Abricotier (Candolle, 1882)
Nom accepté : Prunus armeniaca L.
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Abricotier. — Prunus Armeniaca, Linné. — Armeniaca vulgaris, Lamarck.
Les Grecs et les Romains ont reçu l'Abricotier au commencement de l'ère chrétienne. Inconnu du temps de Théophraste, Dioscoride 3 le mentionne sous le nom de Mailon armeniacon. Il dit que les latins l'appelaient Praikokion. C'est effectivement un des fruits mentionnés brièvement par Pline 4 sous le nom de Præcocium, motivé par la précocité de l'espèce 5. L'origine arménienne était indiquée par le nom grec, mais ce nom pouvait signifier seulement que l'espèce était cultivée en Arménie. Les botanistes modernes ont eu, pendant longtemps, de bonnes raisons pour la croire spontanée dans ce pays. Pallas, Güldenstædt et Hohenacker disaient l'avoir trouvée autour du Caucase, soit au nord, sur les rives du Terek, soit au midi, entre la mer Caspienne et la mer Noire 6. M. Boissier 7 admet ces localités, sans s'expliquer sur la spontanéité. Il a vu un échantillon recueilli par Hokenacker près d'EIisabethpol. D'un
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3. Dioscoride. 1. 2, c. 165.
4. Pline, 1. 2, c. 12.
5. Le nom latin a passé dans le grec moderne (Prikokkia). Les noms espagnol (Albaricoque), français (Abricot), etc., paraissent venir d'arbor præcox ou Præcocium, tandis que les mots vieux français, Armègne, italien Armenilli, etc., viennent de Mailon armeniacon. Voir d'autres détails sur les noms de l'espèce dans ma Géographie bot. raisonnée, p. 880.
6. Ledebour, Fl. ross., 2, p. 3.
7. Boissier. Fl. orient., 2, p. 652.
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autre côté, M. de Tchihatcheff 1, qui a traversé l'Anatolie et l'Arménie à plusieurs reprises, ne paraît pas avoir vu l'Abricotier sauvage, et ce qui est plus significatif encore, Karl Koch, qui a parcouru la région au midi du Caucase avec l'intention d'observer ce genre de faits, s'exprime de la manière suivante 2 : « Patrie inconnue. Du moins, pendant mon séjour prolongé en Arménie, je n'ai trouvé nulle part l'Abricotier sauvage, et même je ne l'ai vu cultivé que rarement. »
Un voyageur, W.-J. Hamilton 3, disait bien l'avoir trouvé spontané près d'Orgou et d'Outch Hisar, en Anatolie ; mais cette assertion n'a pas été vérifiée par un botaniste.
Le prétendu Abricotier sauvage des ruines de Balbeck, décrit par Eusèbe de Salle 4, est absolument différent de l'Abricotier ordinaire d'après ce qu'il dit de la feuille et du fruit. M. Boissier et les divers collecteurs qui lui ont envoyé des plantes de Syrie et du Liban ne paraissent pas avoir vu l'espèce. Spach 5 prétend qu'elle est indigène en Perse, mais sans en donner aucune preuve. MM. Boissier et Buhse 6 n'en parlent pas dans leur énu-mération des plantes de la Transcaucasie et de Perse.
Il est inutile de chercher l'origine en Afrique. Les Abricotiers que Reynier 7 dit avoir vus « presque sauvages » dans la Haute Egypte devaient venir de noyaux jetés hors des cultures, comme cela se voit en Algérie 8. MM. Schweinfurth et Ascherson 9, dans leur catalogue des plantes d'Egypte et Abyssinie, ne mentionnent l'espèce que comme cultivée. D'ailleurs, si elle avait existé jadis dans le nord de l'Afrique, les Hébreux et les Romains en auraient eu connaissance de bonne heure. Or il n'y a pas de nom hébreu, et Pline dit que l'introduction à Rome datait de trente années lorsqu'il écrivait son livre.
Poursuivons notre recherche du côté de l'Orient.
Les botanistes anglo-indiens 10 s'accordent à dire que l'Abricotier, généralement cultivé dans le nord de l'Inde et au Thibet, n'y est pas spontané ; mais ils ajoutent qu'il tend à se naturaliser ou qu'on le trouve sur l'emplacement de villages abandonnés. MM. Schlagintweit ont rapporté plusieurs échantillons du nord-ouest de l'Inde et du Thibet, que M. A. Wesmael 11 a vérifiés ;
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1. Tchihatcheff, Asie Mineure, Botanique, vol. 1.
2. K. Koch, Dendrologie, 1, p. 87.
3. Nouv. ann. des voyages, févr. 1839, p. 176.
4. E. de Salle, Voyage, 1, p. 140.
5. Spach, Hist. des vég. phanérog., 1, p. 389.
6. Boissier et Buhse, Aufzählung der auf eine Reise, etc, in-4, 1860.
7. Reynier, Economie des Egyptiens, p. 371.
8. Munby, Catal., Fl. d'Algérie, p. 49 ; ed. 2.
9. Schweinfurth et Acherson, Beitræge zur flora Æthiopiens, in-4, 1867. p. 259.
10. Royle, Ill. of Himalaya, p. 205 ; Aitchison, Catal. of Punjab and Sindh, p. 56 ; sir J. Hooker, Fl. of brit. India, 2, p. 313 ; Brandis, Forest flora of N. W. and central India, 191.
11. Wesmael, dans Bull. Soc. bot. Belgiq., 8, p. 219.
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mais, d'après ce qu'il a bien voulu m'écrire, il ne peut pas affimer la qualité spontanée, l'étiquette des collecteurs ne donnant aucune information à cet égard.
Roxburgh l, qui ne négligeait pas les questions d'origine, dit en parlant de l'Abricotier : « natif de Chine aussi bien que de l'ouest de l'Asie. » Or je lis dans le curieux opuscule du Dr Bretschneider 2, rédigé à Pékin, le passage suivant, qui me paraît trancher la question en faveur de l'origine chinoise : Sing, comme on le sait bien, est l'abricot (Prunus Armeniaca). Le caractère (un signe chinois imprimé p. 10) n'existe, comme indiquant un fruit, ni dans le Shu-King ou les Shi-King, Cihouli, etc. ; mais le Shan-hai King dit que plusieurs Sing croissent sur les collines (ici un caractère chinois). En outre, le nom de l'abricot est représenté par un caractère particulier, ce qui peut démontrer qu'il est indigène en Chine. » Le Shan-hai-King est attribué à l'empereur Yu, qui vivait en 2205-2198 avant Jésus-Christ. Decaisne 3, qui a soupçonné le premier l'origine chinoise de l'abricot, avait reçu récemment du Dr Bretschneider des échantillons accompagnés de la note suivante : « N° 24, Abricotier sauvage des montagnes de Peking, où il croît en abondance. Le fruit est petit (2 cent. 1/2 de diamètre). Sa peau est jaune et rouge ; sa chair est jaune rougeâtre, d'une saveur acide, mais mangeable. — N° 25, noyaux de l'Abricotier cultivé aux environs de Peking. Le fruit est deux fois plus gros que le sauvage 4 » Decaisne ajoutait dans la lettre qu'il avait bien voulu m'écrire : « La forme et la surface des noyaux sont absolument semblables à celles de nos petits abricots ; ils sont lisses et non rugueux. » Les feuilles qu'il m'a envoyées sont bien de l'Abricotier.
On ne cite pas l'abricotier dans la région du fleuve Amur, ni au japon 5. Peut-être le froid de l'hiver y est-il trop rigoureux. Si l'on réfléchit au défaut de communications, dans les temps anciens, entre la Chine et l'Inde, et aux assertions de l'indigénat de l'espèce dans ces deux pays, on est tenté de croire au premier aperçu que la patrie ancienne s'étendait du nord-ouest de l'Inde à la Chine. Cependant, si l'on veut adopter cette hypothèse, il faut admettre aussi que la culture de l'Abricotier se serait répandue bien tard du côté de l'ouest. On ne lui connaît en effet aucun nom sancrit ni hébreu, mais seulement un nom hindou, Zard-alu, et un nom persan, Mischmisch, qui a passé dans
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1. Roxburgh, Fl. ind., ed. 2, v. 2, p. 501.
2. Bretschneider, On the study and value of chinese works of botany, p. 10 et 49.
3. Decaisne, Jardin fruitier du Muséum, vol. 8, article Abricotier.
4. Le Dr Bretschneider confirme ceci dans son opuscule récent : Notes on botanical questions, p. 3.
5. Le Prunus Armeniaca de Thunberg est le Pr. Mume de Siebold et Zuccarini. L'Abricotier n'est pas mentionné dans l' Enumeratio, etc, de Franchet et Savatier.
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l'arabe 1. Comment supposer qu'un fruit aussi excellent et qui s'obtient en abondance dans l'Asie occidentale se serait répandu si lentement du nord-ouest de l'lnde vers le monde gréco-romain ? Les Chinois le connaissaient deux ou trois mille ans avant l'ère chrétienne. Chang-Kien était allé jusqu'en Bactriane, un siècle avant cette ère, et il est le premier qui ait fait connaître l'Occident à ses compatriotes 2. C'est peut-être alors que l'Abricotier a été connu dans l'Asie occidentale et qu'on a pu le cultiver et le voir se naturaliser, çà et là, dans le nord-ouest de l'Inde et au pied du Caucase, par l'effet de noyaux jetés hors des plantations.
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1. Piddington, Index ; Roxburgh, Fl. ind., l. c. ; Forskal, Fl. Egypt. ; Delile, Ill. Egypt.
2. Bretschneider, On the study and value of chinese botanical works.