6-1 Céréales à pain (Maurizio)
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Les bonnes graines à bouillies ne conviennent pas pour faire du pain : le millet, le sorgho, le sarrasin, le maïs, l'avoine et l'orge, comme les graminées sauvages, donnent en boulangerie un produit mauvais et pesant. Malgré cela, comme nous l'avons montré, dans les commencements, les hommes tentèrent d'infatigables essais pour faire, avec tous ces grains et fruits, des galettes ou flans, des pains-flans, et même du pain.
Ce qu'il y a de commun entre les galettes et le pain est de nouveau ainsi mis en évidence. Mais la question de savoir comment la bouillie, les galettes, le pain, se succédèrent dans la civilisation d'un même peuple restera dans presque tous les cas d'une difficulté inextricable, car ces trois formes de l'alimentation existent côte à côte ensemble. En ce qui concerne les peuples rapidement évolutifs de l'Europe, on peut tout au plus affirmer que, chez eux, une des formes de l'alimentation l'emporta et que, dès l'apparition du pain, l'usage des flans fut considérablement restreint. Pour la préraration des bouillies, on préférait (comme on l'a vu) le plus souvent les espèces ayant de grosses semences à celles dont les grains sont petits. Tout le reste, dans de larges limites, semblait équivalent. Mais toute bouillie non plus ne convient pas pour faire les galettes. C'est pourquoi, à mesure que l'on s'efforça davantage d'avoir des flans plus légers, le nombre des céréales que l'on pouvait employer diminua, et le choix en devint de plus en plus
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difficile. Très peu de grains satisfont aux conditions requises. Car, ici, ce sont les propriétés physiques et chimiques des flans qui constituent les facteurs décisifs : l'aptitude que possède la pâte des galettes à s'imprégner d'eau et à la retenir, sa solidité aussi, car elle ne doit ni couler ni se morceler. La pâte des flans doit, jusqu'à un certain point, s'opposer au passage des gaz nés de sa fermentation, elle doit les retenir emprisonnés pour qu'ils la rendent légère. Mais pour pouvoir procéder à ce choix des céréales il fallait que l'on eût à sa disposition, tout d'abord, le moyen de réaliser un produit ressemblant déjà suffisamment à la farine. La mouture primitive jeta un premier pont sur l'obstacle à franchir. Son rôle ressemble à celui d'une croix indicatrice à un carrefour. Cette technique appartient tout à fait à l'époque de la bouillie et des galettes. Elle permit aux hommes de se convaincre que la pâte exigeait, pour lever, l'influence d'un milieu humide. A partir de ce moment on put commencer à chercher quelle était la graminée dont la pâte levait le mieux.
Les considérations qui précèdent sont d'une importance essentielle pour l'avenir de l'histoire des céréales. La description des formes sauvages, ou des trouvailles archéologiques de graminées, ne signifie rien, si on ne sait ni les raisons qui amenèrent les hommes à inventer les galettes, ni ce que leur permettaient de faire les farines dont ils disposaient. S'il arrive qu'un botaniste, fronçant le nez d'un air dégoûté, se détourne de vouloir rien connaître de l'alimentation céréale primitive, en estimant que cette question n'est que de la cuisine (la moins scientifique des sciences), il fait fausse route. En suivant les étapes du perfectionnement de l'alimentation céréale, dont le méteil constitue le chaînon le plus important, nous arriverons à l'époque la plus récente de l'histoire des céréales, celle où le seigle et le froment luttent pour la préséance.