition est vive entre partisans de la conservation d'animaux sur pied et ceux de la mise en banques de sperme et d'embryons. Ces derniers arguent du coût élevé que représente l'entretien de troupeaux conservatoires et de la complexité de leur gestion génétique, qui suppose le respect de plans d'accouplement, et donc le suivi individuel des animaux. Or, la conservation du sperme et maintenant des embryons dans l'azote liquide est bien maîtrisée chez les bovins. Il serait donc facile de la mettre en œuvre. Le seul problème est que cela n'est pas le cas actuellement de façon coordonnée et suivie au niveau national.

A ces perspectives, les tenants de la conservation de troupeaux sur pied répondent avec bon sens qu'on aura tôt fait d'oublier ces races une fois qu'elles seront réduites à l'état de quelques paillettes. Il faudrait des arguments particuliers pour qu'un sélectionneur aille les rechercher, la mémoire de ces races résidant alors dans les bases de données. En tout état de cause, une évaluation très précise de leurs caractéristiques serait la condition préalable à leur congélation. De plus, il y a dans le patrimoine des races rustiques des éléments de comportement qui ne sont transmis que des mères aux filles, et qui disparaîtraient ainsi. Enfin, la conservation de troupeaux est seule à prendre en compte la dimension sociale et culturelle des races menacées.

Les méthodes de conservation doivent être jugées aussi en fonction de leur pérennité. Si l'on peut alerter l'opinion sur la disparition d'un troupeau, comment contrôler que les précieux bidons d'azote n'ont pas été éliminés à la suite d'une décision intempestive ou d'une restriction de crédits ?

La sagesse voudrait que, chaque fois que cela est possible, on maintienne des troupeaux sur pied, tout en structurant un réseau de conservation in vitro qui jouerait le rôle d'une assurance, et permettrait aussi de maintenir une diversité génétique plus large, qui serait périodiquement réinjectée dans les animaux vivants. En un mot, les deux méthodes apparaissent plus complémentaires que concurrentes.

Les acteurs

Les grandes races sont gérées par des unités de promotion de race (UPRA), fédérées au sein de l'Union nationale des livres généalogiques (UNLG). Ces groupements gèrent un herd-book (pour les bovins), un flock-book (pour les ovins) ou stud-book (pour les chevaux), et orientent l'amélioration génétique de la race, vers un type laitier ou à viande dans l'exemple des bovins. Mais les petites races cumulent les problèmes, car le faible nombre des éleveurs rend la gestion d'une UPRA difficile. Les instituts techniques ont alors su prendre le relais pour ces races menacées.

Les Parcs naturels régionaux ont commencé dès la fin des années 1970 à s'impliquer dans des actions de conservation de races d'animaux domestiques. Même si un programme inter-parcs s'est efforcé par la suite de coordonner ces actions, celles-ci se caractérisent par la diversité des approches (Stievenard, 1989). On peut distinguer une approche ethnozootechnique et muséologique, où les animaux sont perçus comme les pivots de modes de production et de modes de vie dont on souhaite garder des témoins. L'approche naturaliste consiste à utiliser des animaux pour maintenir des milieux naturels dans un état jugé optimal. En fait, il faut signaler que la race qui convient le mieux peut être une race extérieure à la région, voire au pays. C'est le cas du bovin Highland Cattle introduit dans les tourbières du PNR de Brotonne en 1979. Enfin, on retrouve une approche proprement conservatoire. Le Nord-Pas-de-Calais est allé plus loin en valorisant ses races locales avec un souci de diversifier son agriculture, tout en développant l'image de marque de la région.

Le gros bétail

Les bovins

Un rapport de la FAO (1975) signalait que sur 145 races bovines inventoriées en Europe et dans les pays méditerranéens, 115 étaient à considérer comme menacées. En France, le premier programme lancé en 1976 a porté sur la Bretonne Pie noire. Plusieurs autres ont suivi à l'initiative de l'Institut technique de l'élevage bovin (ITEB), qui les a poursuivis avec ténacité depuis lors (encadré).

La situation dans les grandes races demande également un suivi génétique. En effet, la généralisation de l'insémination artificielle avec un nombre réduit de taureaux, la « holsteinisation » du troupeau et le clonage des embryons peuvent avoir à terme des conséquences graves si l'on n'y prend garde.

Les équins

L'État s'est efforcé de contrôler la reproduction du cheval depuis des siècles. Il faut peut-être y voir le reflet de l'idéologie des aristocraties indo-européennes qui ont conquis par vagues l'Europe entière, et pour qui le cheval était un animal noble, instrument de pouvoir et de guerre. Les Haras nationaux font partie des plus vieilles institutions de l'État. Il est vrai qu'en temps de guerre, les chevaux devaient pouvoir être réquisitionnés pour l'armée. Ils se devaient d'être conformés pour leurs qualités à la guerre.

Cette situation apporte une certaine garantie pour la gestion de la diversité, car les structures existent. Les Haras ont ainsi créé une asinerie avec le PNR du Marais poitevin pour entretenir des étalons de baudet du Poitou. Il est vrai que cela a été rendu possible par les efforts d'Annick Audiot dès 1977.

Les chevaux lourds posent un problème particulier. Utilisés naguère comme animaux de labour, ils ont été touchés de plein fouet par la mécanisation. Ils sont encore recherchés pour des travaux spéciaux en maraîchage (un cheval n'écrase pas les pieds d'artichauts, au contraire des roues d'un tracteur !) ou en débardage forestier, mais ils pourraient trouver un débouché important comme chevaux de boucherie. N'en déplaise à certains « amis des animaux », il faut manger du cheval pour sauver ces races !

Les ovins et caprins

Chez les moutons et les chèvres, il subsiste à côté des races standardisées quelques races traditionnelles, hétérogènes, dont l'homme ne contrôle qu'approximativement la reproduction. Un inventaire récent donne un total de 54 races de moutons et 8 races de chèvres pour la France (Lauvergne, 1987).

Le troupeau de Mérinos de Rambouillet constitue un véritable monument national. Il a été maintenu en troupeau fermé depuis la dernière importation royale de 1801, ce qui en fait un modèle génétique unique pour suivre les effets de la consanguinité. A l'époque contemporaine, le mouton Solognot a été le premier animal domestique à faire l'objet d'un programme de conservation en France dès 1969.

Si la production de moutons diminue en France pour des raisons de concurrence internationale, leur rôle écologique devrait apparaître rapidement. Des fractions importantes du territoire ont été modelées par l'élevage ovin, et leur disparition posera de graves problèmes de gestion. On signalera l'utilisation du petit mouton noir d'Ouessant dans la réserve des Glénans, et les essais de débroussaillage des sous-bois méditerranéens par la chèvre du Rove.

Les porcins

Le porc montre un exemple éclatant de l'intérêt de la diversité génétique. L'introduction de porcs chinois plus prolifiques que les porcs européens a été opérée par l'INRA. Un programme de croisement de ces porcs avec nos races européennes a été mené, car le porc chinois fait beaucoup de gras, ce qui n'est plus une qualité recherchée en Europe. En cinq ans seulement, une lignée utilisable a été obtenue.

L'élevage du porc repose sur des souches internationales basées sur une race, le Large White. Il subsiste une population traditionnelle en Corse. L'Institut technique du porc (ITP) soutient la conservation de quatre races françaises en voie de disparition, le Normand, le Limousin, la Basque et le Gascon.

Les espèces de basse-cour

La grande majorité des poulets et des poules pondeuses élevés en France et dans le monde proviennent de quelques firmes de sélection qui diffusent un nombre limité de souches adaptées à un mode d'élevage industriel que l'on retrouve presque à l'identique d'un bout à l'autre du monde. Le niveau de productivité est tel qu'il exclut pratiquement le recours aux races anciennes. Mais il subsiste des élevages d'amateurs, souvent attachés à des caractères morphologiques spectaculaires, tels que la forme de la crête ou la couleur du plumage. Des races peuvent avoir des utilisations spéciales, comme les poules naines ou les coqs de combat.

Cependant, certains gènes peuvent s'avérer utiles pour ces souches performantes. Ce fut le cas d'un gène récessif de nanisme, introduit chez les reproductrices de poulets de chair. Il diminue le coût d'entretien des poules, mais ne s'exprime pas chez leurs fils qui sont hétérozygotes. De même, le gène « cou nu » réduit de 2 à 3% le coût de l'abattage (il y a moins de plumes à enlever) ; s'il est défavorable en climat froid, car les poulets doivent manger plus pour compenser les pertes de chaleur, il est par contre favorable en pays chaud, car les poulets souffrent moins de la chaleur. Le gène de la crête en « pois », qui diminue la taille de la crête et des barbillons non isolés thermiquement, permet aux poules de consommer entre 2 et 3% d'aliment en moins pour une production égale. Certains gènes qui confèrent une résistance à des maladies ont été identifiés, et il n'est pas exclus qu'on en trouve d'autres dans l'avenir (Mérat, 1981).

Les préférences commerciales peuvent aussi évoluer, vers des œufs roux ou des poulets jaunes par exemple. Certaines races ont des caractéristiques de qualité uniques, comme la Marans, dont le blanc d'œuf possède deux variantes propres de protéines. Par contre, il est vrai que de nombreuses races ne diffèrent que par quelques caractères de couleur, de plumage ou de conformation. Certaines, que l'on croirait anciennes, ont été obtenues il y a quelques dizaines d'années par des amateurs. La poule donne en effet de nombreux descendants avec un intervalle de génération et un encombrement réduits ; les amateurs peuvent s'adonner à la création de races à moindres frais.

Toutes les races n'ont donc pas la même importance, et une évaluation de leurs distances génétiques est nécessaire pour définir des priorités de conservation. Comme ce secteur suscite l'intérêt d'un nombre important d'amateurs rassemblés dans des sociétés d'aviculture, où la détention d'une race rare permet une forme de reconnaissance sociale, il serait relativement peu coûteux pour la collectivité de coordonner et de soutenir un réseau de conservation décentralisé chez les amateurs. C'est ce que le ministère de l'Agriculture a fait pendant des années en subventionnant des éleveurs qui s'engageaient à maintenir une unité de reproduction (un parquet). Un comité appelé « Conservatoire national des animaux de basse-cour », créé en 1978 avec le concours de la Société centrale d'aviculture (SCAF), déterminait les priorités qui était modifiées régulièrement en fonction des effectifs de chaque race (encadré). Tout ceci est à l'imparfait, car le financement a hélas été supprimé, dans l'indifférence générale, il y a quelques années.

La volaille est un secteur très industrialisé, on l'a vu. De ce fait même, il obéit aux lois générales du marché, où les produits entrent dans une phase d'obsolescence après avoir vu leur marché s'accroître. Les producteurs sont à l'affût de nouveaux produits, que ceux-ci soient le poulet de grain, le chapon ou de nouvelles espèces, comme la dinde, la pintade ou maintenant la caille. Cette capacité d'innovation ne se maintiendra que si nous savons garder des réserves génétiques conséquentes pour nous adapter.

Les actions internationales

Dans quelques pays, des groupes s'efforcent de conserver les races en péril. Au Royaume-Uni, c'est le cas du Rare Breed Survival Trust, en Suisse, de Pro Specie Rara, ou aux États-Unis, de l'American Minor Breeds Conservancy. La FAO a réuni divers groupes d'experts, et s'appuie sur l'université de Hanovre pour développer une base de données mondiale sur les races de gros animaux. Un Engagement international sur les ressources génétiques animales est également en préparation.

La Commission des communautés européennes s'efforce maintenant de mettre sur pied un programme de soutien aux races menacées, dans le double objectif de préserver ces ressources génétiques et de favoriser des modes de production plus extensifs dans le cadre de la réforme de la Politique agricole commune. L'idée retenue est d'accorder une subvention à l'unité de bétail de ces races menacées.

Les insectes

Une source d'aliments et de médicaments

Le miel est certainement le produit des insectes le plus important. Il existe de nombreuses races et écotypes locaux d'abeilles, mais la situation évolue très vite. Les travaux de sélection de l'abeille ont montré que l'utilisation d'hybrides permet d'obtenir de meilleurs rendements en miel. Leur diffusion risque cependant d'entraîner une « pollution génétique » des races locales, dont on a besoin pour produire l'hybride. Mais la menace la plus importante réside dans un petit acarien, le Varroa, qui parasite l'abeille et se répand actuellement en Europe. Une mesure de sauvegarde pourrait être la conservation du sperme, qui demande encore des recherches pour être bien maîtrisée. De telles mesures n'ont de sens que si les apiculteurs s'organisent pour gérer collectivement les populations d'abeilles. La difficulté majeure tient aux particularités de la fécondation des reines, qui se fait lors d'un vol nuptial unique où les mâles des ruches avoisinantes peuvent contribuer.

C'est ce qui arrive dans le cas de l'abeille tueuse en Amérique tropicale. Au départ, une race d'abeille africaine très agressive a été relâchée accidentellement dans la nature près de São Paulo. Les essaims de cette race s'installent dans les ruches de la race locale après en avoir tué les occupants. De plus, les mâles de la race agressive l'emportent lors des vols nuptiaux sur les mâles non agressifs, ce qui pollue génétiquement les autres ruches.

De nombreux autres insectes sont utilisés comme aliments de par le monde. Si les Romains appréciaient la larve du cossu gâte-bois (Cossus cossus), les Européens ont dédaigné ces aliments par la suite. Mais en Afrique par exemple, les Pygmées connaissent et consomment un grand nombre de chenilles. Les vers blancs des coléoptères sont des friandises appréciées.

L'utilisation d'insectes comme médicaments est moins connue. Un petit staphylin de 8 millimètres, Paedervus fuscipes, donne la péderine, poison très violent mais aussi puissant stimulateur de la croissance des tissus. Il est utilisé pour soigner des ulcères réfractaires aux autres traitements (Guilbot, comm. pers.).

Les pollinisateurs

On estime que 80% des plantes cultivées dépendent des insectes pour leur pollinisation. Les insectes jouent ainsi un rôle primordial, même s'il est souvent méconnu. Ainsi, un cultivar de trèfle à haut rendement avait été obtenu par les sélectionneurs, mais la trop grande taille de ses fleurs l'a fait délaisser par les bourdons qui le pollinisaient, et le cultivar a dû être abandonné. Dans plusieurs cultures sous serre, on est amené à introduire des abeilles ou d'autres insectes pour obtenir les rendements attendus.

Dans de nombreux cas, la plante et l'insecte ont coévolué, de sorte qu'une seule espèce d'insecte est attirée par la plante et capable de la féconder. La disparition de l'un entraîne alors celle de l'autre. Quand la vanille, originaire d'Amérique centrale, a été introduite à la Réunion, les planteurs se sont rendu compte qu'elle ne donnait pas de gousse. Il a fallu trouver une technique de fécondation manuelle pour remplacer l'insecte qui n'avait pas fait le voyage.

La lutte biologique

Pour les agriculteurs, les insectes représentent un réservoir de prédateurs redoutables, dont les populations peuvent exploser pour profiter de la masse de nourriture que l'homme leur offre dans les champs. Mais là aussi, 98% des insectes potentiellement nuisibles sont contrôlés par d'autres insectes et arthropodes qui les mangent. Les insecticides présentent l'inconvénient de tuer à la fois les ravageurs et leurs prédateurs, sans parler des résidus qu'ils laissent dans l'environnement et les aliments. C'est pourquoi de nombreuses recherches sont menées pour mettre au point des procédés de lutte biologique, qui tirent parti des processus écologiques. Déjà au siècle dernier, la culture du mûrier, aliment du ver à soie, était menacée de disparition à cause d'un insecte exotique introduit accidentellement et qui les détruisait. C'est l'introduction d'un autre insecte oriental minuscule qui a sauvé la production de soie, en s'attaquant à l'insecte nocif. De nos jours, les producteurs sous serre utilisent des petites guêpes, les Encarsia, pour lutter contre la mouche blanche.

La lutte biologique est également utilisée dans les vergers. En région méditerranéenne, la cochenille noire (Saissetia oleae) se développe à la face inférieure des feuilles des agrumes et des oliviers. Elle se nourrit de la sève de l'arbre. Ses piqûres sont à l'origine de l'exsudation de miellats qui favorisent le développement de la fumagine, champignon noir et pulvérulent qui gêne la respiration et la photosynthèse de l'arbre, aggravant ainsi l'affaiblissement de l'arbre infesté. La lutte chimique classique ne donne pas de très bons résultats sur cet insecte très bien protégé, et nécessite d'utiliser des insecticides puissants et systémiques qui laissent des résidus dans les fruits. La lutte biologique, mise au point par la station de l'INRA à Valbonne, donne aujourd'hui de bons résultats à la condition d'utiliser simultanément plusieurs prédateurs, car certains d'entre eux sont plus sensibles aux basses températures que la cochenille. Il s'agit de trois hyménoptères dont l'un est hématophage (Scutellista cyanea) et dont les deux autres pondent dans les adultes ou les larves (Metaphycus helvolus, Metaphycus bartletti ).

De même, l'aleurode des agrumes (Dialeurodes citri) est parfaitement contrôlée par Serangium paracetosum, petite coccinelle originaire de l'Inde, introduite dans un premier temps en Géorgie puis ramenée en France par les chercheurs de Valbonne.

D'autres procédés de lutte biologique consistent à utiliser des populations de l'insecte ravageur pour lutter contre lui-même. On procède alors à des lâchers massifs de mâles stérilisés par irradiation ou traitement chimique, ou rendus stériles génétiquement. Les femelles ont une chance pratiquement nulle d'être fécondées par des mâles fertiles, et la population naturelle s'effondre, sans que les autres espèces soient touchées. Une démonstration éclatante de l'efficacité de cette méthode a récemment fait la une des journaux, lorsque la lucilie bouchère est apparue en Libye. Les asticots de cette mouche américaine dévorent les chairs des animaux qui ont la moindre blessure. La lucilie a pu être éradiquée grâce à un programme d'urgence de la FAO, car il existait au Mexique des laboratoires capables d'élever des millions de mâles de lucilie. On voit là l'intérêt qu'il y a à étudier ce qu'on peut appeler des « ressources génétiques négatives », même si c'est pour mieux les combattre.

Dans nos jardins, de jolis insectes sont aussi de redoutables carnassiers pour les pucerons. Chacun connaît la coccinelle ou bête à bon dieu. Le chrysope ou demoiselle aux yeux d'or (Chrysopella carnea) est moins connu, bien qu'il vienne dans nos maisons à l'automne pour passer la mauvaise saison. Cet insecte aux délicates ailes bleu-vert est donc à protéger.

Le recyclage des déchets

Les insectes contribuent à un niveau insoupçonné, avec l'ensemble de la microfaune et de la microflore du sol, au recyclage de la matière organique, excréments, animaux ou feuilles mortes. On s'en rend compte quand ils sont absents du milieu. En Australie, l'introduction de l'élevage bovin a causé l'apparition d'une énorme quantité de bouses, qui finissaient par rendre les prairies inutilisables, car aucun insecte autochtone n'était là pour les recycler. En Europe en effet, les bouses sont le milieu de vie de nombreux bousiers et staphylins, qui creusent des galeries sous les bouses et les consomment, de sorte que celles-ci sont recyclées et donnent une excellente fumure. Les Australiens ont mené un programme d'étude de la biologie des bousiers européens, ce qui leur a permis d'introduire les espèces qui étaient les plus efficaces. Mais il semble que soient déjà apparus des effets indésirables.

D'autres insectes, mouches et coléoptères, se nourrissent de cadavres. D'innombrables micro-insectes, les collemboles, vivent dans les feuilles mortes et le sol. S'ils passent le plus souvent inaperçus, ces soutiers de notre environnement sont néanmoins très sensibles aux pollutions. Leur disparition fragiliserait les écosystèmes.

Les actions en cours

L'entomologie appliquée est pour l'essentiel du domaine de la lutte biologique. La maîtrise de l'élevage des insectes est en effet la condition de l'étude de leur biologie, et ultérieurement, de leur multiplication à des fins commerciales. C'est l'expérience accumulée dans ces techniques qui a été à l'origine de la création de l'OPIE auprès de la station de lutte biologique de l'INRA à La Minière. Par ailleurs, des fermes à papillons tropicaux commencent à se répandre en Europe pour leur attrait touristique.

L'abeille est l'un des rares cas où se pose en France le problème du maintien de la diversité génétique et non spécifique. On assiste à des initiatives isolées pour préserver des races locales. Une action de recherche est en cours à l'INRA pour améliorer la fiabilité de la conservation de sperme. Mais cette technique ne permettrait pas à elle seule de conserver une race, puisqu'il faut bien trouver ensuite des femelles à inséminer. Elle serait surtout utile dans des programmes de croisements. La conservation des races d'abeilles suppose la participation active des groupes d'apiculteurs et la coordination des efforts.

Les micro-organismes

L'immense monde des micro-organismes souffre d'un biais considérable pour sa connaissance. Comme ils ne sont observables qu'au microscope, on ne peut pratiquement pas les étudier dans la nature. Leur identification et leur description dépend étroitement des techniques d'analyse et de culture in vitro, ce qui fait que les progrès de la connaissance suivent les progrès dans ces techniques. On estime que le nombre d'espèces pourrait être de deux à trois ordres de grandeur supérieur à celui que l'on peut établir par la culture, en particulier chez les symbiontes, les thermophiles, les cryophiles et autres catégories spécialisées. Le microbe de la lèpre (Mycobacterium leprae) est un cas exemplaire de micro-organisme dont on connaît trop bien l'action sans être parvenu à le cultiver (Da Silva et al., 1991).

Le domaine agro-alimentaire

Depuis les temps les plus reculés, nos ancêtres ont appris à maîtriser les fermentations. La fermentation alcoolique permettait de produire toute une gamme de boissons de fruits (vins, cidre, poiré...), de grains (bière d'orge, de mil, saké), de miel (hydromel), de sève (vin de palme). La fermentation lactique permettait de faire des fromages, mais aussi des choucroutes, des concombres fermentés, du bortsch. L'importance de ces aliments fermentés était considérable, en l'absence d'autres moyens de conservation.

Le domaine biomédical

Si les micro-organismes ont une image de marque négative, ils le doivent bien sûr au fait que se trouvent parmi eux un grand nombre de pathogènes à l'origine de bien des maladies. Des collections importantes ont été constituées afin d'étudier leur diversité et leur dynamique évolutive pour mieux les combattre. Les micro-organismes ont en effet la faculté de muter fréquemment, ce qui est illustré par le virus de la grippe.

Mais il y aussi des micro-organismes utiles pour la santé de l'homme. L'ergot du seigle (Claviceps purpurea) était utilisé par les sages-femmes chinoises et européennes pour accélérer la délivrance et stopper les hémorragies périnatales, bien avant qu'il n'entre dans les pharmacopées modernes. De nos jours, on pratique des cultures spéciales de seigle à ergot, dont on extrait ensuite l'alcaloïde actif, l'ergonovine.

L'activité de la pénicilline a été découverte par hasard en 1929 par Fleming dans une culture de staphylocoque doré contaminée et inhibée par Penicillium notatum. On a plus tard retrouvé que les moisissures étaient déjà utilisées par les Chinois pour traiter les ulcères variqueux et par les Égyptiens pour soigner les blessures. La pénicilline est restée très chère jusqu'à ce que l'on découvre une espèce bien plus productive, Penicillium chrysogenum. Ce sont des souches améliorées de cette espèce qui sont maintenant utilisées.

Dans la lutte contre le cancer, plusieurs espèces de bactéries du genre Streptomyces donnent des substances très utilisées, comme la dactinomycine et la doxorubicine (Oldfield, 1989).

Notre système digestif constitue un milieu où cohabitent de nombreux microbes sans qui la digestion ne se ferait pas. Même notre peau doit être considérée comme une niche écologique où des microbes inoffensifs empêchent la colonisation d'autres formes gênantes.

Le domaine agronomique et écologique

La propriété qu'ont certaines plantes (légumineuses, aulne) de fixer l'azote est due à une association avec des champignons, le plus souvent du genre Rhizobium. Normalement, la plante les rencontre dans le sol et on ne s'en rend pas compte. Mais quand on a introduit le soja en France, il n'a pas trouvé dans le sol les souches particulières de Rhizobium qui lui sont adaptées. Il a donc fallu les rechercher et les sélectionner. Quand on sème du soja, il faut ajouter de la « semence » de Rhizobium. L'intérêt agronomique de la fixation biologique de l'azote a suscité des programmes de recherche internationaux et la constitution de collections spécialisées.

Chez les arbres, en particulier les arbres forestiers, il se forme autour de leurs racines une association complexe de champignons dont certains peuvent devenir pathogènes, mais dont d'autres jouent des rôles utiles, quoique méconnus. Toutes ces relations entre plantes et micro-organismes montrent l'intérêt qu'il y a à conserver des sols de qualité, biologiquement riches.

Les micro-organismes fournissent aussi leur contingent d'espèces phytopathogènes, qui causent des dégâts considérables. L'étude des maladies fongiques, bactériennes ou virales représente un secteur important de la recherche agronomique. Là aussi, il faut étudier la diversité pour mieux la combattre.

La lutte biologique est un autre domaine prometteur pour l'utilisation des micro-organismes au service de l'homme. Pour lutter contre les pullulations de chenilles urticantes, on utilise une bactérie (Bacillus thuringiensis), qui est leur ennemi naturel. Des produits contenant ces bactéries sont projetées sur les feuilles des arbres par des canons.

La nature offre des situations extrêmement curieuses, comme ces champignons du sol dont le mycélium forme des boucles qui se contractent au passage d'un nématode. Ce petit ver est alors emprisonné, et le champignon envoie des filaments de mycélium dans son corps pour le digérer. On utilise maintenant de tels champignons dans la lutte contre les nématodes, qui causent de gros dégâts aux plantes cultivées.

Les utilisations en biotechnologie

Pendant de nombreuses années, biotechnologie était pratiquement synonyme de micro-organismes. Ces derniers présentent un génome limité, et leur cycle de vie est simple en comparaison des plantes et des animaux supérieurs. C'est chez eux que l'on a pu mettre au point les premières techniques de transfert de gènes. En transférant un gène qui code pour une substance donnée, on peut faire fabriquer cette substance par le micro-organisme. Si l'on arrive à un rendement suffisant, ce mode de production biotechnologique peut remplacer avantageusement la synthèse chimique, où se posent souvent des problèmes de pureté. L'utilisation de ces micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) est appelée à de grands développements

Le fonctionnement des collections

Les techniques de conservation des souches ont le plus souvent été mises au point empiriquement, et aucune n'est actuellement entièrement fiable. C'est pourquoi la pratique habituelle est de conserver chaque souche de deux manières différentes, afin de réduire les risques de perte. Ces techniques font appel à la dessiccation ou à la congélation, qui doit être précédée d'une protection chimique, de l'immobilisation du contenu des cellules ou d'une modification de la perméabilité cellulaire suivant les cas. Leur maîtrise constitue un savoir-faire apprécié des utilisateurs, qui peuvent remettre leurs souches de valeur en dépôt confidentiel aux laboratoires compétents. Les collections offrent d'autres services, comme l'identification à la demande ou des actions d'expertise. Certaines d'entre elles sont reconnues comme autorités internationales de dépôt (IDA) dans le cadre des procédures de brevet.

On peut s'étonner dans ces conditions que les collections souffrent souvent d'un manque d'intérêt de leurs tutelles, qui se traduit par des problèmes de personnel et de budget. La rationalisation des collections repose sur un meilleur partage du travail et une spécialisation, sur la conservation prioritaire des souches artisanales et traditionnelles qui sont menacées par l'industrialisation, et la recherche sur les micro-organismes d'intérêt biotechnologique, allant jusqu'à la constitution de banques de gènes au sens propre du terme (Bégic et Fournier, 1992).

Les réseaux en cours

En 1985, les industriels français regroupés dans Organibio demandaient aux ministères de la Recherche et de l'Agriculture la réalisation d'une enquête sur les collections de souches en France, la situation n'apparaissant pas satisfaisante. Le rapport Ménoret, publié en 1987, soulignait des carences criantes en matière d'équipement et de personnel. Il proposait l'établissement d'un statut de « collection nationale de souches » et la création de collections d'intérêt biotechnologique.

Parallèlement, la Commission des communautés (DG XII) s'était inquiétée de la dispersion des collections européennes face aux efforts importants des États-Unis et du Japon. La disponibilité d'une large gamme de souches, naturelles ou transformées, et des informations les concernant est en effet à la base du développement des biotechnologies. La DG XII a donc décidé de soutenir dès 1986 un programme visant à constituer un réseau d'information informatisée sur les micro-organismes, MINE. Quatre pays ont participé à la première phase : Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Royaume-Uni. Cinq autres les ont rejoints par la suite, dont la France (tableau xiii). Les collections adhérentes doivent répondre à des critères de qualité dans la conservation et l'expertise taxinomique.

Le programme MINE ne concerne que l'informatisation des données. Il a néanmoins permis de créer une dynamique, et d'identifier les priorités. D'autres collections devraient le rejoindre à terme. Il existe au moins 146 collections en France, de taille et de niveau inégaux, mais qui montrent un potentiel qui mériterait d'être mieux valorisé (Répertoire, 1992). Les organismes de recherche ne semblent pas toujours au courant de toutes les collections que leurs chercheurs entretiennent, ce qui traduit d'ailleurs la grande diversité des secteurs concernés par les micro-organismes.

Au niveau européen, d'autres structures contribuent à la coordination et à l'information sur les collections. On citera l'ICECC (Information Centre for European Culture Collections) à Braunschweig et l'ECCO (Organisation européenne des collections de souches).

Au niveau international, l'UNESCO a soutenu les collections de micro-organismes dès 1946. A la suite de la Conférence de Stockholm en 1972, l'UNESCO a élaboré avec le PNUE un « Programme pour l'utilisation et la conservation de souches microbiennes pour la gestion de l'environnement », qui a débuté en 1975. Ce programme appelé maintenant MIRCEN s'est renforcé par la suite pour regrouper actuellement 23 centres dans 19 pays (tableau xiv). Son secrétariat est assuré par le centre de Budapest. Il s'est surtout attaché à promouvoir la constitution d'un programme d'étude des Rhizobium et le développement de techniques adaptées aux pays du Sud.

Par ailleurs, la Fédération mondiale des collections de souches (WFCC) s'efforce de renforcer les liens entre collections. Elle gère un Centre mondial de données (WDC) situé au RIKEN à Tokyo, et collabore au réseau MSDN (Microbial Strain Data Network) implanté à Cambridge.

La faiblesse de nos connaissances sur la diversité des micro-organismes, au regard de leur rôle écologique essentiel, de leurs utilisations potentielles ou des menaces qu'ils font peser sur nous, a conduit l'UISB à proposer un programme spécifique de recherches : « Diversité microbienne 21 » (cf. encadré).

L'utilisation de nouvelles espèces pour de nouveaux besoins

Les mécanismes du marché poussent au lancement de nouveaux produits, qui détrônent les anciens. La nouveauté consiste bien sûr souvent en un simple changement d'emballage ou de combinaison d'ingrédients déjà connus. Mais il arrive qu'elle porte sur des variétés ou des espèces différentes. Certaines franges de consommateurs voient dans la nouveauté un moyen d'échapper à la banalisation de la production de masse. On voit ainsi apparaître des fruits ou des légumes nouveaux. Le sont-ils vraiment ? Tout dépend pour qui. S'ils sont nouveaux pour le consommateur européen, il s'agit dans la quasi-totalité des cas de plantes consommées depuis de nombreux siècles par un peuple ou un autre. On peut avancer comme postulat que les divers peuples de la planète ont très largement inventorié la gamme des plantes comestibles. Un des rares cas connus de plante dont l'usage n'était pas attesté auparavant est celui du « poivre rose », rebaptisé baie rose de l'île Bourbon parce que ce n'est pas un poivre. Lancé par la nouvelle cuisine, ce produit est arrivé incognito en France, d'où il a gagné les États-Unis où les restaurants chics offraient des steaks aux quatre poivres (noir, blanc, vert et rose). Jusqu'au jour où une botaniste américaine a reconnu en lui les baies d'un arbuste, Schinus terebinthifolius, qui envahissait les prairies de Floride et rendait malades les vaches qui en consommaient. Les Français avaient réussi le tour de force de vendre fort cher un produit soupçonné d'être toxique, et qui était de plus une peste végétale. La Food and Drug Administration s'en est émue, et il a fallu une enquête des autorités françaises pour découvrir que l'identification était exacte, et qu'un réseau de cueillette s'était constitué à la Réunion pour approvisionner les marchands d'épices. Il ne s'agissait pas de son cousin Schinus molle, connu dans les pharmacopées. Que le lecteur se rassure, les baies roses consommées à petite dose ne sont guère plus toxiques que le poivre.

La domestication d'une plante précédemment connue comme produit de cueillette constitue un cas moins rare. Les Indiens d'Amérique du Nord récoltaient bien avant la colonisation européenne les graines d'un « riz sauvage », Zizania palustris. Ce riz sauvage était très apprécié pour son goût, mais restait rare et cher du fait des difficultés de la récolte, qui s'effectue en bateau en secouant les panicules au-dessus d'un panier. En 1963, une forme non égrenante a été trouvée, qui a permis la mécanisation de la récolte. Des travaux de sélection par croisement avec une espèce en voie de disparition, Zizania texana, ont permis de créer des hybrides plus performants (Oldfield, 1989). Ce riz sauvage est donc maintenant cultivé, et nous pouvons en voir sur nos marchés, reconnaissable à sa couleur d'un noir brillant. C'est l'un des rares cas de domestication d'une nouvelle plante alimentaire au xxe siècle.

Chez les plantes ornementales, les cas sont bien plus fréquents. On peut même dire que plus une plante est rare et difficile à cultiver, plus elle attire les convoitises des collectionneurs. Les plantes d'intérieur, le plus souvent d'origine tropicale, offrent le cas le plus simple où des plantes sauvages peuvent être utilisées telles quelles pour renouveler notre gamme commerciale. On n'attend pas d'elles un rendement, mais simplement l'attrait de leur beauté. A titre d'exemple, le CNIH a pu sélectionner plusieurs espèces issues de récoltes effectuées par le laboratoire de botanique tropicale de l'université de Paris VI. Il reste néanmoins à trouver des producteurs qui oseront franchir le pas.

Un autre secteur prometteur est offert par la recherche qu'effectuent les industriels pour trouver des sources d'acides gras rares, d'édulcorants, d'additifs alimentaires, d'hormones sexuelles pour contraceptifs, ou de nouveaux médicaments. Les plantes potentielles sont nombreuses, mais nombreux sont aussi les échecs, car domestiquer une plante entièrement sauvage demande un gros effort de recherche. Certaines ont franchi les premières étapes, comme le jojoba (Simmondsia chinensis), dont l'huile remplace le spermacéti, le guayule (Parthenium argentatum), qui donne un succédané du caoutchouc ou les onagres (Oenothera spp.), dont l'huile est utilisée par l'industrie.

La recherche médicale

Il s'agit là d'un problème délicat, mais d'une importance incontestable. La compréhension des mécanismes biologiques et la mise au point de médicaments nouveaux nécessitent l'emploi de modèles animaux, et en particulier de ceux qui sont le plus proches de l'homme, les primates. A titre d'exemple, le développement des antipaludéens de synthèse a longtemps souffert du manque d'un modèle animal qui soit sensible aux souches de Plasmodium qui affectent l'homme. Il a fallu attendre 1966 pour découvrir que le singe douroucouli (Aotus trivirgatus) d'Amérique du Sud convenait à cet usage.

L'expérimentation animale est l'une des cibles favorites de certains groupes protecteurs de la nature. Il est légitime qu'elle soit limitée au strict nécessaire et qu'elle s'entoure d'un code déontologique solide. Mais paradoxalement, notre parenté biologique avec les primates pourrait devenir l'argument le plus fort en faveur de la conservation de l'ensemble de ces espèces, si menacées actuellement par le commerce et la disparition des habitats.

Le génie écologique

Les activités humaines créent de nombreuses perturbations dans le paysage. Autoroutes, digues et TGV créent de nombreux talus qu'il faut revégétaliser pour l'esthétique et la sécurité. Les pistes de ski ressemblent à des zones dévastées à la fonte des neiges. Les plantes sauvages représentent des ressources insoupçonnées pour la cicatrisation des paysages. L'utilisation des oyats (Psamma arenaria) pour fixer les dunes est un exemple historique qui le prouve, mais l'inventaire commence seulement à être fait des potentialités de la flore sauvage. Par définition mieux adaptées aux aléas de l'environnement, ces plantes conviennent mieux au « génie écologique » que des plantes cultivées qu'il faut aider au départ avec un paillage plastique, et ensuite en désherbant. Dans la lutte contre les pollutions, certaines plantes aquatiques s'avèrent aussi très efficaces, comme les joncs (Scirpus) ou les jacinthes d'eau (Eichhornia).

La leçon de tous ces exemples est qu'il est difficile de prévoir de quels êtres vivants nous pourrons avoir besoin. La prudence commande de veiller à maintenir la diversité génétique la plus large, ne serait-ce que pour pouvoir y puiser le jour venu.