1-6 Ramassage des Graminées (Maurizio)
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Sommaire
Importance alimentaire des graminées
Les plantes qui ont été énumérées jusqu'ici ne sont pas en général l'élément fondamental de la nourriture de ceux qui les récoltent mais seulement un accessoire. Elles ne sont récoltées que pendant de courtes périodes de l'année et ne peuvent pas en général être conservées jusqu'à la récolte suivante, de sorte qu'elles ne peuvent suffire à l'homme, sauf dans quelques contrées. Seules les Graminées avaient aux yeux des ramasseurs primitifs ces avantages. Sans beaucoup de peine on peut constituer avec leurs grains des provisions qui, sous le même volume, ont une valeur alimentaire supérieure à tous les autres produits végétaux. C'est pourquoi on constate partout les efforts qu'ont faits tous les peuples pour la conquête de plantes fournissant des farines.
En Europe, l'Islande est la terre la plus septentrionale où ces tentatives aient pu être faites. Il s'agit du ramassage des grains de l’Arundo arenaria, c'est-à-dire exactement de l’Ammophila arenaria Link. Nous retrouvons à toute occasion, dans l'histoire de l'alimentation, le ramassage des grains des graminées. Nous le retrouverons souvent chez les civilisés comme survivance d'une pratique remontant aux âges du ramassage. Ce qui va suivre se rapporte cependant à une civilisation ne connaissant que le ramassage sous sa forme pure et primitive. Car s'il est vrai que les Mongols dont il s'agit[1] ont un degré de civilisation plus élevé que les peuples restés à l'état de nature, cependant ils ne connaissent pas la culture du sol.
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- ↑ Przewalski (M. N. von), D. Mongolei u. d. Tanguten. Reise i. d. J. 1870-72, Peterm. Mitt. 22, 1876, 165, et même journal, 1878, Ergänzungsh, Nr. 53 ; Reisen i Tibet u. a. ob. Lauf d. gelben Flusses. i. d. J. 1879-80, Jena 1884, p. 250 et suiv.
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Mongolie : Arundo villosa et Elymus giganteus
Les graminées à gros fruits des steppes et des dunes désertiques conviennent admirablement à la préparation d'aliments farinacés [zur Breinahrung, farineux ?]. Les récits des voyageurs nous les décrivent poussant sur les sables mobiles de l'Asie Orientale en formations touffues, sur d'immenses surfaces, et ressemblant tout à fait à nos champs de graminées cultivées. Deux graminées fournissent aux Mongols une farine qu'ils consomment ensuite soit accommodée avec de la graisse, soit seule, soit en buvant l'infusion de leur thé en tuiles [den Ziegeltee = thé en briques]. L'une est l’Arundo villosa Trin. (Psamma villosa Maxim.), l'autre est l’Elymus giganteus Vahl. (Elymus arenarius L.). La première plante est très répandue dans la Russie mongole sur les dunes et les sables mouvants et semble être une espèce bien distincte. Elle fut découverte en 1831 par A. Bunge dans la Mongolie méridionale, puis presque oubliée des botanistes. L'autre plante (Elymus giganteus) se distingue d’Elymus arenarius qui est l'avoine des sables (Strandhafer) des côtes de la mer du Nord et de la Baltique, par la dimension beaucoup plus considérable de toutes ses parties, sans en excepter le fruit. Mais il est possible que ce soit cependant seulement une forme particulière de cette dernière espèce. Les deux plantes dont nous avons parlé sont adaptées au climat de contrées ne recevant que de faibles précipitations pluviales et à des sols particuliers. Elles méritent du point de vue scientifique comme du point de vue pratique une sérieuse attention. Les Mongols entreprennent de grands voyages dans la région des dunes mobiles pour y constituer leur provision de grains. Ils se munissent d'eau et font leur très fatigant voyage non pas à dos de cheval mais à dos de chameau, parce que, au milieu des montagnes de sable (barhkans), on ne trouve, en dehors de ces herbes dures, aucune autre plante. Les chevaux supportent aussi mal la chaleur du pays que cette nourriture trop dure. C'est en août que mûrissent les fruits. Ceux de l’Arundo villosa s'obtiennent après section des tiges, effectuée sur place. On ne coupe pas les tiges de l'Elymus, on obtient les fruits en secouant les épis. Malheureusement nous manquons de détails sur les ustensiles qui servent à cette récolte (corbeilles, cribles et fléaux). [Schalggabeln]
Les Mongols pauvres louent pour le voyage un chameau et paient comme location la moitié de la récolte. On estime le grain de l’Elymus plus que celui de l’Arundo, mais on recueille cependant très activement les deux sortes. On les sèche ensuite et on les réduit en farine avec une meule à main ou une meule tournante. Cependant les comptes rendus ne disent pas si ces Mongols se servent de la véritable meule à main. La farine n'est pas mise dans
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le commerce. Elle constitue seulement un appoint à la nourriture principale des Mongols. On doit à Palibine[1] une étude des échantillons rapportés par Mlle Jourganoff.
Les fruits de l’Arundo ont plusieurs rangées de cellules à aleurone et des grains d'amidon composés. Comme les Zizania, Glyceria, Elymus et Psamma ont des grains d'amidon du même genre et que la même particularité est fréquente chez des graminées à gros fruits utilisées pour faire des semoules, il y a là un fait qui mérite d'être noté, ainsi que la présence de cellules à aleurone disposées sur plusieurs rangées. Il faut remarquer aussi que les graminées qui fournissent des bouillies ont le plus souvent des grains d'amidon très petits, simples ou composés, ce qui a une influence sur leur mode particulier d'utilisation. Mais je ne prétends pas que les ramasseurs, n'ayant pas à choisir entre beaucoup de plantes, aient choisi, uniquement à cause de cette propriété, ces plantes, plutôt que d'autres. On ne sait pas exactement si la graminée mentionnée par Przewalski est identique à une des deux plantes dont il vient d'être question.
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- ↑ Palibine (J. W.), Ann. d. Samenprüfungsanst. a. Kais. Bot. Garten i. Petersburg, Bd. 2, 1914, H. 1. p. 17.
Amérique du Nord : riz sauvage Zizania aquatica
§ 3. — Le grain sauvage du nouveau monde est le riz sauvage (Zizania aquatica). Elle est beaucoup plus largement utilisée que notre Glyceria mais d'ailleurs d'un usage analogue. La Zizania n'est pas, comme la Glyceria, une Festucacée, mais une Oryzée. Cette Zizania est une plante vivace. On la nomme avoine d'eau ou riz sauvage, ou riz Tuskaro [Tuskarora]. Ce dernier nom lui vient d'une tribu indienne à présent disparue (section [Abteilung] des Iroquois). La plante est indigène sur les rives des lacs et des fleuves de l'Amérique du Nord et de l'Asie du nord-est[1], et il n'est pas rare qu'on la plante ou la sème chez nous dans les étangs destinés à l'élevage du poisson, qui est avide de ses graines. Çà et là, elle s'est acclimatée, mais pour peu d'années seulement. On nomme aussi les fruits riz sauvage ou riz indien. Les Indiens en font chaque année des récoltes considérables. Il est probable qu'ils ressèment aussi plus ou moins la plante. Les premiers, Brown et Scofield ont indiqué la distribution géographique primitive de la plante, avec une carte. M. Langworthy, du Ministère de l'Agriculture des États-Unis,
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- ↑ Le domaine de la plante était beaucoup plus vaste autrefois. Sturtevant (loc. cit.) y comprend avec la Mandchourie, la Chine, le Japon et l'Annam. Quelques auteurs tiennent le Zea latifolia du Japon et de la Russie orientale pour un véritable riz sauvage. D'autre part, d'après J. Matsumura (cité par Jenks) le Zea aquatica se trouve certainement au Japon et aussi à Formose et dans la Chine orientale, ce qui est conforme au point de vue de Sturtevant.
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m'a écrit (3 mars 1913) que les premiers colons blancs imitèrent l'emploi que faisaient de cette plante les Indiens, mais sans lui donner beaucoup d'extension. C'est il y a quelques années seulement que l'attention a de nouveau été attirée sur cette plante. Actuellement on la consomme à titre de friandise dans les grands hôtels de New-York. On cuit le grain comme du riz, jusqu'à ramollissement, et on en fait des plats très savoureux en l'accommodant avec du beurre, du sel et un peu de poivre.
L'analyse chimique montre que le riz sauvage est un peu plus pauvre en albuminoïdes et un peu plus riche en amidon que le fruit de notre manne (Glyceria, mannagras). D'après Jenks et d'autres, il renferme 77 à 78 % d'hydrates de carbone, 6,5 à 7,5 % d'albuminoïdes, 0,7 à 0,9 % de matières grasses. Le riz de rivière [riz aquatique] donc a une composition qui correspond à celle du riz ordinaire. Jenks insiste avec raison sur le fait que sa valeur alimentaire est supérieure à celle de toutes les autres substances végétales dont les Indiens font le ramassage. Ils sont grands amateurs de soupe et leur riz d'eau [riz aquatique] rend leurs soupes plus épaisses et plus substantielles, comme fait notre riz pour nos soupes. Tous les renseignements que nous possédons sur ce riz sont concordants : les Indiens utilisent leur riz d'eau [riz aquatique] en soupes à l'eau ou soupes à la viande, et l'emploient de toutes sortes de manières, cuit à l'étuvée, avec du gibier, de la viande, et aussi mélangé à toutes sortes de baies, ou en plats sucrés (avec le sucre d'érable)[1].
Suivant les cas, l'ébullition [la cuisson] se fait dans des trous creusés dans la terre, ou dans des récipients de vannerie, où l'eau est chauffée à l'aide de pierres incandescentes, ou bien dans des pots de terre ou de métal sur le feu. Avant de cuire le grain on le lave trois ou quatre fois, la première fois souvent avec addition d'un peu de cendre ou de soude. Le riz de rivière qui a été séché au feu, ou au soleil, se ramollit après une demi-heure de cuisson, mais celui qu'on a grillé demande une heure. Ce riz est excellent pour la nourriture des enfants. Les Indiennes s'en servent pour les élever,
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- ↑ Brown (Edgar) et Scofield (Carl S.), Wild rice : its use and propagation. U. S. Dept. of. Agricult. Bur. of Plant Industry, Bulletin Nr. 50, Washington, 1903, 24 p., 7 planches ; Holmes (William Henry), Anthropol. studies in California. Rep. U. S. Nat. Mus. Washington, 1902, 155-189 ; Jenks (Albert-Ernest), The wild rice gatherers, etc., Ann. Rep. Bur. American Ethnology, 1897-98, Washington, 1900, 1019 ; Smith (Huron H.), 1923, loc. cit. ; Scofield (Carl. S.), The salt water limits of wild rice, Bur. Pl. Ind. Bull. Nr. 72, Part. 2, Washington, 1905, 8 p. ; Duvel (J. W. T.), The storage and Germination of wild rice seed., Bur. Pl. Ind, Nr. 90, part. 1, Washington, 1905, 15 p. et 2 pl. ; Atee (W. L. Mc), Three important wild duck foods, Bur. of Biological Survey, Circular n° 81, Washington. 1911, p. 1 à 7, avec 3 fig. Autres renseignements sur le riz sauvage dans Jenks, p. 1126-1133.
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et aussi d'avoine. Elles réduisent en farine, entre deux pierres, les grains débarrassés de leurs enveloppes, et elles en font des soupes ou de la bouillie en y ajoutant du sucre d'érable.
Le « mois du riz » comme le nomment les Indiens (le mois de la maturité du riz) est le mois de septembre. Octobre est pour eux « le mois de la fin du riz ». Mais le sucre d'érable est à leurs yeux un bien aussi précieux que le riz de rivière. Dans la région du Lac Supérieur, les Indiens consacrent trois semaines, en mars, avril ou mai, à la récolte de ce sucre et, pendant ce temps, vivent uniquement de sucre. Alexandre Henry, le voyageur qui informa Jenks, dut, lui aussi, s'en contenter. « La nourriture, dit-il, était rare, mais nous avons eu pour vivre le sucre d'érable, pendant tout ce temps. » Chacun en consommait une livre par jour, et s'en trouvait semble-t-il, suffisamment restauré. Un Indien, du nom de Martin, chef des Ottawa, écrivait en 1842 aux autorités : « Nous n'avons pas d'objection contre les mines des blancs, leurs coupes de bois, ou la construction de leurs fermes. Mais nous revendiquons nos droits, sans limitation ni entrave de la part des blancs, sur les écorces de bouleau et les cèdres, sur les plantes fournissant le sucre et le riz, et le droit de priorité sur nos terrains de chasse ». Ces réserves sont renouvelées chaque fois qu'il est assigné aux Indiens des territoires déterminés (Reservationen). [réserves]
Le riz de rivière a, dans l'Amérique du Nord, une aire de dispersion très étendue. On le trouve dans tous les États à l'est des Montagnes Rocheuses, du 50e degré de latitude nord jusqu'à l'océan Atlantique et au golfe du Mexique. Il existe au Canada jusqu'au 52e degré de latitude nord. La plante croît dans tous les endroits humides, mais non dans les étangs ni les lacs. On la trouve dans les eaux dont le courant est lent et aussi dans les eaux saumâtres. Elle manque dans les eaux dont le courant est trop fort, comme il arrive aussi pour notre Glyceria.
La Foxriver, sur une longueur totale de 104 milles, avec seulement 40 pieds de pente totale, est couverte par le riz de rivière, tandis que la plante ne parvient pas à fleurir sur une longueur de 37 1/2 milles, entre Winnebago-See [lac de Winnebago] et Greenbay, parce qu'entre ces points la chute est de 170 pieds. Le riz de rivière a donné son nom à des centaines de localités, de districts, de rivières, de ruisseaux et d'étangs. Il y a cinquante cours d'eau, et l'énumération des noms qui, encore aujourd'hui, dérivent de celui de cette plante, couvre, dans l'ouvrage de Jenks, douze pages pleines. On conçoit que, dans le langage des Indiens, cette catégorie de noms soit très répandue. Par exemple, d'après La Harpe, chez les
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Ojibwa, on trouve le lieu du récolteur de riz sauvage, le village du riz sauvage rouge, le village « de la grande folle avoine ». Chez les Dakota, à l'est et à l'ouest du Mississipi, neuf villages portaient le même nom. En 1883, on s'exprimait ainsi en ce qui concerne le Wisconsin et le Minnesota : Ce riz est le seul grain qui mûrisse en quantité suffisante. Les Indiens l'emploient pour leur alimentation habituelle en si grande abondance que leur existence dépend véritablement de lui. Depuis le milieu du XVIIe siècle, il est toujours question de ce riz dans les mêmes termes et on sait aussi de longue date qu'il ne supporte pas les forts courants.
Les auteurs américains ont beaucoup étudié l'usage qui est fait de ce riz par les diverses branches des tribus indiennes, en particulier Jenks et Holme, mais aussi Brown et Scofield. En certains endroits, on sème cette plante. Mais d'autres Indiens, par exemple les Menomini, en sont empêchés par des scrupules religieux. D'autres, comme les Dakota, ne le sèment pas non plus, mais sans que la religion soit pour rien dans leur abstention. D'autres tribus encore ont abandonné cette culture pour celle du mais, plus avantageuse, mais continuent de récolter le riz qui pousse à l'état sauvage. On peut établir qu'autrefois certaines tribus l'ont semé et que d'autres récoltent ce que leurs prédécesseurs leur ont préparé. On fait mention plus spécialement des tribus Assiniboin, Ojibwa et Awa'sa. Ceci concerne les contrées à l'ouest et au nord-ouest du lac Winnipeg (où les Indiens, au cours de leurs voyages sèment la plante et reviennent la récolter au moment des hautes eaux) et diverses contrées de l'État de Wisconsin. Au lac Courte Oreille, les Indiens fixés sur une « Réservation » [réserve] font de même. En 1893[1], une famille y récolta du riz de rivière semé sur son propre sol.
La guerre impitoyable des Dakota et des Ojibwa pour la possession des sols où pousse le riz de rivière témoigne de l'importance qu'on reconnaissait à la possession de ce grain. Il résulte de toutes les sources utilisées par Jenks que, dans la seconde moitié du XIXe siècle, 5.000 à 7.000 Indiens Dakota utilisaient le riz de rivière alors que, si on en juge par les noms de lieux, toutes les terres à l'est du Mississipi appartenaient aux Ojibwa. Actuellement, aucun sol produisant le riz n'est plus accessible aux Dakota.
Toute particulière est la situation des Menomini en ce qui concerne le riz sauvage. Vers 1634, ils en employaient de grandes
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- ↑ D'après Hance, le riz sauvage est cultivé en Chine. La souche souterraine épaissie est, dit-on, une friandise recherchée, ce qui expliquerait cette culture. Sturtevant, loc. cit.
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quantités. Contrairement à ce qui peut arriver pour d'autres tribus, sur lesquelles nous n'avons que des renseignements récents, nous connaissons l'importance qu'avait prise le riz de rivière dans la vie des Menomini par des documents historiques anciens bien établis, et par la tradition indienne, aussi loin qu'elle remonte. En leur propre langue ces Indiens s'appellent : « les Indiens du riz sauvage ». Depuis 200 ans, tous les documents les signalent comme ramasseurs de riz, avec des détails précis remontant à 1718. Cette tribu s'est réduite numériquement d'année en année. Ils étaient 3.900 en 1820 et n'étaient plus que 1.375 en 1898. Dans la « Réservation» [réserve] qui leur est assignée ils entreprennent des voyages pour récolter le grain de riz, et, comme les blancs ont pris possession des endroits où on le récolte, ils périssent en quelque sorte avec la plante, à laquelle ils sont fidèles jusque dans la mort.
Les Menomini sont à présent 1.745 (en 1923). Ils vivent sur une réserve du comté Shavano dans l'État de Wisconsin. Dans leur langue le riz se nomme Mä'nomän. On leur a interdit la récolte de leur riz même là où ils pourraient la faire, parce que les blancs prétendent qu'ils empêchent la chasse au canard sauvage[1].
Les Indiens ont imaginé, pour leur commodité, de lier ensemble, au moment où le grain est encore laiteux, l'extrémité des chaumes. Il se passe ensuite deux ou trois semaines avant la maturité du grain. A partir de 1697 cette ligature des tiges par les Indiens a été souvent décrite. En général, ils emploient comme liens l'écorce du Tilia americana. L'avantage qu'ils y trouvent est de diminuer l'égrenage des épis [mot absent en allemand] et d'accroître ainsi leur récolte. Les oiseaux en mangent moins et le vent a moins de prise sur les tiges, ainsi que la pluie. Le matériel nécessaire pour lier les tiges est constitué simplement par une tige qu'un lien courbe en un arc. L'Indien, debout dans sa barque, saisit avec cet arc un assez grand nombre de tiges de riz. Puis il les lie, les petites gerbes sont faites fort habilement et se succèdent en séries tout à fait régulières. A cette époque, les grandes nappes d'eau où pousse le riz prennent de ce fait un aspect tout particulier. L'habitude de lier les tiges avant la récolte est très répandue, mais n'est pas générale. On peut s'en passer. La récolte elle-même est confiée aux femmes. La façon dont on la fait varie beaucoup selon les endroits. L'usage est que
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- ↑ Imagine a whole tribe of 1800 Indians, named after the wild rice, and forbidden to gather it on their one reservation ! Smith, loc. cit., p. 10.
On trouve divers renseignements sur les griefs de cette tribu, chez laquelle actuellement on trouve difficilement à acheter une seule livre de la récolte du riz sauvage et, quand c'est possible, seulement à un prix très élevé : 1 dollar la livre.
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les familles indiennes aillent s'installer pour toute la durée du temps de la récolte (environ un mois) dans les régions où elle se fait. La façon dont on ramasse le grain n'est pas toujours la même. On pratique quelquefois la coupe des épis [panicules], et quelquefois la coupe des tiges beaucoup plus bas. Primitivement, la coupe des épis était très répandue.
La maturité du grain a lieu à la fin d'août et au commencement de septembre. Peu auparavant des femmes vont dans les rizières lier le sommet des tiges en petites touffes. Puis, quand le grain est mûr, commence la récolte, que l'on fait à deux (généralement deux femmes). La plante pousse en masses si serrées à cette époque que la barque doit être poussée avec une pièce de bois, la manœuvre des rames étant impossible. Les épis s'élèvent à quatre ou cinq pieds au-dessus de la surface de l'eau. Lorsque la barque s'est approchée, une des deux femmes se lève. Avec un bâton elle incline vers la barque une certaine quantité d'épis. Avec un bâton semblable, qu'elle tient dans l'autre main, elle bat les épis, de telle manière que le grain tombe sur le fond de la barque. On récolte ainsi le grain à droite et à gauche du passage que se fraie la barque. Quand un des bouts de la barque est rempli, on change les rôles. Celle qui poussait la barque fait la récolte, et l'autre femme pousse la barque. Quand les deux bouts de la barque sont remplis, on gagne tranquillement la rive. Le grain mûr est sorti du bateau, extrait de ses enveloppes, puis sommairement vanné pour le débarrasser des pailles et enfin mis en réserve en attendant l'emploi.
Quelquefois on récolte le grain à l'état laiteux. C'est le riz sauvage en grains verts (green wild rice). Tantôt cette récolte fait l'objet d'un travail spécial tantôt on y procède à l'occasion de la ligature du sommet des tiges. Elle se fait simplement en égrenant les tiges avec la main. Ces grains laiteux sont utilisés pour l'alimentation avant que ne vienne le moment de la récolte principale. Beaucoup de familles en font provision pour toute l'année. Les grains sont d'une couleur plus claire que les grains mûrs.
Les grains mûrs sont séchés sur des toiles ou sur de grandes plaques faites d'écorce de bouleau. Après 24 heures on les grille dans une large marmite de cuivre sur un feu doux, et en les tenant constamment en mouvement. Les glumes [Spelzen, ce sont ici les glumelles] se trouvent ainsi suffisamment relâchées et tombent facilement au nettoyage. Mais les procédés varient en réalité beaucoup. Tantôt on sèche et grille ainsi les grains encore dans leurs glumes, tantôt on sèche et grille les sommités entières des tiges, coupées et encore liées ensemble. On les met alors sur un support à deux ou plusieurs étages. Ailleurs
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on rôtit les gerbes entières sur un appareil disposé comme une échelle. Les Indiens Dakota emploient une méthode qui est probablement d'origine récente. Ils se servent d'un échaffaudage qui a 20 à 50 pieds de long, 8 pieds de large et à peu près 4 pieds de haut. On le recouvre de roseaux, de joncs et d'herbes et on répand les grains de riz à la surface. On allume dessous un feu doux qui amène l'ouverture des glumes en 36 heures. Lorsque l'on a fait sécher ou griller des grains de riz au feu, ils sont d'une couleur plus claire que s'ils ont été séchés au soleil. Le grain a aussi pris un volume double. Souvent aussi il est fendu ou éclaté. Le grain grillé a un aspect particulier, translucide et cristallin.
Les moyens utilisés pour le nettoyage et l'isolement des grains [Dresch- und Schälmittel = battage et décorticage] sont très simples : ce sont des bâtons plus ou moins massifs. Les femmes sortent le grain de ses enveloppes à la main, mais d'autres fois avec les pieds. L'opération se fait soit dans un trou creusé dans le sol, de deux pieds de diamètre et de dix-huit pouces de profondeur, ou bien dans des baquets qui sont engagés à demeure dans le sol et sont munis de deux bâtons assemblés en croix qui servent de prise. On travaille le riz avec les pieds jusqu'à ce que les enveloppes se séparent du grain. La dessication du grain et son nettoyage [battage] sont deux opérations bien séparées. Le nettoyage et la séparation des balles [le battage et le vannage] se suivent. L'Indien vanne au vent et se sert pour cela de pelles à vanner.
L'Indien aime à mettre sa récolte en lieu sûr. Le grain, renfermé dans des sacs de peaux ou dans des caisses d'écorce de bouleau ou de cèdre est enfoui en sol sec, dans un trou. On utilise aussi au lieu de ces sacs des récipients faits de substances végétales diverses. Les provisions ne sont pas considérables. L'Indien montre en cela beaucoup de négligence. Jenks dit qu'il y a « sous-production ». Une famille entière met en réserve de 5 boisseaux environ à 12 ou 15, rarement 25. Et c'est beaucoup trop peu. Ils pourraient se constituer des greniers bien plus considérables si, pendant toute la récolte ils n'étaient pas dans une disposition d'esprit de jours de fête, et ne perdaient pas tant de temps à danser et à festoyer.
On constate constamment chez les peuples qui se livrent au ramassage cette même succession de travaux : récolte, liage, coupe des tiges sous les épis, séchage, grillage, tels qu'ils se succèdent pour donner finalement à ces Indiens leurs soupes ou leurs bouillies de riz sauvage. Ces opérations survivent même au stade de civilisation caractérisé par le ramassage. Mais, malheureusement, les plantes européennes propres au ramassage n'ont
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pas attiré l'attention qu'on a, avec raison, accordée au riz de rivière des Indiens d'Amérique, comme aussi aux mets qu'ils préparent avec le riz et dont la connaissance est si importante pour l'histoire de développement de l'humanité.
Europe. La manne : Glyceria fluitans
Ramassage des fruits des graminées dans l'ancien continent.
En Europe, la Glyceria fluitans Brown est la seule graminée dont les fruits donnent lieu à un ramassage c'est-à-dire soient récoltés sans véritable culture de la plante. Cette Glyceria porte les noms de Mannagras, Schwadengras, [et par Krünitz] Blütgras, Himmelstau, Manne sauvage, Schwaden. Souvent, en faisant mention de cette plante, on l'a confondue avec le Panicum sanguinale ou Digitaria sanguinalis (Manne terrestre, Bluthirse), jusqu'au moment où Ascherson a précisé les faits. La confusion est venue de ce que les grains nettoyés, débarrassés de leurs enveloppes brunes ont quelque ressemblance avec les fruits de ce Panicum. Ascherson et Hartwich ont aussi étudié l'histoire de cette sorte de céréale sauvage, à demi-oubliée. La Glyceria pousse dans les eaux ou au bord des eaux qui s'accumulent dans les dépressions du sol, et aussi dans les prairies marécageuses. Elle existe dans les îles de la mer du Nord et dans les Alpes, jusqu'à 1.740 mètres d'altitude. On fait usage de cette plante, selon Ascherson et Graebner, dans une région comprenant la plaine basse de Hongrie, le nord-est de l'Allemagne jusqu'au Brandebourg, (en particulier aux environs de Francfort sur l'Oder) et à la Poméranie, une partie de la Pologne et de la Russie d'Europe, les États Baltes et le sud de la Suède. Ascherson ne tranche pas le problème des variétés botaniques de la Glyceria fluitans, mais pense que le mieux serait peut-être de la considérer comme ne faisant qu'une seule espèce avec les Glyceria plicata et Glyceria nemoralis. La Glyceria plicata ne se distingue que fort peu de la véritable G. fluitans et on considère la G. nemoralis en beaucoup d'endroits de la région indiquée comme étant la véritable G. plicata. En beaucoup d'endroits, il est tout à fait certain qu'on les ramasse ensemble. [N. B. Les Glyceria sont nommées aussi parfois Festuca et Poa.] [NdT inutile aujourd'hui]
Le fruit est contenu dans des enveloppes lâches. Il est lui-même brun, un peu comprimé sur ses deux faces latérales, avec un sillon sur un côté de sa face ventrale. Lorsque le nettoyage du grain a été fait, il reste cependant dans ce sillon un lambeau des enveloppes du grain, comme il arrive après le cylindrage de l'orge [Rollgerste = orge mondé ?]. Le fruit dégagé de ses enveloppes est de forme allongée ou même cylindrique, bombé d'un côté, plat ou un peu excavé de l'autre
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de sorte que la section peut être en forme de haricot [rein]. A une extrémité existe un enfoncement irrégulier que l'embryon remplissait avant le nettoyage. Le grain isolé a environ 2,5 mm de long. Il est blanchâtre, demi-translucide. Un tas de grains a une couleur légèrement rougeâtre. La masse du grain est formée d'un parenchyme à parois minces qui renferme les grains d'amidon. Les grains d'amidon eux-mêmes sont des grains composés comme le sont ceux de l'avoine. Leur diamètre est en moyenne de 21 μ, les grains partiels ont de 2,1 à 7,3 μ. Ils sont le plus souvent anguleux et montrent au milieu une cicatricule arrondie ou un peu allongée.
Selon Hartwich et Hakanson, la « Manna » nettoyée de ses enveloppes et débarrassée du germe a la composition suivante :
Eau | 13,54 % |
Albuminoïdes | 9,69 % |
Matières grasses | 0,43 % |
Hydrates de carbone | 75,06 % |
Ligneux | 0,21 % |
Cendres | 0,61 % |
L'échantillon provenait de la région de la Sprée. L'usage de la farine de « Manna » est limité à la région slave, ou à la région jadis occupée par les Slaves. Le dictionnaire polonais de Linde et les anciennes flores de la Pologne par Jundzill et Kluk attestent qu'autrefois la plante y avait des emplois étendus. Il en est de même pour la Russie. En 1914, M. B. Issatschenko m'informa qu'on pouvait se procurer cette farine dans les villes russes, mais seulement comme aliment de fantaisie. On ne la connaît pas d'une façon générale.
Actuellement il n'est pas vrai, comme l'a relaté Ascherson, que la farine de Manna soit un aliment assez répandu à Saint-Pétersbourg et qui y donne lieu à un commerce important (Hackel). Par contre, il est exact, comme le dit Rostafinski, que des grains décortiqués de Manna, venant de Pologne, et préférés au millet parce qu'ils sont plus doux, ont, jusqu'au milieu du XIXe siècle été expédiés à l'étranger par les ports baltes. Krünitz confirme cette assertion en constatant que la plus grande partie de la Manna du commerce passait par Francfort sur l'Oder, venant en particulier de Dantzig et de Königsberg. On en vendait beaucoup aux foires annuelles des villes de Prusse, par exemple à Tilsitt, Stallupönen, Vehlun, etc.
Ascherson nous a renseigné sur la façon dont se fait le ramassage. Il correspond exactement dans ses procédés au niveau de la tech-
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nique chez les vieilles tribus indiennes de la Californie. J'utilise dans ce qui suit la description fondamentale de Krünitz.
La façon dont on bat la plante et dont on recueille le grain, telle que l'auteur la décrit, est encore en usage. On a un tamis large d'une aune et on le prend avec les deux mains placées côte à côte et de telle façon que les quatre doigts soient en dedans du tamis et les pouces en dehors. On promène ce crible au milieu des épis mûrs, soit le matin, soit aussitôt après la pluie. Le crible a des trous assez serrés pour que les grains ne puissent pas y passer. Les grains, avec leurs enveloppes tombent dans le crible. Il est commode d'avoir encore au-dessus du bord du crible, une tige de bois bifurquée à la manière des fourches qu'on a dans les granges. Fixée au crible elle permet d'accélérer la récolte en donnant des coups de droite et de gauche. Au lieu du fond ordinaire, le crible peut être fermé par une toile percée de trous, avec un sac suspendu au-dessous, ce qui évite de vider le crible aussi souvent. Après la récolte, on sèche le grain au soleil.
Pour débarrasser la manne ou « Schwaden » de ses balles, on utilise d'abord un mortier de bois. Ce mortier est rond, ou à huit pans, taillé dans un tronc de chêne, dans le fil du bois, haut d'une aune et profond en moyenne de 5/8 d'aune. Il y a deux pilons amincis au bout, mais cependant ronds et si gros qu'on peut à peine les entourer avec les deux premiers doigts. Ils ont 2 aunes de long et sont amincis au milieu, pour être pris avec la main. Avant le travail on met une poignée de paille hachée sur le fond du mortier, puis une poignée de « Schwaden » sec, puis une poignée de paille. Deux personnes se mettent face à face et pilonnent [pilent] rapidement, mais en évitant de relever les pilons plus haut que la moitié de la profondeur du mortier, pour empêcher les grains de sauter. On continue jusqu'à ce que les balles soient tout à fait séparées du grain. Alors on crible et on vanne en faisant sauter le grain dans une jatte. On a ainsi ce qu'on appelle le « grain noir », c'est à dire le fruit de la Glyceria, qui est brun noir. Krünitz décrit ensuite la façon dont on enlève les dernières enveloppes, dans les mêmes mortiers. On mélange à nouveau avec de la paille, on pilonne avec précaution, pas trop fort. Et on nettoie « comme ci-dessus ». Les graines de la Glyceria nettoyées sont ensuite conservées dans des sacs suspendus et restent en bon état plus d'un an. « C'est ainsi que s'est maintenue jusqu'ici (1828), dit Krünitz, l'industrie domestique de cette graminée[1]. »
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- ↑ Ascherson (P.), Brandenburgia, 4, 1895, 43 ; et Ascherson (P.) et Graebner (P.), Synopsis der mitteleuropäischen Flora, t. II, Ire partie, Berlin, 1898-1902, p. 445 et suiv. ; Hartwich (C.) et Hakanson (G.), Zeitsch. f. Unters. d. Nahrungs- und Genußmittel, t. X, 1905, 473 et suiv.; Hackel (E.), in Englers Nat. Pflanzenfam., Berlin, 1887, 2e partie, 2e section, p. 74 ; Rostafinski (J.), O pierwotnych siedzibach, etc. (en polonais), Über die Ursitze der Slaven, Cracovie, 1908, 20 ; Krünitz (J. G.), Ökonomisch-technologische Enzyklopädie ou bien : allg. System, etc., t. 149, Berlin, 1829, p. 726.
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A partir du XVIe siècle on trouve dans la littérature polonaise beaucoup de renseignements sur la farine de « Manna » et sur la plante même, mais il en est plus rarement fait mention aux époques récentes. On récoltait le grain en grande quantité. Zawacki mentionne la « Manna » dans l'énumération qu'il fait de 25 redevances dues par les paysans, avec l'avoine, l'orge, le blé, les glands et les noix. En juillet on devait « secouer l'herbe à Manna, récolter le cumin sauvage, préparer la nouvelle farine, etc. »
D'autres renseignements existent, fort prolixes. Il y est fait mention du semis de la Manna, de fabrication de pain de Manna, pain particulièrement convenable « pour la domesticité ». Mais il s'agit certainement dans tout cela de quelque autre grain, peut-être du millet sanguin, car le traducteur de Crescentius distingue de la plante dont il parle une seconde espèce d'herbe à Manna. Celle-ci croît « dans les prairies humides, elle est secouée sur des cribles en juin et juillet. Cette Manna n'est pas semée. C'est pourquoi nous ne nous en occuperons pas. » En un mot, on confondait la Manna avec ce millet (Panicum), comme on le lit clairement dans Sirrenius. « Il y a deux espèces de Manna, celle qui est sauvage et celle qui est cultivée. La Manna que l'on sème a des feuilles et des racines plus délicates que l'autre, on la nomme Sanguinella. » L'auteur dit encore de l'espèce sauvage, c'est-à-dire de la Glyceria : « on ne la coupe pas, on fait la récolte sur des tamis, on la sèche et on la foule pour sortir le grain des cosses [enthülst : pour décortiquer le grain] ».
Il sera encore question de ces confusions à propos du millet sanguin (Bluthirse, Panicnm sanguinale). On trouve dans ce livre, avec des noms latins et polonais de plantes, aussi des noms allemands. Il est cependant impossible de savoir ce que signifie le mot Wildgetreide[1] (céréale sauvage). Fait assez curieux : à cette époque ce grain avait un rôle dans l'économie domestique et avait des usages étendus dans les villes mêmes. Encore aujourd'hui le nom de manna est encore connu, sinon la chose. Ce nom désigne surtout la farine, mais on entend aussi par kasza manna une sorte de semoule de froment. En Russie Blanche on fait encore
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- ↑ Zawacki (Theod.), Memoriale oeconomicum de l'année 1616. Publié par J. Rostafinski, Cracovie (Akad.) 1891, 39, 40, 58 ; Crescentyna (P.) O pomnozeniu i. rozkrzewieniu... Cracovie, 1571, 158 et 186 ; Sirrenius (D. Simon), Zielnik, etc., Cracovie, 1613, 986 et 1012.
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à présent du pain avec un mélange de Manna et d'autres grains, comme me le communiquait, en 1915, l'ethnographe Bron. Pilsudzki.
Quant à ce que pouvait être dans son ensemble l'alimentation, les écrits dont il a été question ont négligé de s'en soucier. Ils copient simplement les « herbiers » allemands, avec toutes leurs erreurs.
Que pouvaient être par exemple le riz allemand, Tipha, Typha cerealis et Typha frumentus, qui, d'après Sirrenius, étaient connus en Westphalie et dans d'autres pays d'Allemagne ? Il parle en détail de ce riz. « Il faut l'écosser en le pilonnant [in der Stampfe enthülsen = le décortiquer au mortier], on l'écrase et le mange en bouillie. Il ne sert que dans les campagnes et dans les classes pauvres. On le mange en bouillie, délayé d'eau ou de lait. » La confusion continue dans les « flores » plus récentes. Kluk nomme le Mannagras Gramen esculentum, avec la mention : Himmelstau, et distingue la Manna sauvage et celle qui est semée. Mais l'auteur a évidemment raison quand il ajoute, en parlant de l'espèce sauvage « qu'on l'expédie à l'étranger comme grain particulier ». C'est Czerwiakowski qui, le premier, a distingué les deux graminées[1]. Ce que dit Kluk concorde avec les renseignements donnés pour cette époque par Ascherson et Rostafinski.
Le développement de la culture a été fatal a la « Manna ». A la fin du XVIIIe siècle elle devint plus rare, par suite de l'asséchement du sol et de la régularisation du cours des fleuves. Les propriétaires du terrain ont aussi interdit la récolte de la « Manna » qui donne lieu à des dégats en ce qui concerne l'herbe. Autrefois on en récoltait beaucoup dans l'Oderbruch près du village de Zirbingen et on en vendait à Francfort-sur-l'Oder. « Ce qu'on en vend à présent est récolté clandestinement. » Il y a à peine un siècle cette graminée couvrait dans la Prusse orientale de considérables surfaces de pays marécageux. L'établissement de prairies a fait reculer la plante. D'après des renseignements datant de 1916, il y avait à cette époque trente ans qu'on avait cessé aussi en Prusse orientale de fabriquer cette farine. Cette préparation était tout entière entre les mains des femmes. Cette farine était fort appréciée des paysans. Mais les villes aussi savaient en apprécier le caractère nourissant. A Konigsberg, par exemple, quand on pouvait encore acheter de la farine de Manna, on la payait deux marks le litre. En Bohême, et dans d'autres contrées, ce grain avait un cours qui en fixait le prix, comme pour les autres grains. Nous en trouvons la preuve
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- ↑ Kluk (K.), Roslin pozytecznych utrzymanie, etc. Varsovie, 1808, t. III, 2e partie, 139 ; Czerniakowski (J.), Opisanie roslin, etc., Cracovie, 1852, 2e partie, 282 et 303.
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dans les inscriptions que portent deux médailles commémoratives qui m'ont été signalées en 1917 par mon ami Fr. Netolitzky actuellement professeur à Czernowitz. Les médailles datent de l'année de disette 1805[1].
On a beaucoup écrit depuis le XVIe siècle sur le point de savoir si cette graminée était semée ou non. Beckmann citant un livre de 1772 et 1773 dit : « Nous y lisons que l'on sème et cultive souvent la Manna en Pologne, en Bohême et en Silésie. Mais il nous faudrait des renseignements plus précis, car, autant que nous avons pu en juger, on se borne partout à récolter le grain de cette plante là où elle pousse naturellement. En ce qui me concerne, je n'ai pu réussir à faire venir la plante de semis en grande surface, probablement parce que je n'ai pas pu procurer à la plante un sol assez humide. »
Récemment, Christ a aussi parlé du semis de cette plante. Mais il y a certainement eu erreur[2]. Autant que j'ai pu me renseigner, sa culture n'a jamais réussi. Il faudra soumettre à une étude enfin complète le point obscur de la biologie de notre classique graminée de ramassage. Les botanistes ne se rendent pas compte de l'intérêt que ces études présentent. Il faudrait fixer la limite orientale de l'extension de la plante, les conditions de sa vie en société avec d'autres plantes, et avec d'autres espèces du même genre et éclaircir beaucoup d'autres points. Prospère-t-elle dans les eaux ayant un courant modéré et non dans les eaux dormantes (en cela semblable à la Zizania), peut-on la semer ou non ? Les Américains nous ont donné le bon exemple en ne négligeant aucun point de vue botanique, chimique et ethnologique dans la connaissance de la Zizania.
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- ↑ Sur la régression de cette Glyceria V.: Beckmann (Joh.), Phys. ökom. Biblioth., t. XIV, Gottingen, 1787, 442 ; Rostafinsky (J.), Sitzungsber. Krakauer Akad. Histor. Philos. Kl., mars 1908, 20 ; Anonyme, Natw. Wochenschr. N. F., 6, 1916, 512. Les gravures des monnaies citées par Netolitzky (Fr.), sont empruntées aux descriptions relatives à la collection de monnaies et de médailles bohémiennes données par Max Donebauer à Prague 1890, t. LXXX, n° 5106, t. LXIX, n° 4243.
- ↑ Beckmann (Joh.), Dans sa Biblioth. loc. cit. t. V, 1774, p. 60 et suiv. ; Christ (Hermann), Basler Zeitschr. f. Gesch. u. Altertumsk., t. XVI, 1917, 216.
Europe. Graminées des sables de la Baltique, millets, autres espèces européennes et africaines
Autres graminées et millets utilisés comme plantes de ramassage en Europe.
Certaines de ces plantes ont, à diverses époques et en divers lieux, constitué une importante ressource alimentaire, sans que leur ramassage ait été pourtant pratiqué avec autant d'ampleur que celui de la Zizania ou de la Glyceria. Tel est le cas surtout pour deux proches parentes des plantes dont nous avons décrit la récolte par les Mongols, deux plantes des côtes de la mer du Nord
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et de la Baltique : Psamma maritima, L. et Elymus arenarius, L. (seigle et avoine des sables). Le Carex arenaria et le Pisum maritimum qui poussent dans les mêmes lieux furent aussi plantes de ramassage.
Les Psamma et Elymus étaient les plus importantes. Leurs fruits et leurs souches radicales sont citées par beaucoup d'auteurs. Hahn en a fait mention souvent. De même Leunis, en ce qui concerne l'utilisation de l’Elymus en Islande, où on en fait du pain. D'après Schkuhr, les fruits de la plante et ses souches radicales donnent de la farine dont on fait du pain. Olafsen, von Troil, Schübeler et d'autres en disent autant. Et pour ces plantes aussi se pose la question de savoir si on semait ces plantes en vue de cette utilisation comme on les sème depuis le XVIIIe siècle pour la fixation des sables. Car, depuis des siècles on les utilisait comme aliment et l'importance qu'elles avaient à ce point de vue n'était pas insignifiante puisqu'en 1343 le cloître de Kirkjubaer recevait d'une seule de ses terres une redevance de 120 livres de farine d’Elymus (blau Halm, Strandhafer, avoine bleue) par an[1].
De plus, le Pisum maritimum (pois des sables) dont on connaît les belles fleurs, était récolté et les légions romaines n'eurent pas à en révéler l'usage aux populations littorales (Hoops, loc. cit., 1905, p. 465). Beaucoup d'autres légumineuses peuvent être utilisées comme ce pois et le Dolichos méditerranéen. J'ai en vue ici diverses espèces de pois, de Vicia, et autres, qui peuvent livrer de la farine et dont on ne peut croire que les hommes les aient négligées.
Dans l'intérieur du pays beaucoup de graminées, de millets, de cypéracées étaient aussi appréciées que les espèces littorales citées ci-dessus. Mais nous n'avons de renseignements précis que sur le Panicum sanguinale (Digitaria sanguinalis, manne, millet sanguin, Bluthirse). Actuellement, c'est ce qu'on appelle une mauvaise herbe, comme beaucoup de ses congénères, les anciennes plantes alimentaires. On utilisait aussi les jeunes pousses des herbes aquatiques.
Hahn[2] et divers auteurs américains signalent que les Indiens arrivaient à cuire de petits gâteaux de pousses de roseau (sans doute Phragmites communis). Il est probable que les souches radicales épaisses, ramifiées, nourrissantes des plantes d'eau n'étaient pas dédaignées. Nous avons des indications relatives à l'utilisation d'autres « mauvaises herbes » du groupe des graminées, et à
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- ↑ Schkuhr (Christ.), Botan. Handb. der meisten in Deutschl. wildwachs. Gewächse. Nouvelle édition. Leipzig, 1804, 1re partie, 54-56 ; 4e partie (1808) 268 ; Hoops (J.), Reallex. der german. Altertumsk. unter Ackerbau [à l'article Ackerbau = Agriculture], Strasburg, 1911 ; Leuchs (J. C.), Vollst. Brot-Back-Kunde, Nuremberg, 1832, 161.
- ↑ Hahn (Ed.), Zeitschr. f. Ethnologie 1911, Cahier 5, 827.
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l'emploi alimentaire d'une partie des provisions de fourrage emmagasiné pour le bétail. Citons avant tout le chiendent (Quecke, Triticum repens). Comme aliment de temps de disette, ce chiendent est bien connu et on a cherché dans le sol ses racines aussi bien que celles du Carex arenaria, L. et du Cynodon dactylon Pers., qui, dans le sud, remplace comme mauvaise herbe notre chiendent. Les parties souterraines de ces trois plantes font partie de la pharmacopée populaire et les pharmacies les possèdent sous le nom de Rhizoma graminis ou Radix graminis, Rhizoma caricis ou cynodontis. Mais la seule souche indiquée comme alimentaire est celle du chiendent. Nous savons par Krünitz comment on la nettoyait, la séchait, la triturait, et la mêlait à la farine pour faire du pain. En cas de mauvaises récoltes, on a longtemps continué à recommander cet usage. Mais en 1762, en Saxe, on constata qu'on s'exagérait la valeur alimentaire de cette plante. La souche radicale séchée à l'air contient en effet, pour une teneur de 8,98 % d'eau, 2,73 % d'albuminoïdes (0,44 % d'azote), 0,37 % de matières grasses, 20 à 30 % de fibres végétales, ce qui est beaucoup trop, 60 à 62 % de substances extractives non azotées (cette teneur pouvant s'élever à 66 ou 67 % à certaines périodes de la végétation, enfin 1,8 à 2 % de cendres. Cependant on recommande encore l'utilisation de la souche en temps de disette[1]. Il est probable que le Cynodon Dactylon du midi a une valeur alimentaire analogue. Aux pays du midi appartient, comme graminée que l'on sème, et qui est aussi une mauvaise herbe, le millet des canaries (Kanariengras, Phalaris canariensis) que l'on mélange quelquefois à la farine (Schreber, Leuchs, et autres)[2].
D'autres « millets » (Hirsearten) ont un rôle alimentaire plus important que toutes les espèces précédentes. Citons en plus du millet sanguin déjà mentionné (Bluthirse, Panicum sanguinale), les espèces suivantes : Panicum crus galli L., Setaria glauca P.B., S. viridis P. B., S. verticillata P. B. Nous savons du Panicum sanguinale qu'il a été semé (Ascherson, loc. cit., 1895) et qu'il est maintenant tombé au rang de « mauvaise herbe »[3]. Bien des indices suggèrent que d'autres « millets » ont eu le même sort. Quelques espèces actuellement cultivées les ont pour ancêtres. Ainsi la Setaria viridis est la forme sauvage du Panicum italicum. D'après
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- ↑ Krünitz, loc. cit., t. CXIX (1820), p. 370 ; Kraus (C. D.), Gemeine Quecke. Arb. d. D. L. G., Cahier 220, Berlin, 1912, 48.
- ↑ Schreber (J. Chr.), Botan-ökonom. Beschreibung u. Abb. der Gräser, 2e édit. Leipzig, 1774, 2e partie, 83.
- ↑ Jessen (C.), Deutschlands Gräser, Leipzig, 1863 (Première expression de ce point de vue).
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Netolitzky, la situation est la même entre Panicum colonum et le P. frumentaceum, actuellement cultivé dans la région de l'Indus. Les grains du P. colonum étaient un aliment du peuple dans la plaine du Nil. On peut se demander si les grains trouvés par Netolitzky dans l'estomac de momies provenant des tombes d'Egypte les plus anciennes étaient produits d'une culture ou d'un simple ramassage. On l'ignore pour le moment. Actuellement le P. colonum est une « mauvaise herbe » africaine. Netolitzky a raison de penser que des plantes comme le P. crus galli ne pouvaient être jugées indifférentes par l'homme et qu'il n'a pas négligé cette espèce alors qu'il en récoltait de moins nourrissantes, comme les Chenopodium. Le Panicum crus galli est chez nous d'importation récente. Il est inconnu dans les gisements préhistoriques. On cultive au Japon une proche parente de cette espèce c'est Echinochloa crus corvi, que l'on nomme aussi E. crus galli var. hispidulum. De tout cela résulte qu'il y eut chez nous plusieurs « millets» (Hirsen} sauvages qui primitivement servirent d'aliment. Ce sont à présent des « mauvaises herbes », ou plutôt des plantes jadis cultivées ou demi-cultivées devenues mauvaises herbes. Il serait étonnant que, sur une douzaine d'espèces sauvages de « millets » existant dans l'Europe moyenne, avec deux ou trois espèces cultivées, l'homme de l'époque du ramassage n'en ait utilisé que 4 ou 5. Mais tout le monde n'est pas de cet avis. D'accord avec Rostafinski, j'estime que toutes les Setaria ont été mangées ou au moins utilisées pour faire des gruaux[1].
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- ↑ Netolitzky (Fr.), Sitzsber. Akad. d. Wissensch. Wien. Math. naturw. Klasse, 123, partie 1, 1914, 743. Mannus. Ztschr. f. Vorgesch., 8, 1917, 211. Voir aussi le remarquable petit travail de Brandstetter : D. Hirse. i. Kt. Luzern. Geschichtsfreund. Stans., Bd. 72, 1917, 71-109, qui reproduit beaucoup de noms populaires comme appliqués au millet sauvage.
Australie. Afrique
Le climat tempéré de l'hémisphère nord ne produit en tout cas qu'un nombre assez modeste de graminées sauvages utilisables par leurs grains. Il en est autrement du monde tropical, où la variété des plantes utilisables pour le ramassage est inépuisable. Mais les voyageurs n'ont pas prêté assez d'attention aux faits de ce genre. Suivant d'anciens documents, 300 plantes contribuaient en Australie à l'alimentation des indigènes, par leurs graines, leurs racines, leurs souches radicales, leurs enveloppes florales ou leurs fleurs. Les plus importantes étaient des bulbes et des racines[1]. Beaucoup devaient être d'abord débarrassées de principes toxiques. Mais le ramassage tropical a une extension
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- ↑ Knabenhans (Alfred), Arbeitsteilung u. Kommunismus i. austral. Nahrungserwerb. Festschr., Ed. Hahn z. 60 Geburtstag. Stuttgart. 1917, p. 74 et suiv.
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bien plus grande. Elle est passée inaperçue. En ce qui concerne les graminées, donnons un exemple. On trouve la remarque suivante dans les célèbres récits de voyage de Schweinfurth[1]. Parlant du Bahr el Ghazal actuel, l'auteur dit ceci : « Aucun des concessionnaires n'a eu l'idée d'essayer la culture du riz en ces contrées, où des bas-fonds sans herbe, inutilisables à cause de l'excès d'humiditité, semblent très convenables à cet emploi. De Zanzibar, cette culture s'est propagée avec succès vers l'intérieur de l'Afrique. C'est ici la nature qui indique à l'homme ce qu'il devrait faire, car, dans toute la région située au sud du fleuve des Gazelles, le riz sauvage du Sénégal prospère et je l'ai trouvé meilleur que les meilleures sortes de riz de Damiette. Le riz sauvage (Oryza punctata) est, à la saison des pluies, l'ornement de tous les étangs et de toutes les flaques d'eau, et les couvre de ses belles inflorescences à reflet rouge. Mais les indigènes sont si paresseux qu'ils ne savent pas récolter les graines qui tombent dans l'eau. Seuls les Bagarra et les habitants de Darfur en ramassent des quantités importantes et j'ai pu m'en faire à mon passage chez eux une petite provision. » A ma demande, Schweinfurth me donna sur le ramassage du riz en Afrique des renseignements plus précis, en 1916, dans deux lettres, qu'il m'autorisa à utiliser en vue de mes études, que lui-même suivait avec bienveillance. Je reproduis ici sans changement ces renseignements, qui peuvent intéresser aussi d'autres spécialistes, en supprimant seulement ce qui est purement personnel[2]. A cette époque, Schweinfurth ne connaissait probablement pas les contributions d'Aug. Chevalier à cette question (C. R. 159, 1914, p. 60). « Je m'empresse de vous renseigner sur le riz sauvage de Kordofan et de Dar Fur. Kotschy, qui, le premier, récolta cette graminée dans le sud du Kordofan, la nomma sur les étiquettes imprimées des échantillons d'herbier qu'il distribua : Oryza punctata Kotschy. En tant qu'espèce, la description fut laissée en blanc, nomen nudum. C'est pourquoi le nom manque dans l’Index Kewensis. Il existe dans l'Afrique tropicale plusieurs espèces sauvages qui sont très voisines de O. sativa des cultures. La forme que j'ai signalée au cœur de l'Afrique, pour l'avoir reçue du Baggara, correspond à la station sauvage indiquée par Kotschy (Süd. Kordofan). J'aurais dû en parler avec plus de détail, car le riz ramassé flottant à la surface des petits étangs de l'intérieur était d'un goût excellent. C'est un trait particulier des graminées sauvages que les inflorescences se brisent, de sorte que les grains
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- ↑ Schweinfurth (Georg.), Im Herzen von Afrika, Leipzig, 1874. t. 1, 271.
- ↑ Ber. d. D. Bot. Ges., 44, 1926, 165. Les lettres sont de l'année 1916.
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sont tenus flottants par les balles {enveloppes). La même espèce pousse aussi au Sénégal et on peut se le procurer sur les marchés. J'en ai envoyé des échantillons à Washington, pour recherches. Son nom pourrait être : Oryza sativa L. var. punctata Kotschy.
Je dois encore, pour répondre à votre lettre du 29 août, ajouter ceci :
Les trois espèces de riz sauvage connues jusqu'à présent dans l'Afrique tropicale, et qui sont très voisines du riz cultivé, sont certainement au nombre des plus importantes « espèces de ramassage » ayant pu nourrir des hommes sans agriculture.
1° Oryza punctata Kotschy que j'ai déjà signalée, a été d'abord décrite dans le Synopsis de Steudel {t. 3, n° 6) et figure dans l'Index de Kew parmi les espèces sauvages. Kotschy la récolta en 1839 dans le sud du Kordofan. Cette espèce pousse aussi en Abyssinie dans le lac Tana, où Schimper l'a récoltée en 1863 en mentionnant que : « Le fruit sert à faire du pain comme le blé en temps de famine. »
Je l'ai trouvée au Bahr el Ghasal dans le pays des Nuer et Rob. Fursteig à Lull, dans le « Schilluk », en 1906. Barth la signale comme espèce du Baghirmi. Au Sénégal Leprieur l'a récoltée déjà en 1828 et Chevalier l'a trouvée en beaucoup de contrées. Elle croît encore au Tanganjika d'où le Dr Neuberg m'en a envoyé des fruits mûrs. Les graines ont une longueur de 6 à 8 mm.
Dans les Petermanns Mitteilungen (1881, p. 46) Rob. W. Felkin dit, Route de Sado à Dara, dans le Suleiman (Dar Fertit) : « Sur les rives des ruisseaux croît une sorte de riz qui a de très gros grains. » Voilà tout ce que dit du riz Felkin, là où il parle en sa place de la bonne alimentation. J'ai reçu de là une provision de riz récolté à l'état sauvage (O. punctata) que j'ai trouvé de très hon goût. Ne renfermerait-il pas plus de mucilage que le riz cultivé ?
Hooker, dans sa flore des Indes signale Oryza sativa comme poussant à l'état sauvage dans plusieurs parties des Indes, comme Ceylan, Pegu, Circars, l'Inde centrale, Khasia hills, le Bengale, Sikkim, Rajpootana. Mais il n'a ni distingué, ni décrit les formes sauvages. Quelle est leur situation vis-à-vis d’Oryza punctata ?
2° Il existe une espèce de riz sauvage très distincte par la grosseur de toutes ses parties. C'est celle que j'ai récoltée dans la région du Ghasal sous le numéro 2322 et que Aug. Chevalier a récoltée dans le Baghirmi, Massena en 1903 sous le numéro 9615. Cette espèce a été décrite par Chevalier sous le nom de Oryza Barthii, mais insuffisamment.
3° Au Niger, près de Bussa (North Nigeria) Leo Frobenius a acheté au marché un riz ramassé à l'état sauvage d'une espèce par-
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ticulière ayant de très longues glumes à 7 nervures et des glumelles sans arête.
Les graines ont 6 1/2 mm. de long. Les Haussa nomment cette espèce « tschinkaffa ». Au Niger, Chevalier a trouvé aussi sur les marchés du riz provenant de plantes sauvages et dit qu'on le vend plus cher que le riz cultivé. Je ne sais si le riz dont parle Chevalier est ou n'est pas le même que celui de Frobenius, n'ayant pas d'échantillons du premier. Le riz de Massena, que Chevalier appelle Oryza Barthii, n'est pas identique à la plante du Niger de Frobenius. C'est par confusion que Stapf, à Kew, a nommé le riz de Chevalier Oryza sylvestris Stapf var. Barthii Stapf. Il s'agit de deux plantes.
4° Il existe une quatrième espèce de riz sauvage : Oryza latifolia Desv. très répandue dans l'Afrique tropicale et aussi dans la même zone de l'Amérique et de l'Asie. Mais ses graines sont très petites et la difficulté de la récolte lui enlève toute importance en tant qu'espèce de ramassage.
Très important est au contraire, et très répandu, le Bambou de l'Afrique tropicale (Oxytenanthera abyssinica) dont le grain est récolté en quantités considérables lorsque dans un pays les plantes se mettent à fleurir (tous les 50 ans). C'est un grain qui ressemble à celui de l'orge et qui a bon goût.
L'énumération des espèces de graminées sauvages pouvant donner lieu en Afrique au ramassage serait très longue. Parmi les Panicées seulement on en compte des centaines, et dans la plupart des cas le ramassage des fruits vaut la peine d'être fait. »
On peut juger par cette communication de ce qu'est la richesse de l'Afrique en graminées sauvages comestibles.