1-4 Ramassage chez les primitifs (Maurizio)
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Sommaire
- 1 Statistique des espèces de ramassage. Méthode suivie pour l'établir
- 2 Le ramassage chez les peuples polaires. Végétation autour des huttes. Choix des aliments
- 3 Conserves acides (choucroutes) des peuples polaires. Lichens. Mousses. Racines
- 4 Le ramassage dans les contrées limitrophes des régions polaires. Bulbes. Racines. Écorces
- 5 Sèves sucrées
- 6 Le ramassage en Islande
- 7 Le ramassage en Asie. Récoltes de graminées
Statistique des espèces de ramassage. Méthode suivie pour l'établir
Nous avons, dans le chapitre précédent, formulé des remarques générales sur le ramassage des substances alimentaires naturellement produites et sur la chasse. Nous allons maintenant étudier en détail la façon dont se fait le ramassage des végétaux.
Le ramassage nous ramène aux origines de toute civilisation. C'est là un point de vue qui domine toutes mes recherches. Ceci étant posé comme point de départ, j'ai ensuite cherché à préciser la relation qui existe entre les étapes successives de l'aménagement du sol et les transformations de l'alimentation. Je commence par
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les remarques suivantes : Les travaux[1] que j'ai publiés à partir de l'année 1909 sur l'histoire de la nourriture avaient principalement pour objet l'alimentation par les céréales. Il en résultait qu'à chaque étape de l'aménagement du sol correspond une forme déterminée de la nourriture. Mes études s'étaient étendues au cours de ces publications, à l'alimentation végétale de l'homme en général. Entre autres choses, j'avais cherché à savoir quelles plantes nourrissaient l'homme ou pouvaient nourrir l'homme primitivement et avant toute culture. J'avais fait état seulement de la flore des zones tempérées septentrionales, car la zone tropicale, bien plus riche en espèces, offre incomparablement plus de plantes sauvages ayant une valeur alimentaire que nos latitudes. Citons à cet égard le témoignage de Schweinfurth, (ci-après ch. VI). On trouvera donc exposée dans les pages qui vont suivre ma façon de comprendre la question des plantes accessibles à l'alimentation de l'homme, avant toute culture, par simple ramassage. D'inévitables lacunes résultent des aspects divers de la question et, en un certain sens, du caractère largement compréhensif de l'exposé. Le lecteur doit d'abord être informé de ce que j'ai essayé de faire.
La méthode comparative que j'avais appliquée avec succès pour faire l'histoire de l'alimentation par les céréales me montra que les espèces sauvages susceptibles d'être récoltées sont bien plus nombreuses qu'on ne le soupçonne communément (j'en avais à cette époque identifié plus de sept cents). Je donne dans ce livre le résultat d'un étude étendue des sources écrites, d'enquêtes multiples et de mon observation personnelle. La méthode que j'ai appliquée. pour arriver à établir la liste des plantes alimentaires sauvages a consisté à utiliser les sources d'information suivantes :
1° Alimentation végétale des peuples sauvages ; 2° Survivances de cette alimentation actuellement constatables chez nous ; 3° Survivances du même ordre révélées par la préhistoire ; 4° Plantes alimentaires utilisées en temps de famine.
Sur ces divers points je fais les remarques suivantes :
1° Sur ce point la première chose à faire est d'établir la liste des plantes sauvages dont les primitifs actuels pratiquent le ramassage, car ce sont évidemment celles qui servaient généralement d'aliment déjà aux temps préhistoriques. Les renseignements que nous possédons à cet égard sont très incomplets, parce que peu de voyageurs portent leur attention sur ce sujet. Les données qu'ils nous transmettent sont, en outre, souvent vagues
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- ↑ Voir mon résumé : Ber. d. Dtsche. Botan. Ges., Bd,44, 1926, 168-174.
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ou inexactes et ne nous permettent pas de savoir exactement de quelles plantes il s'agit.
2° Egalement importantes à connaître sont les survivances, chez les civilisés, d'usages anciens. L'est de l'Europe apporte à cet égard beaucoup d'exemples instructifs. Mais, dans d'autres contrées aussi, le peuple recueille pour s'en nourrir des plantes sauvages ou les fait fermenter pour ses bestiaux. Il est important de noter ce que les enfants récoltent dans les champs, etc. Ce sont les survivances de ces usages anciens qui constituent la masse de renseignements la plus considérable.
3° Parmi les débris végétaux provenant des stations préhistoriques, à partir de l'époque néolithique, il y a de nombreux échantillons de graines et de fruits qui étaient récoltés à l'état sauvage. E. Neuweiler, le spécialiste bien connu, et si documenté, de la flore préhistorique, fait remarquer, pour plusieurs des plantes trouvées par lui, qu'elles étaient récoltées pour servir d'aliment. La comparaison avec les renseignements classés sous les numéros 1, 2 et 4 me semble établir qu'on peut expliquer de la même manière la présence d'autres restes végétaux déterminés aussi par Neuweiler. Mais il suffit, pour le moment, que beaucoup de plantes des stations préhistoriques appartiennent à la civilisation du ramassage. J'ai insisté précédemment sur l'importance, pour l'histoire de l'alimentation, des plantes utilisées en temps de famine. Certainement certaines des plantes qu'utilisaient les lacustres, malgré leur haut degré de civilisation agricole furent des aliments de nécessité[1].
4° Enfin les végétaux utilisés en cas de nécessité, les « briseurs de famine » sont une autre source de renseignements. L'homme, en pareil cas, revient à une nourriture délaissée depuis longtemps, il recule vers d'anciens états de sa civilisation. Beaucoup des substances utilisées comme « Ersatz » pendant la dernière guerre ont cette signification de « trésors végétaux négligés et richesses culinaires inexploitées ».
On aurait donc un tableau complet des espèces utilisables pour le ramassage, et on aurait en même temps un contrôle des moyens ayant servi à établir ce relevé, si les mêmes plantes figuraient dans les quatre listes établies selon les quatre points de vue qui viennent d'être énumérés, pour une région botanique déterminée. Mais c'est là un idéal irréalisable. Une si parfaite coïncidence ne pourra jamais être obtenue, ainsi que je l'ai montré dès 1916,
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- ↑ Neuweiler (E.), Vierteljahrss. Natf. Ges. Zürich. Jg., 50, 1905 ; 55, 1910 ; 64, 1919 ; 70, 1925 ; et Mitt., Antiquar. Ges. i. Zürich, Bd., 29. H. 4, 1924.
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dans l'étude bien plus facile d'une courte période de l'histoire récente de l'alimentation, pour un temps où le nombre des plantes alimentaires était déjà bien moindre qu'à l'époque préhistorique. Or, il s'agit maintenant de régions beaucoup plus étendues, distantes les unes des autres, créant beaucoup plus de difficultés à notre étude. Ce que j'apporte ici est un premier essai de relevé des plantes sauvages alimentaires les plus importantes des âges anciens du ramassage dans la zone tempérée septentrionale. Mais, pour des raisons d'interdépendance on a mentionné aussi les contrées polaires.
Le ramassage chez les peuples polaires. Végétation autour des huttes. Choix des aliments
LES POPULATIONS POLAIRES. — Ces populations n'ont à leur disposition qu'une végétation très pauvre. Les plantes vasculaires qui atteignent ou dépassent le 80e degré de latitude nord sont au nombre de 112 seulement, appartenant à 20 familles. Dans ce nombre existent seulement quelques buissons nains qui forment des bruyères [des landes]. Appartiennent à ces plantes 9 espèces d'Ericacées, et, parmi les autres familles 1 ou 2 espèces des genres Juniperus (genévrier), Betula (bouleau), Salix (saule), Empetrum, Dryas, Diapensia et Linnæa[1]. Rikli a depuis des années étudié ce domaine et collationné, outre les publications anciennes, les récentes, en particulier C. H. Ostenfeld. Les savants danois ont étudié sous tous ses aspects le Groenland, dans les 50 volumes et plus de la revue Meddelelser on Grönland. Nous sommes donc très bien renseignés sur la flore polaire.
On peut définir ainsi l'alimentation végétale des populations polaires : un régime de famine permanent et systématique, pratiqué par une société organisée, en grande partie fondée sur ce régime de famine, comparable seulement à l'alimentation de nécessité la plus dégradante qu'aient connues dans nos climats les pires années de disette[2]. Si étrange que cette nourriture puisse nous sembler, un fait est certain : elle ne fait illusion à aucun estomac humain. Si inférieurs à nous que soient les peuples qui en usent, ils nous ressemblent cependant par une inextinguible aspiration au pain et à la soupe. Les Tschuktsches qui prirent contact avec
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- ↑ Comparez l'attrayante description de la flore arctique par Rikli (M.), Vierteljahrsschr. Natf. Ges., Zurich, 46, 1901, 300 ; 61, 1916, 231 ; 62, 1917, 169 et Festschr. f. C. Schröter, Zurich, 1925, 96. L'auteur s'occupe en détail de la composition de la flore et des formations végétales et les compare d'un point de vue personnel avec celles des hautes régions alpines.
- ↑ Sur l'alimentation des populations polaires: Schübeler, (J. C.), Die Kulturpflanzen Norwegens, Christiania, 1862, 42 ff. ; Kjellman (F. R.), dans Wissenschaftl. Ergebnissen der Vega-Expedition herausg. von [publié par] A. E. Frhr. von Nordenskiöld, Leipzig, 1883, Bd, 1, 190 ; Rittich (A. F.), Peterm. Mitt. 1878. Ergänz-H. Nr., 54, 18.
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les voyageurs ne firent pas grand cas des viandes, mais, au contraire, apprécièrent beaucoup, avec la soupe aux pois et le bouillon de bœuf, la bouillie de semoule et particulièrement le pain, qu'ils tinrent pour une grande friandise (Kjellman). « Pour un morceau de pain, ils donnèrent, non seulement beaucoup de leurs outils précieux ou de leurs objets mobiliers, mais aussi du poisson jusqu'à dix fois la valeur alimentaire du pain et son quantum [sa quantité]. Kjellman conteste catégoriquement toutes les relations anciennes contredisant ce fait. Les Tschuktsches font pour l'hiver de considérables réserves d'aliments végétaux. En cela, ils se distinguent nettement d'autres populations polaires. Ils sont pour ainsi dire cultivateurs malgré eux. Autour de la tente des Tschuktsches se développent presque toujours des plantes en touffes épaisses. Parmi elles plusieurs sont accidentelles et s'établissent là seulement à la faveur des amas de détritus qui constituent une sorte d'engrais. Mais d'autres doivent leur installation aux Tschuktsches eux-mêmes. Elles ont été récoltées au loin et sont arrivées séparément dans les détritus. Une Cineraria mérite une mention spéciale. Elle ne se rencontre jamais ailleurs qu'au voisinage des tentes où elle apporte chaque année sa contribution à l'alimentation des Tschuktsches. Le misérable revêtement végétal n'est jamais consommé au hasard. L'analyse chimique de la récolte conduirait à d'importantes données sur le sens dans lequel est conduite l'alimentation. On ne voit pas clairement pourquoi les jeunes pousses d'une plante sont préférées par les Tschuktsches alors qu'ils dédaignent celles d'une autre plante, en apparence aussi nutritive. Le choix ne se porte pas toujours sur la plante la plus abondante, comme le montrent les exemples suivants. Une espèce de saule très répandue (Salix boganidensis Trautv.) est récoltée en abondance, alors que d'autres plantes non moins communes et aussi faciles à recueillir sont négligées, par exemple, d'autres espèces de saules, Alpendryas [Alpendryade = des Dryas alpins] et un Cochlearia. Au contraire, les Tschuktsches recherchent avidement le rare Polygonum viviparum à cause de son axe radical. Aussi le cueille-t-on avant les premières feuilles, immédiatement après la fonte des neiges, ce qui n'est certes pas un travail facile, car la plante est clairsemée et sa découverte comme son extraction du sol donnent du mal. Un fait curieux est que les diverses populations polaires sont amenées par leur expérience et leurs goûts à se conduire d'une façon remarquablement uniforme. Comme preuve citons ce qu'en rapporte Kjellman :
Feuilles de saules (Tschuktsches et Esquimaux américains). —
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Rhodiola rosea et jeunes pousses florifères de l'année du Pedicularis hirsuta (Tschuktsches et Esquimaux du Groenland). — Les mêmes parties du Pedicularis sudetica (seulement Tschuktsches). — Cineraria palustris et racines de divers Oxytropis (Tschuktsches et les Samoyèdes). — Angelica Archangelica (Tschuktsches, Lapons et Esquimaux du Groenland, comme friandise). — Contenu de l'estomac du renne, Oxyria digyna et grandes algues marines (Tschuktsches, Esquimaux).
Kjellman connaît 23 plantes alimentaires des Tschuktsches. Parmi ces plantes, qui étaient les plus en faveur à l'endroit où il a séjourné, et qui sont ignorées ou non utilisées chez d'autres peuples polaires, figurent, en plus de celles qui viennent d'être citées, les suivantes : Cineraria f. congesta Hook., Petasites frigidus L., Pedicularis lanata Willd., Claytonia acutifolia Willd., Polygonum frigidum Cham. La plus grande partie de l'aliment végétal est constituée par des rameaux de l'année qui, abstraction faite de deux à trois sortes de racines conservées sèches, constituent la provision de substances alimentaires végétales de l'hiver. Les Tschuktsches n'emploient ni fruits secs ni graines sèches. Ainsi la Claytonia acutifolia Willd. est, au témoignage de Kjellman, une des plantes les plus connues et les plus utilisées par ce peuple. Ils en mangent les racines et les grosses tiges, tantôt à l'état naturel, tantôt bouillies pour faire une soupe. De grandes quantités de cette plante sont récoltées au printemps et pendant la floraison (on en trouva chez un habitant plus d'une tonne) et conservées fraîches pendant tout l'hiver et jusqu'au printemps. Déjà de très bonne heure, au printemps, lorsqu'il y avait encore de la neige presque partout, les Tschuktsches partirent à la recherche du Polygonum viviparum. Son rhizome a un agreable goût d'amande. Il remplace en particulier, pour les femmes, nos amandes, nos noix et nos raisins secs. Pendant qu'elles travaillent, elles ont sur le plancher un récipient où, de temps à autre, elles puisent des morceaux qu'elles mangent avec un visible plaisir. On déduit facilement d'observations de Kjellman qu'on ne peut dénier à ce peuple des qualités de choix, de préférence et de discrimination. Il ne consomme pas indifféremment n'importe quelle partie végétale nourrissante. Mais, dans le climat ingrat où il vit, il est obligé de se tirer d'affaire sur un sol n'ayant qu'un revêtement végétal misérable, sans graines graminéennes ni moyen de les sécher. La conservation à l'état acide est le seul moyen qui lui reste pour constituer des provisions de jeunes parties végétales.
Le menu du Groenlandais est le mieux connu. Il n'y a pas
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d'heures déterminées pour les repas. Il mange quand il a faim, à condition qu'il y ait quelque chose à manger. Ainsi les chasseurs de phoques restent souvent un jour entier sans rien prendre. Ils peuvent jeûner fort longtemps et, un autre jour, engloutir d'énormes quantités d'aliments, viande, lard, poisson, etc. La viande et le poisson sont consommés tantôt à l'état cru (?) ou gelés, tantôt bouillis ou séchés. Le lard de phoque ou de baleine est de préférence consommé cru. Il passe pour avoir très bon goût. Le goût accessoire d'huile de foie de morue n'apparaît que quand la graisse a été fondue. C'est pour cela qu'elle a mauvais goût. Il existe divers mélanges d'aliments végétaux et animaux, par exemple, une compote d'angélique et d'huile de baleine. On la prépare comme suit (Nansen citant Saabye) : Une femme mâche du gras de baleine, crache le jus sur la tige et continue ainsi jusqu'à ce qu'elle ait obtenu une quantité du produit à son avis suffisante. Les tiges restent ainsi à confire un certain temps. On les extrait alors de la sauce et on les mange comme dessert avec appétit. Nansen signale aussi comme plantes alimentaires, en plus de l'angélique, le pissenlit, l'oseille, l’Empetrum nigrum et diverses algues[1]. Une spécialité du nord est constituée par l'estomac de renne, qui est très recherché. C'est en effet une denrée de premier choix, que le renne, en gourmet, se constitue à lui-même avec les herbes et les mousses les plus savoureuses qu'il peut trouver. Tout cela se transforme en une sorte de légume, cuit à l'étuvée dans l'estomac, et assaisonné d'un suc gastrique extraordinairement piquant. D'après Nansen, ce contenu gastrique n'est pas dégoûtant « bien qu'il soit aussi acide que du vieux lait caillé ».
Beaucoup de voyageurs parlent avec une certaine ironie du menu des peuples polaires. La vérité est seulement que ces populations apprécient toutes les plantes qui ont du goût, bien que, aussi, dans certaines contrées et en certaines circonstances, ils soient contraints de manger seulement du poisson ou de la viande. Ce qu'ils mangent varie constamment, comme c'est le cas partout. Ainsi une ancienne description du Groenland relate que les fruits sont le seul aliment végétal qui soit, en ce pays, récolté en grande quantité et consommé abondamment, particulièrement les fruits de l’Empetrum nigrum et du Vaccinium uliginosum. Mais on cite en même temps beaucoup des plantes de Kjellman et de Schübeler, entre autres : Sedum, Rhodiola, Pedicularis hirsuta, Epilobium, une sorte d'oseille, un Cochlearia, l'Angélique. Les fruits
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- ↑ Nansen, Fridjof, Eskimoleben, Leipzig u. Berlin, 1903, 76.
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d’Empetrum, sont dit-on, conservés sous la neige[1]. Or, suivant d'autres voyageurs, il n'est fait aucun usage important des fruits. Les échanges et le commerce s'étendent jusque dans le nord. Il en résulte un changement des mœurs et la cuisine des habitants se diversifie. Chez quelques peuples, la récolte des produits naturels n'est en usage qu'en temps de misère. Dès 1878, Rittich a signalé les changements survenus dans le régime alimentaire. Il a constaté l'usage de la farine et du millet, et même, chez les riches, l'usage du pain. On trouve des remarques du même genre chez Sieroszewski et Krzywicki[2].
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- ↑ Rink (H.), Peterm. Mitt., 1855, 60-62 ; Drude (O.), Atlas d. Pflanzen-verbreitung (Berghaus. Physikal. Atlas), Gotha, 1888.
- ↑ Rittich (A. F.), Peterm. Mitt., 1878. Ergänz-H. Nr, 54, 18 ; Sieroszewki (W.), 12 lat wsród Jakutów (douze ans chez les Yakoutes, en polonais), Varsovie, 1900, 120, 155 et 414 ; Krzywicki (L.), Ustroje Spoleczno-gospodarcze, etc. (Gesellschaftl. -wirtschaftl. Gebilde, en polonais) Varsovie, 1914, 139, et suivantes.
Conserves acides (choucroutes) des peuples polaires. Lichens. Mousses. Racines
Les choucroutes (conserves végétales acides) des peuples polaires.
Kjellman connaît chez les Tschuktsches les sortes suivantes de conserves acides. Le « Roraut » est formé uniquement de pousses de l'année fleuries de Pedicularis sudetica. Il est de couleur noire, de goût et de parfum agréablement acide. Le« Jungaut » est d'un vert sombre et il y a dans cette conserve, outre la plante précédente, de très petites quantités d’Halianthus peploïdes, avec d'autres additions sans importance. On nomme « Ankaot » une conserve de jeunes pousses de l'année, fleuries, d’Halianthus peploïdes, avec de notables quantités de Salix boganidensis. On y trouva beaucoup de sable fin, montrant que l'on ne prend pas beaucoup de soin en faisant la récolte. Le nom de « Guit-guit » s'applique à plusieurs sortes des conserves parmi lesquelles trois doivent être mentionnées : 1° celle qui est faite principalement de tiges feuillées de Salix boganidensis ; 2° celle qui renferme surtout des feuilles de Petasites frigidus, mais aussi de grandes quantités de feuilles de Saxifraga punctata, des tiges feuillées de l'année de Salix boganidensis, des pousses fleuries ou feuillées de Cineraria palustris et d’Oxyria digyna ; 3° celle renfermant les parties épigées du Polygonum polymorphum. Une partie de cette alimentation végétale est consommée par les Tschuktsches à l'état cru et alors, comme le Polygonum viviparum et l’Hedysarum obscurum, sans aucune addition, ou bien est consommée comme choucroute avec du gras de phoque en cubes. Une autre partie est consommée sous forme de soupe à la viande avec du
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poisson, de la viande de phoque ou de renne, et de l'eau, ou bien avec du sang et de l'eau, et, quelquefois, en soupe au sang, avec le lard dont il a été question. Les choucroutes (conserves acides de plantes) sont donc fort en usage dans le nord.
Jusqu'aux ouvrages de Kjellman et de Schübeler on avait accordé à cet usage peu d'attention. Ces auteurs signalèrent les conserves acides d’Oxyria reniformis (à peu près [wohl = probablement] O. digyna) que les Lapons de la Norwège septentrionale préparent par tonnes. Ils commencent par faire bouillir ces feuilles, les laissent alors fermenter et en remplissent des estomacs de renne. Ces estomacs sont alors conservés congelés. Pour l'usage, on fait dégeler le contenu de l'estomac et on le mange avec du lait, ou bien on en fait des flans (galettes) en le mélangeant de farine, dans le genre du « Fladbröd » des Norwégiens.
Ainsi donc, si pauvre que soit le régime alimentaire des peuples du Nord, nous y trouvons cependant déjà réalisées deux inventions très importantes, la conserve par fermentation acide et la soupe (décoction). Tout le nord et tout l'est de l'Europe est resté fidèlement attaché à la première de ces méthodes. La seconde est commune à toute la civilisation européenne.
Le seul végétal largement répandu et utilisé dont nous n'ayons pas parlé dans ce qui précède est le lichen d'Islande : Cetraria islandica. Linné et les voyageurs du XVIIIe siècle comme Pallas, Olafsen, von Middendorf et d'autres connaissent bien l'utilisation alimentaire des lichens dans le Nord, où ils restent comme ressource en temps de misère. Schübeler affirme même que 2 tonnes de ce lichen équivalent pour ces populations à une tonne de farine. Vers cette époque, Egg. Olafsen dit que le lichen d'Islande (fiälgräs des Islandais) est payé en Islande un thaler la tonne, mondé et séché. Il connaît aussi d'autres lichens comestibles : Lichen islandicus, Lichen lichenoïdes, L. Coraloïdes, L. nivens, L. leprosus ; simples variétés distinguées par les Islandais dans le Cetraria islandica de Linné. Les peuples du Nord savent sécher le lichen, le faire surir et l'utiliser soit seul, soit associé à d'autres substances[1]. La plante fut analysée chimiquement d'abord par Proust (1806), puis par Berzelius (1813). Pendant la guerre de 1914, on en a de nouveau préconisé l'emploi dans l'alimentation, comme il arrive invariablement en temps de famine[2]. Les Indiens de
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- ↑ Voir descriptions [récits de voyage] de l'époque d'Olafsen et Povelsen dans Beckmann (Joh.), Physikal. Ökonom. Biblioth., t. 6, 1775, partie 1, 34 et 134 ainsi que partie 2, 495. Comme autres sources : Roscher (W.), National-ökonomik des Ackerbaus, 12. Aufl., Stuttgart, 1888, 19.
- ↑ Proust, Journal de Phys. de ch. et d'histoire naturelle, 1806, 63e vol., p. 81 et suiv. ; Jacobj (C. D.), D. Flechten Dtschls. u. Österr. als Nähr- u. Futterpflzn, Tübingen, 1919 ; Tobler (F.), Naturwissenschaften, 1915 Jg. 3. Ces deux ouvrages avec abondante bibliographie.
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l'Amérique du nord mangent beaucoup de plantes appartenant au régime alimentaire des peuples polaires, avec leur riz sauvage particulier (Zizania), divers Polygonum, des Rumex, ainsi que des lichens, que les voyageurs nomment tripe de roche. Il ne peut s'agir ici que de la Cetraria : la Cladonia rangiferina, seul lichen qui soit, comme la Cetraria, généralement répandu, n'est pas comestible. Franklin et ses compagnons de voyage durent à ce lichen de ne pas mourir de faim. Il fut pendant des semaines leur seule nourriture. Faisons remarquer en passant que Sturtevant appelle « tripe de roche » le Gyrophora cylindrica Ach. Je reviendrai sur les lichens à propos de la nourriture utilisable en temps de famine.
On ne sait pas de façon certaine si les Sphagnacées utilisées en temps de famine (Sphagnum cuspidatum, S. palustre et autres) servent aussi d'aliment aux peuples du Nord (Sell, Rosenthal).
Le ramassage dans les contrées limitrophes des régions polaires. Bulbes. Racines. Écorces
Nous étudierons maintenant le ramassage dans des contrées limitrophes des régions polaires, mais situées (en Asie et en Amérique), sous un climat déjà moins froid et offrant aux ramasseurs une série d'espèces bien plus nombreuse. Signalons d'ahord les Liliacées. On cite pour la Sibérie et l'Alaska les bulbes de Fritillaria kamtschatcensis L. et d’Allium angulosum L., que l'on nomme sur l'Iénisséi inférieur mischeitschesnok ou « petit ail » (on le recueille et on le sale de toute antiquité comme provisions d'hiver) enfin ceux du Lilium pommonium L., que les Tatares nomment askschep et qui est aussi récolté et conservé dans le Kamtschatka et le nord de la Chine. Sieroszewski signale pour la Sibérie du nord Lilium spectabile et Lilium Martagon. Les oignons, bulbes ou racines des Liliacées sont aussi d'une grande importance dans l'Amérique du nord, par exemple Camassia esculenta Lindl., appelée kamasch ou quamosch, que Sturtevant désigne comme étant l'aliment principal des Indiens du Nord-Ouest jusqu'à l'ile de Vancouver. La racine charnue sent bon et a bon goût, on la mange grillée ou bouillie. Le décocté épaissi, riche en sucre, est un aliment des jours de fête. Sturtevant et Parker énumèrent une douzaine de ces plantes bulbeuses, dont quelques unes sont mangées aussi dans l'Asie du nord : Lilium auratum Lindl., L. superbum L., Allium canadense L., A. cernuum Roth., A. odorum L., A. reticulatum Fraas, A. rubellum Bieb., A. senescens L., A. sphaerocephalum L., A. stellatum Fraas, et nos espèces bien connues : A. vineale L. et A. ursinum L.
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Nous avons à signaler ici pour la première fois, l'emploi, dans toutes les parties du monde de l'écorce des arbres (c'est-à-dire de la couche cambiale) : Salix, Betula, Picea excelsa L. Les habitants du Kamtschatka, du Groenland et de la Mongolie du nord recueillent, entre autres, des feuilles, bourgeons et fleurs d’Epilobium, de Rumex, de Potentilla Anserina L., et d'un Cochlearia. Ont une certaine importance pour le Groenland et le Kamptschatka : les fruits du Rubus arcticus L., du R. chamæmorus L., du Vaccinium uliginosum L., du V. Myrtillus L., de l’Empetrum nigrum et du Lonicera cœrulea L. Plus au sud s'y associent les « noix Zirbel » [Zirbelnüsse = pignons], fruits du Pinus Cembra L. de Sibérie.
Les peuples nommés Yakoutes, Toungouses, Youkahires, Tschouktsches et autres occupent en Asie orientale des terres immenses. Plusieurs d'entre eux vivent principalement du ramassage des aliments « sauvages ». Il existe de peuple à peuple de remarquables différences sur lesquelles je ne peux beaucoup insister. Les Tschouktsches, et d'autres, n'ont pas le goût des fruits et préfèrent autre chose. Quelques-uns les mangent avec les tiges et la souche (Pedicularis sudetica, Polygonum polymorphum), mais, ce qui domine, c'est l'emploi des racines et des souches radicales. La vie de ces peuples est organisée avec une extrême simplicité. Ainsi, les Yakoutes ne connaissent pas le tour du potier. Ce peuple fouille la terre pour avoir des racines, mange l'écorce interne des arbres, particulièrement du pin (Pinus sylvestris), mange l'oseille, et diverses sortes d'ail sauvage et d'oignon sauvage. Il fait une bouillie cuite avec les graines du Plantago media. L'oseille, l'ail et l'oignon sauvages, les raves sauvages, le Cochlearia sisymbroïdes Dec. var. Czekanowski Trautv, la Potentilla Anserina et d'autres fournissent des feuilles potagères. Les noms et le mode de préparation de ces plantes montrent (d'après Sieroszewski) que, les Yakoutes apprirent à les connaître des Russes. Au contraire, ils auraient rapporté de leurs migrations vers le Sud la connaissance et l'usage des bulbes et des racines, car on les y aime autant que le font les Yakoutes et on les extrait aussi des greniers souterrains des rats, mulots ou hamsters. Les cinq plantes les plus importantes dans cette région (d'ailleurs connues aussi chez nous), ont des noms touraniens. Ce sont Butomus umbellatus, Sanguisorba officinalis, Typha latifolia et deux plantes déjà citées : Lilium Martagon et L. spectabile. Les formations radicales [Wurzelgebilde = les parties racinaires] sont séchées et moulues, puis utilisées pour faire, en place de farine, un aliment nommé « butugas ». Les Yakoutes mangent presque toutes les baies qu'on trouve dans les forêts, à l'exception des framboises
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qu'ils évitent et craignent « parce que les framboisiers poussent sur les tombeaux ». En première ligne viennent, pour l'abondance, les myrtilles (Vaccinium Myrtillus) et les fruits de l’Arctostaphylos Uva ursi. Mais les plus appréciés sont les fruits du fraisier (Fragaria) et du Rubus arcticus. Cependant les Yakoutes n'accordent pas aux baies une valeur alimentaire prépondérante. Ils se moquent des Toungouses en les appelant mangeurs de baies de forêts et de baies de mousse (Oxycoccus quadripetala Gib.).
L'art culinaire primitif des peuples du Nord se modifie peu à peu sous l'influence de la civilisation. Les besoins, les goûts et le caractère des populations se modifient. Sieroszewski insiste souvent sur le fait que l'alimentation du peuple varie comme son caractère, ce qui doit évidemment s'entendre de Yakoutes ayant divers degrés de civilisation. La différence est particulièrement marquée entre les localités où on pratique la culture et les localités où on vit « de l'écorce des pins ». Le fait que, vraisemblablement, les Yakoutes sont passés de la consommation de la viande à une nourriture végétale n'ébranle pas cette constatation. Dans leur migration vers le nord, les Yakoutes, abandonnant leurs troupeaux, cessèrent d'être de hardis et mobiles pillards, pasteurs de chevaux, pour devenir en partie de lourds et anémiques végétariens, adonnés au ramassage des produits naturels, racines ou écorces. Avec les progrès de la civilisation, ils redevinrent enfin de prudents et soigneux producteurs de céréales. Ce changement de nourriture, effectué rapidement en 30 à 40 ans, n'aurait pas été supporté par l'estomac des Yakoutes, s'il n'y avait pas été préparé par l'alimentation végétale : herbes, racines, farine d'écorces.
Sèves sucrées
Ici peuvent être signalées quelques plantes qui croissent aussi dans des climats plus doux, et qui ne sont pas connues comme plantes alimentaires chez les peuples dont il vient d'être question. Même sans aucun renseignement sur leur compte, on peut admettre cependant qu'elles ne sauraient rester étrangères à ces populations. Je fais allusion à certaines plantes dont la sève contient du sucre ou dont on peut extraire de l'amidon. Je ne sais pas exactement jusqu'où elles s'avancent vers le nord.
Ces plantes sont Acer Negundo L., A. saccharinum Wangh., A. dasycarpum Ehrh., toutes plantes aimant déjà la chaleur, et le bouleau, moins frileux, Betula alba L. Il faut citer encore la fougère grand aigle : Pteris aquilina Kühn. Au printemps, les Japonais récoltent les jeunes frondes de cette fougère et les emploient fraîches ou sèches comme légume. En automne, ils sortent du sol la souche radicale et en extraient l'amidon par lavage. C'est
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dans les montagnes un élément important de l'alimentation. Saus doute on en faisait autant aux époques primitives du ramassage. Mon collègue B. Hryniewiecki a mangé dans le Caucase, pendant la guerre, les souches radicales de la fougère, comme légume.
Les plantes énumérées jusqu'ici sont la nourriture végétale unique des peuples pratiquant le ramassage des produits naturels, la base de leur existence, toutes substances ne pouvant servir que cuites en soupes (à l'eau bouillante) ou réduites en bouillie, ne convenant que par exception à la préparation de flans (galettes) [Fladen]. Çà et là seulement se rencontrent des substances propres à faire des flans. Elles existent au contraire sous des latitudes plus douces.
Le ramassage en Islande
LE RAMASSAGE EN ISLANDE. — Sous ces latitudes, l'importance des nourritures aqueuses s'affirme encore très dominante. Cependant on voit se multiplier aussi les produits végétaux qui, séchés, peuvent être pilés. A ce climat plus doux appartiennent l'Islande, l'Asie orientale, la Californie du nord et d'autres contrées. Olafsen a énuméré les plantes alimentaires suivantes en ce qui concerne l'Islande : Rumex acetosa, R. digyna, R. Patientia, Polygonum bistorta, Trifolium pratense flore albo, Potentilla argentea, Plantago maritima L. foliis linearibus, P. angustifolia, Cochlearia, Sisymbrium L., Epilobium tetragonum, Angelica archangelica, Taraxacum, Carex, Pinguicula L., Arundo arenaria, A. foliorum lateribus convolutis.
Toutes ces plantes ont des noms vulgaires, ainsi que les champignons indigènes de l'Islande, qu'Olafsen signale : Agaricus caulescens pileo albo, A. supra plano, A. subconvexo et une autre variété innommée[1]. Les Islandais passaient au moulin les graines de Polygonum bistorta (nom vulgaire Kornsyra) ainsi que les grains de deux céréales sauvages Arundo arenaria et A. foliorum lateribus convolutis. Malgré leur culture germanique très ancienne, les Islandais, au XVIIIe siècle, se nourrissaient uniquement de soupes (décoctions), bouillies et purées [Aufguß, Brei und Grütze], et ressemblaient en cela à beaucoup de primitifs. Ils pratiquaient et cultivaient aussi quelques unes des plantea citées (Angelica et céréales), ils connaissaient aussi le lait de vache. Cependant la récolte des produits spontanés assurait et assure encore une partie de leur alimentation.
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- ↑ Autres renseignements sur l'alimentation des Islandais : Uno von Troil. : lettres relatives à un voyage en Islande en 1772. Upsala et Leipzig, 1779, avec des extraits du livre d'Olafsen de 1752. - Voir aussi Schübeler loc. cit. et Beckman loc. cit.
Le ramassage en Asie. Récoltes de graminées
Quelques peuples de l'Asie sont dans le même cas. Si
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misérable que soit la vie des habitants de Ku-ku-nor et Zaidam, contrées explorées par Przewalski, nous trouvons cependant chez eux un degré d'évolution plus élevé de l'alimentation. Les graminées commencent alors à être d'un certain rapport pour l'homme. Przewalski signale aussi les baies des Zygophyllacées (Nitraria Schoberi ou « Charmyk »). L'arbuste atteint 1 m. 50 à 2 m. 10. Il fleurit le plus souvent en mai. Les fruits mûrissent en août et septembre. Ils tombent seulement à la floraison suivante. Ils ressemblent, comme grosseur et forme, à ceux du groseillier noir (cassis). Selon le degré de maturité, ils sont rouges, bruns ou noirs. Les Mongols mangent frais ou secs, ou réduits en une sorte de bouillie, ces fruits, qui ont un goût salin. Les fruits du Charmyk sont mangés par les loups et les renards et aussi par tous les animaux, même les lézards. Au temps de leur maturité, les ours viennent du Thibet au Zaidam pour s'en régaler. On mange aussi à Tarim des racines d’Asclepias, grillées.
Citons encore dans la même région quelques plantes spontanées qui sont récoltées. Le Lonicera cœrulea var. tangutica (Caprifoliacées) du Nan-shan oriental, a, comme l'espèce voisine de chez nous, des fruits disposés par paires sur les tiges. Ils sont allongés et bleus et comestibles. Entre les cailloux, dans le désert Ala-schan [une partie du désert de Gobi], pousse, bien que clairsemé, Agriophyllum gobicum (Sulchir) dont les Mongols se nourrissent. La Psamma pousse aussi sur les sols salés mais Przewalski ne dit rien de son emploi. Quant à l’Agriophyllum gobicum (Bunge) dont le nom vulgaire est Sulchir (Chénopodiacées), c'est une plante de sols salés qui pousse dans toute l'Asie centrale à partir du 48e degré de latitude nord, de préférence sur le sable pur. Il y a aussi une autre espèce (A. arenarium).
Le Sulchir prospère sur les surfaces sableuses stériles, surtout dans les étés pluvieux. C'est pour les régions désertiques une plante très importante dont l'homme et les animaux se nourrissent. La plante est annuelle. Elle a de très longues racines, très profondes. Elle atteint tout au plus 30 centimètres de haut, la tige isolée à 3 à 4 centimètres d'épaisseur (voir la figure : Przewalski, p. 260). Les Mongols en recueillent les graines, les grillent, et en font de la farine qu'ils consomment mélangée à du thé. Le goût de cette farine est agréable. La plante sert aussi d'aliment aux animaux domestiques ainsi qu'a beaucoup d'oiseaux qui, en automne, sont obligés de traverser ces solitudes.
Les trois plantes suivantes sont intéressantes en ce qu'elles poussent à des altitudes considérables (1.500 à 2.000 mètres).
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Le Pugionium dolabratum de l'Alanschan (Dserlik-lobyn des Mongols), c'est-à-dire radis sauvage, c'est une crucifère. Le nom vulgaire rappelle que le fruit, qui est gris, a le goût et l'odeur du radis. Mais il y a deux Pugionium. La plante rapportée par Gmelin et déterminée par Maximowitsch est Pugionium cornutum. L'autre espèce, aussi déterminée par Maximowitsch, est une espèce nouvelle qu'il a nommée P. dolabratum. Elle semble être bisannuelle. La tige a à peine 20 centimètres de hauteur et elle est à moitié enfouie dans le sable. De la tige naissent dans la seconde année un grand nombre de branches qui forment une touffe ovale et portent au sommet des fleurs blanches et roses. Ainsi l'arbuste constitue une touffe verte et plate de 90 centimètres à 1 m. 20.
La Potentilla anserina (Rosacées) que les Tangoutes nomment Dschuma (et qui est partout répandue chez nous en Europe) pousse au Ku-ku-nor, en Zaidam, sur d'anciens campements, dans les bons pâturages, sur les pentes des montagnes et dans les vallées. La plante produit de petits tubercules comestibles dont il y a toujours plusieurs sur chaque racine. Elles ont un goût de noix. On les cuit comme les pois ou les pommes de terre et on les mange avec de la graisse et du sel. On récolte les tubercules au printemps et à l'automne. Les femmes tangoutes s'acquittent du pénible travail de les récolter, de les nettoyer et de les sécher. Cette Dschuma est pour les Tangoutes un mets de prédilection. « Nous leur en achetions souvent et les mangions avec plaisir » (loc. cit. 225). Les animaux aussi, en particulier les faisans oreillards (Crossoptilon sp.) savent déterrer adroitement ces tubercules.
Au Tarim aussi on rencontre la Potentilla anserina et le Butomus et aussi une petite formation graminéenne comprenant Typha, Phalaris, Calamagrostis et une autre graminée non déterminée. Les eaux dormantes lui apportent leur aliment indispensable. Ces populations reçoivent de l'extérieur la farine et divers autres produits, mais seuls les riches en profitent. Aux autres, au Tarim, les racines d’Asclepias rôties au feu tiennent lieu de pain. La culture des champs [agriculture] est, sur le Tarim inférieur, encore dans l'enfance et n'existe même que depuis 1868. On sème du blé et un peu d'orge.