3-2 Ancienneté des céréales (Maurizio)

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Bâton à fouir, houe et charrue
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Rôtissage, grillage, ébullition

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CHAPITRE II


ANCIENNETÉ ET EXTENSION DES CÉRÉALES.
LA CULTURE À LA HOUE.
LES BOUILLIES ALIMENTAIRES


A propos des populations lacustres, nous avons fait remarquer qu'elles ne pratiquaient le ramassage des plantes sauvages qu'occasionnellement et en cas de nécessité. Elles étaient en réalité déjà de véritables populations agricoles et souvent même à la transition qui conduit à l'usage de la charrue ou au-dessus. La préhistoire devrait donc fournir beaucoup de renseignements sur les premières formes de la culture, sur l'âge de la « culture à la houe ». Les primitifs actuels, et surtout ceux qui sont encore à l'âge de la pierre, sont aussi, pour le développement de la culture à la houe, une importante source de renseignements.

On enseigne communément qu'aucune culture des végétaux n'était pratiquée durant l'époque ancienne de l'âge de la pierre (aux temps de la pierre taillée : paléolithique). Un chercheur éminent, Schulz déclare même que toute opinion contraire pèche par la base, par ignorance ou défaut de critique et reste sans fondement. Il revient souvent sur cette question. A propos du blé, il s'exprime ainsi : « En Europe, les temps néolithiques (pierre polie) marquent


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le début de l'agriculture. Alors furent cultivés d'emblée l'orge et le blé, toutes les parties de l'Europe ayant connu la civilisation néolithique. Le paléolithique (jusqu'à 15.000 avant J.-C.) n'a livré dans les gisements suisses ni plantes cultivées, ni espèces de ramassage[1]. ». Mais nous ne pouvons considérer cet argument comme décisif car l'âge des cavernes (par conséquent le paléolithique) a fourni en Suisse, au « Keszlerloch » des bêches et des pelles. Par conséquent, malgré les affirmations de nombreux savants, on ne doit accueillir qu'à titre provisoire et avec réserve, et comme valable seulement pour l'Europe orientale et centrale, l'opinion de Schulz rappelée ci-dessus. [Sur ce point cf. p. 9. (Trad.)].

Les découvertes de savants français, comme Ed. Piette[2], et les deux Cotte, montrent en effet que, la culture était déjà pratiquée aux temps paléolithiques. Piette et d'autres ont trouvé l'orge d'hiver et le blé dans le célèbre gisement du Mas d'Azil. Il n'est donc pas douteux qu'au moins dans la France du sud des céréales étaient cultivées au moins depuis l'époque de transition « qui relie le quaternaire à l'époque géologique actuelle, longtemps avant l'apparition de la hache de pierre polie ». Nous pouvons admettre que les deux céréales en question étaient parvenues à cette époque jusqu'à l'Espagne et à la France du sud en suivant les côtes septentrionales de l'Afrique. J. et Ch. Cotte ont trouvé, avec du blé, aussi du seigle dans les couches plus récentes de la caverne d'Adaouste, (en Provence, sur la commune de Jougues, Bouches-du-Rhône) constituant une station aenéolithique. C'est probablement la plus ancienne station connue pour cette dernière céréale[3]. Cette station est datée par une sépulture, des outils de silex et des restes de poterie caractéristiques du néolithique ancien. Donc, d'après Coste [Cotte], on ne doit pas faire reculer la culture du seigle jusqu'aux temps récents du christianisme. Dans la Provence même, déjà à la transition entre le paléolithique et le néolithique, la céréale de premier plan n'était plus le seigle, mais le blé. Laissons de côté la discussion à ce point de vue de la théorie d'Engelbrecht pour qui l'orge fut introduite chez nous comme « mauvaise herbe » des moissons de blé. En fait, en ce qui concerne l'Europe centrale, nous ne connaissons pas le seigle avant

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  1. Schulz (Aug.), Gesch. d. kultiviert. Getreide. I, Halle, 1913, p. 41, 102 ; Schröter (C.) dans Moos (Hans), Die landwirtsch. Schule des eidgenoss. Polytecknikums in Zürich, Zürich, 1910, 57, et suiv.
  2. Cf. Hoops (J.), loc. cit., 1905, 277 et suiv. avec fig.
  3. Cotte (J. et Ch.), Bull. de la Soc. bot. de France, t. LVII, juin 1910. Tirage à part, 7 pages.


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le commencement des temps historiques. La découverte de seigle par Kozlowska dans une caverne d'époque néolithique a besoin d'être confirmée[1].

La culture des céréales et, ce qui importe ici, aussi avec elle la culture à la houe, sont donc connues depuis l'époque ancienne de l'âge de la pierre (pierre taillée, paléolithique). Une série de constatations nouvelles rendent, d'autre part, cette ancienneté vraisemblable, par exemple la civilisation avancée de ce qu'on appelle le paléolithique récent et les dernières découvertes, en Egypte, de poteries remontant à cette époque. Jusqu'à présent, on considérait que l'absence de la poterie était un signe caractéristique du paléolithique européen, et que la poterie n'apparaissait qu'au néolithique. Or, Miss Caton-Thomson et G. Carline ont trouvé de la poterie cuite accompagnant de beaux outils de pierre, tels que haches, pointes de flèches ou autres, pareils à ceux qu'on rencontre dans le Solutréen d'Europe. Par conséquent, le paléolithique récent a vraisemblablement connu sous une forme déjà perfectionnée la préparation des bouillies alimentaires et, vraisemblablement aussi, la houe. Ajoutons que Courty et Le Scieller ont récemment trouvé des restes de poterie en Europe dans des couches un peu plus anciennes remontant à la troisième époque glaciaire, c'est-à-dire au Magdalénien [2].

Voilà tout ce que nous avons besoin de savoir sur l'ancienneté de la houe. Je fais remarquer seulement que, tout récemment encore, on ne croyait même pas que la houe ait appartenu à l'époque récente de la pierre (néolithique) et que, d'après Schrader et d'autres[3], cet outil date seulement de la constitution des véritables jardins. Nous aurions à étudier l'âge de la culture à la houe dans son extension, dans sa méthode agricole, dans ses usages alimentaires, toutes questions importantes. La préhistoire nous a appris que les champs de céréales primitifs étaient cultivés avec la houe. Si cette constatation s'applique à toutes les céréales, y compris le seigle, elle s'applique à plus forte raison pour toutes les cultures de millet. La haute ancienneté de la culture à la houe est ainsi prouvée.

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  1. Kozlowska (Aniela), Bull. de l'Acad. polonaise. Sciences et lettres, janv.-déc., 1920, 7. - L'interprétation des noms siligo et seligo pour secale offre mainte difficulté pour la période historique. Cf. Schulz (A.), loc. cit., 49 et l'étude fondamentale de Cotte (J. et Ch.), Etude sur les blés de l'antiquité classique, Paris, Baillière, 1912, 3, 37.
  2. Umschau, Jq. [Jg = année] 30, 1926, 359 et 418. Sur les subdivisions de l'époque glaciaires, cf. Soergel (W.), Die Jagd der Vorzeit, Jena, 1922, 149 p. et sur chacune des périodes : Ebert, Lexicum der Vorgeschichte.
  3. Hoops (Joh.), Reallexicum des germ. Alterth., XII, 1914, I, 347.


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En ce qui concerne ce qu'était la vie des populations en question, le résultat des fouilles nous laisse presque sans renseignement. Les paysans qui travaillent encore actuellement à la houe nous renseigneront beaucoup mieux sur les découvertes relatives à cette question, sur la vie de leurs prédécesseurs pratiquant le même travail, sur les progrès de l'outil lui-même et sur celui de l'alimentation correspondant aux produits de la culture à la houe.

La culture à la houe est encore actuellement en usage sur de considérables surfaces. On peut dire, en général, qu'elle règne partout où la moderne culture à la charrue ne s'est pas encore introduite, ce qu'il ne faut pourtant pas prendre à la lettre. On observe de plus la coexistence de la culture à la houe et des formes primitives de la culture à la charrue.

Chez nous, il existe des plantes, connues de tout le monde, que l'on cultive à la houe. Mais on est surpris d'apprendre qu'en Orient et aussi dans une partie de l'Afrique, certaines céréales sont cultivées par ce procédé. Chez les Indiens encore primitifs du Brésil central, on cultive ainsi le maïs, le manioc, le tabac, les calebasses, les ignames, les patates. Dans d'autres contrées, on cultive à la houe, outre ces plantes à racines, des plantes comestibles par leurs fruits, telles que les Ananas, les Pupunhas, les Bananes, les Pandanus, l'arbre à pain, et d'autres. Ce n'est pas par cas fortuit qu'encore à présent un si grand nombre de plantes sont multipliées par marcottes et boutures. Le cultivateur primitif a longtemps pratiqué le marcottage avant de se rendre compte du rôle que pouvait avoir la graine dans la multiplication de la plante. Werth adopte l'opinion déjà formulée avant lui que, primitivement, les céréales elles-mêmes furent multipiées par marcottage [Stecklinge : bouturage], comme on le fait encore à présent pour la canne à sucre. En tout cas il est remarquable que, dans la culture à la houe, les graines des céréales ne sont pas à proprement parler semées, c'est-à-dire jetées éparpillées sur le sol, comme ce serait le cas pour des graines tombant d'épis trop mûrs ou perdues par hasard. Elles sont au contraire plantées, c'est-à-dire déposées dans des trous faits exprès[1], comme on le fait en Chine et au Japon dans la culture du riz.

On constate souvent que les plantes cultivées sont annuelles ou bisannuelles, tandis que leurs formes sauvages sont vivaces. Ces dernières pouvaient, bien entendu, être multipliées par marcottes ou boutures. C'est ainsi, comme nous l'avons dit, que

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  1. Werth (Em.), Z. Natur. Kulturgesch. d. Banane, (Festschr. Ed. Hahn), Stuttgart, 1917.


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commença la culture. Du moins c'est ce que nous soupçonnons, car les preuves positives manquent.

Thellung constate, dans un travail publié en 1910 (loc. cit.,) que la culture confère parfois aux plantes des particularités qui sont avantageuses pour l'homme, mais nuisibles aux plantes mêmes. Il n'est pas facile de dire si une plante vivace trouve pour elle-même un avantage ou un désavantage à devenir une plante annuelle ou bisannuelle, car l'accroissement du nombre de ses graines peut balancer tous les inconvénients. On sait que la transformation inverse est connue chez certaines plantes qui, cultivées, sont annuelles ou bisannuelles et deviennent vivaces lorsqu'on les abandonne à elles-mêmes. Ces phénomènes ont donné lieu depuis longtemps à des considérations interminables. Les possibilités en ce qui concerne les avantages ou les désavantages d'un changement sont si diverses qu'on ne peut arriver à des conclusions certaines. De Candolle a trouvé que, parmi les plantes cultivées depuis 4.000 ans, ou, tout au moins, depuis plus de 2.000 ans, 50 % sont annuelles, tandis que les plantes cultivées depuis moins de 2.000 ans ne comprennent que 37 % de plantes annuelles. Il en a conclu que, sous l'influence de la culture, les plantes multipliées de graines tendent de plus en plus à devenir annuelles. Le seigle, en tant qu'il semble bien être la moins ancienne de nos céréales, est un bon exemple à citer à ce point de vue. La forme la plus primitive du seigle, et vraisemblablement la plus proche de la souche sauvage, est un seigle vivace cultivé de toute antiquité dans la Russie du sud, dans la région des Cosaques du Don et dans le gouvernement de Stawropol. Cette plante se renouvelle de tiges qui naissent sur sa souche radicale et donne 2 à 3 récoltes. A cette plante se rattachent les seigles dits sous-frutescents (Staudenroggen), venus aussi de Russie, selon les anciens auteurs, et qui se distinguent des seigles ordinaires par une aptitude particulièrement marquée à touffer[1] [Bestockung = tallage, taller] et à prolonger en conséquence la durée de leur végétation.

Nous revenons ainsi à la conception moderne de l'agriculture considérée en général, et à la place importante qu'elle reconnaît à la culture de la houe, car la culture à la houe était fondée sur la multiplication des plantes par marcottes et boutures. Puis notre agriculture moderne, qui utilise la charrue, et qui est travail d'hommes, succéda à la culture à la houe, travail de femmes, qui subsiste confiné entre les haies des jardins. Mais beaucoup d'agronomes instruits et de botanistes ne sont pas encore au courant

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  1. Pour compléments: Schindler (Franz.), Handb. d. Getreidebaus, 3e éd. Berlin, 1923, p. 83 et suiv.


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de ces faits. C'est à un petit livre populaire de Hahn, que la théorie de la culture à la houe doit d'avoir commencé à retenir l'attention de ceux mêmes qu'elle devrait intéresser le plus[1].

Il est des questions difficiles que ne pouvaient éclaircir ni l'anthropogéographie, ni la géographie agricole, ni l'histoire des premières colonisations et que cette théorie a résolues. En réalité, c'est l'invention de la houe qui a permis à l'homme de transformer de fond en comble le revêtement végétal de la terre et non pas seulement le pays soumis à la culture. Il n'existe plus actuellement en Europe un seul coin de terre resté à l'état de friche primitive, malgré tout le mal qu'on se donne pour en sauver quelques-uns. En ce qui concerne les sols cultivés, c'est l'homme qui est le créateur des paysages. Mais nous ne toucherons ce sujet qu'en passant.

Au contraire, nous insisterons sur le fait que les fluctuations qui surviennent dans l'extension géographique des diverses cultures alimentaires sont, en un certain sens, l'expression des perpétuels changements que subit le goût. C'est seulement dans les pays depuis longtemps civilisés que nous disposons à ce point de vue de données statistiques suffisantes, tandis que les nombres manquent presque absolument pour l'est et le sud de l'Europe. Du point de vue de l'histoire de l'alimentation et de la géographie économique, ces transformations dans la culture du sol méritent une attention toute particulière. « Comme des vagues, ces changements ont pour point de départ les foyers de haute activité agricole et se propagent lentement, graduellement, vers les contrées reculées. » Engelbrecht (loc. cit., I, 135 ), cite quelques-unes des régions à partir desquelles se fait la propagation du progrès de l'économie rurale. En France le mouvement va vers l'ouest et vers le sud. En Belgique, il va des Flandres vers les Ardennes. En Allemagne, la propagation se fait de la fertile plaine du Rhin vers la haute plaine de Bavière, vers le sud-est. Il se fait, d'autre part, dans la direction du nord-est, à partir de la Saxe. Bien entendu ces règles admettent quelques exceptions. Mais il est rare que, dans ces contrées, on observe un mouvement inverse. A notre avis, il s'agit là d'observations de portée générale, car ce qu'Engelbrecht constate pour de courtes périodes s'est toujours produit, même dans les temps les plus lointains. Mais le mouvement inverse se produit constamment aussi, c'est-à-dire qu'on observe, avec une moindre amplitude

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  1. Hahn (Ed.), Von der Hacke zum Pflug (Sammlung Wissensch. u. Bildung), Leipzig, 1914, 114 p. Son ouvrage fondamental (in Peterm. Mitt. v. J. 1892, avec cartes des régions de culture à la houe) est resté ignoré.


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toutefois, un mouvement de chute de l'activité agricole partant des régions de culture extensive et se propageant vers des contrées de culture intensive. Cela se produit quand l'intensité de l'activité agricole, considérée dans son ensemble, diminue, comme c'était le cas, avant 1914, pour la Grande-Bretagne et l'Irlande. Dans ces contrées un régime de grande culture, se propageant à partir du nord et de l'ouest, réoccupa un domaine d'où, à une époque antérieure, on l'avait expulsé, à force de travail et de dépenses[1].

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  1. Krzymowski (Rich.), Philos. d. Landwirthscht., Stuttgart, 1919 (Sur la géographique agronomique v. p. 132 et passim sur les formes extensives ou intensives de la culture) ; Bernhard (H.), Agrargeographie als wissensch. Disziplin Petermanns, Mitt., 1915, p. 1 et suiv. ; Kirchhoff (A.), Mench u. Erde, Leipzig, 1914, 4e éd., 100 p. (Aus Natur- u. Geisteswelt).