5-2 Galettes chez les peuples du nord (Maurizio)

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Galettes dans la préhistoire et l'antiquité
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Diffusion des galettes

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CHAPITRE II
LES GALETTES DANS L'ALIMENTATION DES PEUPLES DU NORD


Les « pains plats » de Norwège, et ceux des Lapons sont aussi des galettes ou flans. D'après Sarauw, en Scandinavie et en Danemark, l'âge de la pierre a connu deux sortes de froment, plus le millet et l'orge. Pendant l'âge du fer sont apparus le seigle et l'avoine. Les flans dont il va être question ici montrent la succession des faits depuis la préhistoire jusqu'au moyen âge et à l'époque actuelle. Dans des tombeaux de l'époque des Wikings à Björko on a trouvé autrefois des petites masses carbonisées, de forme allongée, qui étaient souvent enfilées plusieurs ensemble sur un fil de fer mince. Mais ces petits pains n'ont pas encore été étudiés botaniquement. En 1908, on déterra dans une forteresse préhistorique, en Oestergötland, une pièce carbonisée d'environ 7 centimètres de diamètre sur 4 centimètres d'épaisseur, qui était constituée en partie de farine d'orge. En 1911, Erio Flach trouva un autre pain, en une localité différente, en Oestergötland, sur les hauteurs de Ljunga près Söderköping. Dans une sépulture masculine du temps des Wikings (800-1050) on trouva un pain fait d'une masse carbonisée épaisse, ayant la forme d'un disque plat, de 6 centimètres de diamètre sur 1 om. 7 d'épaisseur. H. V. Rosendahl a constaté que ce pain était fait de pois des champs (Ackererbse : Pisum arvense) grossièrement moulus et d'écorce de pin, qu'il renfermait des cristaux de phosphate ammoniaco-magnésien et des grains de silice, provenant probablement de la meule. Cette trouvaille est le plus ancien témoin de la culture du pois en Suède. Mais le pois était cultivé bien avant cette époque par les peuples de la Germanie et vraisemblablement aussi dans le nord. Schnittger cite les cités lacustres suisses comme ayant fourni, dans le domaine indogermanique, les plus anciennes traces de la culture du pois. Dans le domaine sémitique, en Egypte et en Palestine, le pois n'était pas connu, mais on en trouve la trace dans les couches plus anciennes de Troie. La trouvaille de Ljunga semble établir que c'était une ancienne coutume de mélanger des écorces à la farine. Jusqu'à


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présent on n'en possédait de témoignages que du moyen âge. Comme il s'agissait d'un aliment destiné à un mort, on peut avoir ajouté de l'écorce avec une abondance particulière, mais la proportion n'en peut pas être déterminée. Encore à présent nous trouvons largement répandus, dans les pays du nord, les flans (bien plus importants) d'orge et d'avoine. Encore il y a 50 ans, l'avoine était restée, en Norwège, la plus répandue des céréales. On en cultivait deux fois plus que de toutes les autres céréales ensemble. La farine d'avoine y est mangée en bouillie de gruaux délayée de lait, ou cuite en une variété particulière de pain « pour lequel on n'emploie pas de levain » et qui se nomme le « pain plat ». Ce sont des disques de 2 à 3 pieds de diamètre, ayant environ une ligne d'épaisseur. Schübeler admet que, vraisemblablement, le pain non levé était d'usage habituel dans l'antiquité norwégienne, qui, d'après sa théorie, comme d'après les sources mentionnées dans la Saga, remonte au moins jusque dans l'âge du fer. Et il ajoute que ce pain sans levain était plus ou moins semblable au pain actuellement consommé sous le nom de « pain plat ». Probablement, même avant l'introduction du christianisme, il y a eu en Norwège du pain levé, cuit au four à pain. Immédiatement après la mort de saint Olaf, il est couramment question de fours à pain comme d'une chose tout ordinaire. Au début du moyen âge nous avons conservé des textes n'autorisant les fours à pain, les fours à dessécher et les forges qu'en dehors des villes, à des endroits choisis par les autorités. Le tout pour éviter les incendies dans les villes.

Dans diverses parties de la Suède on fait des pains sans levain composés de farine non blutée d'orge et d'avoine et auxquels on donne la forme de rouleaux de pâte mince. Je dois sur ce sujet à M. Nils Keylands les renseignements suivants. Dans la province de Wärmland on y découpe ce qu'on nomme des « Laibe » d'environ 30 centimètres de diamètre, ayant un trou dans le milieu. Ce sont les « pains troués » dont Schnittger a parlé et qui sont en tout cas fort répandus.

Il est souvent question de ces pains dans la collection de poésies finlandaises Kalewala. Même pendant la guerre on pouvait en acheter dans les boutiques et sur les marchés de Leningrad. Jusqu'à une époque peu lointaine les pains troués étaient connus aussi à Puschlav dans le canton des Grisons. Les trous étaient faits avec un appareil particulier. En Suède, les pains troués sont enfilés sur un bâton et pendus au plafond pour sécher et souvent on ne s'en sert que comme aliment accessoire, comme nos biscuits.


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Mais les pauvres gens qui ne peuvent pas acheter les farines meilleures de seigle ou de froment doivent se contenter de celle-là. En Norrland on fait généralement des flans beaucoup plus grands, minces comme des feuilles d'arbres, de farine d'orge tantôt blutée et tantôt non blutée, et que l'on replie sur eux-mêmes un grand nombre de fois avant de les faire sécher. Dans le sud et la région moyenne de la Suède, où on cultive le seigle et le froment, on ne mange ces pains d'orge et d'avoine que pour varier la nourriture, mais, dans le nord, ils constituent l'essentiel de l'alimentation en céréales. Déjà dans la province de Sämtland, qui est géographiquement la partie moyenne du pays, on cultive peu de seigle et l'avoine mûrit rarement. En tout cas le pain de seigle, pur ou mélangé de farine d'orge, est un mets des jours de fête. Quant au pain d'écorce replié, c'est un pain de famine. Dès 1861 Bibra avait étudié cet aliment de nécessité et d'autres du même genre.

L'alimentation céréale en Suède ressemble donc par beaucoup de côtés à l'alimentation céréale primitive telle qu'on en a trouvé partout ailleurs les traces. Particulièrement remarquables sont les galettes cuites à la poêle, faites d'un mélange de grains pilés d'orge et d'avoine et qu'on mange dans la province de Wärmten, parce, que (une fois de plus) nous constatons qu'on mange ces produits chauds ou au moins frais. Ils se nomment en suédois « lävsa ». La pâte ordinaire de farine de seigle qui reste dans le pétrin lorsqu'on a fait le pain sert aussi communément à faire une lävsa cuite à la poêle, comme on s'en sert en Pologne pour des pains cuits sons la cendre. II existe une autre variété de galettes, nommée& glohoppa, c'est-à-dire « sautées sur la braise » qui sont cuites directement sur les charbons ardents. On les nomme ainsi parce qu'on les retourne pour les faire cuire comme des gâteaux ou crêpes aux œufs ou des omelettes roulées. Dans le livre d'Osée, on trouve ce qui suit parmi les menaces adressées aux Juifs infidèles : « Ephraïm se mêle aux peuples ; Ephraïm est comme une crêpe que personne ne retourne, mais les ennemis dévorent son énergie, et il ne veut pas s'en apercevoir », 7, V. 8.

Dans la région minière de la Suède moyenne, on se sert pour la cuisson d'un disque de fer fondu qui repose sur un trépied de fer. On peut sans hésiter rapprocher cet ustensile d'autres qui ont été précédemment signalés, en particulier des grils à trois pieds pour cuire les flans, de la poêle de fer écrite par Schübeler. M. Nils Keyland signale un dessin de ces disques qui se trouve dans le livre d'Olaus Magnus : Storia de gentibus septentrionalibus, Rome, 1555, ouvrage que je n'ai pas pu consulter et qui décrit aussi


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la fabrication du pain au moyen âge. On nommait râjärn la plaque de fer et râbrôd le flan que l'on cuisait dessus, ce qui veut dire « pain brut », probablement parce qu'il était fait de pâte non fermentée. Dans les contrées où ne mûrit pas le seigle, le flan est fait d'avoine ou d'orge. On trouve aussi dans ces contrées beaucoup de plaques de fer de ce genre et elles portent aussi le nom de « fers à pains de détrempe » (Brühbroteisen).

Bien entendu la farine de seigle ou de froment pénètre à présent jusque dans les pays dont il s'agit et il n'est pas rare que le pain le plus fin soit mangé précisément par les travailleurs les plus pauvres, qui consomment ce qu'ils achètent et non ce qu'ils produisent. La Suède méridionale et moyenne mange quotidiennement du pain levé fait de farine de seigle non blutée, et quelquefois mélangée de farine d'avoine ou d'orge et même de pommes de terre écrasées[1].

Les Lapons cuisent des flans vrais. Ils sont faits de pâte de farine d'orge, sans levain et salée. On la coupe en morceaux. Avant la cuisson on bat les galettes pour les aplatir. D'après les obligeants renseignements que m'a donnés M. Nils Keyland, du musée nordique à Stockholm (21 mai 1913), on prépare plusieurs variétés de galettes ou flans, de la façon suivante :

1° L'une des faces de la galette est cuite directement sur la braise. Puis on la présente en la tenant par l'angle supérieur à une bûche brûlant sur l'âtre, de manière à cuire l'autre face devant le feu.

2° Le premier côté est cuit dans une poêle et le second comme ci-dessus. On a alors le « pain à la poêle », identique à celui des paysans de la Lithuanie russe. Quant au « pain à la pierre plate », qui n'est usuel que dans les opérations importantes, il est cuit des deux côtés, sur une plaque de pierre, sur le foyer.

3° Les palt, qui sont faits de farine d'orge et de sang de renne, avec moitié d'eau, sont cuits comme la sorte n° 2 sur une plaque

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  1. Sur la prêparation des galettes : Schneller (Th.), dans le Bäckerbuch, loc. cit. ; Sumcow (M.), loc. cit., 651 ; Fischer (Emil), Zeitschr. f. Ethnol, 1913, Jg. 45, 104 et Arch. f. Anthrop., 1909, Hft. 4. (Dans ces deux ouvrages documents sur la nourriture dans les Balkans) ; Gloger (Zygmunt), Encyclopedia staropolska (en polonais}. Varsovie, 1900, Bd. I, 234 ; Gitowt, Wisla, 1904, Bd. 18, 48 ; Schürer v. Waldheim Hella. Zeitsch. f. österr. Volksk, 1914, 1 et 2 ; Krünitz (Joh. Georg.), loc. cit., Bd. 6 (Brot). Brünn, 1784 ; Metzger (J. D.), Europäischen Zerealien, Heidelberg, 1824, 50 ; Heyne (Moriz}, loc. cit., Bd. 2, 138-267. Bibliographie aussi dans : Schnittger (B.), loc. cit. et Dickenmann (Joh. Jak.), loc. cit., p. 29 et suiv. Le Grand D'Aussy, Histoire de la vie privée des Français. Nouv. éd., Paris, 1815, 79 ; Bourdeau (Louis), Histoire de l'alimentation, Paris, Alcan, 1894, pp. 155 et suiv. et 311 ; Schultz (Alwin), loc. cit., Familienausg. 1 Halbbd. Leipzig. 1892, p. 105.


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de pierre. Kobert s'est occupé de la vieille coutume d'ajouter du sang aux aliments. Mais l'origine et l'histoire des galettes au sang sont pourtant mal connues. L'usage rituel du sang pour les sacrifices semble en avoir restreint l'usage alimentaire. Kobert lui attribue l'interdiction du sang dans la loi mosaïque juive. Car tous les autres peuples primitifs étaient convaincus de la grande importance du sang, selon les plus anciennes traditions des Chinois, de la Mésopotamie, de l'Égypte et de l'Inde. Déjà à l'époque préhistorique, les Lacédémoniens mangeaient des mets où entrait du sang.

Le dur paltbrôd suédois (palt ou « pain de sang ») est depuis des siècles un mets favori de toute la population et non pas seulement un mets de pauvres. M. Nils Keyland le confirme, en même temps qu'il m'informe de l'usage habituel qui en est fait aussi bien dans les villes de la Suède que dans les campagnes. Pour le faire, on prend, dans le sud de la Suède, de la farine de seigle grossière, parfo:s mélangée de farine d'orge ou d'avoine. Dans le nord, comme chez les Lapons, on prend de la farine d'orge. Le sang qui a jailli à l'abattage de l'animal, ou le mélange de ce sang, et de farine, est conservé et utilisé en cas de besoin pour cette cuisson. Découpés en cercles avec la pièce de fer dont il a été question et percés d'un trou, ces flans au sang sont desséchés comme les flans d'avoine. En Suède, ces galettes au sang sont un peu plus épaisses (2, 3 centimètres) qu'en Laponie.

On peut lire dans Kobert les règles pour la cuisson de ces flans au sang. Le « pain de sang » esthonien, qui se mange frais, est encore autre chose. Il est en usage depuis longtemps chez les Esthoniens, dans les anciennes provinces baltiques et l'ancien gouvernement de Pétersbourg. On le prépare comme le pain de seigle ordinaire, si ce n'est qu'on ajoute à la farine au moins 10 % et parfois 30 % de sang de porc. Il est consommé par des milliers d'hommes dans les régions les plus diverses de la Russie, partout où il y a des Esthoniens, et il est, pendant toute leur vie, leur aliment fondamental. Bien que, selon Kobert, la boulangerie au sang ait été fort répandue en Allemagne au moyen âge et bien que son usage ancien ait laissé d'importants reliquats, il semble pourtant que cette sorte de mets n'ait pas une importance fondamentale pour l'histoire de l'alimentation céréale[1].

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  1. Kobert (R.), Ueb. Benutz von Blut als Zusatz zu Nahrungsmittel. 4 verm. umgearb. Auf. Rostock, 1917, pp. 69-80 ; Höfler (Max), Ostergebäcke. Zeitsch. f. österr. Volkskunde, Bd. 12. Supplément hef IV. Wien, 1906, 29/30 ; Weihnachtsgebäcke : même journal. Suppl. Bd. 3. zu Bd. 11. Wien, 1905, 63 ; Rammstedt (O.), Ztschr. f. angew. Chemie, 28, 1915, p. 236 et 497 avec bibliographie.