7-3 Pains aux épices (Maurizio)

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Levain, brasserie
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Pains grossiers des Slaves

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CHAPITRE III
LES PAINS AUX ÉPICES


Le goût des épices. Épices indigènes : graines, fruits, feuilles. Addition des épices au pain. Action des épices sur la fermentation.


Les épices appartiennent à la catégorie des excitants, peut-être aussi à celle des aliments de complément. Il n'est pas facile de décider où se trouve, en ce domaine, la limite de ce qui est nécessaire et de ce qui n'est qu'un goût, une habitude. Les débuts de l'usage des excitants et la préférence donnée à tel ou tel d'entre eux ont leurs origines obscures dans la vie des animaux. De même que le choix des aliments est déterminé héréditairement par leur capacité d'entretien de la vie, de même la préférence des animaux pour des herbes âcres, même vénéneuses, pour des substances végétales douces, d'odeur forte ou d'odeur suave, doit être dirigée par un instinct tendant au même but. Les mêmes suppositions se présentent aussi si on considère les épices en usage aux diverses périodes de la consommation du pain. Car, sans aucun doute, les animaux sauvages aussi mangent avec plaisir toutes sortes de végétaux aromatiques. Les sangliers sauvages cherchent les racines de l’Acorus Calamus, le lièvre recherche le persil, les panais, et, en général, les ombellifères. Les jeunes chiens extraient du sol les carottes et mangent en grande quantité celles qu'on leur donne. Les carottes sont riches en vitamines et les autres plantes citées le sont en huiles aromatiques. C'est la présence de ces essences qui explique la prédilection de certains oiseaux pour les plantes qui suivent, selon une obligeante communication de M. Wl. Mazurkiewicz. Ainsi le petit coq de bruyère, Tetrao (Lyru-


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rus) Tetrix, en allemand Birkhahn, mange, comme le font d'autres oiseaux, les pousses du bouleau. Le grand coq de bruyère, Tetrao Urogallus, en allemand Auerhahn, recherche, avec toutes sortes de baies, les aiguilles des conifères. La gélinotte des bois, Tetrao Bonasia, en allemand Haselhuhn, recherche les baies de genièvre. La plupart de ces substances végétales sont diurétiques. Les oiseaux en sont particulièrement friands à la saison des amours.

Les épices sont l'accompagnement des pains de sorte grossière. Elles ne s'accordent qu'au goût du pain noir ou du pain gris. En général on les aime moins à présent qu'on ne le faisait autrefois. Le changement graduel du goût a laissé tomber en désuétude beaucoup des épices les plus en usage autrefois. Il en est de cela comme des vêtements, du mobilier, des ustensiles. Les campagnards conservent en tout cela le goût de la variété, une certaine joie de la couleur. Mais les personnes cultivées et les citadins ont le goût des choses ternes[1].

Les éléments accessoires de l'alimentation n'arrivent à se faire accepter que très lentement et disparaissent de même, à mesure que se fait une graduelle transformation du goût. Comme exemples remarquables de ce changement, citons les suivants. Des nombreuses épices jadis ajoutées au pain une seule sorte s'est conservée, le Kümmel (Carum carvi, cumin des prés). De celles qu'on ajoutait au chocolat, il ne reste que la vanille, et, de plus en plus, on consomme le chocolat sans parfum surajouté. Nous ne consommons pas le beurre rance, tandis que les paysans de l'est de l'Europe et les Serbo-Croates le préfèrent au beurre doux et s'aperçoivent surtout au goût de rance qu'on a mis du beurre dans leurs mets. L'esprit d'économie joue évidemment aussi un rôle dans tout ceci. C'est ainsi que les Marocains gardent le beurre fortement salé 10 à 12 ans (Quedenfelt). De toutes petites quantités de ce beurre suffisent pour qu'on s'aperçoive qu'il y en a dans ce qu'on mange (voyez ce qui a été dit précédemment des graisses). Mais, ça et là, dans les campagnes et même en Suisse (Grisons), il y a des endroits où on consomme sans inquiétude du beurre fondu d'une

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  1. Hartwich (C.), Ueber unsere Gewürze (ein Vortrag). Tirage à part ex : Apothekerzeitung, Berlin, 1912 (Nombreux renseignements tirés de la légende et de l'histoire) ; Kerner (A.), Pflanzenleben, 2e Auf., Bd. 2, Leipzig, 1896, 711. Sur les épices indigènes voir l'ouvrage capital de : Fischer-Benzon (R. von), Altdeutsche Gartenflora Unters. ueb. die Nutzpflanz. d. deuts. Man., Kiel-Leipzig, 1894, 254 p. On trouve des descriptions attrayantes dans Christ (H.), Zur Gesch. des alten Bauerngarten der Schweiz, 2e éd., Bâle, 1923, 161 pp.; Husson (C.), Etude sur les épices, etc., Paris (Dunod), 1883. Divers renseignements sur le folklore dans Marzell (Heinrich), Die heim. Pflanzenw. im Volksbrauch, Leipzig, 1922, et Pflanzen in Volksleben, Jena, 1925.


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amertume repoussante et des saucisses rances. Il arrive qu'on serve sur la table de la viande fumée à domicile, devenue jaune sur les trois quarts de la section, pour avoir trop attendu, en disant simplement en manière d'excuse qu'elle est peut-être un peu sure (un pô acid'). Plus près de nous est le fait suivant, qui montre avec que1le lenteur un goût étranger se fait accepter. Dans la région de l'Aar et dans quelques autres parties de la Suisse on cuit le pain blanc avec de la « Backpulver » et, quand on a mangé de ce pain longtemps, le goût à peine marqué de la levure dans le pain ordinaire est désagréable et il faut qu'on en prenne l'habitude lentement et avec quelque répugnance.

Mais si, d'une façon générale, l'emploi des substances destinées à donner du goût au pain est en voie de diminution, cela n'empêche pas chaque pays de suivre ses goûts particuliers, dans ce que nous pouvons encore en constater aujourd'hui. Jusqu'à présent, personne n'a envisagé dans son ensemble la question des condiments du pain, contrairement à ce qui est arrivé pour l'histoire naturelle, bien plus souvent traitée, des herbes potagères. Ces dernières ont leur origine en des temps lointains, et le dernier refuge de la culture à la houe, qui est le jardin potager, les abrite encore comme il conserve l'ancien état de choses. Il est absolument inexact que l'usage des épices soit un signe d'une haute civilisation. Hartwich insiste sur le fait que les primitifs actuels, comme les préhistoriques de l'âge de la pierre ont connu ce goût. Tschirch confirme le fait en ce qui concerne les épices en usage dans l'Inde et dont il y a des centaines qui n'ont jamais franchi les limites de cette région[1]. Luther s'indignait contre l'introduction « des épices du monde entier », qui étaient très chères : « Il serait nécessaire de réagir contre l'épicerie, qui est aussi un des gros bateaux sur lesquels l'argent de l'Allemagne s'en va à l'étranger. Grâce à Dieu, il pousse chez nous plus à manger et à boire, et aussi bonnes et délectables choses que dans n'importe quel pays. » Quand la langue s'était trop bien habituée aux épices, elle ne s'arrêtait plus en si bonne voie. Il lui en fallait de toujours plus énergiques. Le XVIIIe siècle nous en montre bien des exemples. Le dernier roi de Pologne, Stanislas Auguste Poniatowski, frottait le bord de son assiette, au repas du matin, avec de l’Asa foetida (Stercus diaboli de la vieille pharmacopée) [Ferula asa-foetida]. Il est possible que l'alimentation monotone des mangeurs de bouillies, comme la cuisine sans goût des Anglais modernes

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  1. Sur les débuts du commerce en grand des épices et de leur diffusion aux environs de 1490 cf. Supan (C.), Territor. Entwick. der europäisch. Colonien, Gotha, 1906, 22 et suiv.


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impose l'usage de condiments énergiques pour provoquer l'écoulement de la salive. Mais, d'ailleurs, les Anglais ne mettent pas d'épices dans leur pain. En cela des habitudes peuvent se maintenir longtemps et des usages culinaires remontant à des époques anciennes peuvent faire sentir encore leur influence, sans qu'interviennent les besoins eux-mêmes du temps présent. Mais, à ma connaissance on n'a pas encore formulé l'idée qu'on ait eu autrefois un plus grand besoin de condiments énergiques parce que leur rôle était de dissimuler l'odeur maussade des aliments et leur goût amer. Aux époques où il était courant de faire des provisions pour plusieurs années, ils peuvent avoir eu pour mission de dissimuler le goût désagréable du pain et de simuler un goût différent ou plus agréable. En tout cas, actuellement, les mangeurs de pain de seigle usent bien plus largement des condiments que les mangeurs de pain de froment. Les Français, les Anglais, les Américains du nord, qui sont tout particulièrement exigeants quant à la qualité de la boulangerie, s'abstiennent absolument de mettre des condiments dans leur pain.

L'Amérique du nord n'en connaît l'usage que chez les boulangers de nationalité étrangère qui fournissent de pain les nouveaux immigrants. On mange, sur la croûte des produits de la boulangerie, des morceaux de noix ou de « noix de terre » (Sium bulbocastanum L.) mais on ne met pas de véritable condiment dans le pain.

En Europe, les plus répandus des condiments du pain sont les graines de pavot et les fruits du cumin, D'autres espèces, comme les fruits du cumin noir, sont en usage en Orient et aussi dans l'Afrique du nord, le sésame en Orient seulement. L'usage du fenugrec est limité à quelques pays de la péninsule des Balkans. D'autres ont une zone d'extension moindre : coriandre, anis et fenouil. On met des raisins secs, en Italie, dans le pain de maïs. Il faudrait signaler encore les feuilles de sauge et de chou, les capres et les oignons, ainsi que le houblon, qui, à vrai dire, n'est pas mélangé au pain, mais ajouté au levain[1].

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  1. Quedenfeldt (M.), Zeitsch. f. Ethnologie, 1887, Bd. 19. Art. p. 256 ; Luther (M.), An den christlichen Adel deutscher Nation, Edition Reclam, ch. IV, 27 ; Généralités sur l'usage des épices : Dickenmann (J. J.), loc. cit., 36 et suiv., avec énumération des épices du temps ; Le Grand d'Aussy, loc. cit., Bd. 1, 111 ; Parmentier (A. A.), Le parfait boulanger, Paris, 1778 (d'après des extraits de Balland (A.) dans la Chimie alimentaire de Parmentier, Paris, 1902, 94) (et obligeantes communications verbales de M. le Pr Pater (B). de Koloszwar en Hongrie) ; Szuchiewicz (W.), Huculszcyana, Bd.1, Lemberg, 1902, 165 ; Ascherson (P.) et Graebner (P.), loc. cit., Bd. 6, Abth. 2 ; Gitowt, Wisla, loc. cit., Bd. 18, 1904, 48 ; Blümner (H.), loc. cit. ; Krünitz (J. G.), Oekonom. Enkyklopedie od. Algem. System. etc., Bd. 25, Brünn, 1789, 172-174 ; Schreber (Gotfr.), Description détaillée de l'art du meunier, du nouillier [le titre français écrit : vermicelier.] et du boulanger dans la traduction de Malouin, Leipzig, 1769, 410 ; Möller (J.), Mikroscopie der Nahr. und Genuszmittel, Wien, 1909, 2e édition, 385 ; Vogel (E.), Die wichtigst. vegetabl. Nahrung, und Genuszmittel, Berlin, Wien, 1899, 402 ; Heyne (Moriz), loc. cit., 82, 88, 269 et suiv.


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La coutume d'étendre sur le pain de la ciboule, de l'oignon, de l'ail, ou de la rüe, est actuellement particulière à l'est de l'Europe où l'ail est aussi consommé cru ou cuit avec le pain. L'ail est un très ancien remède populaire. Sur l'ancienne importance de son usage signalons ce qui suit. Selon le Talmud, l'ail a cinq propriétés : il rassasie, échauffe le corps, rend le sperme plus abondant et tue les petits parasites de l'intestin (Trad. Baba Kamah, 82a). En 1916 le Dr Marcovici a publié dans la Wiener klin. Wochenschrift un article fondé sur des observations faites en temps de guerre et constatant que l'ail est un bon moyen de lutter contre les états contagieux de l'intestin, comme le choléra et la dysenterie. Il avait été employé en campagne conjointement avec le salol [salicylate de phényle]. Ainsi les anciens Juifs semblent bien n'avoir pas eu tort lorsqu'ils donnaient contre n'importe quelle maladie de l'intestin, et même à des enfants ou adolescents, du vieux pain de ménage garni d'ail et de sel. Le plus souvent cela n'était pas sans efficacité[1]. Suivant les croyances des Petits Russiens et des Russes, l'ail guérit toutes sortes de maladies. On a eu autrefois l'habitude, en Angleterre et en France, d'ajouter au pain beaucoup de condiments dont à présent on ne se sert plus. L'ail était du nombre. On lit dans Shakespeare (Measure for measure) : « Il voudrait bien se bécotter avec une mendiante malgré sa bonne odeur de pain noir garni d'ail ». Dans le Songe d'une nuit d'été, Zettel dit (Acte 4, in fine) : « Acteurs, mes bons amis, ne mangez pas d'oignons, car nous devons avoir une haleine agréable ». On peut suivre bien loin dans le moyen âge les preuves de l'usage très étendu qui était fait de l'ail. Au moyen âge, en Angleterre, on cite parmi les aliments qu'ont les pauvres pour se nourrir quatre sortes d'oignons. En ce qui concerne l'ail, on constate bien à quel point le goût a changé. On dit à l'éloge des oies du pays de Cocagne qu'elles renferment l'ail tout prêt. Il y avait en Angleterre des marchands particuliers pour l'ail. Mais on achetait les épices chez le « marchand de poivre ». On épiçait ce que l'on mangeait d'une façon extraordinairement exagérée. Le Grand d'Aussy mentionne la coutume d'ajouter des épices au pain. Parmentier en parle pour les époques plus récentes et pour le XVIIIe siècle. A cette époque en France, dans la préparation des

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  1. Ratner Wiesbaden (Dr med.), Hygienis. Rundschau. Jg. 26, 1916, 165.


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« levains artificiels », on y ajoutait, avec de la levure, du blanc d'œuf, de l'eau de Seltz, des semences de courge, du millet, du trèfle, et le jus fraîchement pressé de divers fruits.

Parfois la pureté et la conservation des condiments du pain laissent beaucoup à désirer. Il est vrai que les impuretés et la fraude n'ont pas nécessairement des inconvénients pour la santé, car on n'en consomme dans le pain que de très petites quantités. Cependant, quand on est en présence de provisions, on peut avoir affaire à des cas fortuits malheureux.

Enfin, il faut signaler l'usage frauduleux que l'on fait maintenant de semences déjà épuisées. Après l'extraction des essences d'Ombellifères (surtout fenouil, cumin et coriandre), les semences qui constituent le résidu de la fabrication sont vendues avec des semences fraîches auxquelles on les ajoute dans la proportion d'un tiers ou de la moitié.

En ce qui concerne le pavot, il est probable que les habitants des cités lacustres le cultivaient, non pour extraire l'huile (comme on l'a admis) mais pour ses légers effets narcotiques. Hartwich a comparé le pavot des jardins avec la forme souche (Papaver setigerum) et incline à admettre que, dès cette époque, le pavot était ajouté aux aliments. L'opinion de Braungart, suivant laquelle le pavot des jardins était « évidemment utilisé par les néolithiques d'une façon habituelle comme épice du pain » est trop affirmative. J'ai vu au musée régional de Zurich des conglomérats de graines de pavot, en forme de galettes plates, qui sont sans doute le reste d'une pâtisserie ou dessert datant de l'âge du bronze des lacustres. Le pavot a été à toutes les époques recherché comme complétant agréablement les produits de la boulangerie ou de la pâtisserie. Cela reste vrai en ce qui concerne les usages actuels du pavot.

Comme beaucoup d'autres petites graines, celles du pavot s'échauffent facilement, ce qui oblige a bien aérer et à remuer les provisions de graines. La graine de pavot est souvent souillée de terre et aussi mélangée de toutes sortes de graines inoffensives comme graines de lin, de lin sauvage, petits grains de seigle, graines d’Atriplex ou de Setaria. Mais les graines de la Jusquiame constituent une impureté bien plus dangereuse. Cette éventualité a été étudiée au point de vue botanique ou chimique par v. Degen, Hockauf, Issatschenko, Griebel et Jacobsen, au point de vue médical par Kunkel[1]. La dose minima dangereuse de l'alcaloïde

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  1. Hartwich (C.), Papaver somniferum. Tirage à part de : Apotheker Zeitung. 1899, p. 9-13 ; Braungart (R.), loc. cit., p. 372 ; Degen (Arpade von), Zeitschr. f. Unters. d. Nahr. u. Genuszmittel, 19, 1910, 705 ; Issatschenko (B.), Ann. der Samenprüf. Anstalt an Kais. Bot. Gart., Saint-Pétersbourg, 1, 1912, 2 ; Hogkauf (J.), Chemische Zeitung, 27, 1903, 811 ; Griebel (C.), et Jacobsen (C.), Zeitsch. f. Unt. v. Nahr. u. Genuszmittel, 25, 1913, 553 ; Kunkel (A. J.), Handb. d. Toxicologie, Jena, 1901 (article pavot).


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de la jusquiame (l'hyosciamine) est de 0,05. La dose mortelle est de 0,1 gr., bien que des quantités bien plus élevées, de l'ordre de 0,24 gr. et même 0,50 gr., aient été supportées. Etant donné le poids moyen de la graine, qui est de 0,064 milligrammes, il faut prendre 77 à 137 graines pour que ces doses soient atteintes, pour que 0,25 gr. d'hyosciamine arrive dans l'organisme. Or, il n'est pas rare qu'on trouve de 1.000 à 3.450 graines de jusquiame pour 100 grammes de graines de pavot, bien que l'on puisse aussi en trouver bien moins : 71, 400, 600 graines pour 100 gr. de pavot par exemple. Donc, dans des mélanges de ce genre, il suffit déjà de 20 à 30 grammes de pavot pour que la dose minima dangereuse soit dépassée. Quoi qu'il en soit, on doit donner raison à von Degen, quand il fait remarquer qu'il faut se méfier même de faibles quantités. Un fort mangeur de pavot peut facilement être amené à dépasser la limite dangereuse de 77 graines de jusquiame. Combien plus puissamment peuvent agir les grandes quantités correspondant à la consommation des grands croissants à la graine de pavot, des macaronis ou des beignets aux pavots. Citons encore les Bobajka de la haute Hongrie (von Degen), beaucoup de mets au pavot de la région alpine de l'Autriche, les confiseries de goût suspect que l'on vend aux foires annuelles de l'Altmark sous le nom de Naute et qui sont faites de pavot et de sirop (Hartwich). A cette série appartient une friandise sucrée (Makagigi), très ancienne, de Pologne et de Russie, faite de pavot et de miel. Elle est de consistance si tenace que, si on y mord, on n'en retire ses dents qu'avec beaucoup de peine.

En ce qui concerne les semences des Ombellifères, les suivantes sont utilisées en boulangerie : fenouil (Fœniculum capillaceum Gilb.) le grand cumin (Cuminum Cyminum A.), l'anis (Pimpinella Anisum L.), le coriandre (Coriandrum sativum L.). Mais tous sont d'usage bien moins fréquent que ne l'est le cumin ordinaire (Carum Carvi L.) et ne sont en général utilisés qu'en pâtisserie. Quant au cumin, on l'utilise entier. Möller, Vogl et d'autres se sont occupés des impuretés du cumin. On signale souvent le mélange, aux fruits légitimes, de fruits dont on a déjà extrait l'essence. Comme impureté dangereuse, seule la ciguë est en cause, Heyne et Hartwich ont étudié l'histoire du cumin et des graines des Ombellifères. D'après Hartwich, seule des plantes utilisées comme condiments,


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le cumin est indigéne. Mais il n'en est pas de même de son emploi qui nous est arrivé en passant par dessus les Alpes (?). Le nom allemand du cumin (Carum Carvi L.) c'est-à-dire le mot Kümmel, n'est pas d'origine allemande. Il désignait primitivement le grand cumin (Cuminum Cyminum, ou, en allemand moderne Mutterkümmel). L'autre nom, Garbe ou Garve, passe pour d'origine arabe. Mais l'emploi du Mutterkümmel a presque absolument cessé et son nom a été transporté à notre cumin indigène : Carum Carvi. Il y a des façons de parler telles que Kümmelbrot unser Tod (Pain de cumin notre mort), et autres, qui font supposer à Hartwich que cette épice pourrait bien avoir été introduite par les moines.

Il résulte d'une enquête personnelle que le fenouil et l'anis sont utilisés en Bavière, dans le sud de la Bohême et dans d'autres contrées, en pays slave, soit pour semer sur le pain, soit en addition à la pâte. Les livres des herbes de Pologne en parlent, en même temps que de la Nigelle que l'on mettait dans le pain ou semait dessus. De même ces deux espèces sont signalées par Quedenfeldt (loc. cit.) comme étant mêlées à la pâte, ainsi que les graines écrasées du fenugrec. Dans quelques parties de la France on avait coutume de semer d'anis pulvérisé la table sur laquelle on posait la pâte prête à être mise au four. Les jardiniers de Nimes faisaient par toute la France un important commerce d'anis. Au XVIIIe siècle, Olivier de Serres dit que l'addition d'anis était usuelle dans beaucoup de localités de l'Italie. L'anis, le fenouil et d'autres semences d'Ombellifères sont depuis longtemps des condiments du pain. Husson dit que les anciens Romains et les Gaulois s'en servaient déjà beaucoup et, en plus de l'anis, se servaient de safran pour répandre sur les tables comme il a été dit ci-dessus. Dans le sud de la France, au XVIIIe siècle, les boulangers, à Noël et à Pâques, faisaient cadeau à leurs clients de pain à l'anis ou au safran. Parmi les nombreuses impuretés des graines d'anis il faut citer celles de la ciguë (Conium maculatum L., c'est à dire la ciguë d'eau). D'après Volkart, on en trouve très souvent dans l'anis commercial, car un tiers des échantillons d'anis du commerce qu'il a examinés renfermaient 0.7, 7, 11 à 18 pour cent de fruits toxiques[1].

Les autres condiments du pain appartiennent à diverses familles végétales. On utilise souvent les graines de la Nigelle (Nigella sativa L., connues en Allemagne sous le nom de semences de

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  1. Volkart (A.), Schweiz. Woch. f. Chem. u. Pharm., 1897, Hft. 29, 314 ; Hartwich (C.), Apothekerzeit., 1912, 8 et 12 (Tirage à part) ; d'Ancona Landwirtsch. Vers. stat. 51, 1899, 390.


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cumin noir) ou celles de la Nigelle de Damas (Nigella Damascena), qui sont des Renonculacées. Les Slaves utilisent la première en la semant sur toute pièce de boulangerie ou pâtisserie de farine blanche. Il en est de même dans toute l'Europe orientale. La seconde a le même emploi en Orient. En polonais, la graine se nomme czarnuszka, c'est-à-dire graine noire. Hartwich a trouvé ces graines sur des petits pains blancs provenant d'Alger. Plus curieux est l'emploi d'une graine de légumineuse, le fenugrec (Trigonella foenum graecum L.). Tandis que le goût de cette graine est odieux aux Européens, les Orientaux « l'utilisent comme condiment du pain et la mêlent à leurs aliments pour leur donner meilleur goût ». On utilise aussi pour la semer sur le pain la graine du sésame ordinaire (Sesamum indicum L.) mais l'usage de cette graine, dont l'odeur est d'ailleurs faible, est limité à l'Orient.

Aux condiments du pain appartiennent encore quelques substances d'origine végétale qu'on ajoute à la pâte, tantôt à l'état naturel, tantôt sous forme de conserves ou d'extraits. Les Italiens font gonfler les raisins secs dans la pâte du pain et les cuisent avec elle. On en voit beaucoup dans le pain de maïs, qui se dessèche facilement et devient cassant. L'addition des raisins améliore aussi son goût assez fade, en même temps qu'est corrigée sa tendance à se dessécher. D'après Schreber (Renseignements sur la fabrication du pain en Hongrie) certains boulangers arrachent les grains de deux ou trois grappes de raisins, les font bouillir et y mêlent une masse de son tenue à part, qui sert de ferment. Comme on va le voir plus loin, les croquettes de son parfumées au houblon sont très répandues.

On ne peut savoir exactement ce que Le Grand appelle « les cormes ». Ce sont, soit les fruits du Sorbus aucuparia L., soit ceux du Sorbus domestica L. (c'est-à-dire du Sorbier ordinaire ou du Cormier). Au XVIIIe siècle on en cueillait les fruits qui, séchés au soleil ou au four et pulvérisés, étaient mêlés à la pâte à pain. De même en Suisse où, pour l'année 1750, nous avons des renseignements se rapportant bien au Sorbus aucuparia. Les fruits servaient surtout à engraisser les cochons. Mais on en utilisait aussi dans la préparation du pain en les mêlant à de bonne farine. Encore en 1885 les enfants, en certains pays, n'avaient qu'à en ramasser les fruits quand ils avaient faim. Mais il n'est pas certain que ces « fruits à farines » rentrent bien dans la catégorie des condiments du pain.

En Provence, où il y a beaucoup de thym et de romarin, on s'en sert pour chauffer les fours et le pain gagne un goût agréable (Le Grand).


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La Trigonella (Melilotus) cœrulea (Mélilot bleu) a la même odeur que le fenugrec. mais moins forte. En Suisse on utilise cette plante pour parfumer des fromages d'herbes. Dans le Tyrol, on mêle l'herbe sèche à la pâte à pain. Ascherson ne sait pas si les graines du fenugrec ont le même emploi, mais il signale que le fenugrec vert est mangé par l'homme et que les deux plantes servent à toutes sortes d'usages médicaux, ou à des pratiques superstitieuses ou religieuses et il indique diverses sources à ce sujet (Ascherson-Graebner).

En Galicie, on sème sur le pain des câpres, qui sont les boutons floraux du Capparis spinosa L. Mais il reste à savoir si ce sont de véritables câpres ou un de leurs nombreux produits de remplacement. Cybulski les nomme après le cumin (Kümmel) et la nigelle (Schwarzkümmel). Je sais qu'en Pologne toutes les variétés du pain et des galettes sont l'objet d'additions de ce genre, mais non pas seulement en petite quantité (comme condiment), aussi en grande quantité. On ajoute, en plus, des pommes de terre, diverses semoules (millet, sarrasin, maïs), des prunes rouges sèches, des poires et des pommes, des graines de lin écrasées, des fruits de légumineuses et du chou cuit. On cuit des feuilles de chou et on les ajoute à la pâte à pain. Mais, en plus de ce genre d'emploi, on s'en sert en Hongrie et aussi ailleurs dans l'est comme support pour la pâte. On met la pâte dessus et on enfourne le tout. On le fait surtout l'été. On met ainsi un pain sur une ou deux feuilles de chou. Il en résulte que le pain a en dessous une croûte savoureuse d'un beau brun. Dans la Galicie orientale, les Huzules cuisent aussi sur des feuilles de chou leurs pains grossiers. Une coutume assez répandue consiste à enrouler un morceau de pâte dans une feuille de chou ou de sauge (colombes de chou) [Kohltauben. Ce doit être les gołąbki polonais] et à cuire le tout. Selon des indications pour lesquelles les précisions me manquent actuellement, et relatives à l'ethnographie de la Pologne, on cuit dans le peuple de petits pains sur des feuilles de chêne. Au village de Turowa, on met sous le pain une feuille de chêne pour que le dessous du pain reste propre. Pour cet usage, selon Witowt, les femmes font provision de feuilles de chêne, intactes et aussi larges que possible, les enfilent, et les mettent à sécher près du poêle. Selon les idées populaires, le pain ainsi cuit rend ceux qui en mangent forts comme le chêne.

Pater raconte qu'en Hongrie, dans la région de Koloszvâr, on fait bouillir les feuilles de la grande sauge (Salvia officinalis) et que le liquide est ajouté à la pâte à pain. D'après le même auteur on emploie de même les écailles de l'ognon (Allium Cepa) mêlées avec du son, pétries en une pelote et séchées. Quand on cuit du


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pain, on fait bouillir ces pelotes et on ajoute le liquide à la farine.

Nous arrivons ainsi à des conserves qui font transition entre les conserves acides et les épices. Blümner distingue chez les Romains du levain de cette sorte et du levain frais. Le premier était préparé pendant les vendanges. On pétrissait alors du millet avec du moût et on obtenait ainsi un mélange qui pouvait servir toute l'année. Ou bien on prenait du son ferme de froment, le plus fin qu'on avait, on le pétrissait avec du moût de trois jours de date et on séchait le mélange au soleil. Quand on se disposait à cuire du pain on en faisait de petits gâteaux, à chaud, avec de la farine d'épeautre et on les mêlait au reste de la farine. Les renseignements que donnent d'autres auteurs anciens sur la panification sont souvent contradictoires et montrent souvent qu'ils n'avaient pas bien compris. Les croquettes dont il a été déjà question appartiennent à cette série de produits. Des restes de levain sec sont souvent roulés en boules, puis complètement desséchés à une chaleur douce (par exemple à Andeer et autres localités des Grisons). Les femmes conservent ces croquettes de pâte sure d'une fournée à l'autre, c'est-à-dire qu'autrefois on conservait ces boulettes de ferment la moitié d'une année ou une année entière.

Le houblon mérite une mention spéciale. Il existe dans l'Europe occidentale au moins depuis la migration des peuples (fin de l'empire romain). Son ancien nom « Heber » prouve, selon Heyne, qu'on le connaissait en tant que base de la fabrication du vin et de la bière, comme agent provoquant la fermentation. Il attribue aux cloîtres gallo-romains l'invention de la bière parfumée au houblon. Du XVe au XVIe siècle, le houblon passa de la bière au pain. Dans le dialecte allemand de la Suisse, on nommait le levain additionné de houblon hab, par opposition à hebel. C'était un confit de houblon dont les boulangers (Pfister) se servaient pour le pain blanc. A Winterthur, en 1497, les boulangers juraient de cuire le pain blanc dans le hab, de faire du hab neuf toutes les semaines jusqu'à deux fois et d'en avoir une mesure pour chaque journée, etc. Pour cela, l'eau de houblon était mélangée à de la farine jusqu'à consistance de miel. La fermentation, quand il y a du hab, passe pour se faire beaucoup plus vite (Staub). Mais l'usage qui s'en faisait diminua beaucoup quand on prépara la bière en grand et qu'il y eut une levure de boulangerie spéciale. Cet usage ne s'étendit du reste pas à tout le domaine linguistique allemand. Ce qu'on lit dans Krünitz sur les soins qu'exige la préparation du houblon confirme cette opinion. Il considère le houblon oomme


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bon aux usages les plus divers. On garde le fromage dans du houblon, ce qui lui donne bon goût et le préserve des vers : le houblon éloigne le ver des grains, favorise la conservation des fruits, etc... Mais Krünitz ne signale pas l'existence du levain au houblon qui, encore à présent, n'est, à ma connaissance, ignoré ni dans l'Allemagne du sud, ni en Suisse ni en Hongrie. M. le Pr Dr B. Pater, de Koloszvâr, m'informe par lettre qu'on y cuit un pain blanc au houblon particulier, tandis qu'ailleurs, en Hongrie, le houblon est introduit dans le pain sous la forme de bouillon de farine. On trouve dans le livre de la boulangerie (Bäckerbuch) de nouvelles recettes pour le mélange de la levure avec cette plante aromatique. Dans mon ouvrage de 1903 (Céréales, Farine et Pain) j'ai indiqué comment, dans la Suisse orientale, les boulangers font le mélange du houblon et de la levure.

On a indiqué en commençant ce qui amena l'homme à faire usage de condiments dans le pain. Les épices mirent de la variété dans l'uniformité déprimante de l'alimentation, donnèrent l'illusion de quelque chose de mieux, dissimulèrent le goût des choses désagréables, accrurent le volume des provisions disponibles et rendirent moins apparent le recours au pain de disette. Parmi les substances qu'on ajoute au pain, il en est dont l'usage est ancien et dont nous ne nous expliquons pas la raison d'être. Le remplacement du pain noir par le pain blanc fut l'occasion de beaucoup de changements. Les mangeurs de pain de froment n'usent plus d'aucun condiment du pain, sauf en ce qui concerne le sel. La recherche d'un agent durable de la fermentation est l'objet d'un effort évident. Il s'agit en cela de parer aux malencontreux cas fortuits qu'entraîne l'emploi de levains dont l'activité est variable. Il semble qu'à l'apparition de la levure pressée tout condiment du pain est abandonné. Mais, malgré ces quelques faits bien constatés, les questions se rattachant à ce problème attrayant et très accessible sont bien loin d'être éclaircies.

Les condiments du pain sont-ils simplement un moyen d'en améliorer le goût, et qui, du temps de nos pères, dissimulait les conséquences d'une mauvaise conservation ou d'une mauvaise fabrication ? N'ont-ils pas aussi un rôle effectif d'une certaine importance dans la fermentation dans la préparation de la pâte, en un mot dans la boulangerie ?

Knischewsky et Neumann nous ont donné la seule étude existante concernant l'action des épices sur la levure. A une époque antérieure, Kochmann avait indiqué l'alcool comme étant un moyen de stimuler la fermentation. Mais, au-dessus de 1 % d'alcool, l'action


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est empêchante. Le cumin favorise la fermentation. L'ail semble sans effet. Si on cherche à accélérer la fermentation, on peut aussi se passer du cumin, car les nouveaux extraits de malt du commerce agissent bien mieux. Certaines huiles éthérées comme celles du cumin, de la cannelle, du girofle, entravent, à haute dose, la fermentation et la favorisent si elles sont en petite quantité. Si l'activité d'une levure est évaluée par le nombre 100, elle devient 165 avec addition de 1 gramme de cumin finement pulvérisé, 229 pour 5 grammes, 226 pour 10 grammes, 199 pour 15 grammes. Si on ajoute 1 gramme des substances suivantes, l'activité de la levure s'accroît comme suit : Anis : 143, fenouil : 163, muscade : 114, gingembre : 190, cardamome : 164, écorce de citron : 167, ognon coupé : 112, extrait de malt de la marque Diamalt : 15R, farine de froment : 118. Si on remplace l'eau par du lait, on a 114 au lieu de 100[1].

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  1. Neumann (N. P.) et Knischewsky (O.), Zeits. f. d. ges. Getreidewesen Jg. 2, 1910, 4 et suiv.; Kochmann (M.), Biochem. Zentralbl., 16, 1909, 391.