Ail (Candolle, 1882)
Nom accepté : Allium sativum L.
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Ail. — Allium sativum, Linné.
Linné, dans son Species, indique la Sicile comme la patrie de l'ail commun ; mais dans l'Hortus cliffortianus, où il est ordinairement plus exact, il ne donne pas d'origine. Le fait est que d'après les flores les plus récentes et les plus complètes de Sicile, de toute l'Italie, de la Grèce, de France, d'Espagne, et d'Algérie, l'ail n'est pas considéré comme indi-
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gène, quoique çà et là on en ait recueilli des échantillons qui avaient plus ou moins l'apparence de l'être. Une plante aussi habituellement cultivée et qui se propage si aisément peut se répandre hors des jardins et durer quelque temps, sans être d'origine spontanée. Je ne sais sur quelle autorité Kunth cite l'espèce en Egypte 1. D'après des auteurs plus exacts sur les plantes de ce pays 2, elle y est seulement cultivée. M. Boissier, dont l'herbier est si riche en plantes d'Orient, n'en possède aucun échantillon spontané. Le seul pays où l'ail ait été trouvé à l'état sauvage, d'une manière bien certaine, est le désert des Kirghis de Soongarie, d'après des bulbes rapportées de là et cultivées à Dorpat 3 et des échantillons vus ensuite par Regel 4. Ce dernier auteur dit aussi avoir vu un échantillon que Wallich avait recueilli comme spontané dans l'Inde anglaise ; mais M. Baker 5, qui avait sous les yeux les riches herbiers de Kew, n'en parle pas dans sa revue des Allium des Indes, de Chine et du Japon.
Voyons si les documents historiques et linguistiques confirment une origine uniquement du sud-ouest de la Sibérie.
L'Ail est cultivé depuis longtemps en Chine sous le nom de Suan. On l'écrit en chinois par un signe unique, ce qui est ordinairement l'indice d'une espèce très anciennement connue et même spontanée 6. Les flores du Japon 7 n'en parlent pas, d'où je présume que l'espèce n'était pas sauvage dans la Sibérie orientale et la Daourie, mais que les Mongols l'auraient apportée en Chine.
D'après Hérodote (Hist., I. 2, c. 123), les anciens Egyptiens en faisaient grand usage. Les archéologues n'en ont pas trouvé la preuve dans les monuments, mais cela tient peut-être à ce que la plante était réputée impure par les prêtres 8.
Il existe un nom sanscrit, Mahoushouda 9, devenu Loshoun en bengali, et dont le nom hébreu Schoum, Schumin 10, qui a produit le Thoum ou Toum des Arabes, ne paraît pas éloigné. Le nom basque, Baratchouria, a été rapproché des noms aryens par M. de Charencey 11. A l'appui de son hypothèse, je dirai que le nom berbère, Tiskert, est tout différent, et que par conséquent les Ibères paraissent avoir reçu la plante et son nom des Aryens plutôt que de leurs ancêtres probables du nord de l'Afrique. Les Lettons disent Kiplohks, les Esthoniens Krunslauk, d'où probablement le Knoblauch des Allemands. L'ancien nom
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1. Kunth, Enum., 4, p. 381.
2. Schweinfurth et Ascherson, Aufzählung, p. 294.
3. Ledebour, Flora altaica, 2, p. 4 ; Flora rossica, 4, p. 162.
4. Regel, Allior. monogr., p. 44.
5. Baker, dans Journ. of. bot., 1874, p. 293.
6. Bretschneider, Study and value, etc., p. 15, 47 et 7.
7. Thunberg, Fl. jap. ; Franchet et Savatier, Enumeratio, 1876, vol. 2.
8. Unger, Pflanzen des Alten Ægypten's, p. 42.
9. Piddington, Index, sous l'orthographe anglaise Mahooshouda.
10. Hiller, Hierophyton ; Rosenmüller, Bibl. Alterthum, vol. 4.
11. De Charencey, Actes de la Société philologique, 1er mars 1869.
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grec paraît avoir été Scorodon, en grec moderne Scordon. Les noms chez les Slaves d'Illyrie sont Bili, Cesan. Les Bretons disent Quinen 1. Les Gallois Craf, Cenhinen ou Garlleg, d'où le Garlic des Anglais. L'Allium des Latins a passé dans les langues d'origine latine 2. Cette grande diversité de noms fait présumer une ancienne connaissance de la plante et même une ancienne culture dans l'Asie occidentale et en Europe. D'un autre côté, si l'espèce n'avait existé que dans le pays des Kirghis, où on la trouve maintenant, les Aryas auraient pu la cultiver et l'avoir transportée dans l'Inde et en Europe ; mais alors pourquoi tant de noms celtiques, slaves, grecs, latins, différents du sanscrit ? Pour expliquer cette diversité, il faudrait supposer une extension de la patrie primitive vers l'ouest de l'habitation connue aujourd'hui, extension qui aurait été antérieure aux migrations des Aryas.
Si le genre Allium était une fois, dans sa totalité, l'objet d'un travail aussi sérieux que celui de J. Gay sur quelques-unes de ses espèces 3, on trouverait peut-être que certaines formes spontanées en Europe, comprises par les auteurs dans les A. arenarium L., ou A. arenarium Sm., ou A. Scorodoprasum L., ne sont que des variétés de l'A. sativum. Alors tout concorderait : les peuples les plus anciens d'Europe et de l'Asie occidentale auraient cultivé l'espèce telle qu'ils la trouvaient depuis la Tartarie jusqu'en Espagne, en lui donnant des noms plus ou moins différents.
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1. Davies, Welsh botanology.
2. Tous ces noms vulgaires se trouvent dans mon dictionnaire compilé par Moritzi, d'après les flores. J'aurais pu en citer un plus grand nombre et mentionner des étymologies probables d'après les philologues, par exemple d'après l'ouvrage de Hehn, Kulturpflanzen aus Asien, p. 171 et suivantes ; mais ce n'est pas nécessaire pour indiquer le fait d'origines géographiques multiples et de la culture ancienne en divers pays.
3. Annales des sc. nat., 3e série, vol. 8.