7-2 Levain, brasserie (Maurizio)
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Les progrès nouveaux de la fermentation des pâtes furent liés à l'industrie de la brasserie qui naissait. On en trouve la preuve dans les documents de l'ancienne Babylonie qui, comme on l'a vu, parlent de « pain-bière ». Mais vraisemblablement les boulangers n'empruntèrent leurs ferments à la brasserie qu'à une époque où le pain blanc était déjà fort répandu. En général, on faisait le pain blanc, comme à présent le pain noir, avec du levain. Parmentier en parle dans son Avis. L'emploi de la levure de bière pour le pain, l'introduction d'un pain léger au lieu du pain de froment compact et sur qu'on avait eu jusque-là, l'emploi de la levure au lieu du levain auquel on était habitué (avec la préparation préalable qu'il comportait), furent deux nouveautés dont s'émurent beaucoup les contemporains. Le pain fait à la levure entra dans les usages : on se servit pour le faire uniquement de levure de bière. Les deux innovations furent violemment combattues en France. Il se trouva des savants pour mettre en garde contre elles, comme on met en garde contre un danger d'empoisonnement. La levure, du reste, trouva d'abord ses emplois dans la pâtisserie. A Paris, les partisans de la levure et ses adversaires donnèrent tant d'importance à la bataille que le gouvernement s'en mêla. En 1666, on chargea des médecins de trancher le procès. Comme ils ne parvinrent pas à se mettre d'accord, on chargea de l'affaire,
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finalement, la faculté de médecine. Après deux mois d'étude dans les brasseries et les boulangeries, celle-ci décida, en 1668, par 45 voix sur 75, que la levure de bière est nuisible à la santé, à cause de l'âcreté engendrée par la pourriture de l'orge et de l'eau. Le procès comique fait à la levure de bière laissa des traces dans la littérature. La Condamine a chanté en vers cette histoire. Dans son ouvrage : Origines du pain mollet, il raconte d'un médecin dirigeant qu'il « conclut que la mort volait sur les ailes du pain mollet ». Un autre poète nomma la levure : « une sale écume ». Mais, comme tout le monde trouvait bon le nouveau pain à la levure et qu'il se vulgarisait malgré son interdiction, enfin, comme personne n'était malade, malgré les décisions de la faculté, le Parlement permit, en 1670, l'usage de la levure de bière, sous la condition qu'elle serait toujours fraîche, que les boulangers se la procureraient à Paris et qu'ils ne la feraient pas venir, comme il arrivait, de la province.
L'usage de la levure de bière active améliora considérablement le pain. Nous lui devons le pain léger. Au début, on l'utilisait seulement pour les petits pains blancs et elle avait fait la réputation mondiale de la boulangerie viennoise. Ensuite, en 1867, apparut la levure pressée, ou levure viennoise, qui, à présent, domine toute l'industrie de la boulangerie, sans excepter la fabrication du pain noir. Les raisons pour lesquelles, même à la campagne, la levure pressée est préférée au levain sont actuellement bien connues (Maurizio, loc. cit., 1924-26). La levure sèche, introduite plus récemment dans le commerce, ne concurrencera qu'à peine la levure pressée, même si la levure sèche doit sembler préférable pour certains usages spéciaux. Mais, avec la levure sèche, dont l'activité ne varie pas, dans les limites de certains délais, on peut arriver à des résultats mieux comparables entre eux lorsqu'on procède à des recherches scientifiques sur la fermentation. Les nombres suivants montreront l'importance prise par la levure dans l'industrie de la boulangerie. Hayduck estime à 70 millions de kilogrammes par an la quantité de levure produite par les brasseries allemandes. De cette quantité, les besoins de la brasserie elle-même n'utilisent que 10 millions de kilogrammes tout au plus. Il estime à 50 millions de kilos la quantité utilisée pour la boulangerie. Les essais faits pour utiliser comme aliment la levure produite en excès ne constituent pas une nouveauté, du moins en un certain sens, car l'homme est accoutumé depuis longtemps à consommer la levure dans les pâtes levées. Comme la levure de boulangerie triple à peu près son propre volume dans la pâte,
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la quantité à laquelle on arrive pour l'Allemagne seule est de 150 millions de kilogrammes par an[1].
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- ↑ Sur l'emploi de la levure pour le pain : Le Grand d'Aussy, loc. cit. ; Balland (A.), loc. cit.; Bourdeau (Louis), loc. cit., 191-194 ; Hayduck (J.), Intern. Agrar. Techn. Rundschau (Rome), 1913, IV, 544.