3-1 Bâton à fouir, houe et charrue (Maurizio)

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La soupe et sa descendance
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Ancienneté des céréales

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TROISIÈME PARTIE
L'ÈRE DU LABOURAGE À LA HOUE ET DES CÉRÉALES À BOUILLIES


CHAPITRE PREMIER
LE BATON À FOUIR, LA HOUE ET LA CHARRUE


Parmi les plus remarquables instruments utilisés par les populations vivant du ramassage nous avons déjà signalé : les bâtons servant à battre les chaumes des graminées sauvages et les cribles qui les complètent, les gaules pour faire tomber les fruits et les noix, les râteaux pour détacher les baies forestières, le sac à récolte, les récipients de vannerie pour faire bouillir l'eau, les outils servant à prendre les pierres rougies au feu et à les transporter dans ces récipients, où elles communiquaient à l'eau leur chaleur, enfin divers autres objets. Mais le plus important de tous les outils primitifs en rapport avec l'alimentation fut le bâton à fouir que représente la fig. 1, car ce fut le point de départ de la houe (Hacke), organe essentiel d'une technique du labourage qui est encore très répandue de nos jours.

C'est en effet une forte houe armée d'un manche, haut comme un homme, qui met en état les cultures en échiquier que nous admirons sur les gravures représentant des paysages d'Afrique[1].

C'est avec ce même outil que les Indiens de l'Amérique du Nord ont réalisé une agriculture dont Stout a dit : « L'humanité ne sera jamais assez reconnaissante à ces Indiens auxquels elle doit le maïs, l'agave et le haricot »[2]. On n'a pas encore accordé au

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  1. Par ex. : Jan Czekanowski, Forsch. im Nil-Congo-Zwischengebiet., Leipzig, Bd. 3, 31, 1911.
  2. Stout (Ab.), Journal of New-York Bol. Garden, vol. XV, 1914, n° 171, 60.


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labourage à la houe toute l'attention que méritent les services qu'il a rendus et qu'il rend. Le grand peintre Millet, le peintre de l’Angelus, a figuré le vénérable outil qui nous vient de si lointains ancêtres dans un autre de ses chefs-d'oeuvre « l'Homme à la houe ».

Il a fallu longtemps pour que justice soit rendue à la houe. Ce n'est pas à l'érudition agronomique, c'est à l'ethnologie que nous devons de connaître ce qui caractérise réellement notre agriculture actuelle : une forme très spéciale de la culture du sol liée à l'élevage du bétail. C'est en cela qu'elle diffère de toutes les autres formes de la culture.

Fig. 8 - Houes d'Abyssinie, formes droites et coudées. D'après Kostlan : Landwirtschaft in Abessinien 1914.

Cette notion remonte à 1892 seulement. Mais en même temps apparut la nécessité de donner un nom particulier à la forme de culture qui se fait sans le concours de l'animal. D'accord avec Friedrich Ratzel, Hahn a proposé le nom de culture à la houe (Hackbau), à cause de l'instrument qui, étant, avec le bâton à fouir, le plus ancien, a conservé son importance dans la culture des jardins, des cultures sarclées et des vignobles, etc., à côté d'outils plus récents, par exemple la bêche. Toutes les formes récentes de la culture, et certainement aussi la culture des céréales, dérivent des formes plus anciennes de la « culture à la houe » qui était une occupation des femmes. La culture à la houe a continué d'exister jusqu'à nous dans les soins qu'on donne aux jardins des paysans, avec leur assortiment de toutes sortes de légumes à racines, de plantes alimentaires et de plantes médicinales. Cette culture remonte à la plus haute antiquité et ce sont encore à présent les femmes qui s'en occupent. Nous avons déjà fait remarquer que les premiers jardins furent la continuation du coin de terre, attenant à la maison primitive, où poussaient des plantes demi-sauvages sur un tas de débris, et qui n'était que sommairement enclos. Il est bien naturel que le jardin soit resté le refuge des plus anciennes plantes cultivées et de la houe elle-même. La figure 8 reproduit quelques formes de la houe. Leur variété est étonnante : il y en a de droites et de courbes, certaines sont en forme de pique,


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d'autres en forme de flèche, d'autres larges comme un couperet de cuisine, d'autres ont deux ou plusieurs crocs, etc., etc.

Fig. 9.- a, Houe du Thibet; b, une des formes de passage vers la charrue. D'après P. Wolnogorsky : Die Pfanzenfreunde des Menschen, Moscou 1901. S. 27.
Fig. 10. - Travail du sol avec la houe. Ancienne Egypte. Peinture murale, tombe de Ti, de 2.700 à 2.900 av. J.C. D'après Edward Meyer : Gesch. d. alten Aegypten, Berlin 1887.

Quelques exemples feront comprendre comment s'est faite l'évolution qui a conduit de la houe à la charrue. Cette évolution s'est faite avec une évidente unité. La figure 9 représente, d'après Wolnogorsky, une houe qui est à peine utilisable comme telle étant donnée sa forme. La direction de son tranchant convient pour un appareil que l'on traîne sur le sol, mais non pour travailler en frappant. Elle porte un appendice de bois qui se place dans un trou, du côté formant marteau et qui figure tant bien que mal le mancheron de la charrue. Les figures 10, 11, 12 montrent de même, d'après des documents égyptiens, comment la charrue se relie à la houe. Le manche de la houe, en s'allongeant, devient l'arbre de la charrue et le véritable tranchant de la houe devient


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Fig. 11. - Travail du sol avec la houe et la charrue, semailles, coupe haute des épis, séparation des grains. D'après une peinture égyptienne (au Louvre).

un soc. Le soc est, selon toute vraisemblance, en connexion étroite avec les mancherons, et même ces trois pièces sont faites d'un seul morceau de bois. La charrue (fig. 12) est traînée par des bœufs. Cette sorte de charrue est encore en usage chez les fellahs dans les campagnes écartées. La figure 13 représente une autre forme de charrue plus proche de la houe qui fut son origine. Elle remonte à l'époque des Hyksos, aux temps de la XVIIe dynastie, vers 1750 avant J.-C. Elle est plus simple dans son ensemble que la précédente. Elle est traînée par quatre hommes. Le soc et les mancherons sont d'un seul morceau. L'arbre ressemble au manche d'une houe. Par contre,

Fig. 12.- L'inscription hiéroglyphique signifie : charrues avec bœufs. Pour le semeur à droite : « semailles, le semeur a le sac à grains au cou ». Tombeau de Ti fondateur de la sixième dynastie. D'après Edward Meyer.


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à l'endroit où, dans une charrue moderne, s'articule l'axe du train portant les roues, il y a une tige servant à diriger la marche du soc ou à l'appuyer contre le sol et qui est manœuvrée par un homme, de sorte qu'à ce point de vue cette charrue est plus complète que celle de la figure 12.

Cette tige, de plus, est réunie avec le soc de façon à former un tout avec lui. Au soc lui-même s'articule une planche qui joue le rôle de notre versoir et auquel on peut donner ce nom. Six ouvriers sont nécessaires pour conduire cette charrue. Dans ces deux cas il s'agit de charrues de bois. Il apparut plus tard des parties métalliques. Les hiéroglyphes de la houe et de la charrue sont de véritables dessins qui montrent à première vue la dépendance des deux outils. On les trouve souvent ensemble, soit seuls, soit accompagnés d'autres signes relatifs au travail des champs, aux laboureurs, etc.[1]. Sans aucun doute, les Egyptiens savaient parfaitement quelle était l'origine de la charrue.

Mais la charrue a pu aussi naître autrement et dériver du bâton à fouir sans passer par l'intermédiaire de la houe. Récemment Hjalmar Larsen nous a fait connaître une charrue de bois qui a cette origine et date de l'âge de la pierre. Cette charrue provient de la Suède. Le soc et l'arbre sont constitués par un même morceau de bois, qui est une branche de chêne naturellement courbe, dans laquelle la charrue a été débitée en fendant le bois et non en le travaillant à coups de cognée (Umschau, Frankfort a. M. 19, 1925, 95, avec gravures).

Le bâton à fouir et la houe ont longtemps existé simultanément et il se peut que, dans certains cas, la charrue ait eu cette origine. Larsen cite comme autres formes de la charrue ayant dérivé directement du bâton à fouir, la charrue gaélique nommée cashron et la charrue simple que l'on connaît aux Hébrides. Si on compare aux « charrues-houes », dérivées de la houe, cette charrue suédoise, on trouve qu'elle doit, du fait du lieu où elle fut trouvée, être bien plus ancienne et, par conséquent plus ancienne que la charrue de l'âge du bronze. Il n'est pas nécessaire ici d'examiner si la charrue de l'âge de la pierre est l'ancêtre de la charrue buttoir antique ou « charrue-houe ». Dans beaucoup des charrues anciennes étudiées par Ringelmann le soc semble dirigé vers le sol autrement que dans notre « charrue-houe », et en cela ressemble à celui de l'ancienne charrue égyptienne. Plus récemment, Rütimeyer a décrit un certain nombre de charrues anciennes provenant de la

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  1. Meyer (Ed.), Gesch. d. alten Aegypten, Berlin, 1887, 12, 27, 218 ; Wönig (F.), Pflanzen im alten Aegypten., 2e éd., Leipzig, 1886, 145-156.


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Suisse et les a comparées avec celles provenant d'autres pays. La charrue chaldéenne et la charrue élamitique que Ringelmann figure dans le second volume de son ouvrage sont de vraies charrues houes[1].

Fig. 13. - Charrue égyptienne. Peinture murale du tombeau de Eileithyia, XVIIe dynastie, vers 1750 av. J.C. Charrue simple, le soc cependant muni d'une planche.

La charrue ancienne, avec ses formes multiples, s'est maintenue en beaucoup de parties de l'Europe, particulièrement chez les Basques, en Espagne, dans toute la région des Alpes et dans toute l'Europe orientale. En Russie et en Pologne existe une charrue simple, nommée socha. Zalenin a décrit les formes de la houe russe et de la socha. Pour beaucoup de contrées slaves, la charrue est encore une nouveauté inhabituelle. Signalons une particularité intéressante que l'on retrouve ailleurs et que Szuchiewicz indique. Les Huzules cultivent avec la houe, en plus des pommes de terre, des raves et des légumes verts, aussi le maïs, qui est utilisé dans ces montagnes surtout comme fourrage vert. Bien qu'ils tiennent pour un péché d'ouvrir avec la charrue « le sein de leur mère » c'est-à-dire la terre, les Huzules de la Galicie orientale commencent peu à peu à labourer. Ils labourent de petits champs peu éloignés de leur habitation et particulièrement ceux exposés au sud. Dans les superstitions du peuple, le labourage à la charrue est une innovation qu'il faut racheter comme un péché par toutes sortes de pratiques et de conjurations.[2] On raconte la même chose des Indiens de l'Amérique du Nord.

Tous les auteurs qui ont étudié la question font dériver la charrue simple de la houe. Mais, parfois, elle a pu, comme on l'a vu, dériver

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  1. Ringelmann (M.), Essai sur l'histoire du génie rural, t. II. La Chaldée, l'Assyrie, 331-345. T. III, La Phénicie et les colonies phéniciennes, 523-532 (Librairie agricole), 1907-1910 ; Rütimeyer (L.), Die Urethnographie der Schweiz, I. Relikte u. s. f. Schrift d. Schweiz. Ges. f. Volkskunde, Bd. 16, Bâle, 1924, 264-281. Ces deux ouvrages avec de nombreuses figures et références ; Chevalier (H.), Revue de bot. appliquée, 1924, t. IV, 569 (très bonne histoire de la charrue avec nombreuses fig.).
  2. Zelenin (Dm.), D. Russ. Socha u. ihre Gestalten. Publié par le comité statistique de Wjatka (Wjatka, 1907,190 p. avec hors texte, en russe) ; Szuchiewicz (Wl.), Huculszczyzna (les Huzules) édité par le musée comtal de Dzieduszycki, Lemberg, 1902. Bd. 1, 193. [L'appel de note est un 1 au lieu de 2, et la note a été publiée à la page suivante]


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directement du bâton à fouir. C'est là l'essentiel. Le reste de son développement est un sujet qu'il faut laisser aux mécaniciens. Actuellement les ingénieurs Ringelmann et H. Chevalier sont les spécialistes des questions relatives aussi bien aux charrues anciennes qu'à celles des primitifs actuels. [Les gravures dites « haches emmanchées » des dolmens sont souvent des houes ou des charrues. Sur la charrue et les « crosses » (en réalité lignes d'épis} de la table des Marchands, v. les études de Zac. Le Rouzic, conservateur du musée de Carnac (Trad.)].