1-5 Ramassage chez les Indiens (Maurizio)

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Ramassage chez les primitifs
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Ramassage des Graminées


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CHAPITRE V


LE RAMASSAGE ET LA PRÉPARATION DES ALIMENTS CHEZ LES INDIENS DE L'AMÉRIQUE. L'ÉBULLITION DE L'EAU À L'AIDE DE PIERRES INCANDESCENTES [Steinkochen]. — SURVIVANCES EN EUROPE


Ramassage chez les Indiens de Californie. Farines de glands

Pour terminer notre aperçu de ce qu'est l'alimentation végétale chez les peuples qui ne connaissent aucune agriculture, nous devons maintenant indiquer comment ils préparent leurs aliments. Assurément beaucoup de plantes sont consommées dans leur état naturel. Nous ne connaissons cependant aucun peuple qui s'en tienne là. Sur la cuisine primitive, c'est-à-dire sur le point de départ de toute nourriture artificielle, les récits des voyageurs ne nous fournissent aucun renseignement, du moins autant qu'il s'agit des peuples sauvages dont il a été question jusqu'ici. C'est pourquoi j'indiquerai les méthodes de populations qui vivent beaucoup plus au sud que les peuples polaires, mais qui sont, quant au reste, d'authentiques populations de ramasseurs. Il nous faudra nécessairement aussi décrire en même temps leurs méthodes de ramassage.

Les populations indiennes anciennes de la Californie sont à l'échelon le plus bas de tous les peuples de l'Amérique du nord et encore absolument au degré de développement économique du primitif qui ramasse simplement ce qu'il trouve. La base de leur alimentation est constituée par des glands, des noix, des baies, des grains de graminées, plus rarement des racines ou des bulbes. Après mouture, ces substances sont consommées bouillies ou rôties. D'après diverses sources[1], les chênes fournissant les

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  1. Tubeuf (K. von), Natw. Ztschr. f. Land. u. Forstwirtsch, 17, 1919, 37. ; Sturtevant, loc. cit.


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glands sont les suivants : Quercus alba L., ainsi que le chêne de Californie, Q. agrifolia Née, Q. chrosolepis Liebm., et Q. undulata Torr. Au nombre des graines comestibles sont aussi celles du Pinus edulis (en Californie, West-Colorado [ouest du Colorado], Arizona). Comparées à la consommation des graines, celles du poisson et du gibier sont d'importance secondaire. De tous les métiers et de tous les arts, seul le clayonnage [Flechterei = vannerie] est arrivé à un degré élevé de perfection. L'art du potier et du tisserand sont tout à fait inconnus. Pour recueillir les glands il n'est besoin d'aucun matériel. Des hommes et des jeunes garçons montent aux arbres et battent les branches avec de longues gaules. Pour la récolte des graines de graminées et des semences, il existe dans toute la Californie un récipient tout particulier. C'est une pelle (seed-beater) avec une poignée, faite en vannerie ouverte et avec laquelle on se déplace à travers les tiges. L'Indien détache ainsi les grains et les reçoit dans une corbeille placée en dessous. Pour déterrer les racines, les femmes emploient un bâton à fouir, dont la pointe est durcie au feu. Les anneaux de pierre souvent découverts dans les fouilles servaient probablement à alourdir ces bâtons. La préparation des glands consiste en ce que les coques sont brisées avec une pierre ronde et l'amande ensuite séchée au soleil. Pour la mouture, on utilise une pierre plate, habituellement laissée dans le sol de la hutte, quelquefois aussi un bloc de rocher plus gros situé à l'extérieur et on a de plus une meule mobile allongée. Cette meule (ou concasseur) est de forme très variable et sa fabrication demande beaucoup de travail et d'adresse. De temps en temps, la femme interrompt la mouture pour cribler la farine sur une plaque de vannerie tout à fait plate ou sur une assiette de vannerie dont on frappe le bord avec un percuteur de bois. La farine fine qui se sépare est balayée avec une sorte de brosse dans une corbeille pendant que les parties grossières sont ramassées à nouveau sur la pierre[1]. On débarrasse la farine de glands de son amertume par un lessivage compliqué à l'eau chaude. Pour cela, on creuse dans un endroit sableux un trou dont on exhausse les bords et dont on revêt les parois de farine de glands sur une épaisseur de 5 centimètres. On met par dessus des branches de cèdre et on verse avec précaution de l'eau bouillante qui filtre à travers la farine. Après cette opération la farine est prête et la cuisson par l'eau bouillante peut commencer. On la fait aussi rôtir. Dans le premier cas, on met la farine dans une

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  1. Krickeberg (Walter), Ztschr. f. Ethnol., 1914, (46e année) p. 704 et suiv. ; Hahn (J. et Ed.), Naturwissensch. Wochenschr., 1911, N.F., Bd. 10, Nr. 35 [tome 10, n° 35], 547. avec beaucoup de bibliographie sur les ramasseurs.


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corbeille imperméable à l'eau, on y verse de l'eau et on l'agite soigneusement. L'eau est alors portée à l'ébullition à l'aide de pierres rougies au feu qu'on y jette. On a ainsi, soit une soupe claire, soit une bouillie épaisse qui, toutes deux, ont peu de goût, mais auxquelles on ajoute divers épices.


L'ébullition de l'eau et la préparation des soupes à l'aide de pierres incandescentes

On a souvent décrit la façon dont s'effectue l'ébullition à l'aide de pierres chaudes. Le matériel indien est abondamment représenté au Musée d'ethnographie de Berlin : les pierres à cuire et les bâtons destinés à les prendre, qui sont repliés ou réunis de manière à permettre une prise, des truelles [Kellen], des cuillères, etc.

Si on veut, au lieu d'une soupe ou d'une bouillie faire des galettes, gâteaux ou flans, l'Indien façonne sa pâte de farine de glands en forme de miche plate et l'enroule autour d'une pierre chaude, après quoi le tout, enveloppé de feuilles de chêne, est cuit dans la cendre chaude ou sous un tas de pierres chauffées. Dans la préparation des graines on procède très soigneusement. On les flambe pour enlever les balles ou duvets et ensuite la mouture a lieu sur une pierre plate inclinée avec une meule plate[1].

La mise en ébullition de l'eau à l'aide de pierres chaudes est connue dans toutes les parties du monde. On obtient souvent de cette façon en Afrique une sorte de bière. Du reste l'emploi de pierres chaudes est partout usité dans les méthodes primitives de préparation des aliments, par exemple, aux îles Andaman, en Australie, en Papouasie, chez beaucoup de Polynésiens, parmi lesquels les Maoris en sont encore restés à l'âge de la pierre, chez les Indiens d'Amérique (Amérique du nord et du sud) qui ne connaissent pas l'agriculture[2]. Une certaine race d'Indiens grille les graines des graminées en mettant dans une corbeille une pierre portée au rouge et en la faisant tourner. Hahn considère ce procédé comme intermédiaire entre le grillage et la cuisson par voie aqueuse à l'aide des pierres chaudes. Le dernier procédé lui-même est en usage chez les Assiniboins et chez les tribus indiennes vivant très loin de l'Océan Pacifique. Elle se pratique dans des corbeilles de vannerie ou dans des trous convenablement garnis. Dans l'exemple ci-dessus décrit en détail (en Californie), cette technique est plus ancienne que celle de la poterie, qui n'est pas connue de ces peuples. On ne sait s'il en est toujours ainsi. Mais cette façon de faire bouillir a ses bons côtés, même pour les

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  1. Holmes (W. H.), Anthropol. studies in California. Rep. U. S. Nat. Mus. Washington, 1902, 155-189 ; Krickeberg (W.), loc. cit.
  2. Renseignements divers dans le manuel : Handbook of the Ethnographical collections, British Museum, 2e édition ; Londres, 1925.


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peuples qui connaissent le tour du potier. Car il faut des artisans adroits pour faire de grands pots et ce sont des objets précieux pour les peuples qui ne possèdent pas les métaux. Il est donc compréhensible qu'on trouve en usage les pierres pour échauffer ou faire bouillir de grandes quantités d'eau chez des peuples qui font toujours chauffer de petites quantités d'eau à feu libre. C'est ainsi que les blancs, comme les Indiens, ont épaissi la sève de l'érable à sucre jusqu'à consistance de sirop, dans de grandes jarres de bois (je reviendrai sur ce suc d'érable du Nord de l'Amérique en parlant des survivances des époques anciennes). Or, primitivement, le blanc a imité les méthodes d'épaississement pratiquées par l'Indien. Dans la sève qu'il avait recueillie, il mettait des pierres chaudes aussi longtemps que la densité voulue n'était pas atteinte. Il est vrai qu'on utilisait aussi un procédé encore plus simple : l'évaporation au soleil et à l'air. Mais, avant 1700 déjà (ou environ) les blancs commencèrent à faire bouillir la sève à feu libre dans des récipients de métal et les Indiens les imitèrent bientôt.

Remarquons en passant qu'il a existé des peuples (et qu'il en existe peut-être encore) sachant déjà rôtir leurs aliments mais non pas les bouillir. Les Australiens grillaient leurs grains dans la cendre, parce qu'ils ne savaient pas les faire bouillir. Mais tous les peuples sachant faire bouillir l'eau, ne fût-ce qu'avec des pierres, ont trouvé plus commode de faire une soupe ou une bouillie par ébullition de grains. Ce qui n'empêche pas qu'en même temps les grains grillés étaient aussi en usage pour la préparation de plats importants.


Survivances en Europe de l'usage des pierres chaudes

Nous trouvons aussi en Europe des survivances du procédé consistant à obtenir l’ébullition de l'eau avec des pierres chaudes. Nous avons des documents relatifs aux époques germaniques anciennes. Pour obtenir une soupe au lait particulièrement délicate, on recommande d'obtenir l'ébullition en jetant des pierres chaudes dans le lait[1]. L'ébullition obtenue avec des pierres est très avantageuse quand elle est bien pratiquée. Par ce procédé, rien ne brùle. Dans la région de la Save et du Drau, l'ébullition de l'eau à l'aide de pierres était usuelle dans la préparation de la bière. Ce procédé est tombé en désuétude aujourd'hui, mais il a encore quelque importance puisque la statistique autrichienne de la brasserie le mentionnait encore et conservait encore en 1898 la catégorie des « brasseries à la pierre » (Steinbierbrauereien). Le Musée germanique de Münich conserve des exemplaires des

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  1. Heyne (Moriz), D. dtsche Nahrungswesen, etc., Leipzig, 1901, p. 308.


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pierres de ces « bouilleurs à la pierre » modernes (stone-boilers des Américains). On cuisait aussi la viande à l'aide de pierres. Au XVIIIe siècle, dans la steppe russe, on pouvait assister à la cuisson de la viande d'un bœuf dans sa propre graisse, avec des pierres incandescentes, alors que le feu était lui-même alimenté avec la graisse et les os du bœuf. Jusqu'à une époque plus récente s'est conservé dans le Holstein un dicton singulier : « Le 1er mai, saint Pierre jette une pierre chaude dans l'eau ». Ce qui veut dire qu'à partir de cette date on n'a plus besoin de faire chauffer l'eau pour les usages domestiques. Saint Pierre s'entendait à faire bouillir l'eau avec des pierres[1].

Dans toute l'Europe orientale, les Juifs croyants pratiquent une survivance du procédé d'ébullition de l'eau par les pierres chaudes. Elle remonte bien plus loin que celle conservée par les brasseurs autrichiens. J'en dois la description au Dr Abr. Schwadron, de Zloczów (Pologne) spécialiste érudit des coutumes juives. On doit se servir dans la semaine de Pâques d'une vaisselle rituellement pure (koscher). Elle devrait ne pas servir le reste de l'année, mais on est obligé de s'en servir, par économie. On est donc forcé d'utiliser à Pâques, mais après les avoir purifiés (gekaschert ou gekoschert), les ustensiles dans lesquels on fait la cuisine toute l'année, et quelquefois de la cuisine acide. Ces ustensiles ordinaires se nomment Chumez. En hébreu Chumez signifie acide ou aigri (comme la choucroute). La façon de purifier les ustensiles (de les koschern) dépend de leur nature. On fait rougir les objets qui supportent le feu. Les ustensiles qui se briseraient au feu sont bouillis et on jette dans l'eau bouillante des pierres chaudes. Dans les ustensiles de bois on met de l'eau bouillante et on y jette des pierres chaudes. Mais ce n'est pas encore assez. Pour purifier en vue de la fête les objets plats on les inonde d'eau bouillante et, en même temps, on passe à leur surface, dans tous les sens un morceau de fer extrêmement chaud destiné à cet usage et analogue à un fer à repasser (qui pourrait aussi être employé). Ce fer possède, au lieu d'une poignée, un anneau dans lequel sont passés, en croix, deux forts morceaux de bois, de façon que le fer chaud ne puisse glisser et puisse être conduit dans toutes les directions. Tous les objets de bois sont aussi soumis à l'action de ce fer, les chaises, les bancs, les tables, etc., et, en même temps, on jette sur ce fer de l'eau bouillante. L'eau saute de tous les côtés et, sans les morceaux de bois en question, l'opération de purification serait irréalisable. Le fer porte le nom significatif de « pierre

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  1. Hahn (Ed.), Wchschr. f. Brauerei., 25e année, 1898, 433 (H. 34).


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à purifier » [1] (Koscherstein ou Kascherstein). Quant aux deux morceaux de bois en croix, ils ne sont pas autre chose que le croisillon de bois jadis utilisé pour retirer du feu les pierres qui servaient à faire bouillir l'eau aux temps primitifs.

Une autre survivance du chauffage de l'eau avec des pierres subsiste en Pologne, tout le long de la chaîne carpathique et évidemment dans le reste du pays. Elle n'a pas été signalée jusqu'à présent. Elle est commune aux chrétiens et aux juifs. Elle m'a été signalée par mon ancien auditeur M. St. Dutek, ingénieur-chimiste. Pour préparer en vue du nettoyage du linge la lessive de cendres, on procède de la manière suivante. Au fond d'un récipient (fig. 2),

Fig. 2. - Récipient pour laver le linge à domicile. La lessive de cendre de bois est chauffée par le procédé de la pierre chaude. (District de Gorlice en Pologne d'après un dessin de St. Dutek, année 1920) a : linge ; p. toile contenant de la cendre et des pierres chaudes b.

on met le linge. Par-dessus, on dispose une pièce (p) d'un solide tissu dans lequel on place une certaine quantité de cendre de bois. On remplit avec de l'eau chaude (b) puis on met sur la cendre des pierres chauffées. L'eau entre en ébullition. La lessive se dissout. La pièce p est enlevée avec le reste de cendre et les parties insolubles après quelques heures. On en fait autant pour le linge. On retire alors le bouchon c et l'eau s'écoule.

On me signale qu'en Russie Blanche la lessive domestique se fait exactement de la même manière. Le récipient s'appelle zlókta et la solution de cendre zlókcic. Tout le long des Carpathes, les récipients dans lesquels on prépare la choucroute sont nettoyés avant d'être réutilisés par de l'eau qu'on amène à bouillir avec des pierres. C'est un fait dont on m'informe de divers côtés. Il est remarquable que dans d'autres parties aussi de la Pologne

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  1. Cet appareil mesure 18 × 18 cm. (ou aussi 16) avec 3,5 cm. de hauteur. Les bâtons ont 80 cm. de long.


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les paysans purifient de cette façon leurs cuves, cuveaux, et récipients à lait. Il serait bien extraordinaire qu'il n'en fût pas de même ailleurs.

L'emploi de pierres chaudes pour l'obtention de bains de vapeur est une autre survivance de l'emploi qui était fait de pierres

Fig. 3. *A. Petit établissement de bains russes d'une seule pièce avec plafond de 1 m. 30, sans orifice pour la fumée. - a. foyer libre sur revêtement d'argile, avec les pierres ; b. lits pour les baigneurs.
*B. Petit établissement de bains russes, de nouvelle construction, avec plafond de 2 mètres à 2 m. 50, antichambre et deux salles de bains. b. lits des baigneurs ; a, foyer véritable avec cheminée et les pierres qui, une fois chaudes, sont arrosées d'eau (d'après Holynski).

chaudes pour la cuisson des aliments. Cette sorte de bains est très répandue dans les campagnes russes et on en suit les dernières traces jusqu'en Suisse, où autrefois la chambre du bain de vapeur, et la cuisine constituaient un seul local[1]. Mais, en Russie, même dans les villes, encore aujourd'hui, cette sorte de bain de vapeur existe. Il y a trente ans ce système était encore en usage à Varsovie. Du moins y avait-il encore certains bains où on obtenait la vapeur en jetant de l'eau sur des pierres chaudes, ce qui n'empêchait

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  1. Wehrli (Gust.-Ad.), D. Schwitzstübli d. Zürcher Oberlandes. Schweiz. Arch. f. Volksk., t. 22, 1919, p. 129 et suiv. Avec des remarques sur les bains de vapeur du moyen âge.


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pas qu'il y eût aussi pour cela des dispositifs plus perfectionnés. Voici, d'après des renseignements verbaux, comment est organisé dans le gouvernement de Mohilew l'antique et traditionnel bain de vapeur russe, qui n'y est pas rare. La hutte (fig. 3, A) ne comprend qu'une seule pièce, haute de 1 1/2 à 2 mètres et sans cheminée. Il y a deux portes, qui conduisent directement au dehors. On allume le feu sur un âtre a. En b sont des couchettes superposées pour les personnes qui prennent le bain de vapeur. Le foyer est représenté en vue latérale (fig. 3, A) au-dessus du plan qui vient d'être décrit. La fumée s'échappe en partie par la porte mal jointe, mais le bain est cependant une espèce de bain mixte de vapeur et de fumée, de sorte que parfois il s'y produit des cas d'asphyxie mortelle. Les nouvelles générations se moquent des vieilles gens qui utilisent ces installations, car, pour elles, il y a quelque chose de mieux : l'établissement représenté fig . 3, B. La salle de bain est également très basse : 1 à 2 mètres seulement, mais il y a du moins une cheminée par où la fumée s'en va. On voit de même en haut du plan, le foyer avec l'amas de pierres et, en b, les couchettes des baigneurs. J'apprends de M. Holynski que ces installations sont souvent incendiées et que, pour cette raison, on les construit à distance des locaux d'habitation. Un ruisseau ou un étang se trouvent près des bains. Au moyen âge on obtenait souvent les bains de vapeur en jetant de l'eau sur des pierres chaudes. Wehrli mentionne le fait en ce qui concerne l'hôtel de ville de Göttingen, celui de Lunebourg, la Marienbourg, le cloître de Saint-Gall (pour le IXe siècle) et d'autres endroits. On considère ces installations du moyen-âge comme ce qui restait de l’hypocauste classique des Romains, étant donné qu'on n'était plus en état d'imiter le chauffage domestique perfectionné de l'époque romaine. Les Romains, en effet, connaissaient, eux aussi, le bain de vapeur, mais ils l'obtenaient à l'aide de leur installation de chauffage et nullement avec des pierres. Le bain du moyen âge, à mon avis, ne s'y rattache en aucune façon.

C'est seulement par quelques survivances de cette sorte que l'humanité civilisée (l'Europe) connaît encore les pratiques des âges du ramassage. Cependant la civilisation agricole moderne n'a pas réussi encore à en faire partout disparaître les dernières traces. Il reste en effet encore beaucoup de peuples qui ne sont encore qu'au début de la pratique agricole, qui sont encore par conséquent à la transition qui les y conduira. On peut même citer encore en notre époque actuelle de culture mécanique, quelques exemples de peuples restés entièrement à la période lointaine du


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ramassage. J'ai signalé déjà qu'autour des tentes de certaines populations arctiques on voit s'acclimater les plantes provenant de leurs expéditions de ramassage et que les Tschuktsches pratiquent contre leur volonté, ou du moins sans le faire exprès, la sélection agricole [des plantes]. Des auteurs russes et polonais parlent de peuples asiatiques qui ne font que franchir le seuil du monde nouveau. « Ce changement est d'autant plus précieux à étudier, déclare Przewalski, que j'ai pu moi-même connaître les dernières traces de la situation encore primitive qui existait auparavant. Quand vingt-quatre ans encore se seront écoulés, on pourra en lisant ce que j'en rapporte se croire en présence de documents remontant aux âges les plus lointains. » Telle était l'impression de ce remarquable observateur lorsqu'il faisait aux environs de 1870, ses nombreux voyages au Tarim et au Lob-Nor. Les plantes sauvages dont le ramassage est encore pratiqué chez nous ne nous donnent qu'une faible idée de la vie initiale des peuples. Ce n'est qu'accessoirement qu'elles servent de nourriture. Des contes, des traditions populaires, des coutumes en voie de rapide disparition ne nous conservent que sous une forme à peine intelligible le souvenir de l'usage général qui était fait du ramassage et de son ancienne splendeur. Comme exemple d'importance particulière citons le cas de la Glyceria ou festuque sucrée (Süßschwingel) [Manne].


Ramassage chez les Iroquois et les Menomini

Pour aider à bien comprendre ce qui peut subsister chez les civilisés des pratiques en usage aux époques du ramassage, le mieux est de décrire ce qui se passait chez les Indiens de l'Amérique du Nord. Il serait aussi bien à souhaiter qu'on pût recueillir des renseignements exacts sur ce qui se passe entre les tropiques, en Afrique et aux Indes, quand bien même ce ne seraient que de brèves descriptions comme m'en procura Schweinfurth et, pour l'Asie centrale, Przewalski et Sieroszewski. Il ne sera donc pas question ici des contrées chaudes, et en effet presque rien n'a été publié en ce qui les concerne. L'étude d'un domaine géographique encore fermé apporterait de bien utiles renseignements sur la nourriture primitive.

Chez les Indiens de l'Amérique du Nord on trouve de nombreux exemples de la coexistence du labourage à la houe [Hackbau] et du ramassage, soit que le ramassage subsiste seulement comme vieille habitude, soit qu'il doive nécessairement compléter le produit du labourage à la pioche [Hackbau !] insuffisant. A l'époque où les premiers blancs prirent contact avec les Indiens, ils constatèrent déjà la coexistence de ces deux systèmes d'alimentation. Ainsi assuraient leur subsistance d'innombrables tribus à la fois fécondes, énergiques, guer-


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rières et nullement en état de sous-alimentation. Ces dignes Indiens de l'Amérique du Nord constituaient alors, selon une estimation vraisemblable, une population totale de vingt à vingt-cinq millions d'hommes. Ce n'est pas leur façon de s'alimenter qui put leur nuire et elle n'est pas responsable du fait qu'ils ne sont plus à présent qu'un quart de million d'hommes. Les Indiens nous donnent donc un exemple instructif de ce qu'étaient le ramassage et la préparation primitive des aliments. Cet exemple nous enseigne comment l'homme, pratiquant sous un climat favorable ce système d'alimentation, pouvait subvenir à ses besoins.

La préparation initiale des aliments peut être fort influencée par l'état de civilisation déjà élevé qu'indique le labourage à la houe (ou la pioche) [des Hackbauers = du cultivateur à la houe]. Mais sur le sol de l'Amérique du Nord coexistent, côte à côte, des Indiens qui restent attachés obstinément à l'antique ramassage et d'autres qui savaient déjà labourer [Landbau] le sol avant l'arrivée des Européens. Les grandes différences que l'on constate de tribu à tribu nous permettent de choisir les faits nécessaires à cet exposé. Mais, pour la première fois, nous allons avoir à étudier dans sa totalité l'ensemble des ressources végétales qu'une terre peut offrir à un peuple à la période du ramassage. En étudiant ce que ramassent les Iroquois et les Menomini, nous aurons un bon terme de transition pour passer à la description plus précise de la nourriture que les Indiens Klamath savent tirer d'une seule et unique espèce végétale. Dans ces vestiges d'une civilisation antique, nous apprendrons à explorer en quelque sorte en surface et en profondeur ce que put être une méthode d'alimentation très primitive.

Parmi les plantes dont les Indiens cultivateurs de grains pratiquent encore le ramassage pour leur nourriture, Parker et Smith signalent quelques plantes qui sont susceptibles de culture ou au moins d'une certaine culture précaire[1]. Je les énumère ici avec les autres, bien que ne traitant pas la question de l'agriculture des Iroquois.

Cette race d'Indiens, (les Iroquois) considère tout ce qui est vert (cuit ou cru) comme bon à la santé, et « bon pour le foie et le sang », et aussi comme un bon médicament curatif des douleurs rhumatismales. Les légumes verts doivent être consommés tendres et

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  1. Parker (Arth. C.), Iroquois uses of Maize, etc., N. Y. Education Dept. Bull. No. 482 (Mus. Bull, 144) Albany, N. Y. 1910. — Les noms des plantes ont été ici reproduits sans changement d'après Parker. Comparez : Handbook of Americ. Indians. U. S. Bur. of Ethnology, Bull. 30, 1907 sur leurs divers modes d'alimentation ; Smith Huron H., Ethnobotany of the Menomini Indians, Bull. Publ. Mus. of Milwaukee, vol. 4., no 1, 1-174. Milwaukee Wis, 1923.


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encore jeunes. On en fait des soupes (décoctions) ou des « plats d'épinards ».

Voici les espèces végétales qui fournissent des légumes : Lathyrus maritimus, Rhus glabra, Oxalis (var. sp.), Asparagus officinalis, Rumex crispus, Brassica sp., Taraxacum officinale, Phytolacca decandra. (Mais, comme le Phytolacca decandra est toxique et officinal, il est probable qu'il s'agit plutôt du Phytolacca octandra, L. ou du Ph. mexicana Sweet.) Asclepias syriaca, Caltha palustris, Chenopodium sp., Arctium Lappa.

Les Iroquois sont fort amateurs de fruits frais et de baies (small fruits). On sèche les uns et les autres, particulièrement les baies. Ils en gardent ainsi des provisions et les préparent de différentes manières. Citons : Pyrus sp., Pyrus coronaria, Crataegus sp., Prunus virginiana, Prunus persica, Prnnus americana, Vitis sp., Asimina triloba, Cydonia vulgaris, Podophyllum peltatum, Rubus sp., R. occidentalis, R. strigosus, R. villosus, R. odoratus, Gaylusacia baccata (huckle berries), Vaccinium macrocarpum, Viburnum Opulus, V. lentago, Morus rubra, Fragaria virginiana, Sambucus canadensis, Ribes sp., Gaultheria procumbens, Mitchella repens, Amelanchier oblongifolia, A. canadensis, Rhus glabra.

Les noix et les autres graines ou semences d'arbres sont pour eux une ressource importante. Les Indiens préparent les noix de plusieurs manières très différentes, ils en font des puddings, etc., ils en extraient aussi l'huile. Ils constituent avec les semences dont les noms suivent des provisions d'hiver importantes : Quercus sp., Fagus grandifolia, Juglans nigra, J. cinerea, Castanea dentata, Carya cordiformis, C. ovata, Corylus americana. Ils consomment aussi la partie souterraine de beaucoup de plantes, mais n'en mangent des quantités importantes que s'il y a disette des autres aliments. A ce point de vue les choses ne se passent plus à présent comme elles se passaient anciennement. Les plantes suivantes sont utilisées sous cette forme : Helianthus tuberosus, consommé cru et cuit. (Parker emploie pour le désigner le mot d'artichaut.) C'est une plante que l'on cultive à présent. Ces populations mangent beaucoup : Apios tuberosa, Allium canadense, A. tricoccum, ainsi que l'ognon et le poireau sauvages, des racines de Scirpus validus, Sagittaria latifolia ; comme asperges, les racines et les pousses d’Asclepias syriaca, les Polygonum biflorum et commutatum, le Solanum tuberosum ; comme soupe, et aussi bouilli et frit, le Symplocarpus, le Cynara Scolymus. Ils cultivent le Cardunculus comme plante nouvellement introduite par les blancs de l'ancien monde. En ce qui concerne les autres substances alimentaires brutes, les


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Iroquois utilisent l'écorce intérieure du pin, particulièrement au printemps, à la montée de la sève, quand elle est imprégnée d'un liquide sucré, et surtout la sève provenant de saignées faites à l'érable. L'érable était pour cette race d'Indiens un arbre sacré. Ils honoraient religieusement aussi le pin, l'orme, le tilleul, la ciguë [Schierling]. Mais l'érable passait pour un don magnifique de la bonté du Très-Haut et chaque printemps, ils allumaient en son honneur des feux rituels, lui adressaient des prières et des chants. La sève (dit l'auteur anglais) a meilleur goût que la meilleure limonade ou la meilleure « Cherry Water », et c'est la meilleure boisson du monde (the wholesomest drink in the world). Parker décrit en détail la façon dont on saigne l'arbre. La sève sert à faire du sucre et du sirop et on ne peut rien imaginer de meilleur à l'estomac ni de plus savoureux. La Zizania bien connue comme plante américaine de ramassage, n'a pas grande importance pour les Iroquois, bien qu'ils n'aient pas perdu le souvenir de celle qu'elle avait autrefois. Ils connaissent également comme nourriture certains champignons et des lichens (la tripe de roche). Chez ces peuples, qui connaissent aussi la culture, nous trouvons en tout 73 plantes sauvages de ramassage, en plus de celles que produisent leurs champs.

Le ramassage, tel que le pratiquent ces populations (qui sont peut-être celles que nous connaissons le mieux à ce point de vue), est pour nous un document de haute importance [Les pratiques de ramassage de ce peuple, peut-être le mieux connu à cet égard, sont pour nous particulièrement instructives]. Il montre aussi combien peu, en plus de 450 ans de contact avec les blancs, le goût du ramassage s'est démodé chez les Iroquois, et cela, dans un domaine territorial fort petit, mis à l'abri des intrusions du dehors. Actuellement c'est un peuple réduit à 4.000 ou 5.000 individus et parqué sur une « réserve » de l'état de New-York. Il est évident que l'Indien s'est approprié beaucoup d'inventions pratiques des blancs, à condition qu'elles ne soient pas en opposition avec ses mœurs ou avec les résultats de sa longue expérience des choses. Souvent il a fait son profit des nouveautés sans perdre beaucoup de temps à les considérer d'abord avec étonnement. Mais, en ce qui concerce l'art de manger, l'Indien avait peu à apprendre. Il peut s'en tenir à son menu. Il sait utiliser chacune des nombreuses espèces végétales qui ont été énumérées pour en préparer plusieurs sortes très différentes de plats, de goût agréablement varié. Par exemple, les pois sauvages et les pois cultivés sont préparés de 6 à 8 manières, les fruits en sève [saftigen = charnus], d'une douzaine de façons et il y en a autant d'autres en ce qui concerne la Zizania, dont nous n'avons pas encore parlé en détail.

Quelques espèces végétales dont les Indiens pratiquent le ra-


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massage figurent au tableau général reporté à la fin du volume bien qu'il n'en ait pas été fait mention spéciale dans le texte. Au total, et en comptant les espèces sauvages ordinaires qui existent aussi dans l'ancien monde, les Indiens de l'Amérique du Nord pratiquent le ramassage d'environ 250 plantes. Il en est un grand nombre que toutes les tribus indiennes connaissent et préparent de la même façon. Cependant, il y a aussi des différences selon les contrées et les races. Ainsi les Menomini connaissent 40 plantes, dont la moitié est constituée par des espèces nommées ci-dessus, mais dont les autres sont nouvelles. Voici brièvement ce qui concerne ces dernières. Autrefois ces populations faisaient une soupe avec un lichen : Sticta glomulifera et le mangeaient aussi avec la viande. Les souches radicales du Sagittaria arifolia Nutt. (Alismacées) avaient les emplois des pommes de terre. Les baies d'une Anacardiacée (Rhus typhina) conservées pour l'hiver et préparées à l'eau bouillante, font des soupes très appréciées. La racine de l’Aralia racemosa L., utilisée comme médicinale, est aussi alimentaire. Les pousses de l’Asclepias incarnata tiennent lieu d'asperges. L'écorce intérieure du Celastrus scandens L. est surtout utilisée en temps de disette. Des traditions expliquent que le premier usage en fut fait sur le conseil des dieux. On fait fermenter à l'abri de l'air les racines de la Dentaria maxima Nutt. (Cruciféres) et on les mange alors comme [des] pommes de terre. Parmi les semences d'arbres qui n'ont pas encore été mentionnées, on compte celles du Fagus grandifolia Ehrh. et du Quercus ellipsoïdales E.J. Hill, qui sont le plus souvent consommées grillées. Les feuilles de l’Hydrophyllum virginianum L. sont recherchées comme légume vert. Signalons ensuite les fruits ou les baies des Rosacées : Amelanchier huronensis Wieg., Prunus pumila L., P. serotina Ehrl., Rubus alleghenniensis Porter., R. idæus aculeatissimus C.A. Mey, R. occidentalis L.

On en garde une partie comme provisions sèches pour l'hiver et on fait de même pour certaines Saxifragées, par exemple le Ribes cynosbathi L. Mentionnons pour finir les jeunes pousses de quelques fougères (Osmundacées), celles de l’Osmunda cinnamomea L. que l'on prépare comme nos asperges.

On pourrait croire que les progrès de l'agriculture ont amené aussi un progrès dans la façon dont les Indiens se nourrissent. Mais les peaux-rouges en ont jugé autrement. Les anciens de la tribu des Menomini affirment au contraire la supériorité de leur nourriture traditionnelle. Ils disent qu'elle a acquis pour eux des propriétés curatives et qu'elle renferme tout ce qui est nécessaire


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pour les conserver en bonne santé. Dans l'Amérique du Nord, où il était facile de récolter à l'état sauvage et en abondance des substances très variées, la nourriture que procure le simple ramassage était donc celle qui convenait le mieux. Mais il est évident qu'on hésiterait à en dire autant en ce qui concerne l'Asie du nord. La liste des plantes médicinales des Indiens devenus agriculteurs montre que, parmi elles, se trouvent beaucoup de plantes qui étaient des espèces alimentaires de ramassage. On constate le même fait pour d'autres contrées, tout à fait généralement. En Europe même, les bouillons d'herbes que prennent au printemps les paysans, moitié pour leur santé, et moitié pour leur agrément, sont faits pour une bonne part avec d'anciennes espèces du ramassage. Au total, les anciens des Menomini croient que leur peuple a les maladies des blancs depuis qu'il a adopté leur nourriture.

II ne peut être question de décrire séparément tous les mets que se préparent les Indiens. Un point est bien acquis, c'est que les blancs font le plus grand éloge de leurs « bouillons » primitifs et ne vantent pas moins d'autres produits de leur art culinaire. En ce qui concerne toutes ces questions de goût, nous aurions d'ailleurs tort de vouloir trop faire état de notre supériorité supposée. La question qui se pose tout d'abord est en effet de savoir si réellement notre sens du goût est, depuis les temps primitifs, un sens qui a beaucoup évolué. Et, s'il se fait pour chaque stade évolutif de l'humanité une adaptation du sens du goût, les innovations en matière culinaire se brisent sur la résistance de cet état d'équilibre quand il s'est une fois établi, et établi peut-être une fois pour toutes. Parmi les trouvailles qu'il a faites, quelles sont celles que le sens du goût a définitivement adoptées ? comment évolue-t-il avec chaque stade successif de la civilisation ? Qu'a-t-il ajouté de nouveau au legs ancien ? Il n'y a certes rien à dire de cette sorte de nouveautés dont la misère ou les nécessités extérieures suggérèrent l'invention, car il n'y fut tenu compte ni de ce qui était bon ni de ce qui pouvait être meilleur. La vérité est que, jusqu'ici, on n'a pas écrit l'histoire du développement de l'art de manger aux périodes successives de l'occupation du sol. Que n'avons-nous du moins quelques analyses chimiques des mets les plus caractéristiques des temps du ramassage et des temps du labourage à la pioche [Encore !] Nous serions fort heureux de pouvoir en faire la comparaison avec les fallacieux résultats auxquels arrive la science moderne, lorsqu'elle prétend constituer artificiellement l'aliment par un mélange dosé d'éléments stimulants, de facteurs d'actions

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spécifiques, même de vitamines, avec, de plus une bonne proportion de comprimés de bluff [samt ihrem in Tabletten gepreßten Schwindel]. Mais nous aurons aussi la curiosité de vouloir savoir comment un de nos Indiens s'arrange pour être en règle avec la valeur de sa ration alimentaire estimée en calories. Un exemple va nous permettre d'apprécier la perfection avec laquelle son ingéniosité arrive au but, la variété des mets qu'elle réussit à préparer à partir d'une seule espèce alimentaire initiale. L'espèce dont il s'agit est la plante que les Indiens nomment Woka [Wokas][1].

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  1. Coville (F. V.), Wokas, a primitive food of the Klamath Indians. Report U. S. Nat. Museum, 1902, 727-739 et 13 pl.


Ramassage chez les Indiens Klamath. Récolte et usages de la Nymphea polysepala

Les Indiens Klamath, chez lesquels Coville a étudié l'emploi de la Woka vivent dans une réserve de l'état d'Orégon. La Woka est une espèce de grand nénuphar (Nymphæa polysepala) à fleurs jaunes. Dans les anciens temps, cette plante fournissait l'essentiel de l'alimentation amylacée des Klamath et elle est encore considérée par eux comme une friandise. Le lac des Klamath et les marais qui l'avoisinent représentent une surface de 10.000 acres. La Nymphæa en question y vit en compagnie d'autres plantes d'eau, par exemple Utricularia, Hippuris, Potamogeton. La récolte se fait toujours d'une pirogue monoxyle, creusée dans un tronc de Pinus ponderosa, ou parfois de Pseudotsuga mucronata. Le matériel servant à la récolte est très simple, des rames et une corbeille plate en osier, ou en branches flexibles d'un autre arbre, ou en Scirpus lacustris. La récolte occupe à peu près six semaines du milieu d'août à la fin de septembre.

On monte les fruits dans la barque où a lieu un premier choix. La maturité des fruits est marquée par leur éclatement irrégulier à la base. C'est alors que l'intérieur du fruit, mou, humide et cependant pulvérulent, se gonfle en un mucilage et que les graines comprimées sont chassées dans l'eau du lac. Les graines que contiennent ces fruits parfaitement mûrs et déhiscents sont plus grosses, plus blanches, plus savoureuses, sans doute aussi plus nourrissantes que celles renfermées dans les fruits encore clos.

Elles sont particulièrement recherchées et triées par les Indiens. Ils les nomment Spok'-was, mais donnent aussi ce nom aux capsules qu'ils recueillent ouvertes avec la masse intérieure gonflée. Les graines mûres ne constituent qu'une petite partie de la récolte totale de Woka. On se demande alors pourquoi les femmes qui font la récolte ne commencent pas par recueillir les capsules ouvertes avec les graines mûres, mais prennent en même temps les autres. La façon dont se fait la récolte en donne l'explication. Le


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gonflement des fruits ouverts et tout à fait mûrs est tellement rapide qu'habituellement les Indiennes n'arrivent à rentrer dans la barque que le dixième des graines (Spokwas) qui y étaient contenues. Si elles ne s'occupaient que de cette catégorie de fruits, leur travail serait fort peu productif. Le produit est meilleur si elles prennent aussi des fruits encore fermés mais déjà mûrs et durs. Ils s'ouvrent peu après et enrichissent la récolte des graines tout à fait mûres. On ne recueille pas avec la main les capsules qu'on trouve en état de déhiscence mucilagineuse. C'est à les prendre que sert la corbeille de vannerie, qu'on manœuvre comme une cuillère. Cette récolte est pour les femmes un dur travail qui prend dix heures par jour et nécessite qu'elles rament à deux ou trois milles de la côte. Par bateau on rentre chaque jour quatre à six boisseaux de fruits durs et un demi-boisseau de graines mûres,

Aussitôt récoltés, les fruits sont enfouis dans des trous ayant en largeur et en profondeur un pied et demi à deux pieds. On remplit ces trous de fruits et on couvre le sommet du tas avec de l'herbe, un sac à grain vide, ou quelque chose d'équivalent. Alors commence une fermentation et les graines sont mises en liberté dans une bouillie mucilagineuse assez liquide, résultat de la transformation du fruit. Ces trous sont disséminés partout aux endroits où les Indiens établissent leurs campements temporaires et on les rencontre à des endroits si inattendus, si négligemment choisis, que les visiteurs, souvent, tombent dedans. Coville pense que tous ceux qui visitent ces Indiens doivent être avertis de l'existence de leurs trous. Dans d'autres occasions, on utilise comme récipients, pour cette fermentation, une vieille barque, des paniers à récolter la Woka, assez grands, un sac à grains, ou une caisse de bois. Il ne faut pas que la profondeur dépasse jamais deux pieds parce que, autrement, la masse fermente trop et s'échauffe.

Lorsque la récolte est finie, c'est-à-dire, selon l'état du temps, après une à cinq semaines, on vide les trous et on charge les Spokwas dans une barque. L'eau en excès s'est perdue dans le sol. La masse a acquis une certaine résistance. On presse l'ensemble dans les mains. Les parties les plus solides arrivent dans une sorte de caisse à fromage. Les graines, n'étant plus soutenues par le mucilage tombent au fond sans flotter. L'eau et le mucilage sont entrainés par-dessus les bords de la boîte. On aide à la séparation en secouant, en retirant l'eau avec une épuisette, en remettant en mouvement le mélange. Enfin on étend pour les faire sécher les graines encore humides et encore un peu chargées de mucilage et de débris de coques. Après ce premier séchage, les graines sont


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ensuite préparées en vue d'une conservation prolongée ou immédiatement grillées pour être mangées.

Les graines qui ne sont pas l'objet d'un choix particulier sont grillées dans une poêle plate et le tégument éclate. On en obtient deux à trois sortes de mets. Il y en a en tout huit ou dix sortes. Et, si on tient compte des différents modes de préparation ou de conservation de ces mets, on peut élever ce nombre d'une douzaine. Chaque plat porte un nom particulier. Les graines sont l'objet de choix multipliés. Il y a celles qui sont mûres, celles qui mettront peu de temps à mûrir, celles qui ne mûriront que plus tard, celles qu'on grille immédiatement, ou celles qui sont à nouveau humectées après le grillage, puis grillées à nouveau et que l'on peut ensuite conserver sans qu'elles s'altèrent, soit à l'état de semences entières soit à l'état de pâte fortement desséchée ou rôtie. Les manipulations qui précèdent la préparation des mets ordinaires ou de ceux que l'on conserve sont le séchage, le grillage, le vannage, le criblage, la séparation des graines mûres et des graines non mûres, de celles qui sont entières et de celles qui sont brisées, l'écrasement sur des pierres plates, la préparation des pâtes, l'expression, et le séchage définitif. Il serait sans objet de dire les noms de tous les mets que l'on prépare ainsi ou de suivre en détail la fabrication, souvent fort compliquée, de tous les plats. On mange aussi les graines vertes préparées comme il convient, mais surtout au temps de la récolte ou peu après. Les Indiens Klamath distinguent cinq degrés de maturité des graines, et à ces degrés correspondent diverses catégories de mets.

Les « Wokas » grillées fraîches et très légèrement brunies sont un mets excellent, particulièrement avec un peu de sel ou avec de la crème. Il est bien probable que, peu à peu, les Wokas se feront apprécier chez les blancs comme mets de printemps. Les Indiens en cèdent de petites quantités pour 10 à 20 cents. La façon dont on les récolte est fort peu perfectionnée. De faibles améliorations et l'emploi de machines permettraient d'abaisser le prix du boisseau (59 livres) à 10 cents tout au plus. Nous retrouvons chez ces Indiens l'insouciance qu'apportent à faire leurs récoltes beaucoup d'autres primitifs. Quelques jeunes femmes indiennes se risquent à utiliser un petit moulin à café pour moudre les Wokas. Mais, à part cela, la mouture ne se fait guère qu'avec les pierres plates et les écrasoirs de pierre [die flache Steinmühle mit dem Reibstein-Zermalmer = la meule plate et la molette].