1-8 Racines légumières (Maurizio)

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Graines et fruits des arbres, graines oléagineuses, gommes, sève
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Plantes aquatiques, asperges

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CHAPITRE VIII
PLANTES JADIS UTILISÉES COMME LÉGUMES PAR LEURS PARTIES SOUTERRAINES.
LES « MAUVAISES HERBES » COMME RACINES LÉGUMIÈRES


Par leur valeur alimentaire, les parties souterraines des plantes se classent immédiatement après les céréales et les fruits des légumineuses. Il est naturel qu'elles aient beaucoup contribué à assurer l'alimentation des populations primitives. Ceci est particulièrement manifeste en ce qui concerne les zones chaudes. Sous les tropiques, les hommes ont à leur disposition 4 à 6 « racines » très nourrissantes, alors que nous ne pouvons en utiliser qu'une seule, la pomme de terre, d'ailleurs primitivement étrangère à notre climat[1].

Et pourtant il est certain qu'au cours des temps plusieurs racines alimentaires ont eu successivement la vogue. Presque sous

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  1. Bonne vue d'ensemble dans Jumelle (H.), Les plantes à tubercules alimentaires, Paris, 1910, 372 ; Gibault, loc. cit.


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nos yeux, une plante d'introduction nouvelle, la pomme de terre, a eu le pouvoir de faire oublier aux hommes toute une liste de racines légumières qu'il aimait, ramassait et cultivait jusque-là. Comment le même phénomène ne se serait-il pas déjà produit autrefois ? Loin des yeux, loin du cœur ! Cependant des traditions et la survivance bien réduite d'anciens usages nous révèlent encore cette rapide substitution d'espèces alimentaires les unes aux autres.

A partir des dernières années du XVIIIe siècle, la culture de la pomme de terre a transformé toute l'économie agricole. La situation économique actuelle n'a été réalisée que tardivement. Cependant, dès 1847, la pomme de terre était dans l'alimentation un élément si dominateur qu'une « mauvaise année » de pommes de terre était dans une grande partie de l'Europe, une année de famine. A cette époque beaucoup de contrées qui ne suivaient pas le mouvement et continuaient les cultures que pratiquaient leurs pères, ont été ùpargnées par ces famines. Actuellement, les pays qui viennent en tête pour la culture de la pomme de terre sont l'Irlande, une partie de l'Allemagne et de l'Autriche, avec des surfaces de culture représentant 40 % et plus de celles consacrées aux céréales. La seule restriction à faire est que beaucoup de pays (en particulier en Allemagne) ne cultivent pas la pomme de terre qui se consomme en nature mais celle dont on fait de l'eau-de-vie. Mais, en Norwège, la pomme de terre s'élève jusqu'au-dessus du 70e degré de latitude en occupant également des surfaces correspondant à 40 % et plus de celles revenant aux céréales. En Russie, la culture de la pomme de terre dispose de grandes surfaces. Le sol et le climat, il est vrai, arrêtent son extension. Il est cependant instructif de constater avec Engelbrecht que, même en Russie, la culture de la pomme de terre est partout en progrès relatif « et s'étend sur la zone arctique de l'orge, à l'est de la Mer Blanche, mais dans des conditions qui, cependant, peuvent paraître assez modestes si on compare avec ce qui se passe en Norwège »[1].

Si actuellement, comme nous l'avons dit, nous ne prêtons plus aucune attention à de nombreuses plantes qui furent jadis ramassées ou cultivées pour leurs racines alimentaires, la faute en est au développement envahissant pris par la culture de la pomme de terre. Parmi ces plantes, jadis recherchées, citons la raiponce (Campanula Rapunculus L.), le panais (Pastinaca sativa L.), le chervis (Sium Sisarum L.). Ces trois espèces légumières sont de plus en plus oubliées. Très appréciée au XVIe siècle, dédaignée

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  1. Engelbrecht, loc. cit., 1re partie, 61, carte 15.


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au XVIIIe, le Sium Sisarum est à présent presque inconnu. La racine de la raiponce, mangée crue ou cuite, méritait sa réputation. Cependant à la fin du XVIIIe siècle on a cessé de la cultiver et aujourd'hui cette racine n'a plus accès dans nos cuisines. Il en est de même du panais dont Bauhin disait déjà en 1650 qu'il tombait en désuétude (Christ, Gibault, loc. cit.). Avant l'introduction de la pomme de terre cette racine était un aliment du peuple sur toute la longueur de la chaîne des Carpathes, mais on l'appréciait plus loin vers l'est, car les chants populaires des kujawiches nous ont conservé le témoignage du cas qu'on en faisait. M. Hnatiuk m'a signalé que, dans la Galicie orientale, encore à présent, le Panais sauvage est consommé par les paysans.

Le court résumé qui va suivre ne donne qu'un faible aperçu de la variété des racines légumières qui furent jadis recherchées et qui sont à présent dédaignées. Des témoignages anciens nous renseignent sur des légumes sauvages ou cultivés qu'on aimait à la fin du XVIIIe siècle et que l'on connaissait encore au commencement du XIXe. On apprendrait beaucoup à ce sujet en feuilletant volume par volume l’Encyclopédie de Krünitz et toute la littérature ancienne[1].

Il n'avait pas échappé aux primitifs que les Chénopodiacées, les Ombellifères et les Composées ont tendance à épaissir leurs racines. Et combien parmi les autres familles ? On connaît aussi, encore actuellement, une douzaine de plantes dont on mange les jeunes pousses (c'est le cas de l'asperge) et autant de composées dont on mange le réceptacle floral et les folioles involucrales épaissies. C'est le cas de l'artichaut.

Ces artichauts seront d'abord étudiés à propos des survivances du ramassage préhistorique. Une ou deux générations avant la nôtre, les ménagères économes connaissaient au moins 40 espèces différentes de légumes qui, aujourd'hui, sont presque en totalité inconnus sur nos tables. Je vais essayer d'indiquer comme quoi certaines espèces furent préférées, d'autres délaissées ou abandonnées aux miséreux, et de retrouver les voies qui conduisirent les unes à leur faveur actuelle, les autres à leur abandon, mais sans pouvoir toujours expliquer le jeu capricieux du goût de changement qu'apportent les hommes dans le choix de leur nourriture.

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  1. Christ, 1917 et du même : Bauerngarten, 2e édition ; 1923 ; Gibault, loc. cit., et Fischer-Benzon. Sur Sium Sisarum : Rostafinski (J.), Verh. d. Krakauer Akad. (en polonais), t. XII, 1884 ; Mattirolo (O.), I vegetali alimentari del Piemonte, Turin, 1919, 64 et aussi Parmentier, 1781, loc. cit.


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Citons d'abord plusieurs Ombellifères dont le peuple a cherché les racines dans le sol jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. De leur nombre est le cerfeuil bulbeux (Chærophyllum bulbosum, L.) que l'on récoltait au printemps, et dont le goût est doux et agréable. On échaudait cette racine, on la pelait et on la mangeait en salade. On pouvait aussi la bouillir et la manger avec du veau. Le cerfeuil énivrant Chærophyllum temulum était utilisé de la même manière. On lit dans Pallas qu'il est nuisible « mais pas en Allemagne ». Le cerfeuil des jardins (Anthriscus cerefolium Hoffm.) est utilisable par sa racine pour des soupes au cerfeuil, des salades d'herbes, ou seul, ou avec de la viande de poule ou d'agneau[1]. Il en est de même du Chærophyllnm Prescotti D. C. Les racines épaisses d'autres cerfeuils sont utilisées de toute antiquité dans l'Altaï et dans l'Oural. D'ailleurs, ces espèces se ressemblent et on les confond souvent. L'attention a Hé ramenée sur le Ch. Prescotti du fait de cultures au jardin botanique de Saint-Pétersbourg. La plante a été déterminée par De Candolle (dont elle porte les initiales D. C.). Gibault signale que, depuis 1855, on la cultive en France dans les jardins sous le nom de cerfeuil de Prescot. Une autre Ombellifère à racines épaisses est la châtaigne de terre (Bunium Bulbocastanum L.)[2]. Nous constatons à propos de cette plante combien flottant est le sens du mot « mauvaise herbe ». La tige faible, mince et onduleuse de cette ombellifère à fleurs blanches part d'un bulbe arrondi dont la surface est noirâtre. Ce bulbe est souvent à plus de 10 centimètres de profondeur. La plante existe aussi dans les montagnes. Christ (loc. cit., 1918) signale sa présence dans le canton de Saint-Gall où on le trouve vers 2.000 mètres d'altitude dans les champs de la haute vallée de Zermatt, et en telle quantité que, de loin, on voit la plante fleurie marquant de lignes blanches tout le pourtour des parcelles de terre cultivées. Cette plante se trouve donc en général associée aux cultures générales et à leurs lisières. Le peuple se rappelle encore qu'avant l'introduction de la pomme de terre cette plante était cultivée. Il y a cent ans encore les habitants extrayaient du sol les bulbes qu'ils nommaient « Arschlen ». Lorsqu'on retournait après la récolte des céréales la terre des champs, femmes et enfants, avec des sacs, allaient faire le ramassage de ces bulbes. Cette plante est d'ailleurs souvent mentionnée aussi bien en Allemagne qu'en France, en Angleterre et en Irlande, bien qu'elle

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  1. Krünitz (J. G.), loc. cit., 37e partie, Brünn, 1790, 19 et suiv.
  2. Remplacée vers le nord-ouest par le Conopodium denudatum Koch. (Bunium) D. C. nommée génotte en Normandie (Trad.).


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soit plutôt une espèce du Midi et de l'Ouest. Les renseignements abondent sur les emplois de cette racine[1]. En 1788, Krünitz dit qu'elle se mange crue, « ou mieux grillée sous la cendre, qu'elle est très nourrissante avec un goùt de châtaigne, qu'on la mange aussi avec du beurre et du poivre ». Par lavage, cette racine fournit une bonne fécule. Les cochons remuent la terre pour déterrer ces bulbes et, si on les laissait faire, ils extermineraient la plante. II est certain qu'au commencement du XIXe siècle la plante était encore bien connue dans le canton de Saint-Gall et ailleurs. (Sur le Maceron (Smyrnium) voir préface du traducteur, p. 8).

Certaines Légumineuses ont des racines bulbeuses, mais leur importance ne fut jamais aussi considérable. Les bulbes du Lathyrus tuberosus étaient les plus appréciés. Dans les montagnes d'Ecosse on utilisait aussi ceux du Lathyrus montanus Bernh. pour préparer une boisson rafraîchissante. Quant à la noix de terre (bulbe du Lathyrus tuberosus) elle était connue partout. Krünitz (loc. cit., 11) en recommande même la culture. Parmentier nomme la plante Lathyrus arvensis repens tuberosa, mais il s'agit toujours de la même espèce. Il parait q'ue c'était un aliment très recherché en Lorraine. On en vendait les bulbes à Nancy, au marché, sous le nom de marcuson, etc. Le goüt était celui de la châtaigne ou de la châtaigne d'eau. On connaissait ce légume en Allemagne, en Hollande, en Sibérie et dans d'autres pays. Je parlerai ailleurs de la racine d'une autre Légumineuse : Trifolium pratense.

On connaît en Pologne quelques racines comestibles dont l'usage est particulièrement développé dans l'Est, c'est-à-dire là où existe une forte proportion d'immigrés de la Petite-Russie. Les renseignements qui vont suivre résultent d'une enquête et des communications obligeantes de MM. W. Hnatiuk, M. Melnyk et S. Krzemieniewski, de Lemberg. Il n'est pas possible de faire un groupement par familles, parce que, souvent, on les mange ensemble et que, souvent aussi, on les confond.

A Buczacz et dans la région de Kosow dans la Galicie orientale, on mange l'ail sauvage qui s'y nomme lewurda. Les Huzules mangent crus les bulbilles et les feuilles de l’Allium sibiricum. Les Petits-Russiens mangent comme légume les jeunes pousses du Tragopogon pratensis. On cuit les rhizomes de l’Arum maculatum, on extrait par lavage la fécule des racines crues et on l'emploie à divers usages. Nous savons que, dans l'antiquité,

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  1. Poiret (J. L. M.), Hist. philos. litt. et écon. des plantes de l'Europe, t. VI 65, Paris, 1829 ; Parmentier, loc. cit., 269 (de Lorraine et autres régions). Rosenthal, loc. cit.


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on traitait de la même manière que l’Arum diverses plantes et qu'à présent encore on le fait dans diverses contrées (Fischer-Benzon). On traite ainsi les rhizomes du Calla palustris, par exemple, aux environs de Witebsk où la plante pousse en énorme abondance : on sèche les racines, on en fait de la farine et on la mélange au pain. Les bulbes de l’Orchis latifolia et du Gymnadenia conopea sont utilisés comme légume par les Petits-Russiens (Melnyk). Dans la Russie Blanche, toujours aux environs de Witebsk on mange les bulbes des Equisetum que mettent à découvert les bêtes à la pâture. Mon ami et collègue Krzemieniewski m'informe que le Polygonum viviparum recherché comme légume pour ses jeunes pousses et ses feuilles, l'est aussi pour les bulbilles qui se trouvent dans son inflorescence. Il est inutile d'insister sur le fait que toutes ces plantes, encore à présent utilisées, firent partie du patrimoine commun des populations pratiquant le ramassage. et pas seulement en Pologne. Cela est vrai, en particulier, en ce qui concerne diverses Composées, jadis probablement cultivées. On cultivait au XVIe siècle le salsifis blanc : Tragopogon porrifolius en Allemagne. On en donne comme preuve l'existence de la plante à l'état sauvage dans le nord de l'Allemagne. Il est probable qu'il en a été de même du salsifis à fleurs jaunes (T. pratensis) une plante que j'ai déjà signalée, car la racine en est fort douce et tendre. Tel est l'avis de Fischer-Benzon qui, même, en recommande la culture dans nos jardins parce que la racine blanche de ce salsifis pourrait parfaitement rivaliser avec la racine noire de notre scorzonère (Scorzonera hispanica.) Cette plante a changé d'emploi. C'était autrefois une plante médicinale et elle est devenue peu à peu alimentaire. D'après Christ (loc. cit., l915), on utilisait aussi bien la plante cultivée que la plante redevenue sauvage, au XVIe et au XVIIe siècle. On la vantait alors comme aliment nourrissant et on la consommait crue ou cuite. On la comparait au céleri, mais en la déclarant « plus active ». Ce scorzonère m'amène à parler d'autres Composées qui, comme lui, épaississent leurs racines et, tout d'abord, d'autres espèces de scorzonères et des pissenlits (Taraxacum), dont j'apprends que le peuple les utilise ainsi parfois en diverses parties de la Pologne. Le scorzonère a beaucoup d'analogie avec la Bardane (Arctium Lappa). Ce nom s'applique suivant Fischer-Benzon, à plusieurs espèces voisines, en particulier à Lappa officinalis All., L. tomentosa Lam., L. minor D. C. Elles passent depuis l'antiquité pour avoir des propriétôs médicinales, et on mange les jeunes pousses ainsi que les racines. Le Scolymus hispanicus L. est aussi une espèce dont on arrache les


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racines pour les manger. On cultive la plante pour cet emploi dans le Midi de la France. Le peuple mange la racine de la plante sauvage là où elle se trouve, c'est-à-dire dans la zone de culture de l'olivier du Sud de l'Europe.

Nous n'avons pas de preuve péremptoire que les betteraves (Chenopodiacées) aient été au nombre des racines utilisées à l'époque du ramassage. On ne sait pas non plus si la Beta maritima des côtes do la Baltique était alors ramassée. La culture de notre betterave (Beta vulgaris) n'est pas ancienne. Entre les deux espèces, les différences ne sont pas grandes. Mais la classification des diverses espèces de Beta a encore des points obscurs[1]. Il nous suffit toutefois de savoir que l'on cultive des variétés qui épaississent leurs racines et des variétés qui élargissent leurs feuilles. Pour le moment seules les premières nous intéressent. Nous distinguons dès lors: 1° les betteraves à racines ; 2° les betteraves à fourrage, introduites depuis le XVIIIe siècle dans l'alimentation des animaux ; 3° les betteraves à sucre qui datent de la fin du XVIIIe siècle : 4° les betteraves à sève rouge, une plante de jardin qui au XVIe siècle était encore assez rare en Allemagne, qui s'est répandue depuis et qui, maintenant, se trouve partout où on cultive des légumes. Il y a eu aussi une betterave à racine jaune, qui a disparu.

Quant au second groupe des espèces dérivées de Beta vulgaris (ou B. maritima), il est constitué par des formes dont les feuilles sont comestibles. Mais il est en voie de disparition aujourd'hui. Çà et là on cultive ces espèces dans l'Ouest, où elles constituent des légumes difficiles à digérer et peu estimés. On les nomme en France poirées. Les feuilles sont mangées à la manière des épinards ou dans la soupe. On mange à la manière des artichauts les petioles épaissis de celles qu'on nomme poirées à cardes. C'est un aliment qu'ont aimé les Romains. Au moyen âge, on en servait dans tous les repas. Beaucoup de documents remontant au moyen âge attestent l'usage général qu'on en faisait. Gibault cite un texte exposant comment on devait s'y prendre pour faire un houillon des feuilles de cette plante. Ce légume avait encore au XVIIe et au XVIIIe siècle un rôle important dans l'a1imentation générale courante.

Comme nous l'avons dit, nous n'avons pas la preuve qu'on ait pratiqué le ramassage des formes sauvages de notre Beta vulgaris indigène ni de la Beta maritima. La même incertitude existe en

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  1. Krause (E. H. L.), Beih. z. Bot. Zentralbl. Abth., 2, 1915, t. XXXIII, 483 ; Gibault, 99 ; Fischer-Benzon, loc. cit., 109.


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ce qui concerne les formes sauvages de la carotte Daucus carota, et le raifort des côtes salées : Cochlearia Armoracia L. (Crucifère). Cette dernière plante n'est pas inconnue des populations polaires. Le raifort sauvage était ramassé en Pologne. Citons d'autres Crucifères : le Cochlearia officinal et le chou-rave, ou le chou-navet : Brassica Napus L. (Wruke) avec le chou potager : Brassica oleracea., avec ses 6 races et ses formes dont Gibault compte plus de cent. Le Brassica oleracea est une plante indigène et il est hien probable qu'on le mangeait déjà aux époques préhistoriques. On peut en dire autant du Crambe maritima que les femmes des pêcheurs devaient récolter à marée basse. Actuellement on cultive cette Crucifère en Angleterre. On lie ensemble les feuilles pour les faire blanchir et c'est seulement ainsi qu'on les juge mangeables, comme c'est le cas pour les asperges et d'autres légumes. Le Crambe est une plante des rivages et il est tout à fait probable que les pêcheurs n'ont pas manqué de l'utiliser vers la fin de l'hiver.

Certaines plantes nous sont au point de vue qui nous occupe mieux connues que la betterave, le chou et la carotte, par exemple, le Polygonum bistorta L. On a beaucoup utilisé, et en beaucoup d'endroits, la racine de cette Polygonacée. Actuellement la plante est connue dans les jardins comme mauvaise herbe. Nous savons qu'en Suisse ce fut une plante de ramassage[1]. On mangeait la racine en Islanùe et on en extrayait de la fécule en Russie. En Allemagne on en faisait une soupe qui était un mets des classes aisées. En Suisse, elle fut utilisée dans la famine de 1816-1817 et l'a toujours été en pareil cas.

Signalons une plante qui ne fait pas partie de notre flore même, mais qui appartient du moins à la région botanique limitrophe : une Asphodèle (Asphodelus albus non ramosus C. B. qui est probablement Asphodelus albus Miller). Cette plante fournissait autrefois de l'amidon et une fécule très nourrissante. Parmentier, Krünitz indiquent des recettes de cuisine qui montrent que son emploi était très étendu. On connaissait la manière d'en éliminer les principes nuisibles pour la rendre propre à l'alimentation. On cite en France beaucoup d'endroits où on mangeait cette Asphodèle. (Voir aussi Préface du traducteur, p. 8.)

Pour finir nous citerons la ficaire (Ranunculus ficaria L. ou Ficaria ranunculoïdes Moench). Elle était autrefois réputée officinale sous le nom de Chelidonium minus. Les feuilles étaient consommées en salade. Les bulbilles qui se développent à l'aisselle

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  1. Brochmann-Jerosch (H.), Surampfele u. Surchrut Neujahrsbl. Natf. Ges. ; Zürich, 1921, 19.


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des feuilles étaient utilisés comme légumes, comme les parties souterraines des plantes signalées ci-dessus. Ces bulbilles ressemblent à des grains de blé et restent sur le sol lorsque la tige et les feuilles meurent, ce qui fait que Dioscoride nomme la plante blé sauvage (Fischer-Benzon). Une Renonculacée voisine, le souci d'eau (Caltha palustris L.), était selon Krünitz utilisée avec la ficaire en Finlande. Ces deux plantes étaient en ce pays d'usage si général que les habitants se jugeaient à l'abri de la famine quand la récolte de ces « racines » était satisfaisante[1]. Selon Christ, qui a soigneusement compulsé les témoignages anciens (Conrad Gesner, Lonitzer), le pied de coq ou renoncule rampante (Ranunculus repens L.) était utilisé comme légume par les pauvres au XVIe siècle. La guerre mondiale a ramené l'attention sur ces plantes.

Les racines bulbeuses du Ranunculus ficaria, et celles du Ranunculus sceleratus furent alors indiquées comme propres à l'alimentation. Il fallait les faire dessécher complètement ce qui éliminait les principes vénéneux, puis les cuire à l'eau comme légumes. Il est probable que le ramassage primitif utilisait ces deux plantes.

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  1. Krünitz, loc. cit., Th. 9, 569 et Th. XI, 452. - Voir aussi Hiltner (Lor.), Vermehrte Futtergewinnung., Stuttgart, 1918, Th. II, 74 et 100.