Biodiversité et environnement (chapitre 5, Chauvet et Olivier)
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« Alice regarda autour d'elle d'un air stupéfait.
- Mais voyons, s'exclama-t-elle, je crois vraiment que nous n'avons pas bougé de sous cet arbre ! Tout est exactement comme c'était !
- Bien sûr, répliqua la Reine ; comment voudrais-tu que ce fût ?
- Ma foi, dans mon pays à moi, répondit Alice, encore un peu essoufflée, on arriverait généralement à un autre endroit si on courait très vite pendant longtemps, comme nous venons de le faire.
- On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu'on peut pour rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça ! »
Sommaire
On a pris pour habitude d'appeler changements globaux l'ensemble des phénomènes qui seront susceptibles d'affecter l'ensemble de la planète, qu'il s'agisse du climat, des ressources en eau, mais aussi de la démographie de l'espèce humaine. Le qualificatif anglo-saxon global a ici le double sens de « qui s'applique à un ensemble » et de « qui s'applique au globe terrestre ». Les changements globaux sont à la fois un ensemble de changements liés entre eux, et des changements qui ne concernent plus des territoires limités, mais la Terre entière. Ce sont des changements planétaires.
Tous les auteurs s'accordent à penser que les effets des changements climatiques seront largement amplifiés, voire oblitérés, par l'explosion de la démographie et les mouvements de population qui en seront la conséquence. Les espaces naturels seront profondément modifiés au cours du siècle prochain, avec pour conséquence probable une perte considérable de diversité et l'arrivée un peu partout d'espèces végétales et animales ubiquistes, qui tendront à se substituer aux espèces plus spécialisées qui existaient auparavant.
Les changements climatiques
Les facteurs de changement sont nombreux, et leurs conséquences sur le climat de la Terre aux différentes latitudes sont difficiles à prédire. L'essentiel est donc d'exposer les éléments qui doivent être intégrés dans la discussion, celle-ci étant loin d'être close.
L'effet de serre correspond à la propriété qu'a l'atmosphère terrestre d'absorber une partie du rayonnement émis par la surface de la terre et de limiter ainsi les pertes d'énergie vers l'espace. C'est grâce à cet effet de serre que le type de vie que nous connaissons a pu s'installer et se maintenir à la surface de la Terre. En son absence, la température moyenne de la Terre serait inférieure de 30°C, soit environ -18°C.
Divers gaz entrant dans la composition actuelle de l'atmosphère sont impliqués dans la génération de l'effet de serre. Il s'agit du gaz carbonique (CO2), du méthane (CH4), des chlorofluorocarbones (CFC), de l'oxyde nitreux (N2O3) et de l'ozone (O3). De par ses activités, l'homme a contribué indéniablement à l'accroissement de la concentration de ces gaz dans l'atmosphère. Trois d'entre eux interviennent majoritairement dans l'effet de serre :
- les chlorofluorocarbones (CFC), outre leurs implications dans la destruction de la couche d'ozone stratosphérique, interviennent pour 10% environ. A concentration égale, ils sont 20 000 fois plus actifs que le CO2. La concentration de ces produits, entièrement artificiels, est partie d'une valeur 0 vers le milieu du siècle et s'est accrue à un rythme de 5% par an environ jusqu'à ces dernières années, où des mesures ont été prises dans divers pays, dont la France, pour en diminuer, puis en faire cesser la production ;
- le méthane contribue actuellement pour 30% environ à l'effet de serre. A concentration égale, sa capacité à générer un effet de serre est 25 fois supérieure à celle du gaz carbonique. Il est émis essentiellement par les rizières et le bétail, mais les activités industrielles ont aussi contribué à son accroissement. Depuis le début de l'ère industrielle, sa concentration dans l'atmosphère semble s'être accrue de 150%. Sur les vingt dernières années, cette concentration semble s'accroître à un taux de 1% par an ;
- le gaz carbonique est actuellement le responsable essentiel de l'effet de serre (60% environ). Sa concentration dans l'atmosphère s'est régulièrement accrue depuis le xvie siècle du fait de l'utilisation des combustibles fossiles et des déforestations. De 280 ppmv au début de l'ère industrielle, cette concentration est passée à 314 ppmv en 1958 et à 360 ppmv aujourd'hui. Depuis une quarantaine d'années, elle croît à peu près régulièrement de 0,5% par an. Au taux de croissance actuel, elle pourrait être de 600 à 700 ppmv vers les années 2030 - 2060.
Les seules certitudes que nous possédons actuellement concernent d'une part la température moyenne de la surface de la Terre, qui s'est élevée de 0,6°C au cours du xxe siècle, d'une manière irrégulière d'ailleurs, puisqu'entre 1945 et 1975 on a assisté au contraire à une diminution ; d'autre part, l'élévation de la teneur en gaz carbonique de l'air s'élève progressivement depuis le début de l'ère industrielle.
La Terre a connu par le passé des variations climatiques d'une ampleur égale ou supérieure à celle que nous constatons. Ainsi depuis la dernière glaciation, celle du Würm il y a environ 17 000 ans, la température moyenne en Europe centrale est progressivement remontée de 10°C. Depuis 9 000 ans, elle présente des oscillations de 1 à 2°C d'amplitude et de quelques siècles de durée. On ne peut a priori exclure que le réchauffement actuellement constaté s'inscrive dans de telles oscillations. A l'époque historique, la différence entre le maximum de température enregistré à l'époque médiévale vers 1200 et le « petit âge glaciaire » au xviie siècle aurait été d'environ 1°C.
L'essentiel des travaux prospectifs réalisés à l'heure actuelle concerne le gaz carbonique, et plus précisément les conséquences climatiques qu'entraînerait un doublement de son taux. Dans tous les cas, les différentes conclusions auxquelles aboutissent les chercheurs (Académie des sciences, 1990 ; Le Houérou, 1990 ; Solomon et al., 1990 ; Solomon, 1992 ; Rowntree, 1990 ; Jager, 1988) et qui sont présentées ci-après, sont à considérer comme des scénarios vraisemblables et non comme des prédictions, encore moins comme des certitudes.
En moyenne, les différents scénarios aboutissent aux conclusions suivantes :
- augmentation de la température moyenne de 3°C ± 1.5°C vers 2030 - 2050 ;
- augmentation assez générale du volume des pluies. Cependant, une perturbation probable du bilan pluies - évaporation est envisagée, car l'essentiel des précipitations risque de se concentrer au-dessus des océans, alors que l'évaporation sera plus forte sur les masses continentales ;
- accroissement de l'évaporation potentielle de 200 mm/an ;
- augmentation de la production primaire due à l'excès de CO2, là où la pluviométrie ne constituera pas un facteur limitant ;
- élévation du niveau de la mer de 15 à 80 cm (voire de 1 à 2 m selon certaines hypothèses) avec pour conséquence la submersion de territoires côtiers déjà fortement inondables, hébergeant souvent des populations nombreuses, comme c'est le cas dans le delta du Nil, au sud du Bangladesh, aux Pays-Bas, mais aussi de terres peu habitées comme les Maldives.
Ces valeurs globales méritent cependant d'être nuancées à divers titres. L'augmentation de la concentration en gaz carbonique sera contrôlée dans des proportions aujourd'hui encore difficiles à préciser par la fixation par les océans et l'augmentation de la photosynthèse. De plus, la maîtrise par les hommes de la fusion nucléaire, prévue pour les années 2020, devrait entraîner un infléchissement de la consommation en carburants fossiles et donc une diminution notable des émissions de CO2 dans l'atmosphère.
Certains physiciens de l'atmosphère (Rochner et al., 1987) considèrent que l'accroissement de la teneur en CO2 pourrait conduire au contraire à un refroidissement, car l'effet d'albédo (c'est-à-dire le pouvoir de réflexion) pourrait s'avérer plus important que l'effet de serre lui-même.
Des facteurs imprévisibles de refroidissement pourront intervenir, comme par exemple des explosions volcaniques qui influeraient sur le climat de la terre par émission d'aérosols dans la stratosphère. Ainsi, pour certains experts, l'activité des volcans, qui s'est accrue depuis 1945, pourrait entraîner une baisse de température égale ou supérieure à l'élévation produite par l'effet de serre.
L'instabilité de l'atmosphère risque d'augmenter considérablement, entraînant une augmentation de la fréquence d'événements météorologiques comme les cyclones, la succession d'années de sécheresse exceptionnelle, les vagues de froid, soit tout un ensemble de phénomènes qui jouent un rôle plus essentiel dans la répartition et le maintien des animaux, des végétaux et des écosystèmes que des variables météorologiques habituelles comme la température ou la pluviométrie moyennes.
Les incidences climatiques seraient en fait bien différentes selon les latitudes. Ainsi, aux latitudes élevées (supérieures à 55 ou 60°), les changements les plus significatifs affecteraient les températures, qui pourraient augmenter durant le prochain siècle de 3°C en moyenne et de 1,5 à 2,0°C en été et de 6 à 7°C en hiver. Parallèlement, le volume des précipitations ainsi que l'humidité des sols pourraient notablement augmenter en hiver, période pendant laquelle les chutes de neige pourraient souvent laisser place à la pluie. L'augmentation des températures aurait aussi comme conséquences d'allonger la période de végétation, de réduire la superficie des zones de pergélisol, d'augmenter la nébulosité et d'étendre ainsi le territoire potentiel de la variante océanique de ce type de climat. A titre d'illustration, l'Islande pourrait ainsi bénéficier d'un climat comparable à celui du Nord de la Grande-Bretagne aujourd'hui.
Dans les régions tempérées, correspondant aux latitudes situées entre 35 et 55° environ, les températures hivernales devraient augmenter nettement plus que les estivales. Les différents scénarios suggèrent des augmentations au cours du siècle prochain, et selon les régions, de 2,4 - 3,0°C à 6,4 - 8,0°C en été, et de 3,6 - 4,2°C à 9,6 - 11,2°C en hiver. Le taux d'humidité des sols pourrait connaître des déficits significatifs au printemps et en été, et ceci même à des latitudes moyennes qui connaissent à l'heure actuelle des climats tempérés. Le régime des précipitations ira dans le sens d'une plus grande irrégularité ; essentiellement réparti sur l'automne et l'hiver, son volume pourra varier assez considérablement d'une année à l'autre. La succession d'années déficitaires deviendrait un phénomène fréquent. Il est cependant à noter que les effets du réchauffement global sur l'Europe occidentale pourraient être ralentis par la proximité de l'Océan atlantique, dont l'effet tampon est important.
Dans les régions tropicales, de l'Equateur aux latitudes 25 à 30° environ, les modifications attendues iraient dans le sens d'une augmentation modérée des températures, 2 à 3°C en hiver et en été. Les régions tropicales humides devraient recevoir des volumes de précipitations plus importants, alors que les régions tropicales plus arides devraient souffrir de déficits accusés, compte tenu de l'augmentation de l'évapotranspiration potentielle. L'Amérique centrale, l'Amazonie, l'Afrique équatoriale ou la péninsule indochinoise pourraient ainsi souffrir de déficits chroniques de l'humidité de leurs sols, ce qui accélérerait la dégradation des forêts primaires et rendrait possibles les incendies de forêts.
Les conséquences présumées pour l'agriculture
Il convient de parler de conséquences présumées, car personne ne peut réellement prédire ce que sera l'agriculture de demain. Indépendamment de tout changement climatique, celle-ci sera sans aucun doute appelée à de profonds changements, compte tenu des progrès prévisibles du génie génétique et des technologies en général, sans parler des changements politiques (politique agricole commune, GATT). Les scénarios qui peuvent être établis aujourd'hui ne se réfèrent donc qu'à notre perception actuelle de l'agriculture.
Une des méthodes utilisées pour l'établissement de ces scénarios est d'identifier des régions qui présentent à l'heure actuelle des climats analogues aux futurs climats présumés des régions étudiées (Parry et al., 1990). La principale difficulté rencontrée dans l'application de ce raisonnement est qu'elle ne tient pas compte d'un phénomène essentiel : la variation de la longueur du jour avec la latitude. Aujourd'hui, les variétés cultivées à de hautes latitudes sont spécialement sélectionnées en vue de leur adaptation à des périodes de végétation courtes en conditions de jours longs. La simple transposition de variétés plus méridionales ne s'avérera donc pas suffisante. Les généticiens et les sélectionneurs restent cependant relativement optimistes, dans la mesure où l'accroissement de température sera vraisemblablement minime en regard de la vitesse à laquelle les programmes de sélection peuvent être menés dans leur forme conventionnelle (10 à 15 ans). Tout se jouera donc sur les ressources génétiques qui auront été conservées. Déjà, Jackson et al. (1990) recommandent d'étudier le comportement de l'ensemble des cultivars existants dans des gammes de climats très variés, ce qui est en cours pour la pomme de terre.
De la variété des réponses attendues en fonction des latitudes, on peut cependant tirer quelques enseignements généraux.
A l'exclusion des zones tropicales humides, l'agriculture devra s'adapter à la concentration des précipitations en automne et hiver, et à l'augmentation de l'évaporation au printemps et en été. Ceci pourrait entraîner par exemple l'abandon progressif de la culture des céréales de printemps non irriguées au profit des céréales d'hiver. Pour toutes les cultures, les rendements seront directement liés à l'intensité des précipitations.
La relative instabilité du climat futur pourrait entraîner les sélectionneurs à privilégier les variétés à rendement stable au détriment des plus performantes.
On assistera à une remontée en latitude et en altitude des cultures sensibles au froid et à l'abandon des grandes cultures céréalières réalisées en zone aride et semi-aride, par exemple en Grèce, en Espagne et en Italie du Sud.
Pour permettre l'extension de la culture des céréales, de grandes superficies de forêts pourraient être défrichées, notamment dans le nord de l'Europe et du continent américain.
Il n'est pas sûr qu'une même plante cultivée à une latitude supérieure puisse fixer de la même manière sels minéraux et vitamines. Le recours à d'autres cultures, destinées à corriger le déficit de la ration alimentaire en ces éléments essentiels s'avérera certainement nécessaire.
L'agriculture des zones tempérées aura à faire face au problème de la prolifération des ravageurs. De nombreux parasites, bactéries, insectes, plantes adventices, venant de régions plus chaudes, poseront de nouveaux problèmes à des agriculteurs et des forestiers peu armés pour les combattre.
Les conséquences présumées sur l'évolution des milieux naturels et des espèces sauvages
En un siècle, on pourrait assister à une remontée de 550 km en latitude et de 550 m en altitude des ceintures de végétation potentielles (valeurs moyennes communément admises entre l'hypothèse basse : réchauffement d'1°C, remontée de 200 km en latitude et de 200 m en altitude ; et l'hypothèse haute : réchauffement de 3,8°C, remontée de 700 km en latitude et de 700 m en altitude) (Le Houérou, 1990 ; Ozenda et al., 1991). Peu d'espèces actuellement présentes sous nos climats seront capables de migrer à une telle vitesse (les espèces herbacées et peut-être les arbres à semences ailées seront certainement parmi les plus favorisés). Il est par ailleurs vraisemblable que la reconstitution de milieux équilibrés prendra plusieurs siècles, voire un millénaire.
La vitesse à laquelle le réchauffement est susceptible de se produire inquiète peut-être plus les biologistes que l'ampleur du réchauffement elle-même. En effet, une élévation de 3 à 11°C par siècle correspond à un taux une à deux fois supérieur à ce que les espèces ou les écosystèmes tempérés ont connu lors des 100 000 dernières années. Nul ne peut prédire avec certitude la manière dont réagiront les écosystèmes naturels à cette vitesse de changement. On peut par contre s'interroger sur les aptitudes à la cicatrisation que pourront présenter les espèces indigènes en réponse aux perturbations massives qu'auront à subir les forêts ou les grands écosystèmes.
L'évolution des relations plantes-insectes constitue une autre incertitude majeure (Hattemer et al., 1990). Les arbres et les plantes ligneuses sont dans l'incapacité d'évoluer aussi rapidement que ces types d'animaux aux cycles reproductifs très courts. Les arbres forestiers, compte tenu de la possible réduction en composés azotés de leurs feuilles, pourront subir de très graves destructions sous l'action des insectes phyllophages.
Les conséquences sur les milieux naturels et les espèces seront modulées notamment en fonction de la latitude. Ainsi les milieux naturels et les espèces présentes aux latitudes élevées auront à faire face à de profondes perturbations. Les espèces végétales et animales fortement adaptées aux conditions particulières de ces régions pourront être amenées à disparaître au fur et à mesure de la raréfaction des milieux auxquels elles sont inféodées. On pourrait ainsi assister à des phénomènes massifs de mortalité de batraciens et surtout de mammifères, incapables de résister aux fortes températures de l'été. En ce qui concerne les milieux, les zones humides des régions arctiques seront profondément modifiées.
Les grandes forêts boréales seront particulièrement perturbées par les incendies et les migrations d'insectes xylophages et défoliateurs. Les régions de plaines, étant donné l'homogénéité de leur composition floristique et faunistique, seront les plus marquées, sujettes à des destructions aussi massives que soudaines. Les forêts pourront ainsi être remplacées pendant plusieurs décennies par des tapis denses de lichens peu favorables à la germination des semences forestières.
Par contre, dans les régions montagneuses, la plus grande diversité des espèces et des habitats laisse supposer une meilleure capacité de réponse du milieu et une meilleure adaptation au changement.
Aux latitudes moyennes, les mêmes perturbations dues à l'augmentation de la fréquence des incendies et à la prolifération d'insectes xylophages et phyllophages seront observées dans les forêts.
Les hivers rudes ne joueront plus comme aujourd'hui leur rôle traditionnel d'élimination des champignons, bactéries et insectes ravageurs. Les remontées d'agents pathogènes subtropicaux deviendront plus fréquentes.
Les réponses des écosystèmes dépendront essentiellement de l'humidité des sols, de l'importance de la pluviométrie et surtout de son régime, l'élévation de température étant amenée à jouer un rôle mineur, sauf pour les écosystèmes très spécialisés de haute montagne, dont les exigences écologiques diffèrent peu de celles des formations arctiques, qui pourront localement disparaître. En Europe du Sud et en Méditerranée, c'est ainsi tout un ensemble d'espèces animales et végétales très spécialisées et présentant un fort taux d'endémiques qui pourrait disparaître en l'absence de possibilités de translation en altitude ou en latitude. Les endémiques de la Sierra Nevada en Espagne, du Haut-Atlas marocain, certaines endémiques pyrénéennes et bien entendu alpines, pourraient être au nombre de celles-ci. La régression en surface et en durée du manteau neigeux entraînera un appauvrissement de la réserve en eau alimentant la montagne en été. Les groupements de combes à neiges et les marais d'altitude risquent ainsi de disparaître pour cause de dessèchement estival (Ozenda et al., 1991).
En Afrique du Nord, on assistera à une intensification des phénomènes d'aridification dans les zones à climat aride et semi-aride et à une accélération des phénomènes de désertification, alors que la moitié nord de la France et de nombreux autres pays de l'Europe découvriront les incendies de forêts.
Une succession d'années de sécheresse combinée avec un pâturage excessif pourrait conduire à une dégradation irréversible des habitats, notamment ceux qui sont susceptibles d'héberger des ressources génétiques essentielles, comme des parents sauvages d'espèces cultivées. Le Proche-Orient, centre de diversité d'espèces de première importance comme le blé, l'orge, le seigle, l'avoine, les lentilles, sera particulièrement exposé à ce type de problème.
Chez les espèces animales, les batraciens et les oiseaux seront parmi les groupes qui auront le plus à souffrir d'une modification du régime et de l'intensité de la pluviométrie. A ce titre, ils constitueront des indicateurs privilégiés pour l'observation du changement.
Les milieux humides subiront des modifications très sensibles, souvent marquées par l'eutrophisation, une augmentation de la salinité et un assèchement estival. Plus sensibles aux pollutions et à toutes les perturbations des milieux avoisinants, ils seront à surveiller en priorité. L'entomofaune spécialisée ou relicte qu'ils hébergent pourrait être menacée de disparition.
Aux faibles latitudes, les experts s'accordent pour considérer que les effets du changement climatique sur les écosystèmes tropicaux apparaîtront comme dérisoires en regard de l'impact des transformations directement générées par les activités humaines. Ceci se vérifiera tant sur terre que sur mer, où les grands écosystèmes marins auront moins à redouter du changement climatique que des effets de la pollution et des aménagements humains.
Il est cependant possible d'identifier un certain nombre de conséquences directes du changement climatique. Les phénomènes de désertification pourraient s'accentuer dans les zones tropicales arides et semi-arides, au travers notamment de phénomènes comme celui connu sous le nom d'El Niño qui, tous les quatre à sept ans, affecte le régime des précipitations de certaines régions tropicales du globe. Des feux de forêts d'une ampleur aujourd'hui inconnue pourraient dévaster ces régions. Les conséquences sur les forêts tropicales humides sont plus difficiles à apprécier. Il est cependant vraisemblable que les changements attendus dans les régimes de précipitation sélectionneront dans les différents écosystèmes les espèces les mieux adaptées.
L'existence même, dans ces zones, d'espèces et d'écosystèmes très spécialisés présentant de faibles possibilités d'adaptation ou de résilience pourrait être mise en cause. L'élévation du niveau de la mer pourrait ainsi amener la disparition de nombreuses mangroves.
Les ressources en eau
L'eau est une ressource naturelle essentielle pour la vie sur terre. Contrairement à une opinion répandue, c'est une ressource finie, du moins dans sa forme d'exploitation actuelle. Ceci veut dire que plus le nombre d'humains croîtra, moins il y aura d'eau disponible pour satisfaire les besoins de chacun. Une mauvaise utilisation de cette ressource pourrait entraîner dans un premier temps des conflits d'usage, par exemple entre citadins et agriculteurs d'un même pays, mais surtout des conflits armés entre pays voisins exploitant une même ressource limitée, ce qui est le cas au Proche-Orient par exemple.
Curieusement, la ressource en eau et surtout sa rareté et sa difficile maîtrise, font partie des contraintes qui ont été souvent négligées dans les programmes de développement agricole de divers pays en voie de développement, et ceci même par des organismes internationaux comme la FAO. Le fait que les références en matière de développement proviennent de pays tempérés, où jusqu'à présent l'eau n'a jamais constitué un facteur limitant, a contribué à perpétuer l'idée d'une ressource inépuisable et facile à maîtriser. Nombreux ont été les programmes de développement qui ont modifié les modes traditionnels d'utilisation des terres et ont conduit à une augmentation de l'évaporation et du ruissellement, et donc à un gaspillage en eau.
Le développement constitue indiscutablement un facteur supplémentaire de consommation d'eau, notamment par le biais des pratiques d'hygiène individuelle. Ainsi a-t-on coutume de considérer que la consommation moyenne en eau domestique d'un citadin de l'Europe du Nord est de 250 litres par jour, alors qu'elle est inférieure à 100 litres par jour pour un Méditerranéen.
Il n'en demeure pas moins vrai que la démographie constituera le principal facteur de consommation d'eau dans le futur. On considère qu'en Méditerranée, 75% de l'augmentation de la demande en eau douce viendra des pays du Sud où les réserves sont déjà en situation fragile. Une étude du Plan bleu basée sur des statistiques nationales des années 1980 montre que celles-ci étaient déjà exploitées à 51% (contre 7% au nord). L'île de Malte dépend déjà à 50% du dessalement de l'eau de mer pour la satisfaction de ses besoins ; le prix de revient du m3 étant 15 fois supérieur au coût moyen en France.
La pollution, principalement d'origine agricole et industrielle, limite également la disponibilité de la ressource. Selon le Plan bleu, la qualité des eaux est insatisfaisante dans 20 des 29 bassins hydrographiques qui se déversent en Méditerranée. Un exemple : la pollution des eaux souterraines en nitrates et pesticides d'origine agricole est devenue un problème grave dans la plaine du Pô.
Il est donc à craindre que les besoins en eau allant croissant, l'exploitation de la ressource se réalise au détriment des espaces naturels comme les zones humides en général, mais surtout les marécages littoraux et les ensembles de prairies humides dépendant de nappes phréatiques peu profondes, les vallées alluviales encaissées qui pourraient être systématiquement ennoyées pour la création de retenues d'eau, les cours d'eau en général dont certaines parties de lit pourraient se trouver complètement asséchées à l'étiage, entraînant la destruction de leur ripisylve. Sur le littoral et dans les deltas, des prélèvements trop importants en amont entraîneront inévitablement une remontée des biseaux salés d'eau de mer et une salure progressive des terres qui deviendront impropres à l'agriculture, comme on le constate déjà en plusieurs points de la Méditerranée, dans le delta du Nil, la bande de Gaza, ou la région d'Izmir, où la surexploitation a conduit non seulement à la pénétration d'eau salée, mais encore à des affaissements de terrain.
Le problème est déjà à nos portes. En Méditerranée, l’épuisement des ressources en eau douce pour les usages domestiques, industriels et agricoles deviendra le problème le plus crucial du xxie siècle (Banque mondiale, 1990). La surexploitation des aquifères profonds est déjà constatée. A Chypre, en Libye et à Malte, les eaux souterraines sont exploitées à des rythmes supérieurs à celui de leur renouvellement annuel. Dans le sud de la Méditerranée, leur épuisement pourrait être acquis vers 2050 (Le Houérou, 1990).
Une meilleure gestion des ressources en eau, intégrant une modification des comportements individuels, constituera un des défis du siècle prochain. Cette volonté se concrétisera par la généralisation de pratiques aujourd'hui encore insuffisamment développées comme le recyclage des eaux usées pour l'agriculture, l'utilisation de systèmes d'irrigation moins dispendieux (l'agriculture en Méditerranée consomme 70% de l'eau) du type goutte-à-goutte ou conduites enterrées. On estime par exemple que le volume d'eau utilisé par l'agriculture égyptienne dépasse de 60% le cubage réellement nécessaire. Mais il faudra aussi multiplier les barrages et retenues d'eau, avec malheureusement pour conséquence la destruction de nombreux espaces naturels.
L'accroissement de la démographie
La population mondiale pourrait atteindre au xxie siècle des niveaux tels que la pression sur la biosphère sera généralisée. Tablant sur 6,2 milliards en l'an 2000, les Nations unies estiment à 8,5 milliards au moins le nombre d'hommes qui peupleront la planète vers l'an 2025. De nombreux experts pensent que la courbe de croissance de la population mondiale ne pourra s'infléchir avant que le chiffre record de 14 à 17 milliards d'habitants ne soit atteint.
Ce que certains ont appelé la « bombe D » fait l'objet d'opinions très tranchées, au point d'être devenu un tabou dans les débats internationaux. Il convient cependant de distinguer le constat, qui peut être fait sur des bases objectives, des propositions d'action plus ou moins hasardeuses. Le constat lui-même doit être nuancé, car des régions surpeuplées comme le Bangladesh ou le Maghreb coexistent avec des régions sous-peuplées comme de nombreux pays d'Afrique australe, l'Australie ou l'Argentine. Le problème de nombreux pays du Sud n'est d'ailleurs pas la taille absolue de leur population, mais le blocage politique créé par l'opposition ville-campagne, aucun pouvoir ne pouvant risquer des crises sociales dans les mégalopoles pour favoriser l'agriculture paysanne.
Quoiqu'il en soit, l'augmentation globale de la population va entraîner une exploitation des ressources naturelles jamais égalée, d'autant que les croissances les plus fortes et les migrations les plus importantes auront lieu dans les régions les plus riches en biodiversité. Des espèces et des écosystèmes uniques au monde se trouvent ainsi menacés de disparition. Les espaces naturels sans statut défini seront sans nul doute les premiers atteints, de même que les espaces naturels périurbains. Il ne fait aucun doute que dans les pays à forte démographie, les espaces protégés finiront par être peuplés, s'ils ne le sont déjà.
A court terme, un tel discours doit cependant être nuancé, dans la mesure où les courbes démographiques ont depuis longtemps divergé entre les pays les plus développés et ceux qui le sont moins. Le taux de croissance démographique des pays les plus développés a évolué de 1,3% en 1950 à 0,6% en 1990. Dans la même période, le même taux passait de 2,1 à 2,2% avec une pointe à 2,5% en 1960 dans les pays les moins développés. Les Nations unies espèrent ramener ce taux entre 0,7 et 1,6% vers 2025.
Dans les pays les moins développés, l'expansion démographique se réalisera aussi au bénéfice des villes, dont la population globale (17% en 1950 et 34% en 1990), atteindra 57% vers 2025. Il est donc prévisible que même dans ces pays, les modèles de développement adoptés finiront par ressembler à ceux que nous connaissons actuellement dans les pays industrialisés, avec les mêmes préoccupations de santé publique, éducation, emploi et recherche permanente d'une élévation du niveau de vie. La pression sur l'environnement immédiat ou lointain - consommation d'énergie, de matières premières, d'eau, besoin d'espace pour l'habitat et les loisirs, génération de pollution -, sera tout à fait comparable à ce que nous observons dans les contrées développées. Il n'est pour s'en convaincre que de voir ce qui se passe à l'heure actuelle sur tous les continents. Nul modèle alternatif n'émerge réellement. A contrario, dans les pays les plus développés, les prévisions à court terme prévoient non seulement que les phénomènes d'exode rural continueront, mais encore que le nombre d'espaces naturels sans statut, issus de l'abandon des terres, devraient augmenter dans les années qui viennent.
La nécessité d'intégrer des paramètres démographiques dans l'évaluation de la vulnérabilité d'écosystèmes fragiles constitue une prise de conscience récente pour certains experts internationaux, alors que ces paramètres ont toujours été considérés comme essentiels par les environnementalistes des régions de vieille civilisation, comme en Méditerranée. Le fait que les zones côtières, humides et forestières doivent être considérées comme particulièrement prioritaires est acquis depuis longtemps.
Dans les régions moins développées, les réflexions portent sur la manière d'intégrer la protection des écosystèmes tout en maintenant les populations indigènes grâce à un « nouveau contrat social » qui s'appellerait « développement durable ». Il est indéniable qu'il n'existe pas d'alternative à une telle approche dans des pays où l'essentiel de la population est en lutte perpétuelle pour sa survie. Mais il convient d'examiner ce nouveau concept avec un esprit critique et en dehors de tout romantisme. Considérant d'une part, que l'on ne pourra pas empêcher la civilisation occidentale d'entrer tôt ou tard en contact avec ces populations et que, d'autre part, à l'exclusion des vrais aborigènes, ces populations bénéficiant des progrès de la médecine ne cesseront de croître, il est évident que tôt ou tard, les espaces concernés ne pourront que se transformer, au mieux en un ensemble d'écosystèmes secondaires. Aujourd'hui, les populations riveraines d'espaces protégés, en Afrique, Asie ou Amérique du Sud, admettent mal de se priver de bois ou de viande alors que la réserve proche en regorge. Des espaces protégés trop stricts seraient inévitablement perçus comme des privilèges, véritables « datchas » à l'usage exclusif de quelques dirigeants par ailleurs corrompus. Alors que les tabous religieux qui protégeaient certaines contrées finissent par tomber en désuétude, la situation politique des dirigeants ne peut qu'être inconfortable. Dans un premier temps, les processus démocratiques en cours iront dans le sens d'une remise ne cause des protections instaurées. Le développement durable constitue donc un véritable défi, qui vise à maintenir les écosystèmes naturels tout en permettant aux populations indigènes de vivre de l'exploitation de ces écosystèmes, et de progresser en taille et en niveau de vie.
Les organisations internationales recommandent sinon le maintien des systèmes d'exploitation ancestraux, du moins la mise en œuvre de politiques de développement et de planification qui en auraient intégré les principes. Plusieurs pays africains envisagent d'instaurer des politiques similaires à celle menée au Zimbabwe dans le cadre des « Programmes de gestion des ressources indigènes dans les terrains communs » partant du principe que les ressources naturelles appartiennent aux communautés qui coexistent avec ces ressources et que c'est cette communauté qui devrait en bénéficier à long terme, et de façon durable.
Il s'agit bien d'un défi, et il est loin d'être gagné, dans la mesure où de tels systèmes en Europe et en Méditerranée n'ont pu être maintenus en l'état, les populations locales les ayant profondément transformés ou purement et simplement abandonnés.
Les différents scénarios en Europe et en Méditerranée
Dans le sud et l'est de la Méditerranée, de la Caspienne à l'Atlantique, l'accroissement de la population est considérable (Le Houérou, 1990). De 40 millions d'habitants en 1950, on est passé à une population de 290 millions d'habitants aujourd'hui. Les différents scénarios établis sur la base du maintien du taux de croissance actuel prévoient dans l'ensemble de cette région la probabilité d'une population de 850 à 1 950 millions d'habitants, la valeur moyenne étant la plus vraisemblable.
Les conséquences de ce triplement sur les milieux naturels seront très graves. Alors que les superficies des forêts et maquis s'accroissent aujourd'hui au nord de la Méditerranée de 1,5% par an, elles décroissent au sud de 2% par an, et auront virtuellement disparu en l'an 2050. Toutes les terres seront défrichées, exploitées et cultivées pour faire face à des besoins alimentaires sans cesse croissants. Les pays du sud de la Méditerranée, qui importent aujourd'hui 50% de leur alimentation, en importeront 80% vers l'an 2050. L'extension continuelle des cultures à des zones inappropriées et l'élimination de la végétation naturelle qui en sera la conséquence produiront inondations et grands phénomènes de sédimentation, ainsi que la désertification des zones steppiques comme en Afrique du Nord et au Proche-Orient, où des végétations éphémères remplaceront les écosystèmes pérennes.
Les changements climatiques constituent donc une menace sérieuse et réelle pour l'ensemble des écosystèmes et des espèces, y compris l'homme. Les milieux côtiers et marins, mais aussi beaucoup de milieux insulaires marins ou continentaux (à savoir les hautes montagnes isolées), pourront être menacés dans leur existence même, parce que les territoires nécessaires à leur existence auront disparu, ou que l'homme aura mis des obstacles à la migration des espèces et des écosystèmes.
De toute manière, la progression de la démographie de l'espèce humaine attendue pour le siècle à venir fait peser plus de menaces sur l'avenir de la biosphère que les changements climatiques eux-mêmes. La consommation d'espaces, aujourd'hui encore naturels ou peu modifiés, la mobilisation sans précédent des ressources en eau au détriment des milieux humides, des gorges et des vallées encaissées, la pollution qui résultera de l'expansion des activités humaines, seront sans aucun doute à l'origine des principaux problèmes de protection de la nature dans le futur.
Malgré tout, l'humanité semble pouvoir disposer de suffisamment de ressources en elle-même pour résoudre ce qui constitue certainement le plus important défi depuis l'invention de l'agriculture. Les raisons d'espérer, en effet, sont nombreuses pour peu que la langue de bois ne soit pas la seule réponse apportée par les décideurs.
A ce propos, la récente conférence de Caracas (1992) a mis plus particulièrement l’accent sur plusieurs recommandations.
Un premier ensemble concerne la poursuite des actions de recherche et la surveillance continue de la biosphère. Il est plus précisément recommandé :
- d’amplifier les programmes de recherche destinés à évaluer les impacts possibles du changement climatique ;
- de définir à l'échelon des grandes régions du globe (comme le Bassin méditerranéen, par exemple) quels biotopes et espèces pourraient être menacés de disparition, et d'amplifier les travaux visant à mieux évaluer leur vulnérabilité et leur capacité de réponse au changement ;
- d’établir des réseaux d'espaces protégés destinés à accompagner les changements planétaires ;
- de mettre en place des centres de gestion de données destinés à recueillir, à traiter et à restituer toute information relative au changement climatique.
Les gouvernants et les décideurs sont ensuite appelés à reconnaître que le réseau actuel d'espaces protégés dans le monde (en étendue, en gamme et en nombre) est déjà insuffisant pour assurer la conservation de la biodiversité et qu'il paraît encore moins bien adapté pour apporter une réponse satisfaisante au changement climatique. En conséquence il leur est demandé dès maintenant de procéder à l'élargissement de ce réseau et de renforcer les moyens affectés à chaque structure gestionnaire.
En 1991, l’UICN, le PNUE et le WWF avaient déjà demandé aux gouvernants de se préparer au changement climatique par la révision de leurs plans de développement et de conservation en fonction des scénarios les plus plausibles, l’adoption de mesures sévères en vue de protéger les basses terres côtières vulnérables (récifs coralliens, mangroves et dunes de sable) et la révision de leurs plans d’intervention en cas de catastrophes liées aux conditions climatiques. Il leur était également demandé de se préparer à une éventuelle modification de l’agriculture, en intensifiant la conservation des ressources génétiques et en préparant les populations rurales aux mutations techniques et sociales auxquelles elles pourraient être confrontées.
Les risques liés aux biotechnologies
Il est banal que l'émergence de nouvelles techniques suscite des inquiétudes. Mais quand ces techniques portent sur la modification du patrimoine génétique des êtres vivants, on touche à l'un des tabous moraux les plus enracinés dans nos sociétés, car on attente à l'ordre naturel ou à l'ordre divin. L'étrangeté des plantes cultivées, incapables de survivre sans l'action de l'homme, a frappé nos ancêtres, pour qui elles ne pouvaient être que le don des dieux, voire une incarnation du dieu lui-même. Quant aux animaux supérieurs, leur proximité biologique avec l'homme donne une résonance particulière à toute « manipulation génétique ».
Les risques les plus évidents concernent la santé humaine. Les organismes génétiquement modifiés (OGM) peuvent comporter des substances toxiques pour l'alimentation, mais les plantes et les animaux « classiques » aussi, comme le signale Deshayes (1991). Les micro-organismes peuvent devenir des pathogènes, mais là aussi, les microbiologistes sont hélas habitués à ce genre de situation. Nous ne détaillerons pas ces problèmes, pour nous concentrer ici sur les risques liés à la dissémination des OGM dans l'environnement.
Dans ce domaine, l'histoire de la diffusion des plantes et des animaux supérieurs montre de nombreux exemples de risques réels, bien avant l'arrivée du génie génétique.
La lutte contre les mauvaises herbes est une constante des pratiques agricoles. Ce sont en quelque sorte des plantes que l'homme cultive malgré lui. Les recherches des généticiens (Harlan, Pernès) ont montré que dans les centres d'origine des plantes cultivées, où la plante cultivée et son ancêtre sauvage sont en sympatrie, il y a des flux de gènes réguliers dans les deux sens. Mais les pressions adaptatives opposées subies par la forme cultivée et la forme adventice dans le champ ou la forme sauvage au bord du champ sont telles qu'elles se maintiennent distinctes.
Il arrive qu'une plante cultivée « échappe » à l'homme. Ainsi dans certaines régions du Bassin parisien, la culture de la betterave sucrière est devenue impossible, car des individus montés à graines ont produit une forme annuelle adventice qui étouffe ses congénères cultivées et contre laquelle on ne peut évidemment pas lutter avec un herbicide, car celui-ci tuerait les deux sans distinction. Ce genre d'accident peut se reproduire avec d'autres plantes cultivées où l'on aurait introduit un caractère de résistance à un herbicide, caractère que l'on a d'ailleurs toute chance de trouver dans les mauvaises herbes. Un flux de gènes, même minime, vers une plante botaniquement proche, en produisant des hybrides occasionnels, peut transformer une plante sauvage anodine en redoutable fléau. Par exemple, un colza transgénique peut s'hybrider avec des choux ou des moutardes sauvages.
Empressons-nous cependant de préciser de quel environnement il est question. En l'occurrence, il s'agit des champs cultivés, et les risques concernent en premier lieu les agriculteurs. D'une manière générale, les mauvaises herbes sont des plantes de milieux pionniers, qui régressent et disparaissent quand les milieux évoluent, ce qui est le cas des milieux naturels. De plus, les caractères génétiques qui caractérisent une plante domestiquée sont maintenus par l'homme, mais sont fortement contre-sélectionnés dans les autres milieux. Un caractère de résistance à un herbicide par exemple ne sera d'aucun intérêt dans un milieu naturel, non traité, et a tout lieu de disparaître rapidement.
Par contre, il est vrai que l'on connaît de nombreux exemples de « pestes végétales ». Ce sont presque toujours des plantes génétiquement sauvages. Des plantes américaines ont diffusé en Europe, et des plantes européennes en Amérique. Les agaves (Agave americana) et les cactus raquettes (Opuntia) américains envahissent les milieux méditerranéens et tropicaux du monde entier. Les eaux douces tropicales sont infestées par une fougère flottante (Salvinia) et la jacinthe d'eau (Eichhornia crassipes), appréciée par ailleurs pour la beauté de ses fleurs. L'Australie a vu ses pâturages envahis par une plante méditerranéenne, Chondrilla juncea, jusqu'à ce que l'introduction d'une rouille permette de la contrôler. Un cas particulier et grave est fourni par les écosystèmes insulaires, qui sont facilement envahis par des plantes continentales plus agressives. Le raisin marron (Rubus alceæfolius) est un fléau à la Réunion, de même qu'un arbre ornemental (Miconia calvescens) à Tahiti. Souvent, ces plantes ont d'abord été introduites dans des jardins particuliers, voire des jardins botaniques, d'où elles se sont échappées.
Dans le domaine animal, l'Australie est un exemple classique des ravages provoqués par l'introduction d'espèces qui ne trouvent pas sur place de prédateur pour les contrôler, et la myxomatose y a été introduite délibérément pour lutter contre les lapins. De nombreuses îles ont vu leur végétation mise à mal par des grands herbivores introduits par des marins pour leur approvisionnement, ou abandonnés après le départ des colons qui s'y étaient installés. En France, si certains considèrent que l'introduction d'une espèce animale enrichit le patrimoine faunistique, force est de constater les cas où une espèce introduite, plus dynamique que l'espèce autochtone qui occupe la même niche écologique, parvient à éliminer celle-ci, ce qui est le cas des huîtres ou des écrevisses.
L'évaluation systématique des causes de diffusion des pestes animales, végétales et microbiennes du passé serait riche d'enseignements pour juger des risques dans l'avenir. Il n'est pas sûr que les OGM apportent des risques d'une essence différente. Avec les outils modernes, on découvre progressivement que la nature a toujours pratiqué les transferts génétiques horizontaux. D'un point de vue écologique, Di Castri (1990) propose d'ailleurs de considérer les OGM comme appartenant à un « empire anthropogénique », qui viendrait s'ajouter aux empires biogéographiques formés par les divers continents.
Quoiqu'il en soit, le principe de précaution nous commande d'étudier avec une attention particulière la question des OGM. Ce n'est qu'avec un recul d'une dizaine d'années que nous pourrons mieux évaluer la réalité des risques potentiels du génie génétique.
En France, deux commissions ont été créées pour suivre ces problèmes. La Commission du génie biomoléculaire (CGB), créée en 1986 auprès du ministère de l'Agriculture, a pour mission de « donner un avis sur toutes les questions relatives aux risques et aux conditions d'emploi des produits issus du génie biomoléculaire (et les biotechnologies plus généralement) notamment les risques de dissémination d'organismes vivants issus de ces techniques ». Elle donne ainsi son expertise dans les procédures d'homologation de produits.
La Commission de génie génétique (CGG), créée en 1989, est chargée d'évaluer les dangers potentiels liés à l'utilisation des techniques de génie génétique et de classer en fonction de ces risques les OGM ainsi que les procédés utilisés pour les obtenir. Elle assure donc la surveillance des activités de recherche, et non des activités de production, qui sont couvertes par la CGB.
Au niveau communautaire, deux directives ont été adoptées en 1990, l'une sur l'utilisation confinée de micro-organismes génétiquement modifiés (MGM) et l'autre sur la dissémination volontaire d'OGM dans l'environnement. Ces directives ont été intégrées au droit français au printemps 1992.
Le sujet a été âprement débattu au niveau international dans le cadre de la Convention sur la biodiversité. Bien qu'il ne s'agisse pas d'un objectif central de la convention, certains pays du Sud semblent craindre que des firmes multinationales viennent mener des expériences à risques chez eux. Les États-Unis, après s'être opposés en vain à l'inclusion d'articles sur les OGM, ont tout fait pour que cette notion soit remplacée par celles de « produits des biotechnologies », bien plus vague. Finalement, ce problème des OGM a été la première cause du refus de la convention par les États-Unis.