3-9 Plantes à bouillie de grande culture (Maurizio)
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L'avoine. — L'essentiel sur les origines botaniques et géographiques de l'avoine a déjà été dit p. 137,197. Parmi les plantes à bouillies d'Europe l'avoine seule, à côté du millet, a conservé encore une importance actuelle[1]. Elle est souvent citée dans cet ouvrage pour les temps passés, comme la céréale la plus répandue dans les régions montagneuses et septentrionales, comme un des éléments constants du méteil en toutes régions, comme la presque unique céréale de l'alimentation rurale au moyen âge, comme servant à la confection de soupes douces et acides. Malgré cela quelques remarques générales seront encore à leur place ici. Krünitz considère encore l'avoine comme une plante panifiable. Leuchs est exactement du même avis pour le commencement du XIXe siècle, où l'avoine était cuite en mélange avec diverses céréales, mais pour la confection des galettes et non du pain proprement dit. L'avoine est principalement utilisée pour la confection de bouillies douces et mucilagineuses. Elle disparaît de plus en plus de la cuisine. Seuls les Russes, les Petits-Russiens, les habitants du Monténégro, une partie des Suisses et les Ecossais lui restent encore fidèles. Pendant la dernière guerre l'attention fut attirée dans la péninsule des Balkans par l'importante provision de graines d'avoine que les Monténégrins portaient sur eux. Actuellement encore la bouillie d'avoine est un petit déjeuner fort apprécié en Suisse où on la fait assez épaisse. L'alimentation des Monténégrins est tout à fait moyenâgeuse, elle se compose d'avoine égrugée et de blé, de fromage de chèvre, de pain noir, de viande de mouton et de pommes de terre. Le mot anglais de porridge est, dit-on, l'altération de pottage ou potage [Pour l'OED, porage en 1532, altération de potage, influencé par porray, qui dérive du français porée ou purée], c'est-à-dire ce que l'on
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- ↑ Thellung (A.), 1911, loc. cit. ; Serand (E.), Les avoines, cultures, usages, etc., Paris (Dupont), 1890, 224 p. ; Warburton (C. W.), Oats, growing the crop. U. S. Dept. Agricult. Farmers Bull. Nr., 424, Washington, 1910, 4 pp. Sur l'emploi, cf. Krünitz, loc. cit., Bd. 6 (1787), 726, 728 et suiv. Encyclop. britannica, 11 Auf. Londres, 1911, (article porridge) ; A. O. i. Genossenschaft Volksbl., Zürich., 1906. Jg. 6. Ar. 15 (20 juillet) ; Klotz (M.), Die Bedeutung der Getreidemehle f. d. Ernährung, Berlin, 1912, p. 9 et suiv. ; Leuchs (Joh.), Vollst. Brod. Back-Kunde, etc., Nuremberg, 1832, p. 146 et suiv.
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fait cuire dans un pot (anglais pot) ; le nom date du XVIe siècle et désigne aussi un plat d'orge ou d'autre farine mélangé de morceaux de viande. Il y a 50 ans les Bretons étaient grands mangeurs d'avoine. [Sur la Normandie v. p. 505.]
J'ai parlé des mets d'avoine et particulièrement du Geislitz dans mon chapitre des soupes acides. Le plat d'avoine le plus ancien que je connaisse est une bouillie de farine faite d'avoine décortiquée, et que consomment souvent les Gorales. En 1920 l'agronome Franciszek Gutt de Poronin, près de Zakopane, me raconta, que, pour préparer cette bouillie, on moud l'avoine dans un moulin à main, puis qu'on la tamise. On mélange la farine avec plus ou moins d'eau ordinaire pour l'obtenir soit épaisse, soit claire, et on la consomme sans la faire cuire, c'est-à-dire comme une bouillie absolument brute. Et c'est ainsi que la parturiente se tire d'affaire quand elle reste seule chez elle. Le chevrier emporte à l'occasion, au pâturage une pâte épaisse de farine d'avoine. Les Gorales considèrent comme nocives les autres céréales qu'on veut leur préparer de la même façon. C'est le seul cas de bouillie crue que je connaisse. Il resterait à expliquer pourquoi l'avoine seule convient à sa préparation. Le docteur Bircher emploie, lui aussi, les flocons non cuits pour ses régimes. Pour cela il fait macérer pendant 12 heures une cuillerée de flocons d'avoine dans deux cuillerées d'eau et il mélange cela avec des pommes pilées, le jus d'un demi citron, des noix ou des amandes râpées[1]. Peut-être le Dr Bircher recourt-il ainsi à une nourriture primitive, dont nous ne savons plus rien, mais qui réussit excellemment aux dyspeptiques qui se confient à lui.
A part cela, les Slaves consomment la bouillie d'avoine telle qu'on la consomme ailleurs. Les plats à base d'avoine durent être extraordinairement répandus dans les temps slaves anciens. Rhamm émet l'hypothèse que la culture de l'avoine précéda celle du seigle chez les Slaves. Les Allemands auraient donc reçu des Slaves leurs plats d'avoine. Un mets nommé « Talken » ou « Tallgen », inconnu dans l'intérieur de l'Allemagne, et que Rhamm a spécialement étudié, a fait probablement ce chemin « ne dépassant pas les régions alpestres de la Bavière et se limitant, si on examine les faits exactement, aux régions primitivement occupées par les Slovènes ». Mais cela ne suffit pas à délimiter l'extension primitive de l'avoine cultivée, dont le domaine de culture fut très
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- ↑ Bircher (Alice), Diätetische Speisezettel u. fleichlose Kochrecepte, Berlin 1906, 121. L'auteur dirige le sanatorium « Lebendige Kraft » à Zürich. On recommande aussi les céréales brutes et les aliments bruts exposés préalablement au soleil, entre autres le lait.
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considérable. On suppose actuellement que l'avoine a bien pu suivre la route inverse, c'est-à-dire aller de l'ouest à l'est[1].
Le plat lui-même est surtout très répandu dans l'Europe septentrionale. En Russie on le nomme tolokno, et en Pologne ce nom (tlokno) sert à désigner les plats d'avoine, mais aussi d'autres préparations primitives de céréales. En Lithuanie, où ce plat porte le même nom, la bouillie est préparée de la façon suivante : on ébouillante l'avoine avec de l'eau chaude, puis on la fait sécher au four, on la décortique dans un mortier et on la moud au moulin à main. L'avoine ainsi préparée est délayée avec de l'eau, bouillie et mangée sous forme de soupe épaisse ou de bouillie. On l'accompagne de pâte surie à la farine de seigle, ou de pain de seigle suri. Pour obtenir ce condiment on fait souvent cuire de la farine de seigle dans de l'eau, on y ajoute après refroidissement du pain suri et on laisse le tout fermenter dans le pétrin. La farine d'avoine qu'on emploie pour préparer cette bouillie à l'eau est connue sous ce même nom depuis l'extrême-sud du gouvernement de Koursk, à travers toute la petite Russie et jusqu'à la Mer Blanche. Rhamm en donna beaucoup de preuves[2]. Il est très possible que les Finnois aient reçu ce plat des Russes ; chez les Finnois, le talkkuna est un plat national qui est inconnu des Suédois. Ce plat est d'usage général à Sawolax et dans toute la Carélie. C'est une bouillie dure faite d'avoine bouillie. Chez les Russes le radical tolokno entre dans la formation de certains mots composés. Comme le fait est connu pour le mot talken en Carinthie, ces mots désignent le sot, le lourdaud, etc.
Voici comment on Carinthie on prépare l'avoine sous la forme de Talken : l'avoine est ébouillantée puis séchée au four et broyée dans un moulin. Partout où sont utilisés les Talken, leur préparation est uniforme. A ce propos Rhamm note : d'après le Dictionnaire styrien de Ungher-Khul, pour obtenir les « Dalken », on verse de l'avoine ou du blé dans de l'eau bouillante, on fait cuire (primitivement à la pierre chaude) puis on puise les graines avec plus ou moins de soin. On se débarrasse toujours des glumes au moulin, c'est-à-dire qu'on les blute. L'avoine ainsi nettoyée fournit la bouillie dure dont il a été question et qui, après des préparations ultérieures, est consommée sous diverses formes comme bouillie, pudding, c'est-à-dire rôtie dans le beurre comme la Polenta et aussi comme galette cuite dans la cendre avec du lait.
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- ↑ Hahn (Ed.), in Eberts Reallexicon d. Vorgeschichte, Bd. 2. p. 16 et suiv. ; Hoops (J.), loc. cit.
- ↑ Rhamm (Karl.), Carinthia I., 1909, Nr. 6, Jg. 99, 209-212.
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doux ou acide. L'avoine peut être remplacée par de l'orge. On l'emploie aussi en mélange avec les pois et les haricots, 2/3 d'avoine (ou d'orge) pour 1/3 de pois ou de haricots que l'on fait bouillir puis sécher ensemble. On se sert aussi de mélanges d'avoine, d'orge et de maïs à parties égales. Il est bon de se rappeler que les Talken d'origine (Grundtalken) sont toujours soumis à la dessiccation. Ce moyen de rendre la matière brute assimilable, de la « sucrer », nous est déjà connue par la Braga, il était employé aussi dans l'ancienne Babylonie et en Egypte. On obtient le même résultat dans la confection de nombreuses soupes en les maltant ou en leur ajoutant du malt. Les Talken jouèrent autrefois un rôle important. Après un travail à forfait, le tisserand ou le cordonnier touchait en plus du prix fixé, du Talken qu'on appelait « Recht » (droit). Le pâtre en emportait dans l'alpage. Mais, actuellement, aucun domestique ne s'en contente plus. La raison en est sans doute que le Talken est démodé et que, pour le goûter, on lui préfère l'eau-de-vie. De plus, il est remplacé par le Türken (maïs) ou par le café. Ce mets est digne d'un sort meilleur. Quand Rhamm visita les vallées écartées de la Carinthie aux environs de 1880, le pasteur évangélique de Feld am See lui dit, entre autres choses, que, dans une certaine commune, il avait été frappé des âges extraordinairement avancés portés sur les pierres tombales, pour la plupart 80 ans et au-dessus. Il interrogea son hôte, un paysan, sur la vie de cet endroit. « Que mange-t-on le matin ? - Habertalken (talken d'avoine). Et à midi ? — On trouve ici, sauf erreur, le nom d'un autre plat d'avoine. Et le soir ? - Hahertalken, naturellement. - Et que buvez-vous ? - De l'eau. » Cette alimentation rurale si saine disparaît petit à petit. Quand, avant la guerre, il est vrai, on demandait en Pologne à un citadin s'il connaissait la soupe douce à l'avoine, cent contre un répondaient que l'avoine était bonne pour le râtelier des chevaux. Bien que l'habitant des villes ne la connaisse pas souvent, l'avoine n'en a pas moins beaucoup d'amis encore. Beaucoup de consommateurs amis du passé ne veulent pas y renoncer. Mais dans le domaine linguistique allemand l'évolution vers d'autres mets et d'autres boissons fut très visible entre 1840 et 1860. A ce moment-là on ne s'était pas encore tout à fait détourné de l'avoine ainsi qu'on le voit d'après les récits de Jer. Gotthelf et de H. Messikommer. A propos de la disette des années 1846 et 1847 on trouve ceci : « on ne pouvait presque plonger sa cuillère dans aucune soupière sans craindre de la vider et que tout restât à la cuillère ... quant à la viande, on n'avait pas à s'en plaindre, car on n'en
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voyait pas du tout. » Dans le canton de Berne le gouvernement fit heureusement rentrer alors dans le pays du blé et du riz, acheta aussi de la farine d'avoine et réconforta avec cette farine d'avoine mainte personne. Il est peu de cuisinières campagnardes qui s'entendent à préparer le riz. La bouillie d'avoine et la soupe d'avoine sont de bons plats nationaux et avant l'arrivée de la pomme de terre et du café, c'était la vieille force nationale. Chaque maison n'en reçut que quelques livres, etc.[1].
Parmi toutes les nations, c'est le peuple écossais qui est resté le plus attaché à la bouillie d'avoine, bien que cependant les temps soient révolus où elle était pour eux la base de toute alimentation. En 1855 on trouve encore ceci : Dans l'Écosse moyenne déjà, le voyageur se trouve réduit des jours durant à ces petits gâteaux d'avoine plats et ronds (oatmeal-cakes) qu'on dirait faits de copeaux de bois et d'eau et qui, en tout cas, contrastent fortement avec le délicat pain de froment des Anglais[2]. On ne peut comparer l'attachement des Écossais pour la bouillie d'avoine qu'à celui de l'Allemand de Nord pour son pain noir (cf. L'Houet). Un auteur anonyme dit à ce propos dans la Genossenschaftlichen Volksblatt, l. c. : « La bouillie d'avoine (porridge) est le secret de tous les succès des Écossais. Elle conserve le corps en bonne santé, la tête fraîche, les pieds chauds, etc. La bouillie d'avoine fait des hommes de fer comme Livingstone et Gordon. Une fois par jour au moins elle réalise l'égalité entre les diverses classes sociales et elle en fait le peuple le plus généreux de toute la Grande-Bretagne. » La bouillie d'avoine a mérité cet éloge. Jamais elle n'est accompagnée de maladies comme la pellagre et le béribéri qui apparaissent avec la consommation de maïs ou de riz. En Allemagne comme en France, s'élèvent de temps en temps, en faveur de la bouillie d'avoine, des voix qui voudraient en faire l'aliment par excellence. La façon particulière dont elle se comporte dans l'organisme humain apparaît dans les cures d'avoine des diabétiques. Dans les nombreux cas où l'on ne peut obtenir par d'autres moyens la disparition du sucre dans les urines ces cures d'avoine sont pleines de promesses. On ignore encore en quoi consiste l'action particulière de l'avoine, et pourquoi elle diminue l'acétonurie. Car on ne peut admettre comme chimiquement fondée l'hypothèse du Dr Klotz et d'autres encore qui pensent que de l'amidon d'avoine à l'amidon de seigle la transformation des amidons en sucre se
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- ↑ Gotthelf (Jeremias), Käthi die Groszmutter, Berlin, 1848., Bd. 2. 39 et 42. ; Messikommer, loc. cit.
- ↑ Anonyme, Notiz i. Peterm. Mitteilungen, 1855, 54.
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fait avec une rapidité croissante et qui classent suivant cet ordre les céréales alimentaires. Ces expériences comparatives faites avec les amidons hydratés de diverses céréales ne sauraient être acceptées sans examen. Peut-être l'action de l'avoine est-elle due à des espèces particulières d'albumine ou bien à d'autres corps existant en quantités infimes dans l'avoine et qui ressembleraient aux vitamines d'autres espèces céréales. En outre, l'avoine est aussi particulièrement riche en vitamines.
Le Maïs. — Le maïs et le riz sont au nombre des plantes à bouillies qui gouvernent le monde. Si l'on considère l'extension de leur culture et leur importance en tant qu'alimentation céréale exclusive de la majorité des hommes actuels, ces deux plantes ne peuvent plus être comparées dans leur domination qu'à celle exercée autrefois par le millet. Il est probable que jamais l'avoine n'a été répandue de la même manière dans des régions d'étendue aussi considérable.
Parmi les plantes et les animaux étranges que Colomb rapporta en Europe de ses fameux voyages, le maïs devait certainement se trouver[1]. Parker relève un passage de la Vie de Colomb racontée par son fils â la date du 5 novembre 1492 : « Il y avait là de grandes terres cultivées avec des racines, une sorte de fèves et une sorte de blé appelé maize qui était très savoureux cuit au four ou bien séché et réduit en farine. » Il faut faire remonter ce nom à mahiz, mot employé par la tribu des Arawaks (Aruaks) de la Guyane anglaise actuelle. Colomb trouva aussi le maïs cultivé à Haïti. Le passage reproduit ici est la première citation historique du maïs qu'il fut possible de retrouver, c'est la première fois que l'on trouve la plante nommée. Les conquérants de l'Amérique y trouvèrent donc la plante en pleine culture et sous de nombreuses espèces. Actuellement le nombre des espèces [Sorten = variétés] est plus élevé dans l'Amérique du Nord qu'au Pérou, ce qui semblerait indiquer une culture plus ancienne. Au commencement du XVIe siècle, les femmes fréquentaient les marchés du Nicaragua pour acheter : des esclaves, du maïs, des poissons et de la poix. Le maïs et le cacao étaient les principaux objets du commerce d'échange et même le constituaient tout entier (P. Pizarro, 1529. D'après
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- ↑ Wittmack (L.), Zeitschr. f. Anthropologie, Berlin, 1880, XII, 86. ; Steffen (Max.), D. Landwirths. bei amerikan. Kulturvölkern, Leipzig, 1883, 100 p. ; Harshberger (John. W.), Maize : A. Botanical and Econom. Study. Contrib. from the Bot. Labor. of the Univ. of Pennsylvania, 1893, Vol. 1. Nr. 2, 75-202, Philadelphia 1893. (Dans ces deux ouvrages abondante bibliographie.) ; Stuhlman (F.), Beitr. zur Kulturgesch. v. Ostafrika, etc. ; Berlin, 1909. ; Schindler (loc. cit.); Parker (Art. C.), loc. cit.
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Harshberger). Dans les temps anciens la culture se faisait avec le bâton à fouir et à planter, dont les Indiens de l'Amérique du Nord se servent encore pour le même usage, aussi bien les tribus des Navajos et des Mojaves que les Moquis de l'Arizona.
Le fait que les Aztèques rendaient un culte à une déesse correspondant à Cérès semble confirmer la très ancienne culture du maïs et le respect que les Aztèques témoignaient à cette plante. Cette déesse était la première femme qui ait su faire la cuisine. Le Musée d'ethnographie de Berlin possède de la déesse une statue tenant à la main gauche deux épis de maïs.
La culture du maïs est un trait commun aux quatre peuples anciennement civilisés de l'Amérique : les Aztèques, Mayas, Chibchas et les tribus de l'empire des Incas. A cette culture se rattache l'irrigation artificielle extrêmement développée au Pérou où elle était rendue tout à fait indispensable par l'absence presque totale des pluies dans la zone côtière. Sur les hauts plateaux du Pérou et du Bogota, la pomme de terre et la Quinoa remplacent le maïs qui ne pousse plus à ces altitudes. L'état social dépendait de la culture du maïs. Dès les temps ancieos elle avait eu les mêmes effets que celle du riz en Asie. Les conditions de la propriété, la forme de gouvernement, étaient déterminées par la culture des deux plantes. Le partage des terres au Japon se réglait d'une façon analogue à celle qui était en usage dans l'empire des Incas et on constate à ce propos une grande ressemblance entre les anciens peuples civilisés d'Amérique et les Japonais et Chinois d'autrefois.
L'indécision régna longtemps à propos du pays d'origine du maïs. Des botanistes fameux crurent que ce pays était l'Asie orientale. De Candolle, qui inclinait à croire à une origine américaine du maïs, pensait que l'archéologie en apporterait la preuve certaine. Cette science, ainsi que la philologie, ont en effet décidé et Harshberger croît devoir chercher l'origine du maïs dans le Mexique central, en se basant sur l'examen de documents nombreux. Sa carte de la culture primitive du maïs est très instructive. Il n'est plus douteux que l'Amérique soit le pays d'origine du maïs depuis que l'étude de l’Euchlaena luxurians Durieu et Ascherson a permis de constater des ressemblances entre Euchlaena et Zea Mais. Mais il est à peine possible de dire avec certitude de quelle partie de l'Amérique la plante est originaire. Schindler donne des renseignements détaillés sur les formes de culture. Celles des Indiens sont nombreuses. Pour les seuls Iroquois, Parker en nomme plus de vingt races. Les Indiens s'entendent excellement à la culture. Il y a quelques années, la sécheresse
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ayant sévi dans l'ouest et occasionné de mauvaises récoltes, le ministère américain de l'agriculture envoya des conseillers agronomes qui y apportèrent des graines d'une variété de maïs germant rapidement et en profondeur. La racine principale, en pénétrant profondément dans le sol, préserve le maïs du dépérissement dans ces régions de sécheresse. Or les savants agronomes trouvèrent chez les Indiens des espèces de maïs correspondant beaucoup mieux aux exigences du climat que celles qu'on leur avait envoyées.
Les Américains nomment nos céréales small-grain, les opposant au maïs qu'ils appellent corn, ce qui signifie que le mais est la céréale propre à leur pays. Le maïs est arrivé à une très grande extension dans son pays d'origine, mais cela n'est vrai naturellement que dans la moitié atlantique de l'Amérique du Nord, où un été semi-tropical à pluies abondantes et à peu près également réparties, atteint de hautes latitudes. Je ne puis m'étendre ici en détail sur le pourcentage du maïs par rapport aux autres céréales. Je renvoie à Engelbrecht qui, entre autres choses, décrit d'une façon frappante la façon dont l'avoine remplace le maïs en certaines régions et le fait reculer (cartes 36 et 37). On cultive actuellement le maïs en Argentine, aux Indes et dans diverses colonies africaines, et partout aussi où l'on trouve une chaleur et une humidité suffisantes. C'est de là que vient la pauvreté de cette culture en Europe, car le climat favorable au maïs joint la forte chaleur de l'été à une humidité abondante et il établit la transition entre le climat de l'Europe septentrionale et le climat sec de la région méditerranéenne. Ce qui fait qu'on trouve une étroite zone à maïs qui va du Golfe de Biscaye jusqu'au Caucase. La culture du maïs en Europe est en décadence du fait de la pression exercée par les prix américains, mais aussi parce que les conditions de vie des travailleurs sud-européens se sont améliorées et qu'ils tournent le dos au maïs. Actuellement, en Italie, beaucoup de maïs est employé comme fourrage.
Nous sommes très bien renseignés sur l'emploi du maïs dans les temps précolombiens de l'Amérique. Dans l'ancien Mexique cet emploi était aussi varié que de nos jours. Le suc des tiges fournissait du sucre et une boisson fermentée. Actuellement encore les tiges creuses sont mangées crues par les indigènes. Les épis cuits avant maturité sont encore l'unique nourriture de beaucoup de pauvres. Les tiges et les feuilles étaient très utiles pour la construction de petites cabanes. Dans l'ancienne Amérique il n'y avait pas de pain à proprement parler mais seulement des
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gâteaux appelés tortillas par les Espagnols. On faisait cuire les grains dans l'eau avec un peu de chaux, jusqu'à ce qu'ils fussent devenus tendres, puis on les écrasait entre les doigts (probablement pour les peler). Ensuite on les broyait entre des pierres. La farine donnait une pâte dont on formait des gâteaux qui, cuits dans des fours, étaient consommés immédiatement, parce qu'ils étaient beaucoup plus savoureux quand ils étaient chauds. Rien n'a été changé aux procédés anciens, ainsi qu'en témoignent les sources de 1556 citées par Steffen et les récits de voyages actuels. Il s'agit là de galettes de maïs confectionnées autrefois dans l'ancien Mexique par les nobles, ordinairement avec du maïs rouge et auxquelles on ajoutait des épices ou des plantes médicamenteuses. Il y avait d'ailleurs diverses sortes de tortillas, celles des nobles, les tortillas blanches, rouges, doubles et de grandes tortillas qui étaient très blanches, minces et tendres. Une espèce particulière avait 20 centimètres de long, était ronde et épaisse. Il y avait aussi des tortillas de pâte feuilletée. Les gens du commun consommaient d'autres espèces de tortillas. La fabrication de ces galettes ainsi que des autres mets était l'affaire des femmes. Elles préparaient la galette pour l'usage domestique aussi bien que pour la vente au marché. Cuite avec de l'eau, la farine de maïs donnait une bouillie appelée Atolli. Dans son grand ouvrage écrit vers le milieu du XVIe siècle Hernandez a distingué 17 espèces différentes d'Atolli, elles sont différentes par les ingrédients qu'on y ajoute et par le mode de préparation[1].
Les femmes broyaient le maïs entre deux pierres, celle du dessus était en forme de croissant, on l'actionnait en la promenant obliquement sur le grain avec les mains. Cette espèce de meule courante est généralement peu connue. Comme le procédé était incommode et lent, on ne mangeait pas habituellement de galette. Le procédé de préparation du maïs le plus fréquemment rencontré par les Espagnols chez les Incas est la torréfaction. Cependant la mouture par le procédé décrit plus haut est toujours en usage avec une meule grossière qui ne paraît pas s'être perfectionnée et qui ressemble tout au moins beaucoup à celles qu'on a retrouvées
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- ↑ Harshberger (p. 141 et suiv.) ; Steffen, p. 103. ; Seler (Cecilie), Auf alten Wegen in Mexico u. Guatemala, etc., Berlin, 1900, 82. Sur la cuisine mexicaine : Ztschr. d. Ver. f. Volksk, 1909. H. 4, 369-381 ; Jeppe (Fr.), Die Transvaalsche od. Süd-Afr. Republik. Petermanns Mitt., 1868, Ergänzungsheft, Nr. 24, 3 ; Mosso (Angelo), loc. cit., 1912, 142, 151-159 ; Parker, loc, cit. ; Duchesne (E. A.), Traité du maïs, etc., Paris, 1833, 17 et une section entière : 265-361. — Cité par lui : Cadet de Vaux ; Moyen de prévenir le retour des disettes, Paris, 1812-26 ; Woods (Ch. D.), Food value of corn and corn products. U. S. Dept. o Agriculture, Farmers Bull. Nr., 298, Washington, 1907, 15-22.
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dans les anciens tombeaux péruviens. On ne se débarrassait pas du son. Dans les cas où il fallait s'en débarrasser on jetait le blé [maïs] moulu sur une couverture de coton propre. La fine farine restait collée à la couverture, il était ensuite facile de retirer le son plus grossier. D'après ces indications (Steffen) on pourrait supposer qu'il s'agit là d'une toile à bluter et que les Espagnols ont mal compris ce qu'ils ont vu. Tous les voyageurs sont d'accord sur le fait que la préparation culinaire du maïs s'est peu modifiée en Amérique. On le rencontre partout sous ses trois formes : torréfié, bouilli, en galettes. Mme le Dr Seler décrit de la façon suivante l'alimentation mexicaine à base de maïs : « certains ustensiles particuliers au pays, consistent en récipients ventrus, en forme de cruches, aux parois épaisses, et de plus d'un mètre de haut. On les rencontre dans toute la région enterrés dans le sol, l'ouverture tournée vers le haut. Une coquille plate leur sert de couvercle. Nous-mêmes, nous en avons déterré quelques uns à La Mixtequilla ; les uns contiennent des cendres et des débris de charbon, d'autres des ossements, dans quelques-uns on trouve des squelettes humains. Un certain nombre de ces récipients ont pu servir à des usages funéraires. Ils ont dû servir en général aux usages mêmes auxquels servent encore de nos jours dans cette région des vases tout à fait analogues qu'on emploie comme fours pour la cuisson des « Tortillas Juchitecas », galettes de maïs à la mode juchitèque. Voici comment on fait ces galettes : le pot enterré à côté de la maison est échauffé par un feu allumé à l'intérieur, ensuite on en retire les charbons et l'on dispose contre la paroi intérieure brûlante les galettes plates et crues, après quoi on recouvre le récipient d'un plat dans lequel on verse de la terre. C'est ainsi que sont fabriquées les totopostles, gâteau de maïs savoureux et dur qui présente sur la tortilla ordinaire cuite sur le comal l'avantage d'une plus longue conservation. Au contraire les dernières deviennent dures comme du cuir aussitôt qu'elles sont refroidies. C'est là le véritable caractère de la galette authentique et ce four d'argile s'est maintenu tout le long des siècles malgré les conquêtes et les destructions, comme se sont conservés l'étuve, la meule de pierre, la casserole d'argile plate, bref la plupart des ustensiles et des installations de la vie quotidienne.
Les travaux que Harshberger et Parker ont consacrés au maïs contiennent beaucoup de renseignements sur l'emploi culinaire de cette plante chez les Indiens de l'Amérique du Nord. D'après le Dr Franklin on fait chauffer du sable dans un vase, puis on mélange le maïs avec ce sable brûlant et on le chauffe graduelle-
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ment jusqu'à ce que les graines éclatent. Le maïs ainsi traité, puis broyé, fournit une farine qui se conserve, dit-on, plusieurs années. Heckewelder (Indian Nations Mem. Hist. Soc. Penna, XII, 195) s'occupe aussi de ce même procédé de préparation. D'après John Smith, les Indiens font griller, eux aussi, leur grain vert, l'écrasent dans un mortier, le roulent dans des feuilles de maïs et le font cuire comme friandise. Quand le grain n'est pas arrivé à maturité, on le fait griller aussi, par mesure de précaution, dans de la cendre chaude. Les auteurs citent un grand nombre de noms usités pour désigner des plats de maïs. Ils sont tout au moins une preuve du grand intérêt qu'on porte à cette graine. Parker connaît 21 recettes de plats de maïs chez les Iroquois. Si on y ajoute les plats de fête, on arrive à 25 plats : galettes, soupes et une sorte de boisson. Cette dernière (corn soup liquor) se compose de l'eau dans laquelle on fait cuire le maïs et à laquelle on ajoute toutes sortes de condiments. Le mais vert déjà cité est très apprécié. On le fait bouillir ou cuire au four. Grillé, il sert à confectionner des galettes. Pour cela, on écrase le grain au pilon, puis on fait la pâte avec la farine, après une préparation très compliquée, on recouvre de feuilles la marmite qui la contient et on la fait griller avec beaucoup de soin. La farine du maïs vert ou mûr, diluée dans de l'eau chaude, puis bouillie, constitue le plus habituel des repas cuits, c'est une alimentation fortifiante, douce et très recherchée. La torréfaction est très usitée quel que soit le mode de préparation du plat. Il faut aussi noter le traitement par l'eau, dans lequel les Indiens (suivant sans doute le procédé des anciennes populations américaines (celui des Majas dont parle Steffen) utilisent du lait de chaux ou un extrait aqueux de cendres pour faire éclater l'enveloppe dure du maïs. Finkler ignore que son procédé « patenté » pour l'éclatement du son et la fabrication de sa « farine finale » eut un précédent dans les temps lointains. De plus on ajoute à la bouillie et à la galette de maïs des sauces diverses, comme celle de Prosopis juliflora D.C. par exemple, ou encore de la viande et du poisson hachés, frais ou séchés. On utilise aussi couramment pour le même usage des noix, toutes sortes de baies, des petits pois, etc. Les galettes ont environ 15 centimètres de diamètre et 2 centimètres d'épaisseur, elles constituent donc un de ces biscuits que nous connaissons depuis l'âge de la pierre, faits de diverses céréales et chez toutes sortes de peuples.
Le maïs est la principale céréale américaine, il est destiné à y tenir la même place que le riz en Chine et au Japon, le Cassave
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dans l'Amérique du Sud, le sago à Bornéo, à Java et dans les îles indiennes. Il ne saurait être question d'un recul du maïs en Amérique. J'ignore quelle est sa situation actuelle vis-à-vis du froment mais il est certain que, dans beaucoup d'Etats, le maïs tient lieu de toute autre céréale pour la totalité de la population et que, par exemple, en beaucoup de localités du Brésil, ce sont des paysans polonais émigrés qui ont fa!t connaître l'usage du pain à la population installée dans le pays (Indiens et Européens). J'ai connu maint étudiant de l'Amérique du Nord qui, originaire des Etats du sud-ouest, n'avait consommé que du maïs jusqu'à sa 16e année.
La culture du maïs se répandit aussi dans d'autres parties du monde. Son extension dans la totalité de l'Afrique et non exclusivement dans les terres cultivées par les Européens est d'une importance capitale. Stuhlmann attire l'attention sur ce fait dans son travail fondamental sur l'Afrique orientale. Les besoins naissants des nègres leur imposent la culture du maïs. Il est question de cela accessoirement chez divers auteurs. La concurrence des diverses céréales en lutte pour le premier rang, exige une explication à cause de la confusion qui en résulte. Il faut considérer par exemple le rapport du maïs avec le riz en Italie, la situation du millet et du sarrasin vis-à-vis de l'avoine et de l'orge dans le nord et, le recul du sorgho devant le maïs auquel nous assistons actuellement dans toute l'Afrique. Le fait apparut graduellement et ce n'est que pendant ces dernières années qu'il s'est étahli en grand. Le renseignement qui suit date de 1868 et concerne l'Afrique du sud (Jeppe) : d'énormes quantités de maïs y furent cultivées ù cette époque et consommées pour la plus grande partie dans le pays même aussi bien par les Blancs que par les indigènes.
Tant que ces derniers se trouvent avec des Blancs il ne se nourrissent guère que de maïs, qu'ils mangent avec beaucoup de plaisir quand il est cuit à l'eau. Dans leurs kraales, quand ils sont tenus de s'abstenir de ces plats de choix, ils se nourrissent surtout de Kaffercorn. (Andropogon Sorghum, Sorgho, Durra).
Nulle part le maïs n'a pris l'importance qu'il eut pour les colons de l'Amérique du Nord. A partir de 1605 et durant tout le XVIIe siècle les premiers colons décrivent très minutieusement la culture du maïs, son emploi et l'état avancé de l'économie rurale chez les Indiens. Les provisions de maïs des Indiens n'intervinrent que trop souvent pour adoucir les rudes conditions de la vie des Européens et pour les protéger contre la mort par la famine, comme cela arriva par exemple dans lés années 1622 et 1623. Des notes relatives à cette époque et abandonnées en Virginie
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par la colonie relatent que « l'Indienne Lady Pocahontas les avait pourvus de maïs... C'est à elle, et à Dieu, qu'il faut rendre grâce de ce que la colonie ait été sauvée de la mort, de la faim et d'autres tribulations. » La plante joua son rôle propre dans la prise de possession de l'Amérique. Les Français s'étaient faits des ennemis irréconciliables des Iroquois et d'autres tribus indiennes, ce qui mit obstacle à leur invasion. L'histoire nous dit que les Anglais ne se montrèrent pas inférieurs. Les Blancs furent pris d'une véritable rage de destruction. Leurs soldats, par moments, furent uniquement occupés à incendier le maïs et à abattre les arbres fruitiers, car ils étaient d'accord sur ce point que les Indiens étaient beaucoup plus sensibles à la destruction de leurs provisions de maïs qu'à celle de leurs villages. Mais bientôt le colon trouva qu'il se châtiait lui-même, car les Indiens commencèrent par incendier eux-mêmes leurs dépôts de maïs avant de battre en retraite.
Puis vinrent des temps plus paisibles ; le maïs fut un pont jeté par la civilisation anglaise, « elle chancelait et s'écroulait et ne se fortifia que grâce au maïs, qui jusqu'à nos jours encore, est resté le souci et la richesse de l'Amérique » (Parker). Les premiers Américains qui décrivent la colonisation de leur pays ne tarissent pas d'éloges sur le maïs : sans cette céréale la colonisation de l'Amérique et sa civilisation auraient été retardées de nombreuses années, d'un siècle trouve-t-on même dans une autre source. L'histoire de l'Amérique du Nord aurait suivi un tout autre cours, le foyer domestique des Anglo-Saxons se serait éteint et une autre langue se ferait maintenant entendre sur la côte atlantique. Ainsi donc, pour les Américains et surtout pour les nouveaux émigrés, les concepts : avenir et honneur du pays s'apparentent étroitement à la culture du maïs. Ils sont reconnaissants à cette graine de prospérer parmi les souches de la forêt fraîchement essartée dans le bassin du Mississippi, et d'être facile à cultiver et à récolter. C'est pour cela qu'on l'y préfère d'ailleurs à l'avoine dans cette région. Des raisons du même genre parlent en sa faveur dans les prairies du haut Missouri, dans des contrées où de pauvres colons (Homestead-Nehmer) devant obtenir dès la première année une récolte dans la prairie labourée pour la première fois, plantent le maïs dans les sillons. Cependant les Américains sont enclins à surestimer la valeur de leur maïs, de leurs bouillies et de leurs galettes. On en trouve des traces même dans les œuvres littéraires : « Laissez la reine des fleurs, la rose, fleurir pour l'Angleterre... abandonnez à l'Ecosse son hardi chardon, que la France regarde avec fierté s'épanouir le blanc d'innocence de sa fleur de lys... que
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notre grande république porte sur son blason l'épi d'or de son généreux et bienfaisant maïs ! » Le poète américain que Harshberger cite ici sans le nommer a été amené, il y a un siècle, à donner à sa pensée cette expression vigoureuse à l'imitation d'une tendance du même genre, prônant, à plus juste raison d'ailleurs, le millet, la bouillie d'avoine, le pain noir et le pain blanc comme le centre de l'existence humaine. L'homme d'Etat américain Washington fut aussi un bon cultivateur qui cultiva presque exclusivement du maïs comme céréale. Il se nourrissait de maïs et il servait à ses convives européens du pain de froment auquel lui-même ne touchait pas. Cadet de Vaux, à qui ce fait est emprunté raconte encore, comme pendant à l'opposition bien connue du pain de seigle et du pain de blé des soldats allemands et français, que, lors de la guerre de la colonie contre l'Angleterre, un soldat américain aurait tenu à un soldat anglais ce propos lapidaire : « Prenez notre froment mais laissez-nous le maïs ! »
Cependant ni le maïs ni le riz ne méritent de louange intégrale : pour fournir un aliment complet il faut leur ajouter bien plus de choses qu'aux autres céréales. Tels quels ils sont non seulement désavantageux pour l'homme mais ils peuvent même lui devenir funestes. Les Américains qui se déclarent gros mangeurs de graisse et de sucre ont aussi grand besoin d'équilibrer par autre chose leur alimentation que d'équilibrer leur économie rurale, uniquement basée sur la culture du maïs. La sinistre pellagre a fait son entrée en Amérique du Nord, et cette maladie s'allie partout avec une consommation excessive de maïs, en Italie, en Bessarabie, dans de nombreuses régions de la Russie, au Tyrol, en Bukovine et aussi dans la Galicie orientale, si négligée au point de vue de l'hygiène officielle. Dans l'Amérique du Nord, les autorités durent prendre des mesures préservatrices analogues à celles qui furent prises dans les autres régions. La maladie apparut et les Américains en éprouvèrent une vive surprise et une grande humiliation, eux qui déclarent que leurs ouvriers ont la nourriture la plus variée et la plus riche du monde. Pourtant n'importe quel manuel d'hygiène renseigne sur ce fait et il est très intéressant de lire ce qu'en dit Mosso à propos de l'alimentation italienne, sans même parler des travaux et des rapports scientifiques de la commission italienne de la pellagre. Sans s'inquiéter des nombreuses et contradictoires théories sur la pellagre, théories qui vont de l'action toxique de l'acide silicique colloïdal des eaux potables, de l'action toxique de la lumière du soleil alliée à celle de sensibilisatrices contenues dans le mais, jusqu'au transport par les insectes et
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même jusqu'à l'hypothèse d'une origine contagieuse, les gouvernements entrèrent dans une bonne voie pour la lutte contre le fléau en prenant les mesures suivantes : interdiction du maïs détérioré, prescriptions portant sur la teneur en eau autorisée des produits à base de maïs, organisation de sécheries, remplacement du maïs par d'autres céréales, etc. etc. C'est par le maïs que se fait l'invasion du mal. Cesare Lombroso fut un des premiers à attirer l'attention sur le maïs gâté et, selon toute apparence, il ne s'est pas trompé. L'Italie nouvelle peut servir de modèle par ses mesures de défense aussi bien que par les résultats atteints. C'est la nécessité qui force le paysan à se nourrir exclusivement de maïs et j'en donne ici deux exemples. Mosso, parlant de Valpolicella, déclare : « Tous mangent insuffisamment et se nourrissent presque exclusivement de Polenta ... Quand vient l'hiver ils sont contraints de vendre leur bétail. Il arrive que la disette de pain et de viande les oblige à boire du vin avec excès, car leurs caves en sont pleines à éclater » [1].
Il fallut des années pour mettre fin en Amérique au commerce de maïs mal séché et mal conservé. Mais les procédés techniques les plus parfaits actuellement employés en Amérique ne suppriment pas les maux attachés au maïs. Ces procédés provoquèrent l'admiration de Werner, de tous ceux qui, depuis, en ont parlé et tous les chimistes de l'alimentation les ont vantés comme le modèle de la perfection chimique poussée dans tous les petits détails. Après les expériences faites par les Américains, la recommandation d'Harshberger relative à l'introduction du maïs en Europe, aurait fort peu d'écho aujourd'hui. A son époque, il déplorait qu'on employât le maïs en Europe surtout comme plante à fourrage. Les efforts des Etats-Unis pour exporter le maïs sont bien connus. Durant les années 1893-1894, où les céréales atteignirent des prix très élevés, ils envoyèrent dans ce but en Europe un spécialiste de la question, le colonel William J. Murphy[2]. Il n'est pas probable que cela réussisse jamais. La population se montrera rétive, jamais les mangeurs de pain ne voudront redescendre à l'alimentation à la bouillie de maïs. Nous avons vu au contraire que les méridionaux passent du maïs au pain et aux pâtes, fait très frappant en Italie ces dernières années.
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- ↑ Le maïs américain dans les ports d'Europe. Voir: John, D. Shanahan et ses collaborateurs, Amer. export. corn in Europe. U. S. Dept. of. Agricult., Bur. Pl. Industry Circul., Nr. 55, Washington, 1910 ; Stebler (F. G.) et Volkart (A.), Landwirth. Jahr. d. Schweiz, Bd. 24, 1910, p. 155 et suiv. ; Maurizio, Nahrungsm. u. Getreide, Bd. 2 (2 Aufl.), p. 182 et suiv.
- ↑ Murphy (Charles J.), Wiley (A. W.), Snow (B.W.), Report on the use of maize i. Europe, etc., U.S. Dept. Agr. Washington, 1891, 36 p.
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Le Riz. — Le riz est la céréale des régions tropicales et subtropicales de la terre. Dans son pays d'origine, l'Asie, il ne dépasse jamais le 42e degré de latitude nord ; en Amérique il atteint le 36e degré de latitude nord, mais dans l'hémisphère austral il atteint son extrême limite dès le 26e degré de latitude sud, ce n'est qu'en Europe, en Italie, que le riz monte jusqu'au 46e degré de latitude nord. La culture du riz exige une température moyenne, de 20° C. et une grande humidité qui ne peut être formulée en chiffres.
On a souvent évalué les quantités totales du riz récolté, la production du riz doit être au moins égale à celle du blé (Oppel). La statistique américaine telle qu'elle est publiée tous les ans par le ministère de l'agriculture des Etats-Unis donne la même évaluation. Bordiga, le spécialiste italien du riz, se basant sur ses recherches personnelles et sur la statistique américaine est arrivé à la conclusion que le riz représente 20 à 25 % de tout le marché mondial des céréales. Le nombre des hommes dont l'alimentation en céréales se compose de riz exclusivement ou pour la plus grande part subit de grandes variations. Knapp, en 1898, l'estimait à plus de 800 millions, nombre dans lequel n'entraient ni l'Amérique, ni l'Europe, ni l'Australie. Le chiffre le plus récent est celui de Brachmann, il est de 640 millions, c'est-à-dire environ les deux cinquièmes de l'humanité. Seul le blé atteint l'importance du riz. De plus la culture et l'usage du riz augmentent sans cesse, en Asie orientale il peut encore s'étendre avantageusement sur de grandes étendues. La culture du riz ne rétrograde qu'en Europe[1].
On distingue différentes sortes de riz ; les espèces à grains durs et vitreux, à grains tendres et farineux, et le riz glutineux. Les espèces dures sont celles qu'on préfère en Europe. Le riz du commerce importé chez nous en comporte une douzaine de sortes, qui, naturellement, ne correspondent pas exactement aux espèces caractérisées au point de vue botanique ou agricole. Quant aux espèces nettement différentes cultivées depuis les temps de la préhistoire par les cultivateurs de riz de l'Asie orientale, elles se
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- ↑ Oppel (Alwin), Der Reis., Brême (Noszler), 1891, p. 11 et suiv. ; Yearbook of the Dept. of. Agric. von 1906 an. Washington. - Détails sur le commerce du riz et sa production : Bordiga (Oreste), Atti del 2° Congresso risicolo internazionale, 1903. Montara, 1904, p. 1 à 62 ; Atti del 3° Congr. risic. internaz. 1906, Pavia, 1907, p. 313 ; Knapp (S. A.), Rice culture in the U.S. Dept. of Agr. Div. of Botany Bullet., Nr. 22, Washington, 1893, p. 7 et suiv ; Bachmann (C.), Der Reis. D. Tropenpflanzen, 1912, Jg. 15, der Beihefte, Bd. 13 Hft. 4. Aussi : Petterm., Mitt., 1, 1912, Jg. 58, p. 16 et suiv. ; Engelbrecht (Th. A.). Die Feldfrüchte Indiens in ihrer geogr. Verbreitung., Hambourg, 1914, t. I., p. 56 et suiv.
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comptent par milliers. Au Japon, en Chine et sans doute aussi dans la plupart des rizières d'Extrême-Orient, la culture du riz se fait encore à la houe. C'est au monde du labourage à la houe que nous devons le choix minutieux et le nombre considérable des espèces de riz. Pour Formose seulement le directeur des rizières, fonctionnaire d'Etat, distingue 819 sortes de riz parmi lesquelles il essaie de choisir les mieux appropriées. Marjan Raciborski, botaniste décédé, rapporta de Java 1 000 échantillons de riz différents dont un prince indigène lui avait fait présent. Dans les 200 000 hectares de terres consacrés seulement à la culture du riz en Italie, l'éleveur de graines [Züchter = sélectionneur] Jacometti distingua plus de 100 espèces anciennement cultivées et parmi celles-ci il en retint 10 pour ses essais de culture. Bachmann estime à 2 000 le nombre total des espèces de riz ; le museum de Calcutta possède 1100 espèces indigènes dans l'Inde et 300 espèces exotiques.
Le riz, nourriture des pays d'Extrême Orient à civilisation stationnaire est, comme le maïs, une plante à bouillie caractérisée. Il offre d'ailleurs les mêmes inconvénients que le maïs. On impute le béribéri au riz décortiqué, c'est-à-dire au riz débarrassé de la pellicule argentée [péricarpe, ou son], parce que certaines substances stimulantes qui se trouvent dans la coque du riz font ainsi défaut. On a donné à ces substances le nom de vitamines, mais bien avant cette constatation, les populations savaient que celui qui consomme du riz non décortiqué ou incomplètement décortiqué se montre beaucoup plus résistant au mal que le consommateur de riz décortiqué. Là non plus, comme pour le maïs, les théories n'ont pas manqué pour expliquer la maladie, mais, là aussi, les gouvernements ont obéi bien plutôt dans leur lutte contre le mal à des expériences pratiques qu'à des opinions scientifiques. Et ce point de vue s'est trouvé justifié par le merveilleux succès des mesures prises par les Américains aux Philippines. Parmi les nombreux ouvrages sur cette matière je ne citerai que ceux de Aron et Hœson qui font entrer en ligne de compte l'alimentation générale de l'Asie et qui établissent que l'alimentation à base de riz ne couvre qu'imparfaitement le besoin d'albumine. Aucune plante n'alimente un aussi grand nombre d'individus que le riz, surtout dans l'Asie du sud et de l'est où la Chine le cultive déjà depuis 5 000 ans et dans les îles de la Sonde. Sa culture exige une irrigation régulière et prolongée, beaucoup de soins, particulièrement à cause de la compacité du sol qui est difficile à travailler[1].
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- ↑ Les impôts étaient fixés selon l'importance de la récolte de riz. Cette récolte influait beaucoup sur toute l'organisation sociale du Japon et de la Chine.
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Dans ces derniers temps, la culture du riz a beaucoup diminué en Europe, d'une part parce que le rendement avait baissé et d'autre part à cause des fièvres paludéennes occasionnées par les irrigations. Depuis le moyen âge cette culture existe en Europe sur les sols bas, marécageux ou argileux des parties basses et bien arrosées de la Haute-Italie et dans la partie méridionale de la plaine de Hongrie. Le riz de ces pays est vendu partout à Budapest dans les épiceries et les marchés, mais il n'est guère acheté que par les pauvres gens, pour son bas prix, car il n'a pas bon goût.
Le riz est exclusivement une « plante à bouillies ». Seul le riz « collant » (Oryza sativa var. glutinosa) est aussi ça et là cuit au four pour faire des galettes. Ainsi le riz convient encore moins que le maïs à l'extension de la consommation du pain. Pendant la guerre, en Italie, où le riz est d'usage courant, on proposa d'en ajouter 10 % au pain, qui devient ainsi un peu plus foncé et en même temps est un peu plus vite cuit que le pain de froment. Un spécialiste fit remarquer à ce propos (N. Antologia, 1915) que, dans les pays où existe le pain blanc, on a peu de goût pour le pain gris ou le pain noir, parce que l'usage du pain blanc est la preuve qu'on est riche et qu'on a des exigences sociales supérieures. Et il ajoute : si ce pain se généralise tout seul, il n'y a pas d'objection à faire mais il y aurait bien des choses à objecter à l'emploi de moyens de contrainte.
Il existe une erreur courante en ce qui concerne : 1° le riz de marais (Oryza sativa L. = Sumpfreis [riz inondé]) ; 2° le riz de montagne (Oryza montana Liouv. = Bergreis [riz pluvial]); 3° le riz à colle (Oryza glutinosa Rumph. = Klebreis [riz gluant ou glutineux]). En réalité chacune des formes 1 et 2 comprend une sorte ordinaire et une sorte à colle que l'on peut distinguer l'une de l'autre. Mais le Sumpfreis et le Bergreis appartiennent à une même espèce qui est Oryza sativa L. Le Sumpfreis (riz de marais) peut être cultivé sur un sol sec et alors son grain et sa paille prennent les caractères de ceux du Bergreis (riz de montagne) et inversement. La culture du riz de montagne est moins étendue que celle du riz de marais parce que la récolte du riz de montagne est maigre et misérable. Le riz de montagne n'est guère cultivé que pour la préparation du saké. Cela s'explique par sa plus haute teneur en substances azotées, il fournit pendant la fermentation alcoolique du saké un meilleur aliment aux champignons inférieurs, comme
Voir à ce sujet : Hearn (Lafcadio), Japon, eine Deutungsversuch, Francfort a. M. 1912, 132 ; Tscheng-Ki-Tong (Général), China u. Chinesen ; Dresde et Leipzig, 1896 ; Rein (J. J.), Japon n. Reisen u. Studien, Leipzig, 1888, t. II, passim ; Wagner (Wilh.), D. chines. Landwirthsch., Berlin (Parey), 1926, 119 et 282.
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Aspergillus Oryzae, et aux levures. Selon une analyse ancienne due à O. Kellner, le riz de marais renferme 9,84 % de matières albuminoïdes brutes et le riz de montagne 11,27 %.
Le riz est l'aliment le moins cher dont disposent certaines régions extrêmement vastes de l'Asie. On peut, dans ces pays, se procurer 3.000 calories en riz pour 12 pfennigs, alors qu'en Allemagne elles reviennent à 16 pfennigs en pommes de terre et à 14 pfennigs en seigle. Mais, comme source d'albuminoïdes, le riz est plus cher. Le prix de 100 grammes d'albuminoïdes de riz (dont on n'assimile que 70 grammes) valent 15 pfennigs tandis que le même poids ne coûte à peu près que moitié moins cher si on le demande à des haricots (comme le Phaseolus radiatus) ou à d'autres légumineuses, ou encore aux poissons de nos côtes. Dans les pays à riz, tous les autres mets tombent au rang d'accessoires du riz, de sorte que sa consommation est considérable. Elle dépasse, en y comprenant les enfants, 1 kilog. par tête et par jour, dans les Indes.
Au Japon on en mange la moitié autant.
On a vu plus haut que le riz à colle convient remarquablement pour la fabrication de boissons fermentées. Il paraît qu'il sert au Japon à faire la bière de riz (Sake ou Saki), et, en Chine ou au Siam, le vin de riz ou, par distillation, l'Arrak. Mais les documents japonais sont muets là-dessus.
Au Japon le riz à colle sert à faire des gâteaux, des boulettes, différentes friandises cuites au four à base de farine et à faire de la colle. A cet égard ajoutons ceci. Chez les Japonais, le riz ordinaire (Kome ou Ursine) est la partie essentielle des trois repas que l'on fait chaque jour, il y figure soit sous la forme de bouillie, soit sous la forme de mets bouillis d'une façon plutôt comparable au risotto italien et nommés Gozen, les trois repas en question s'appelant Gozen du matin, du midi et du soir. Il en est autrement des riz dits riz à colle et désignés sous le nom général de Mozigome. Ces derniers sont caractérisés par la propriété qu'ont leurs grains, une fois cuits à la vapeur, de s'agglutiner par pression en une masse collante nommée Mozé, ce qui n'arrive pas pour le riz ordinaire.