6-3 Céréales panifiables (Maurizio)
|
[493]
Sommaire
Céréales connues des Grecs et des Romains
Peu à peu, les habitudes évoluèrent vers un pain fait d'une seule sorte de farine. L'usage des mélanges diminua de plus en plus.
Dans tous les pays existe l'habitude d'appeler simplement « du grain » (Korn, corn, grano, etc.), la céréale dont l'usage est dominant, dans chaque région, pour la fabrication du pain. Tel est du moins l'usage dans certains domaines linguistiques, mais non pas, malheureusement, dans certaines régions sur la situation desquelles nous voudrions surtout être bien renseignés. Quand on parle de « grain » dans l'Allemagne du nord, il s'agit du seigle. Dans l'Allemagne du sud et en Suisse, il s'agit de froment ou d'épeautre. De même, en France, le nom général (du blé) veut dire du froment. Il en est de même en Italie pour il grano et en Angleterre pour the corn. Mais, en dehors de cela, le même mot, grano ou corn, indian corn, indian wheat désigne le maïs en Italie et dans les états de l'Amérique du nord qui cultivent le maïs. Les noms qui désignent l'orge ou l'épeautre ne font pas exception à cette règle. L'orge, autrefois, a été nommé simplement le grain, comme on le fait encore couramment dans beaucoup de parties de la Norwège (Schübeler). « L'épeautre est si répandu chez nous que c'est lui qu'on nomme particulièrement « le grain » comme on fait en Allemagne pour le seigle et en Souabe pour l'orge » (von Haller, 1782). Enfin Harshberger constate, en ce qui concerne le mot corn en Amérique, qu'il désigne uniquement le maïs, comme il arrive en Ecosse pour l'avoine. Le mot ainsi employé a une valeur légale, car en Pensylvanie, on juge qu'il suffit pour désigner le maïs. Une enquête linguistique sur la nature d'un pain doit donc laisser bien des doutes car le mot grain (korn) ne désigne pas nécessairement notre céréale panifiable actuellement la plus courante. Une autre difficulté s'y ajoute. En polonais et en russe, il n'y a pas de mot pour désigner limitativement ce dont nous par-
[494]
lons. Le mot généralement usité pour désigner une céréale (en allemand Getreide) ne désigne pas nécessairement une substance panifiable. On reste dans l'indécision sur l'origine de ce fait, car, dans l'est, le pain est apparu bien plus tard que partout ailleurs. Nous ne trouvons donc pas partout un terme pour désigner la céréale panifiable dominante. En ce qui concerne l'Europe moyenne, on peut résumer ainsi ce qui a trait au passage des céréales en général aux céréales panifiables[1]. Le pain d'orge, d'épeautre, de blé à amidon, de petit épeautre ou en grain (Gerste, Spelz, Emmer, Einkorn : Hordeum, Triticum Spelta, Tr. dicoccum, Tr. monococcum) a disparu dans l'Europe moyenne devant l'extension du pain de seigle et de froment. Il en est autrement dans l'Europe du nord où le pain d'orge remplace tous les autres au point que, pour désigner de l'orge, on dit simplement : du grain (Schübeler, Körnicke). Par conséquent le nom nous renseigne sur la céréale qui est d'usage courant dans un pays. Krause a conclu, de nombreuses données, que, déjà au XIIIe siècle, dans le sud-ouest de l'Allemagne, le mot korn désignait généralement le seigle, et ne désignait les autres céréales que par exception seulement. Mais comme, dans certains cas, pour le XIVe siècle, on prescrivait la livraison de « pain de grain d'hiver » (panis hiemalis frumentis), on doit conclure que çà et là, le pain d'orge ou d'avoine était en usage. Dans les pays du sud de l'Allemagne étudiés par l'auteur, le seigle était, au moyen âge, la principale des céréales à pain. A la fin du XIVe siècle, le pain blanc fait d'épeautre se présente comme ayant quelque chose d'exceptionnel. De nombreuses sources montrent qu'en Allemagne, çà et là, le mot korn désignait aussi l'orge. Metzger signale l'orge comme servant à faire le pain, décrit le pain d'orge comme âpre et noir, connaît le pain de mélange fait de seigle et d'orge et, enfin, signale que certains mettent la farine d'orge décortiqué sur le même niveau que celle de froment. Moins affirmativement il signale qu'autrefois l'orge à deux rangs avait servi à faire du pain et que sa farine fournissait, avec celle du « Korn » (qui est ici le seigle) ou celle du froment, un pain de mélange assez bon.
____________________
- ↑ Jessen (C. F. W.), Deutschlands Gräser u. Getreidearten., Leipzig, 1863 ; Körnicke (Fr.), u. Werner (H.), Handb. d. Getreidebaus, 2 Bd., 680, Berlin, 1885 ; Laffon (Gius), Enc. agr. loc. cit. ; Bureau Améric. Ethnology, Handbook of American Indians (Bull. 30) Bd. 1. Washington, 1907, article Maize ; Krause (Ernst H.L.), Naturwiss. Wochenschrift, 1912, N.F. Bd. 11. Nr. 46, 730; Metzger (J.), Europäische Zerealien i. botan. u. landwirtsch. Hinsicht, Heidelberg, 1824, 42, 45 et suiv. ; Schübeler, loc. cit., 145 ; Haller (Albrecht von), Neue Sammlung physisch-oekon. Schriften. herausg. v. d. oekonom. Gesellsch. in Bern, Zürich, 1782, Bd. II, p. 46 et 69. ; Harshberger (John W.), loc. cit., 88.
[495]
Les données qui nous permettent de suivre la transformation des galettes en pain sont abondantes. Dans l'antiquité c'étaient les flans (ou galettes) qui étaient d'usage courant et non pas le pain, et, le plus souvent, en ce qui concerne cette époque, quand il est question de pain, c'est de galettes qu'il s'agit. Bien que les Romains aient connu plus d'une douzaine de sortes différentes de pains, l'antique usage de cuire le pain sous la cendre se maintint pourtant même plus tard. On faisait (ou au moins on connaissait) beaucoup de sortes de pains. La céréale la plus usitée pour faire le pain est le froment, ou encore l'épeautre. Les anciens ne connaissaient pas le seigle. Les Grecs, accoutumés au goût du pain de froment, trouvèrent le pain de seigle des Macédoniens et des Thraces, noir et de mauvaise odeur. Pour les Romains, le seigle était une mauvaise herbe qui ne devenait utilisable qu'associée à l'épeautre. Il sera question plus loin de l'épeautre. A côté du pain de froment, le seul qu'on puisse citer comme ayant eu quelqu'importance est le pain d'orge. Mais il était considéré comme aliment de barbares ou d'esclaves. Les gruaux d'orges servaient aussi à faire un pain grossier. Il parait qu'il y avait aussi du pain de lentilles et d'autres légumineuses et diverses autres sortes de pain faites de céréales mal déterminées. On se servait aussi, dans la fabrication du pain, de millet, d'avoine et de glands. En général, le pain des anciens était plus épais et plus pesant que le nôtre et pour cette raison tombait au fond de l'eau. Mais il y en avait une sorte qui était légère et flottait.
On se plaint généralement de ce que les écrits des anciens ne nous apprennent pas clairement de quelles céréales ils parlent. Les deux Cotte (Etudes sur les blés, l. c., et A. Schultz) et beaucoup d'autres avant eux, ont cherché à débrouiller ce qu'ont voulu dire les commentaires et ont montré combien Pline a montré peu de sens critique dans sa compilation, dont on se réclame habituellement.
L'exactitude des termes dans les sciences descriptives est d'acquisition assez récente et les noms de triticum, siligo, far, ador, zea, et beaucoup d'autres sont restés de sens flottant et litigieux jusqu'à nos jours. En tout cas, l'étude des textes classiques montre que le Triticum dicoccum (blé à amidon), la vieille céréale de Babylone et de l'Egypte avec le Tr. monococcum (petit épeautre ou engrain), l'épeautre, et l'orge furent les plus anciennes céréales panifiables. D'après Aug. Schultz, vers 100 avant J.-C., dans le domaine de l'antiquité classique, le far des Latins (le Triticum dicoccum) était une des céréales les plus importantes. S'appuyant
[496]
sur des auteurs anciens, il pense que, vers l'an 100 après J.-C., les Romains considéraient cette espèce comme la plus ancienne, l'unique, la primitive céréale du Latium. Mais Schultz ajoute, comme les autres, que les témoignages des anciens sont extrêmement contradictoires. Cependant tout porte à croire qu'en Italie et en Grèce, jusqu'au second siècle après J.-C., seul le Tr. dicoccum était connu et cultivé. Dans le cours des siècles il a considérablement perdu de son importance, aussi bien en Italie que, par exemple, en Espagne et en Allemagne. Actuellement on le cultive par quantités restreintes seulement en France, en Suisse, dans quelques parties de l'ancienne Autriche et en Russie dans le bassin moyen de la Volga (Engelbrecht, l. c.). La forme du Tr. dicoccum la plus cultivée dans ces pays est Tr. dicoccum farrum Bayle Bar. Ceci posé, une autre des anciennes dénominations des céréales prend un sens déterminé, c'est le mot zea ou zeia. Nous devons à l'éminent chercheur August Schultz de pouvoir l'identifier. Il raisonne ainsi : Pline dit que les peuples qui se servaient du zea ne possédaient pas le far. Mais il reste à savoir ce qu'il entend par ces mots. Le far est souvent désigné par le terme général semen, qui correspond au mot moderne korn (grain) dont le sens est variable (voir ci-dessus). La question s'éclaircit si on fait les rapprochements suivants : zeia haple, zeia dikokkos et par l'opposition, pour les distinguer, de zeia pour ou avec olyra. Schultz soupçonne donc que zeia était le nom pour les formes à longues barbes du Triticum dicoccum et que olyra était le nom pour les formes à barbes courtes. Mais, pour arriver à ce résultat, il faut lire Dioscoride, Theophraste, Galien, et l'Odyssée avec l'érudition de Schultz (Schultz, I, 25, 30-35). Quant au Triticum monococcum (petit épeautre), il était déjà en forte décadence quand le Triticum dicoccum s'établit. On ne connaît que peu de gisements préhistoriques ayant fourni cette céréale, et on ne trouve que çà et là des textes sur sa culture en Europe aux époques historiques, depuis l'antiquité jusqu'au commencement de l'époque moderne. Cela ne suffit pas pour affirmer la culture du Tr. monococcum en Grèce, dans l'Italie moyenne ou l'Italie du sud ou dans la péninsule ibérique dans l'antiquité et au moyen âge. Actuellement le Tr. monococcum conserve une certaine importance agricole en Espagne. Il est cultivé çà et là dans tout le domaine méditerranéen, et, d'une façon tout-à-fait restreinte, soit dans le nord, soit en Allemagne, ou ailleurs au nord du domaine méditerranéen. Il a été question précédemment de l'épeautre (Triticum Spelta, allemand Spelz et Dinkel). II est
[497]
probable que les Romains ne l'ont connu qu'après le IIe siècle après J.-C.
Céréales et pain au moyen âge et aux époques suivantes. Origine des boulangeries professionnelles
En ce qui concerne la transition vers la panification du moyen âge, on ne sait rien. On n'avait pas poursuivi les tentatives romaines, on n'en avait pas tiré parti, comme d'ailleurs ce fut le cas dans beaucoup d'autres domaines. Probablement nous retrouvons en usage la panification du moyen âge, et même des procédés préhistoriques, chez les paysans de l'Europe orientale et des parties montagneuses de l'Espagne et de l'Italie. Il n'est pas utile d'épuiser ce sujet. Il suffira, à l'aide de cas particuliers, de mettre en valeur ce qui est caractéristique. J'utiliserai particulièrement pour cela les documents polonais. Aux statistiques relatives à la Galicie nous emprunterons ce qui suit, dont une partie, nécessairement, se répétera pour la Pologne. Dans tout le pays, l'alimentation des paysans est surtout végétale : soupes fermentées d'avoine et de seigle, pommes de terre, choux, boulettes ou croquettes de semoules de maïs et d'orge cuits en bouillies. Le pain est de seigle ou de maïs, parfois d'orge. Si le pain manque, ou si c'est un dimanche ou jour de fête, on cuit aussi des galettes hautes de 20 à 30 millimètres, avec ou sans lait. Plus à l'est, en Volhynie, on les frotte chaudes avec du lard, aux jours maigres avec de l'ail ou de l'oignon trempés dans de l'eau salée (Kleczynski, Rokossowska, et d'autres). Il a été déjà question de l'usage qui est fait en Galicie des pommes de terre malades. L'espèce de pain dont il s'agit porte, chez les Petits-Russiens, le nom de knyze. La croûte, avec la couche sous-jacente, est faite de pâte de seigle, d'avoine ou d'orge, la mie avec un mélange de ces trois céréales et de pommes de terre dans la proportion de 1 à 3. Comme additions, on signale des oignons, des semoules, du son, de la paille. Un instituteur de Tarnopol constate, par exemple, que le pain d'un écolier pauvre semblait bien n'être fait que de son et de paille. Habituellement on boulange une fois par semaine. Cependant, en été, on fait des flans (ou galettes) qui se mangent à moitié crus. Il est certain que beaucoup de paysans slaves sont encore actuellement à la phase de début de l'âge du pain. La façon tout-à-fait primitive dont le levain est préparé le confirme. On ne trouve guère que là dans l'histoire de la panification l'usage des germes de pommes de terre cuites, humectés et suris. Seuls les paysans les plus riches de la Galicie, environ 10 % de tout le peuple, mangent tous les jours du pain de seigle, mélangé plus ou moins d'orge. L'usage quotidien du pain existe chez quelques paysans ayant des moyens, mais, ce qui domine chez eux, particulièrement dans la région
[498]
montagneuse ou à ses approches, c'est le pain d'orge ou d'avoine souvent mêlé de pommes de terre. Les paysans les plus pauvres, c'est-à-dire la moitié de la population, ont du pain d'avoine et de pommes de terre. La plus grande partie de l'année ils ne mangent même pas de pain du tout. De renseignements très concordants, recueillis par Cybulski en 1894, il résulte que les paysans les plus pauvres ne mangent de pain que lorsqu'ils vont travailler en journée ou lorsqu'ils en reçoivent, comme complément de salaire, d'employeurs aisés. Pour le reste, leur alimentation ordinaire consiste en gâteaux cuits sous la cendre. Le pain est une friandise qu'ils ne se permettent qu'à Noël et à Pâques. De telles coutumes, en ce qui concerne l'usage du pain, semblent révéler des besoins bien inférieurs à ceux que les sources historiques nous révèlent même au moyen âge, dans d'autres pays.
Les plus anciens documents que nous possédions sur le pain pour le moyen âge sont le Capitulaire de Francfort de 794[1] et les pièces lui formant suite, sous la forme de règlements sur les prix du grain et du pain. Charlemagne et sa cour attachèrent beaucoup d'importance à la fixation d'un prix maximum des céréales, indépendant de l'insuccès de la moisson. Heyne, entre autres, a étudié ces règlements, avec les pains en usage dans le couvent de Saint-Gall. Mais il y a peu de renseignements à en tirer pour l'histoire du pain. Cunningham a reproduit un règlement anglais analogue, daté du XIIe siècle, mais qui peut être bien plus ancien. On y parle de pain noir, de « Wastelbrot » et de pain fin (« gâteau ») mais, principalement, des prix des céréales. On signale le pain de grains concassés, et aussi un pain mixtilionis qui doit être un pain de mélange, enfin un pain de cheval, fait de « haricots » ? {voir ci-dessus p. 310). Les autres pains signalés semblent être uniquement de froment. Il est donc probable qu'à cette époque le froment avait, en panification, le principal rôle. Il est aussi question de falsifications de la farine d'avoine. Mais le prix du pain fin semble suffisant pour fixer le prix des autres céréales. Ainsi c'était le prix du froment qui constituait le prix de base pour la vente du pain de seigle ou de tout autre pain.
Pour l'Angleterre même, les sources du moyen âge fournissent d'ailleurs des renseignements suffisants. Le pain de froment est le plus estimé, pendant que l'orge et l'avoine fournissent la farine pour le pain courant. Le poète Chaucer compare la timide fiancée au pain de froment et les femmes mariées à du pain d'orge. Dans
____________________
- ↑ Fleischmann (N (W.), Capitulare, etc., Neu Übers. u. m. Erläuterungen versehen Landw. Jahrb., 53, 1919. Tirage à part chez Paul Parey, Berlin, 76 p.
[499]
un récit que rapporte le même auteur, on donne du pain d'orge aux mendiants qui font semblant d'être aveugles et du pain de froment à ceux qui le sont véritablement. Le pain d'avoine n'est nommé que plus rarement. Il est mis sur le même plan que le pain d'orge. Les gâteaux d'avoine, et toute sorte d'autres gâteaux non levés étaient un aliment de pauvres gens. Il est fait mention d'un pain de farines mélangées, de diverses sortes de pain noir, d'un pain grossier fait de son et de farines de légumineuses et d'un grand nombre de pains fins faits de froment. Tout cela ne concorde pas absolument avec les conclusions de Rogers. Son opinion est qu'au milieu du XIIe siècle, les Anglais, dans la plus grande partie du pays, se nourrissaient de froment, mais que, dans le nord, on se nourrissait aussi d'avoine. En tout cas, le froment fut, de très bonne heure, en Angleterre, la céréale principale. Ce fait est constaté par beaucoup de documents du XIVe siècle concernant l'étendue des surfaces cultivées, les récoltes et les semis. Mais rien ne met mieux en lumière le lent progrès du pain de froment que les «lois du pain » de 1822 et de 1836 (Bread-Acts) spécifiant ce qu'on peut vendre sous le nom de pain et ce qui ne doit pas être vendu sous ce nom. D'après ces textes, on peut cuire et vendre comme pain celui qui est fait de froment, de seigle, d'orge, d'avoine, mais aussi de sarrasin, de riz, de pommes de terre, de pois et de haricots et de mélange de ces substances. Comme moyen de faire lever le pain, la loi cite, en plus des moyens ordinaires, aussi les pommes de terre suries, probablement à la manière dont s'en servent encore actuellement, en Galicie, les Huzules[1].
Au moyen âge, l'Allemagne était bien moins avancée que l'Angleterre en ce qui concerne l'usage du pain. On distinguait deux sortes de pain. L'un, qui était lourd et épais, était fait le plus souvent d'une farine grossièrement moulue d'orge ou d'avoine. L'autre,
____________________
- ↑ Transition des galettes aux pains grossiers : Blümner (H.), Technologie u. Terminol. d. Gewerbe und Kunste bei Griechen u. Römern, 2 A. Bd. 1, 1912. p. 73, 82, 83, 84 ; Cunningham (W.), loc. cit., 659 ; Dickenmann (J.J.), loc. cit., 26-33 ; Rogers (J. E.), Die Gesch. d. engl. Arbeit. (traduction), Stuttgart, 1896, 37, Encyclopaedia britannica, 11e ed., Cambridge, 1910, 6, 467 avec renseignements sur la législation pour 1822, 1836 et sur la panification, 4, 465 ; Hagelstange (Alfred), Suddeutsch-Bauernleben im Mittelalter, Leipzig, 1898, 120, 155 ; Staub, loc. cit., 149; Gyr (S.F.), Zunft-Historien Schilder aus der Gesch. Zürichs, Zürich, 1909, 103-111 ; Kleczynski (Dr J.), Wiadomosci statystyczne, 1881, Jg. 7. Hft. 1, Lemberg, 1882 (d'après Cybulski (N.), loc. cit.) ; Rokossowska, Zofja, Wisla, 1899, Bd. 13, 153 et suiv. - Voir aussi Siarkowski (W.), Même revue, 1896, Bd. 7, 79 ; Cybulski (N.)., loc. cit., 60-62 ; Gustawicz Bron, Lud (Das Volk), Revue polonaise de folklore, Lemberg, 1906, Bd. 12, 9 et 15 ; Schnaider (Jozef), Lud., 1906, Bd. 12, 296 ; Müller (Zebaldus), loc. cit., 12, 17, 27, 28 ; Malouin, loc. cit., 22.
[500]
fait de farine de froment, ressemblait davantage à un gâteau et se nommait généralement « beau pain » (schoen brot ou aussi pain blanc, weizbrot). L'usage habituel était que chacun faisait son pain, mais à la fin du moyen âge survint un changement radical. Dans la plupart des villages fut installée une boulangerie leur appartenant et où les habitants faisaient cuire leur pain par un boulanger, pour de l'argent ou seulement pour de bonnes paroles. Il résulte des textes cités par Hagelstange que le boulanger était à la fois un commerçant et un salarié qui, véritablement, vendait quelques pains pour son compte, mais qui, aussi, était payé en tant que salarié, avec du grain, de la farine et qui, quand il avançait du pain aux pauvres, se dédommageait à la récolte. L'auteur ne dit rien de la bouillie, probablement parce que les paysans qui la mangeaient la préparaient entre les quatre poteaux de leur maison.
Jusqu'au XVIIIe siècle, c'est donc surtout du pain des citadins que les auteurs se sont occupés. La différence entre le nord et le sud de l'Allemagne était grande. En l'année 1616, Sebaldus Müller, qui traite son sujet avec grand détail, ne parle que de la boulangerie salariée des villes. Mais, comme il donne aussi des renseignements sur la récolte du grain, je reproduis les deux passages suivants de son ouvrage. « Les grains dont l'espèce et la substance, dans notre temps, et en ce pays de Prusse, sont d'un emploi autorisé pour en cuire du pain destiné à la vente, sont de deux sortes : le seigle et le froment. » Le plus mauvais pain « qu'il était défendu de cuire pour la vente » était « du pain de chiens » (un pain de sons boulangés). Toutes les fois qu'un bourgeois apporte au boulanger 5 livres de farine, le boulanger doit lui rendre 7 livres de pain, et, sur cette base, il doit aussi donner, de 90 livres de farine, 126 livres de pain, et, après soustraction de 2 à 3 livres de son, 120 livres de pain, et, après soustraction de 15 livres de son, 75 livres de fine farine ou 105 livres de pain. Telle est la base d'opérations ». A un autre endroit il dit : « Il est cependant ordonné que, de 100 livres, ne doivent pas être blutées et enlevées plus de 10 livres de son ou de 15 livres, pour faire du pain fin ».
Dans l'Allemagne du sud nous ne trouvons le pain de froment qu'à partir du XIIe siècle, lorsque l'on cultiva cette céréale plus largement. La Suisse montre à cette époque les mêmes exigences en pain. On peut s'en faire une idée à l'aide des règlements sur la cuisson et la vente du pain, tels qu'ils existaient à la fois en Allemagne et en Suisse.
Au point de vue étymologique on lit dans l' « Idiotikon » suisse
[501]
et dans le livre de Staub que le mot becken vient de bachen et signifie faire le métier de boulanger et que ces deux mots sont entre eux dans le même rapport que pfisteren et pfister. Ce dernier mot pour désigner un boulanger était autrefois un mot courant et il est encore resté en usage dans la Suisse allemande. Le mot Pfister est d'origine monastique et vient de pinsor (de pinsere, c'est-à-dire pétrir). Encore à présent, le dialecte italien de la haute Italie se sert du mot pisator. Les mots Bäcker, Bächler, Becker, Beek, Pfister, Simmler, ont le même sens (Staub, Gyr). Ce. sont aussi des noms de famille. Dans les villes allemandes les gens faisant métier de boulangerie se divisent en deux catégories, les boulangers de pâte sure (Saurbäcker) et de pâte douce (Süszbäcker). Il y a aussi Fast-, Schwarz-, Los-, Platz-, Weisz-, Kuchenbäcker (qui sont les pâtissiers), Rauchbäcker et Feinbäcker. Mais, en moyen haut-allemand, on connaît encore un troisième mot : Brötler, signifiant des vendeurs de pain. Ils portaient au XIVe siècle le nom de Kaltpfister. Dans Hans Sachs on trouve pour ce terme : Brotkalter (venant de G'halter, Behälter, c'est-à-dire à peu près récipient). En Autriche, on distinguait ces marchands de pain en Brotsitzer et Gauläufer (marchands de pain sédentaires et coureurs de campagne). Ce sont les ancêtres de la race, en voie de constitution, des Wegglibueben et Weggenfraueli qui, selon Jeremias Gotthelf, escroquaient leur argent aux femmes et aux enfants.
L'importance prise par l'industrie de la boulangerie dans la vie courante du moyen âge nous est révélée par le nombre des noms de famille qui en dérivent, sans même tenir compte des noms qui dérivent des outils des boulangers ou de certains détails de leur installation. Les boulangers d'alors (Pfister) nommaient leur métier « le métier où on ne dort pas » et les boulangers demandaient si leur salaire était le prix de leurs souffrances. Ils se plaignaient aussi, comme à présent, du crédit qu'ils étaient obligés de faire. Le respect qu'inspirait le pain ne s'étendait pas, en général, à ceux qui le faisaient. Au contraire, le peuple accablait de plaisanteries le boulanger et sa boulangerie. Le boulanger est, à ses yeux, un pauvre diable occupé d'une chose que chacun croît pouvoir faire aussi bien que lui sans apprentissage. Son pénible métier, qui épuise l'homme, ses « jambes de boulanger » (jambes cagneuses) ne sont pas séparées dans les idées du peuple. On l'associe à la mince considération qu'on a pour son pétrin, pour son râteau, sa canne ou ses béquilles et le balai qui lui sert à nettoyer son four. Même quand il est mort, le peupie ne le laisse pas en repos. On dit
[502]
qu'il a été ratissé, ou bien qu'il a été mis dans la balance et trouvé trop léger.
La superstition, dont se moque Méphistophélès, voit un rapport entre la béquille de la vieillesse, qui n'a rien à envier à celle du boulanger, et le diable lui-même
- Mon voyageur va boitant sur la béquille de la foi
- A la pierre du diable, au pont du diable.
Mais, dans les jeux d'enfants, le meunier et le boulanger sont de hauts personnages. Leur rang est immédiatement après le roi et l'empereur, avant Bur und Better (le paysan et le mendiant). Ils sont aussi placés au-dessus de toutes les choses humaines dans l'expression : « Oh céleste boulanger et notre Dieu ! combien cette mauvaise clique nous a entraînés loin de ton divin moulin » (Staub). Mais ce respect ne doit pas nous faire illusion sur les limites étroites assignées au métier du boulanger de profession. Ils étaient uniquement boulangers des villes. Les usages de la boulangerie d'alors prouvent que, même dans les villes, le pain était une nouveauté. A Winterthur, au XIVe et au XVe siècle, les Husbäcken (boulangers de maison) étaient ceux qui cuisaient aux gens le pain de leur ménage. Au moyen âge, on distingue, dans les maisons privées, les fours où on ne doit pas cuire de pain et les fours où il est permis d'en cuire. Puis il est question d'une prohibition faite de cuire du pain dans aucun poêle en faïence, surtout le jour. Ailleurs, c'est seulement l'hiver qu'il est permis de cuire chez soi, pendant qu'en beaucoup d'endroits le droit de cuire dans un four privé appartient au seigneur féodal qui se le fait payer. Le « grain de droit de four » était ce droit de rachat, payé en nature. Souvent, par conséquent, les autorités, seigneurs ou communes, conservèrent le droit de four à pain qui, plus tard, passa aux villes. Encore au commencement du régime « de médiation » (début du XIXe siècle), cette situation donna lieu, dans le canton de Fribourg, à des troubles et à leur répression par les troupes. Il arrivait aussi que, manquant à domicile d'installations pour cuire le pain, chacun portait au boulanger sa farine pour la cuire, ou bien on échangeait sa farine contre une certaine quantité de pain plus blanc qu'on appelait « pain de boulanger » (Backenbrot). Il régnait donc un mélange de coutumes rurales et de coutumes citadines. De même qu'il y avait des meuniers travaillant à façon (il y en a encore) il y avait des boulangers à façon. Il y eut d'interminables querelles entre boulangers des villes et boulangers des campagnes et entre boulangers à leur compte et boulangers à façon. On trouve encore dans l'Allemagne du sud et en Suisse un reste de cet état de choses :
[503]
la coutume d'envoyer cuire chez le boulanger les pâtes de gâteaux préparées chez soi[1]. Dans le canton des Grisons, encore assez souvent maintenant (par exemple à Bergell certainement de 1886 à maintenant) on porte au boulanger, pour la cuire, la pâte à pain toute préparée. Nous aurons à revenir sur les usages de la boulangerie dans les Alpes et sur les fours à pain des collectivités quand nous étudierons les pains pesants de la région alpine. Nous voulons seulement montrer ici comme quoi le meunier et le boulanger étaient partout soumis à un contrôle et à des règlements qui rendaient plus difficile leur métier. Au XVIe siècle et au XVIIe siècle, aussi en France, le moulin ne travaillait généralement que pour exécuter les commandes. D'abord le client, ou le meunier, criblait la farine. Ce criblage, pratiqué chez soi, par ceux qui faisaient le pain pour eux-mêmes, était habituel depuis le moyen âge. C'était un dur travail dont, par exemple « Till Eulenspiegel » nous parle. Les femmes, qui pétrissaient la pâte à la maison, la portaient alors au boulanger. Elles s'y rassemblaient en grand nombre et attendaient leur tour. Elles avaient là un bon prétexte pour sortir de chez elles. Leurs maris appelaient ces boulangeries « boulangeries à babillages » ou « boulangeries à joyeux gazouillis » [2].
On imagine bien que, dans ces débuts de « l'âge du pain », il y avait encore place pour les plus antiques procédés dans la manipulation de la pâte. De même que les anciens Egyptiens pétrissaient la pâte avec les pieds, les Ecossais en firent autant jusqu'à une époque récente. On raconte de l'ancienne industrie du macaroni en Italie que l'on pétrissait fréquemment la pâte avec le derrière. Il fallait pour cela avoir deux barres de bois solidement fixées. Les opérateurs s'accrochaient à l'une par les jarrets pliés, et ils se tenaient à l'autre par leurs bras étendus.
Il serait intéressant de revenir sur les céréales primitivement utilisées pour le pain : orge, épeautre, Triticum dicoccum (blé à amidon), Triticum monococcum (petit épeautre) qui, peu à peu, cédèrent la place au froment et au seigle. Mais cette évolution, déjà nettement commencée en Suisse au XVIIIe siècle, n'est pas encore terminée aujourd'hui. Les pains faits d'orge étaient aliments ordinaires dans les Alpes. Albrecht von Haller, dans sa « description des genres et espèces des céréales », dit de l'orge : « Il sert à faire du pain pour les pauvres, mais c'est un pain noir et qui n'est pas très agréable ». Cela ne l'empêche pas au même endroit d'ajouter :
____________________
- ↑ Cf. Staub (Fr.), p. 155-157 ; Heyne (Moriz) et aussi Behrlepsch (H. A.), Kronik von ehrbaren Bäckergewerb. St.-Gall. o. I (1838 ?), Bd. VI, der Chr. d. Gewerker.
- ↑ Cochut (André), Revue des Deux-Mondes, 46, 1863, 978.
[504]
« L'orge...[1] donne un pain doux de goût, agréable qui, à vrai dire, est un peu humide et devient dur rapidement. C'est pourquoi, jadis, chez nos populations des Alpes, lorsqu'elles conservaient encore la simplicité de leurs mœurs et de leurs usages, on cuisait une ou deux fois par an cette sorte de pains d'orge. On les coupait en disques plats et minces que l'on enfilait sur des cordes et qui pendaient au-dessus du foyer, et, selon les besoins, ils les mangeaient l'hiver, ramollis sur du bouillon de viande ou du lait. Mais ces bonnes gens, eux aussi, savent à présent manger tout ce qu'il leur en faut, et du meilleur pain de froment. » Nous avons ici la description de pains troués ou de flans troués.
Nous terminons là notre exposé sur les derniers vestiges de l'usage alimentaire des galettes en Europe. Il est bien difficile de séparer rigoureusement les flans ou les galettes des véritables pains, auxquels nous consacrons le chapitre suivant. Là où, maintenant, le seigle et le froment luttent pour la première place, ils avaient dû jadis lutter déjà et triompher ensemble. Ce fut la conséquence de l'évolution graduelle qui se faisait dans l'alimentation céréale et ce sont des faits que nous rappelle, non seulement ce qui se passe chez les peuples encore au début de l'âge du pain, mais ce qui s'est passé chez les Français et les Anglais, qui n'en ont rien ignoré. Au milieu du XVIIIe siècle on entendait par « céréales à pain » non seulement l'orge et le seigle, mais des « céréales à galettes » ou des « graines à galettes » comme l'orge ou les céréales de mélange. Les Scandinaves et les Slaves, pris dans leur ensemble, sont encore bien loin d'avoir adopté comme uniques céréales alimentaires le seigle et le froment. Et, même à l'époque indiquée, les Français semblaient savoir encore parfaitement que le pain avait eu pour ancêtres les galettes (ou flans) et les bouillies. C'est ce que remarque Malouin : « Jadis, on préparait ce pain en même temps que les autres mets, et à chaque fois qu'on voulait manger. C'étaient les gens de cuisine qui le faisaient et, presque toujours, on était obligé de le manger chaud, comme on mange ce qu'on vient de cuire. » Dans ce qui va suivre, il n'est pas bien possible de séparer les pains des galettes, parce que les galettes, depuis longtemps, continuent d'exister bien qu'il y ait aussi le pain, et aussi parce que l'on recommence toujours à vouloir faire du pain avec des substances qui ne conviennent que pour les galettes. Encore à présent, cette situation persiste chez les Slaves et les Scandinaves, comme le prouve toute leur alimentation dans leur
____________________
- ↑ Haller (Albrecht von), 1782, loc. cit.
[505]
pays. Il est vrai que le livre des herbes de Simon Sirrenius, au XVIe siècle (loc. cit., p. 920), dit que le pain de seigle était d'usage courant chez les Polonais. Mais il ne peut s'agir ici que des villes. Et il dit plus loin : « Les autres nations n'en font pas beaucoup de cas, ce pain n'est pas à leur goût et leur paraît malsain ».
NOTE DU TRADUCTEUR.
On a signalé ci-dessus, p. 300 et 302, la distribution si remarquable, si difficile à expliquer, des zones actuelles de culture du sarrasin en Europe. En ce qui concerne la Basse Normandie, Loiseleur-Deslongchamps et Marquis écrivaient en 1820 (article sarrazin du Dictionnaire des Sciences médicales en 60 volumes) : « Le sarrazin cultivé en certaines provinces, comme la Basse Normandie et la Bretagne, sert à faire un pain grossier et surtout des gâteaux et des bouillies. & Lépecq de la Cloture, décrivant le « Bocage de Vire » quarante ans auparavant (t. 1 de sa « Collection » sur les Constitutions épidémiques... les Maladies... l'Histoire naturelle de la Normandie, p. 468), dit que le pain du Bocage est « de sarrasin, d'orge et même d'avoine pour les plus indigents ». Quelquefois on mêle à l'orge un peu de seigle ou de froment. Mais, surtout, on fait « le plus grand usage de sarrasin en galettes, bouillies et gâteaux &. Le gruau d'avoine sert pour les soupes. L'auteur nous explique (p. 462) que « les intempéries mettant beaucoup d'obstacles à la culture du froment..., l'industrie des habitants a accoutumé la terre à produire successivement du seigle, de l'orge, de l'avoine et... du sarrasin, dont la culture réussit d'autant mieux qu'il ne fleurit que fort tard... et il n'arrive jamais que tous ces divers bleds manquent la même année. » Une autre opinion sur la culture du sarrasin dans le Bocage se trouve dans un rapport officiel sur la Généralité de Caen, de 1768, cité dans les Esquisses du Bocage Normand de Jules Lecœur. « Les paysans ne vivent qu'avec de la bouillie d'avoine ou de sarrazin, parce que chaque paysan a la propriété d'une vergée de terre ou deux, avec une vache. » Ce qui veut dire que les paysans, étant pour la plupart propriétaires, mais seulement d'une minime parcelle de terre, ne peuvent pas semer les céréales de grande culture et se contentent du sarrasin, qui leur permet de produire eux-mêmes leur farine et d'échapper ainsi aux exactions éventuelles des marchands qui pourraient la leur vendre. C'est pour cette même raison, toute psychologique, qu'à présent encore toutes les fermes du Bessin comprennent, en plus des herbages, quelques « pièces de labour » parce que les fermiers
[506]
veulent pouvoir, en cas de besoin, « passer la maison » en blé et en sarrasin, c'est-à-dire ne pas être « obligés d'acheter ». Les derniers pains de sarrasin de la Basse Normandie (on en fait même peut-être encore) furent une sorte de gâteau : les faminaux de Domfront, Tinchebray, Vire, Flers, Condé, que des enfants vendaient dans les rues, tenus au chaud dans un panier couvert (Cf. Esquisses du Bocage, 1, 128). Les véritables pains (nommés gâches) de sarrasin, qui pesaient dix à douze livres, les pains de mêlée (avoine et sarrasin), les pains d'avoine pure du Mortainais, du Domfrontais, « d'Isigny-pain-d'aveine » n'ont disparu dans le Bocage qu'au milieu du XIXe siècle (si je comprends hien les Esquisses). En ce qui concerne le Bessin, plus riche, la disparition de ces pains remonte plus loin, car les traditions verbales directes que j'ai utilisées pour mon étude de folk-lore : Mon bisaïeul philosophe rustique, Paris, 1930 (au Sans-Pareil), ignoraient absolument ces pains. A cette exception près, l'usage du sarrasin en galettes (crêpes) et en bouillies dans le Bessin, à l'époque considérée (1815-1860), et son importance (supérieure en certaines saisons et en certaines années à celle du pain) coïncident exactement jusque dans les détails avec ce que les Esquisses en disent. Mais, dans le Bessin, le sarrasin était moulu par le meunier et non, comme dans le Bocage, à domicile, à l'aide du moulin à bras, à meule conique, descendant probable du moulin romain, dont parlent les Esquisses et qu'on faisait tourner avec un bâton. A Caen même, j'ai mangé souvent dans mon enfance la pure et simple bouillie de sarrasin, mais elle est peu appétissante et vraiment désuète. Je considère au contraire comme un mets très sain, excellent équivalent de la bouillie d'avoine, cette même bouillie, fricassée le second jour en languettes ayant la forme. de petits poissons et qu'on nomme « truites ». La galette de sarrasin (j'ai dit que ce sont des crêpes) est restée d'usage courant. On en mange chaque année d'énormes quantités dans les fermes. On en cuit en plein vent sur les foires. A Caen même, certains restaurants fréquentés par les ruraux portent une pancarte où on lit : « Galette tous les jours ». On la fait tantôt au lait doux, tantôt au lait sur, parfois au cidre. L'usage du lait sur, survivance possible des soupes acides, était habituel pour la soupe de « caudiaux » ou de choux verts (race de choux hauts sur pied spéciale au Bocage). Le lait sur était tenu en réserve, en fermentation continue, dans un petit tonneau debout sur son fond. (V. Esquisses, p. 136). J'ai entendu parler à Caen même, autrefois, des « pouls » d'avoine (pulmentum) mais sans en avoir jamais vu.