Débats internationaux (chapitre 7, Chauvet et Olivier)
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« Nous empruntons un capital écologique aux générations à venir, en sachant pertinemment que nous ne pourrons jamais le leur rembourser. Ils auront beau nous maudire d'avoir été si dépensiers, ils ne pourront jamais récupérer ce que nous leur devons. Nous agissons de la sorte parce que nous n'avons pas de compte à rendre : les générations futures ne votent pas, elles n'ont aucun pouvoir politique ou financier, elles ne peuvent s'élever contre nos décisions ».
Sommaire
La FAO
Dans le dispositif des Nations unies, la FAO a pour tâche de contribuer au développement de la production agricole, forestière et des pêches, et à celui de la transformation des produits alimentaires. Elle est impliquée dans de nombreuses actions de développement rural ou de lutte contre la désertification. Il était donc normal qu'elle se préoccupe très tôt de la gestion rationnelle des ressources naturelles.
Historiquement, la FAO a été l'une des premières organisations internationales à se préoccuper de ressources génétiques. Dans les années 1960, elle a organisé des colloques qui ont jeté les bases d'une collaboration internationale dans les divers secteurs.
Les plantes cultivées
Quand le Groupe consultatif pour la recherche agricole internationale (GCRAI) a décidé au début des années 1970 de créer une organisation spécialisée dans les ressources génétiques végétales (ou phytogénétiques), la FAO a proposé d'en assurer le secrétariat. C'est ainsi que le CIRP ou IBPGR est né en 1974.
Si la qualité du travail scientifique et technique de l'IBPGR n'a jamais été mise en cause, certains pays lui reprochaient son affiliation à un réseau lié à la Banque mondiale, et où figurent comme donateurs des fondations étatsuniennes. Des campagnes militantes l'accusaient d'être un agent du « pillage des ressources génétiques » au bénéfice des multinationales. D'autres encore s'alarmaient de la faiblesse du statut juridique des banques de gènes et des réseaux internationaux. Ceux-ci se sont en effet développés sur la base de la bonne volonté des instituts de recherche nationaux. On aurait ainsi un risque d'appropriation des ressources génétiques par des intérêts particuliers.
Dans ce contexte s'est développé un conflit entre l'IBPGR et la FAO, qui a culminé dans la décision de l'IBPGR de quitter Rome et l'Italie. Cette décision a suscité un certain étonnement et une grande confusion, tant la FAO et l'IBPGR apparaissaient indissociables aux yeux de la plupart de leurs interlocuteurs. Leur séparation aurait eu des effets néfastes sur les réseaux internationaux de conservation et d'échanges de ressources génétiques. A la suite de nombreuses discussions, les deux organismes ont signé en septembre 1990 un mémorandum d'accord par lequel « les deux parties reconnaissent la nécessité d'assurer un maximum de complémentarité » entre leurs actions, les aspects scientifiques et techniques incombant plutôt à l'IBPGR, et les aspects politiques et juridiques à la FAO. En conclusion, l'IBPGR décidait de rester à Rome, et devrait se transformer en 1993 en institut international à part entière sous le nom d'IPGRI. Cette transformation deviendra effective quand le parlement italien aura ratifié l'accord de siège nécessaire au fonctionnement d'un organisme international, à une date hélas imprévisible du fait de la situation politique interne de l'Italie.
Lors de sa xixe session en novembre 1981, la Conférence de la FAO a adopté la résolution 6/81 sur les ressources phytogénétiques, dans laquelle elle demandait au Directeur général un rapport pour « préparer les éléments d'un projet de convention internationale » et étudier « la création d'une banque internationale de ressources phytogénétiques ». Ce rapport a été présenté à la xxiie session de la Conférence en novembre 1983.
Le projet de créer une banque de gènes où seraient stockées toutes les ressources génétiques de la planète a été jugé tout à fait irréaliste. Il arrivait à un moment où les grandes banques de gènes existantes montraient des signes d'essoufflement. Par contre, le projet de convention avait été élaboré, mais la perspective de désaccords entre pays l'a fait transformer en engagement, qui a une valeur plus morale et politique que proprement juridique.
Lors de la session de 1983 a donc été adoptée la résolution 8/83, par laquelle la Conférence demande aux pays membres de signer un Engagement international sur les ressources phytogénétiques. La France a transmis son accord en décembre 1984, avec des réserves portant en particulier sur le respect de la Convention de Paris sur la protection des obtentions végétales (UPOV). Ces réserves étaient d'ailleurs partagées par la plupart des pays du Nord, alors que certains pays du Sud émettaient des réserves opposées sur l'absence de prise en compte des « droits des paysans », évoqués dans le chapitre précédent.
La Conférence de 1983 a également décidé la création d'une Commission internationale des ressources phytogénétiques (CRPG), qui s'est réunie pour la première fois en mars 1985, puis en mars 1987, en avril 1989 et en avril 1991. Cette commission regroupe tous les pays adhérents (une centaine), alors qu'un groupe de travail plus réduit se réunit entre les sessions.
Enfin, un Fonds international était créé, afin de soutenir les programmes de ressources génétiques dans les pays du Sud.
La diversité des réserves émises par les pays signataires de l'engagement, jointe au fait que nombre de pays (dont les États-Unis, le Japon et le Brésil) ne l'avaient pas signé, en rendait la mise en œuvre impossible. La FAO a alors entrepris l'élaboration d'une « interprétation concertée » de l'engagement, en vue d'en faciliter l'acceptation par de nouveaux pays. Elle est fondée sur la reconnaissance mutuelle du droit des obtenteurs de variétés et du droit des paysans. Le texte de cette interprétation a été transmis officiellement aux gouvernements en 1990, et permet de lever l’essentiel des réserves qui avaient été exprimées. Mais les pays non signataires sont restés en retrait, dans l'attente du résultat des discussions sur la biodiversité.
La FAO propose également d'améliorer le statut juridique des banques de gènes par la signature de contrats par lesquels ces dernières accepteraient officiellement d'être placées sous sa juridiction ou sous ses auspices.
Par contre, le désaccord subsiste sur la façon d'approvisionner le Fonds international. Le caractère obligatoire du dédommagement des pourvoyeurs de ressources génétiques dans les centres d'origine et de diversité par des contributions des producteurs de semences a été contesté par les pays développés.
Enfin, un code de conduite pour la collecte et le transfert de matériel phytogénétique a été réalisé, ainsi qu'un code de conduite pour les biotechnologies. Ces codes sont encore en discussion. La Commission a également proposé que la FAO établisse un plan d'action pour la conservation des ressources phytogénétiques sur le modèle du plan d'action forestier tropical.
Le sentiment général est que la FAO a joué un rôle important de forum de discussion entre pays, mais que cela n'a pratiquement pas débouché sur des actions concrètes.
Les animaux domestiques
La conservation des ressources génétiques animales apparaît comme le parent pauvre dans le domaine de la préservation des ressources vivantes, malgré le nombre des actions ponctuelles qui ont été réalisées dans le passé. L'action de la FAO a été marquée par la tenue d'une conférence technique en juin 1980 et la réalisation d'un programme commun avec le PNUE de 1982 à 1990. En 1989, le Comité de l'agriculture de la FAO (COAG) a insisté sur l'urgence qu'il y avait à élargir ce programme au niveau mondial. Une stratégie a été élaborée en vue d'inventorier et de décrire l'ensemble des races animales utilisées, d'identifier et de protéger les races menacées de disparition, et d'améliorer la productivité des races locales menacées d'être remplacées ou absorbées par des races plus performantes. La FAO réunit donc actuellement des groupes d'experts qui mettent au point des propositions de programme.
Dans un premier temps, un inventaire préliminaire doit être réalisé, qui situera les différentes races, avec la taille de leur population et leurs caractéristiques zootechniques. Une liste d'alerte mettra l'accent sur les races en péril, de façon à guider l'action des États. La FAO s'appuie en particulier sur une base de données européenne sur les races animales, située à l'université de Hanovre.
Des programmes de conservation seront soutenus, et une assistance sera donnée aux pays qui souhaiteraient mettre en œuvre une politique d'amélioration animale s'appuyant sur les races locales, qui ont rarement été étudiées et évaluées. Il est également prévu de soutenir les recherches visant à cartographier le génome et évaluer les distances génétiques entre races, afin de rationaliser leur conservation.
En ce qui concerne le cadre juridique et institutionnel, la FAO propose un Engagement international analogue à celui du domaine végétal. Par ailleurs, le Conseil de la FAO a émis l'idée d'élargir le mandat de la CRPG en la transformant en Commission sur la diversité biologique pour l'alimentation et l'agriculture. Mais la CRPG a estimé à sa session d'avril 1991 que si les problèmes généraux des ressources génétiques végétales et animales sont les mêmes, elles comportent des aspects techniques spécifiques qui risqueraient d'entraîner une dispersion des efforts de la Commission, alors qu'elle a encore beaucoup à faire pour faire fonctionner les dispositifs prévus pour les plantes agricoles.
En résumé, si les animaux domestiques apparaissaient jusqu'à maintenant quelque peu délaissés, la situation est mûre pour que l'on dispose d'ici à quelques années d'instruments similaires à ceux qui existent pour les plantes cultivées.
Les forêts
Dans le domaine forestier, la FAO gère déjà le plan d'action forestier tropical, qui a permis de soutenir la conservation d'un certain nombre d'espèces d'arbres tropicaux menacées. Dans le cadre du processus de Rio, un projet de convention internationale sur les forêts a été envisagé, mais il se heurte à des conflits entre institutions et entre pays, qui traduisent des points de vue opposés, suivant que l'on considère les forêts comme de simples lieux de production de bois ou comme des écosystèmes complexes ayant de nombreuses fonctions. Il a donc été jugé plus réaliste de rédiger au sein du Comité préparatoire de la CNUED une déclaration de base de principes forestiers. Celle-ci, limitée dans un premier temps aux forêts tropicales, a été étendue à l'ensemble des forêts de la planète. Ceci n'a pas empêché les discussions d'achopper sur les mêmes problèmes que le Comité de négociation de la convention sur la diversité biologique. Cette déclaration a été adoptée à Rio.
Le Sommet de la Terre (CNUED, Rio)
La Conférence des Nations unies sur l'environnement et le développement (CNUED) (juin 1992, Rio de Janeiro) a été surnommée le Sommet de la Terre. C'est un événement rare, puisqu'elle fait suite à la Conférence de Stockholm en 1972, qui avait permis d'alerter l'opinion mondiale sur la dégradation de l'environnement du globe. Un groupe de réflexion animé par l'ancien Premier Ministre suédois Harlem Gro Brundtland avait débouché sur un rapport qui a fait date, Notre avenir à tous.
Vingt ans après, les problèmes se sont aggravés, mais la prise de conscience a bien avancé. Il apparaît maintenant évident que les problèmes d'environnement et les problèmes de développement sont indissolublement liés, même si les opinions divergent sur les moyens de sortir de ce cercle vicieux.
La discussion au sein du Comité préparatoire ou Prepcom s'est structurée autour de thèmes d'action rassemblés dans l'Agenda 21, qui constitue un programme pour le xxie siècle (cf. encadré). L'idée force est d'aboutir à une mobilisation de l'ensemble des pays pour maîtriser les problèmes d'environnement planétaires. Les pays du Nord s'engagent à dégager des moyens importants pour aider les pays du Sud à se développer et à protéger leur environnement, en échange d'engagements fermes de ces derniers dans ces domaines. La biodiversité est l'un des principaux thèmes environnementaux traités, avec les changements planétaires. Elle transparaît aussi dans les thèmes qui traitent des milieux (désertification, zones humides, forêt tropicale) et du développement agricole. Au total, l'Agenda 21 représente 800 pages d'engagements non contraignants, qui joueront plutôt un rôle de guide pour les actions futures. Il est prévu de créer une Commission du développement durable chargé d'assurer le suivi de cet Agenda 21.
Le Sommet de la Terre a également adopté une Charte de la Terre.
La Convention sur la biodiversité (PNUE)
L'idée d'élaborer une convention cadre sur la biodiversité a été émise à l'origine par l'Alliance mondiale pour la nature (UICN). Cette convention devait regrouper dans un cadre commun les conventions sectorielles touchant à la protection de la nature, qu'elles soient internationales ou régionales, qu'elles portent sur des espaces ou des espèces. L'objectif était d'aboutir à une meilleure cohérence du système.
Il faut signaler par ailleurs que le Fonds mondial pour la nature (WWF) développe depuis quelques années une campagne en faveur de la biodiversité. La biodiversité est ainsi en passe de devenir un des thèmes majeurs des discussions internationales en matière d'environnement, avec l'effet de serre et la couche d'ozone.
Le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) a repris à son compte l'idée de l'UICN, et a réuni un premier comité d'experts en novembre 1988. Par la suite, un certain nombre de consultations ont été menées avec les secrétariats des diverses conventions existantes, le Groupe de conservation des écosystèmes PNUE-UNESCO-FAO-UICN et des groupes de scientifiques. Le rythme des négociations s'est accéléré depuis 1990. L'objectif affiché était de finaliser le texte de la convention pour qu'elle soit présentée au Sommet de la Terre. Compte tenu de la lenteur des travaux, de la dérive progressive des objectifs et de la persistance de nombreux désaccords, cela paraissait plus en plus improbable. Finalement, un texte de synthèse présenté par le président du Comité de négociation et le directeur du PNUE a été imposé à l'arraché à Nairobi le 23 mai 1992. La convention a donc pu être signée à Rio par 153 pays (plus la CEE). Les États-Unis se sont distingués par leur refus catégorique de signer, le Président Bush avançant comme arguments que la convention ferait perdre des emplois aux Américains (mais personne n'a expliqué comment), et qu'il n'entendait pas imposer à l'industrie des biotechnologies la moindre restriction en matière de protection des droits intellectuels.
La publicité donnée à ce refus a soudain catapulté la biodiversité au premier rang des enjeux de Rio, ce qui a certainement contribué à la signature de nombreux pays du Sud jusque-là réticents, voire violemment opposés comme la Malaisie ou l'Inde. Les pays européens ont pu afficher à moindres frais leur différence avec les États-Unis, alors qu'ils partageaient une partie de leurs critiques.
Un vaste contenu
On trouvera en annexe l'ensemble des articles à caractère scientifique et technique de la convention. L'idée de départ était de traiter de la faune et de la flore sauvages et de leurs milieux naturels. Le domaine a été étendu aux plantes cultivées, aux animaux domestiques et aux micro-organismes ; en fait à tout le monde vivant (sauf l'homme). Si l'on comprend l'intérêt de cette démarche globale, elle comporte néanmoins l'inconvénient d'accroître considérablement la complexité des problèmes à traiter, et le nombre des partenaires concernés, comme nous l'avons montré dans les chapitres précédents.
Un autre changement essentiel porte sur la pondération entre la conservation de la biodiversité, qui était largement l'objectif initial, et son utilisation, qui est devenue la préoccupation principale. De façon significative, les comités scientifiques ont vu leur rôle minoré, et apparaissent comme « organes subsidiaires ».
Cette évolution aura des conséquences qu'il est difficile de prédire. En particulier, les dispositions concernant l'utilisation de la biodiversité se ramènent concrètement à la thématique des ressources génétiques. Or le domaine végétal fait déjà l'objet de l'Engagement international sur les ressources phytogénétiques de la FAO : il a certes un poids juridique plus faible qu'une convention, mais les États sont d'accord pour essayer de le mettre en œuvre de façon pragmatique. La FAO prépare aussi un engagement équivalent pour les ressources génétiques animales, on l'a vu, et une convention sur les forêts viendra peut-être s'y ajouter un jour.
Une difficulté supplémentaire est venue du couplage ressources génétiques / biotechnologies imposé politiquement par certains pays du Sud. Elle s'insère dans le problème plus large des relations entre environnement et développement. L'argumentation se résume caricaturalement par la revendication d'une égalité des échanges entre pays du Sud riches en gènes et pays du Nord riches en technologies. Cette polarisation des débats explique l'accent mis sur les ressources génétiques d'intérêt agricole et industriel, aux dépens des approches habituelles de la protection de la nature. Pour certains pays du Sud (Mexique, Brésil, Inde), l'utilisation de la biodiversité apparaît comme la première des priorités, voire comme une panacée pour le développement, sa conservation n'ayant qu'une moindre importance.
Les protecteurs de la nature ont plaidé pendant des années l'idée que la biodiversité représentait le réservoir à long terme des ressources génétiques utiles pour répondre à des besoins futurs et imprévisibles. Cette bonne idée a fait son chemin, mais peu de personnes se rendent compte de l'énorme disproportion existant entre le faible nombre des ressources qui seront réellement utilisées et l'immensité de la diversité à gérer.
Par ailleurs, l'essor des biotechnologies suscite beaucoup d'espoirs, fondés et infondés. Certains pays du Sud voient là une chance de reprendre quelques atouts pour améliorer leur compétitivité économique. Outre qu'il est difficile de définir ce que sont les biotechnologies, il restera à interpréter la convention pour savoir si elle ne concerne que les technologies liées à l'étude et à la conservation des ressources génétiques et des écosystèmes, ou bien toutes les biotechnologies.
Quels mécanismes de financement ?
Des ONG comme le WWF ont proposé des échanges dette-nature, consistant à racheter une partie de la dette d'un pays contre son engagement à protéger une zone d'intérêt biologique et son accord pour que des actions de conservation y soient menées sous la supervision de groupes scientifiques. De tels accords ont été passés avec Madagascar, l'Équateur, les Philippines, principalement par des ONG anglo-saxonnes (McNeely, 1989).
Des études ont été également réalisées en vue de faire contribuer financièrement les utilisateurs de la biodiversité à sa conservation. Un système de taxes a été envisagé, mais la réflexion n'a guère avancé, du fait de la difficulté d'application d'un tel système. Par contre, un cas de contribution volontaire a fait l'objet d'une large publicité. Il s'agit du contrat passé entre la firme pharmaceutique Merck et l'Institut costaricain de la biodiversité (INBIO), par lequel Merck finance des actions de prospection qui alimenteront les inventaires et les collections d'INBIO, tout en fournissant à Merck du matériel susceptible de contenir des matières actives à usage pharmaceutique. En cas de dépôt de brevet, INBIO recevra 5% des redevances. L'avenir dira si cet exemple fait école. Mais sa signification va-t-elle réellement au-delà d'une opération publicitaire qui apporte un gain politique à cette firme ? La société Pioneer (leader de la sélection du maïs) avait procédé de même en versant un chèque au Fonds international de la FAO pour les ressources phytogénétiques, ce qui lui avait permis d'être citée dans les rapports officiels et les revues spécialisées.
La polémique a d'ailleurs commencé sur cet accord Merck-INBIO. Il se trouve en effet qu'INBIO est une structure récente de droit privé, créée avec l'appui d'institutions étatsuniennes. L'État du Costa-Rica, dans l'exercice de sa souveraineté nationale, n'avait pas été consulté, et des voix se sont élevées pour demander que les universités et instituts publics profitent aussi de cette « manne ».
Dans le cadre de la convention, les pays du Sud souhaitent que soit créé un Fonds international spécifique à la biodiversité, géré par une agence des Nations unies et alimenté par des contributions obligatoires. Un accord de ce type a été trouvé dans le protocole de Montréal, où l'on pouvait établir une règle simple liant la production des gaz nocifs au montant des contributions. Pour la biodiversité, la situation est très différente.
La préférence des pays donateurs du Nord va au mécanisme récemment créé, appelé Facilité pour l'environnement mondial (GEF), ou encore Facilité Bérégovoy, la France étant à l'origine de sa création. Ce mécanisme est géré par la Banque mondiale, et est encore dans une phase expérimentale. Un compromis devra être trouvé entre d'une part la nécessité politique d'associer les pays du Sud aux décisions en assurant un minimum de démocratie et de transparence, et d'autre part le souci des donateurs de contrôler l'efficacité de l'utilisation des crédits importants qui sont prévus. Certaines voix, comme l'UICN (McNeely, 1991), ont par ailleurs mis en doute la capacité de la Banque mondiale à gérer ce type d'actions, qui ne se conçoivent que sur le long terme, et non pas comme des incitations limitées dans le temps.
La formulation finalement retenue pour les articles financiers est d'une rare obscurité. Elle traduit le refus catégorique de certains pays du Sud de voir mentionnée la GEF, et le refus des pays du Nord de se voir imposer la signature de chèques en blanc, dans un dispositif où leurs contributions seraient obligatoires, alors que les décisions seraient prises « démocratiquement » par la Conférence des parties, sur la base de la règle « un pays, une voix ».
Avec le texte signé, on est loin de la belle langue qu'affectionnent les diplomates et les juristes. Derrière une certaine logomachie, on trouve en fait peu d'engagements précis. De nombreuses dispositions peuvent s'interpréter de façon maximaliste ou minimaliste, et les discussions s'annoncent longues pour les mettre en œuvre. Des protocoles seront probablement à négocier. En première lecture, il semble que la convention verrouille totalement l'accès à la biodiversité. Mais l'« accord préalable informé des États » pourra se traduire par des accords-cadres de coopération bi- ou multilatérale, qui une fois signés auraient le mérite de clarifier la situation.
Une telle convention est-elle nécessaire ? Les contacts avec les milieux de la conservation dans les pays du Sud incitent à répondre par l'affirmative. Cette convention leur permettrait de mieux plaider la cause de la biodiversité dans des pays assaillis par des problèmes qui sont tous prioritaires. Par ailleurs les décideurs des pays du Nord pourront voir un intérêt politique à soutenir davantage les actions de recherche et de conservation de la biodiversité dans leurs propres pays, actions qui ont grand besoin de ce soutien.
Mais pour que la convention entre en vigueur, il faut qu'elle soit ratifiée par les parlements d'au moins trente-cinq pays. Cela est loin d'être acquis, car certaines formulations peuvent au dernier moment être jugées contraires aux intérêts de tel ou tel pays, du Nord comme du Sud. On n'a donc pas fini de parler de la biodiversité ; et finalement, qu'il y ait ou non une convention, c'est cela qui est le plus important.
L'UICN et la Stratégie mondiale de la biodiversité
La Stratégie mondiale de la conservation a été publiée conjointement en 1980 par l'UICN, le PNUE et le WWF. On lui doit l'affirmation de l'interdépendance de la conservation de la nature et du développement. Cette affirmation passait d'ailleurs par un élargissement considérable du sens du mot « conservation », où ces organisations incluent maintenant l'« utilisation durable » des ressources. Cette définition, possible en anglo-américain, qui distingue conservation et preservation (la protection intégrale), est devenue une source de confusion permanente dans les autres langues.
La Stratégie a fait l'objet en 1991 d'une nouvelle version sous le nom de Sauver la Planète. Par ailleurs, le WRI, l'UICN et le PNUE viennent de publier en 1992 une Stratégie mondiale de la biodiversité. Ces documents contribuent largement à nourrir les débats internationaux, même si une analyse précise de leur contenu laisse transparaître une tendance certaine à reproduire une « vulgate » de la protection de la nature fortement imprégnée de conceptions anglo-saxonnes.
Le récent congrès de Caracas (février 1992) a permis de faire le bilan des actions au niveau mondial. Organisé par la Commission des parcs nationaux et des aires protégées de l'UICN, il faisait suite aux congrès de Seattle (1962), Wyoming (1972) et Bali (1982). Ces congrès visent à dresser un bilan régulier de la politique de création et de gestion des aires protégées dans le monde, en abordant toute une gamme de questions touchant tant aux connaissances fondamentales en écologie, à la pratique courante de la protection de la nature, de la politique, de l'administration et du droit. La diversité des thèmes abordés se traduit par la diversité des origines et des compétences professionnelles des participants.
Avec plus de 1500 inscrits, le congrès de Caracas marque une étape particulière dans la politique mondiale des aires protégées, à qui l'on demande maintenant d'intégrer le développement durable ainsi que la gestion de la biodiversité et des ressources génétiques dans leurs objectifs.
Pour la première fois s'est manifestée une fronde marquée vis-à-vis de l'establishment anglo-saxon. Alors qu'Anglais, Américains et Australiens imposaient leurs points de vue dans les ateliers et les groupes de travail, confortés en cela par une organisation qui privilégiait tant au niveau de la discussion (très peu de traduction simultanée) que de la diffusion des documents du congrès (documents traduits tardivement et partiellement), les représentants des pays du Sud et plus particulièrement les Latino-Américains se sont largement manifestés au moment de l'adoption des résolutions finales où les textes proposés ont été contestés.
Au total, les résolutions, recommandations et déclaration paraissent très datées intellectuellement (il s'agit des conceptions en vigueur en France dans les années 1970-80) et conformistes. Elles reflètent mal la diversité des exposés et des interventions dans les ateliers. On aurait attendu mieux d'une telle confrontation entre praticiens.
Les rencontres du Keystone Dialogue
De nombreux colloques et tables rondes ont accompagné l'émergence du débat sur la biodiversité. Une mention particulière peut être faite des rencontres organisées par le Centre Keystone, organisation à but non lucratif créée en 1975 à Keystone, dans le Colorado (États-Unis). Sous son égide, trois rencontres ont eu lieu, à Keystone en 1988, Madras en 1990 et Oslo en 1991, regroupant des personnes impliquées dans les programmes de ressources génétiques au niveau national et international (Keystone, 1991). Ces rencontres ont abouti à des rapports largement diffusés, la règle voulant que le contenu soit approuvé par consensus. Leur mérite est d'analyser les lacunes du système international, de procéder à une évaluation des besoins financiers et de contribuer aux discussions internationales. Le rapport d'Oslo propose une structuration très élaborée pour ce qui est qualifié d'« Initiative mondiale pour les ressources génétiques végétales ». Il met par ailleurs l'accent sur la fragilité des banques de gènes d'Europe de l'Est et d'Éthiopie.
Cela dit, il faut reconnaître que cette initiative a aussi pour objectif de contrebalancer celles des organisations internationales de protection de la nature. Certains responsables de banques de gènes craignent en effet que les ressources génétiques ne se retrouvent en quelque sorte « noyées » dans des programmes sur la biodiversité qui se limiteraient à une politique classique de parcs nationaux.
La coopération scientifique internationale
Déjà en 1968, l'UNESCO avait organisé à Paris, en collaboration avec l'OMS, la FAO, l'UICN et l'ICSU, une « Conférence intergouvernementale d'experts sur les bases scientifiques de l'utilisation rationnelle et de la conservation des ressources de la biosphère ». L'idée n'est donc pas neuve.
Un programme de recherche sur la biodiversité intitulé Diversitas a été récemment proposé conjointement par l'Union internationale des sciences biologiques (UISB), le Comité scientifique pour les problèmes de l'environnement (SCOPE) et le Programme « L'homme et la biosphère » (MAB, UNESCO). Ses principaux objectifs sont :
1) identifier les questions scientifiques qui demandent une coopération internationale sur le rôle de la biodiversité dans le fonctionnement des écosystèmes ;
2) traiter des questions générales concernant la façon dont la connaissance des espèces et de la diversité des écosystèmes peut contribuer à l'écologie globale ;
3) rechercher comment la diversité des espèces contribue au fonctionnement des systèmes (Solbrig, 1991).
L'intérêt d'un tel programme est indéniable pour un enjeu qui se situe d'emblée au niveau mondial. Grâce à la définition de sites de recherches communs, qui s'appuieront largement sur les réserves de la biosphère, il permettra de rassembler des scientifiques trop souvent isolés dans leur discipline. Il faut se rappeler que pour la systématique de bien des groupes d'êtres vivants, il n'existe que quelques spécialistes au monde.
Le lien avec les réserves de la biosphère permettra, espérons-le, de dépasser l'opposition entre recherche fondamentale et recherche orientée vers la conservation. Enfin, l'UISB et ses associations adhérentes s'activent pour mobiliser les connaissances accumulées par les biologistes au service de la gestion de la biodiversité, à travers des réseaux de bases de données en particulier. S'il est vrai par exemple que les systématiciens sont en nombre trop réduit, leurs méthodes de travail ne sont plus à la hauteur des enjeux. Plusieurs colloques ont donc engagé une réflexion de fond sur la mise sur pied de systèmes d'information sur la classification, la répartition et la biologie des êtres vivants. Le problème est complexe, et passe par l'élaboration de normes et des procédures de stabilisation des noms scientifiques. Cela bouscule parfois des habitudes ancrées depuis des siècles, mais pourrait déboucher sur une relance de l'intérêt pour les disciplines naturalistes.
L'Europe
La Communauté Européenne éprouve beaucoup de difficultés pour élaborer et mettre en œuvre une politique sur la biodiversité. Aux problèmes touchant à la complexité du sujet et à la diversité des approches s'ajoute en effet le problème institutionnel des domaines de compétence, qui reviennent aux états membres tant qu'il n'en a pas été décidé autrement. Ainsi, la politique agricole et l'environnement sont de la compétence de la Communauté, mais pas la recherche dans son ensemble : n'est de la compétence communautaire que la recherche visant à améliorer la compétitivité du secteur industriel.
A la fin du programme FAST (Forecasting and Assessment in Science and Technology) de la DG XII, la Commission avait organisé à Dublin en avril 1987 une Conférence européenne sur « La diversité biologique - un défi pour la science, l'économie et la société ». Cette Conférence n'a guère été suivie d'effet, ses actes n'ayant même pas été publiés.
Un des problèmes majeurs est l'émiettement des responsabilités entre les diverses Directions générales de la Commission et leurs services. Au niveau national, on arrive à surmonter ces problèmes en créant des structures interministérielles, mais cela semble nécessiter des efforts surhumains pour la technocratie de Bruxelles. La biodiversité, thème englobant s'il en est, ne peut qu'en souffrir. Ainsi, si la DG XI chargée de l'environnement a reçu mandat pour négocier la Convention sur la biodiversité, la DG XII chargée de la recherche vient de lancer des programmes de recherche sur les méthodologies d'analyse de la biodiversité et le développement de bases de données systématiques. Enfin, à la suite d'une vote du Parlement européen demandant l'affectation de crédits à la conservation des ressources génétiques, la DG VI, chargée de l'agriculture, cherche encore à fixer sa doctrine en la matière, tout en ignorant l'acquis des réseaux européens existants ; seules seraient recevables les actions venant en appui de la réforme de la Politique agricole commune : évaluation des collections en vue de l'extensification des techniques, subventions aux agriculteurs et éleveurs utilisant des races et variétés locales ou menacées. Le souci semble être de favoriser, un peu tard, la diversification.
Dans un contexte où le patrimoine génétique maintenu dans les pays de l'Est européen est menacé de disparition par la crise économique qu'ils traversent, et où les pays du Sud nous soupçonnent de chercher à nous approprier leur biodiversité, cette situation ne manque pas d'inquiéter. Il faudra en tout cas une forte pression politique pour qu'elle change, et que soit reconnue la nécessité d'une approche globale et d'un soutien concret aux réseaux existants.
Et la France ?
Dans chaque chapitre de ce livre, nous avons exposé ce qui se fait en France. Nous ne referons donc pas ici la liste des structures et de leurs actions, mais nous présenterons quelques lieux du débat en cours.
Les ressources génétiques et la biodiversité ont longtemps souffert d'être confinées à quelques cercles de spécialistes. La relative richesse de la France en ressources biologiques a pu retarder la prise de conscience de leur érosion. Comme celle-ci se déroule de façon lente et insidieuse, elle se prête mal à des campagnes médiatiques qui s'appuient de plus en plus sur une actualité catastrophique.
Les avancées de la biologie moderne permettront peut-être d'amener la discussion sur un terrain nouveau. Les nombreux problèmes éthiques posés par les applications de la biologie humaine ont suscité un vaste débat, dans lequel la France peut s'honorer de jouer un rôle de premier plan. C'est ainsi que les organisateurs du colloque « Patrimoine génétique et droits de l'humanité » (Paris, 25-28 octobre 1989) ont jugé nécessaire d'élargir leur réflexion à d'autres espèces vivantes que l'homme, ce qui s'est traduit par deux ateliers sur les ressources génétiques et les biotechnologies (Gros et al., 1992) et l'adoption d'une recommandation que nous reproduisons en encadré.
Le Parlement s'est également saisi du problème. Après un premier rapport sur les biotechnologies (Chevallier, 1990), qui insistait déjà sur les liens avec les ressources génétiques, l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques a réalisé un second rapport sur la question spécifique de la biodiversité (Chevallier, 1992). L'Académie des sciences élabore à son tour un rapport sur le thème « Environnement et biodiversité ». On peut dire que le débat est maintenant sur la place publique. Chacun sait donc que la biodiversité fait partie des enjeux que l'on englobe sous le nom de changements planétaires. Si l'on peut regretter la faible implication des administrations et des scientifiques dans la préparation du Sommet de la Terre, il nous faut maintenant gérer « l'après Rio ». La France ne peut se permettre d'être absente des actions qui s'ébauchent.
Une réflexion s'est ainsi engagée sur la création d'un groupement d'intérêt public (GIP) sur les ressources génétiques et la biodiversité, qui prendrait le relais du Bureau des ressources génétiques. Créé en 1983 par le ministère de la Recherche pour jouer un rôle d'impulsion et de coordination entre ministères, organismes de recherche et structures de conservation, le BRG n'a jamais eu de statut, ni de moyens à la hauteur de ses missions. Il a néanmoins contribué à créer les conditions du dialogue entre des acteurs qui s'ignoraient souvent, et à soutenir quelques réseaux.
Si la plupart des ministères ont un rôle à jouer, celui du ministère de l'Environnement est central. Le mot biodiversité est apparu timidement dans le Plan national pour l'environnement. Mais les actions concrètes, en dehors de la lutte contre les pollutions diverses, dont nul ne conteste l'utilité, restent trop marquées par l'attention quasi exclusive portée à quelques espèces animales qui cristallisent les conflits. On peut dire sans jeu de mots que l'ours cache la forêt et l'ensemble de la biodiversité. Nous avons pourtant une palette d'outils diversifiés (parcs nationaux et régionaux, réserves naturelles, conservatoires botaniques nationaux, conservatoires d'espaces...) qui peuvent être mobilisés, mais il y faudra des moyens.
La conjoncture politique se prête mal à des prises de décisions sur des problèmes de long terme. Mais il y a toujours une conjoncture politique, et il nous reste à espérer que ces décisions ne tarderont plus. Nous ne pouvons pas non plus attendre que les philosophes aient rendu leur verdict sur les valeurs qui sous-tendent l'écologie politique. Nous espérons avoir démontré que la gestion de la biodiversité pouvait et devait se bâtir sur des bases scientifiques solides. Indépendamment des choix éthiques et sentimentaux que chacun peut faire en tant que citoyen, il en va de nos capacités à utiliser durablement la biosphère, en laissant aux espèces et aux milieux leurs capacités évolutives.