1-1 Alimentation primitive (Maurizio)
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Sommaire
Ancienneté des plantes utiles
Pour exposer les modes primitifs de la recherche et de la préparation des aliments nous devons remonter à la plus lointaine nuit des temps qui ont précédé l'histoire écrite. C'est aborder le mystère des débuts du travail humain que de rechercher comment l'homme découvrit au milieu des innombrables productions de la nature les substances convenant à son alimentation et les matériaux propres à la construction de son logis ou à la fabrication de vêtements tressés ou tissés. Quelles sont donc les plantes qui les premières fixèrent l'attention de l'homme ? Quelles sont celles qui lui parurent mériter d'être léguées en héritage à sa descendance ? Nous constatons avec surprise que la totalité des plantes qui servent actuellement à notre nourriture sous toutes ses formes nous viennent de bien lointains ancêtres, tant il est vrai que le passé détermine encore ce que nous sommes.
Depuis les débuts de l'histoire écrite, pas une seule plante alimentaire d'utilité générale n'a été ajoutée à la liste de celles qui étaient
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connues antérieurement, tant avait été attentive et complète l'exploration à laquelle les peuples primitifs avaient soumis le monde végétal. Et ce n'est pas vrai seulement pour les plantes utiles des zones tempérées de l'hémisphère nord ; il en est de même pour les régions chaudes. Les Européens n'y ont découvert aucune plante utile qui n'ait été auparavant connue des indigènes. Il fallut au contraire au civilisé de longues années pour se convaincre de la valeur du trésor naturel que les indigènes connaissaient avant lui. Rappelons les exemples bien connus du thé, du cacao, du café, passés depuis dans la consommation universelle. La perspicacité dont firent preuve nos très lointains ancêtres peut à bon droit nous surprendre car rien n'est aussi difficile à observer que les objets au milieu desquels on vit tous les jours. Leur aspect nous est si familier que les contours s'en effacent jusqu'à se confondre comme l'avers et le revers d'une médaille usée. Il fallut pourtant arriver à distinguer les plantes utiles parmi leurs innombrables compagnes, constater leurs propriétés, souvent peu apparentes. Telle fut la condition et le premier élément de tout progrès. Un autre progrès capital et dont les conséquences furent immenses fut la découverte des moyens propres à assurer la conservation des substances alimentaires naturelles et l'invention des premiers aliments artificiels.
Importance des connaissances botaniques en préhistoire
C'est aux botanistes qu'incombe la tâche de retrouver l'origine naturelle de nos plantes utiles, de faire l'histoire de leur utilisation. L'importance des connaissances botaniques dans les questions qui nous occupent ici est capitale parce que l'histoire de la civilisation et l'histoire de l'utilisation du monde végétal se confondent. Des noms de botanistes seront cités dans toutes les pages qui vont suivre. L'ouvrage de Fr. Unger : « Excursions botaniques dans le domaine de l'histoire des civilisations » bien que paru entre 1857 et 1863 n'a encore rien perdu de ce qui en faisait priplitivement l'attrait. On en peut dire autant du petit livre du géobotaniste Joach. Fred. Schouw, paru en 1851. De Candolle traita en détail de l'origine des plantes cultivées, selon les idées scientifiques de son temps. Gibault (1912) a étudié celle des plantes potagères et von Fischer-Benzon, celle des espèces horticoles du moyen âge (1894). On doit à O. Heer le premier travail sur les plantes utiles des habitations lacustres (1865). Beaucoup d'auteurs ont repris la question depuis. Notons les travaux de E. Neuweiler (1905-1926) qui traitent en détail des découvertes préhistoriques faites en Europe. Quiconque s'occupe de la question doit se référer à cette étude fondamentale et extrêmement soigneuse. Sur les céréales, les travaux correspon-
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dants comme importance sont ceux de H. Schultz. Beaucoup d'auteurs ont étudié des espèces isolées ou des groupes végétaux naturels, entre autres Ascherson, Thellung et Wittmack. On trouve aussi beaucoup de documents dans les flores et les études de Ascherson, Bois, Duchesne, Rosenthal et Sturtevant, que j'ai souvent cités dans cet ouvrage.
Malgré l'importance de ces recherches[1], il n'existe cependant encore aucune histoire générale de la culture et de l'alimentation. C'est une lacune dont les botanistes eux-mêmes sont en partie responsables parce qu'ils limitent trop étroitement le domaine de leur science. Et cependant ils auraient pu s'inspirer sans hésiter de l'exemple que leur donnaient les meilleurs représentants de la botanique, de Candolle, par exemple, ou Schweinfurth, dont l'activité s'est étendue à tant de domaines. Citons encore un représentant éminent de l'ethnographie, Edouard Hahn et un érudit agronome, Th. U. Engelbrecht. Tous ont donné à la botanique la première place parmi les connaissances qui permettent de comprendre quelque chose à l'histoire de la civilisation.
L'opinion de Schweinfurth, par exemple, était qu'on devait désormais rendre plus aisément utilisables pour les autres sciences les renseignements fournis par la botanique systématique et par la géographie botanique. Il faut aussi démontrer aux sceptiques (sceptiques en général par ignorance) que, dans certaines conditions, des faits d'ordre botanique bien établis ont plus de poids que le témoignage d'inscriptions peu lisibles ou que les textes, souvent compris à contre-sens, des auteurs anciens. Dans son travail sur ce qu'est l'histoire de la civilisation, Schweinfurth entend par là non pas l'histoire des mœurs et de la culture intellectuelle, mais l'histoire de l'agriculture, celle de l'occupation et de l'utilisation du sol et de la conquête du monde végétal[2].
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- ↑ Par exemple Lichtenfelt (G. D.) Gesch. d. Ernährung, Berlin, 1913, et l'ouvrage cependant plus étudié de Bourdeau L. : Histoire de l'alimentation, Paris, 1894. [Ces deux auteurs partagent les mêmes noms et données, mais divergent sur l'évolution de l'alimentation.]
- ↑ Schweinfurth (G)., Englers, Bot. Jahrb. 45, 1900, 27 et suiv. Beibl. zu n° 103. ; Hoernes M., Kultur und Urgesch. d. Mensch, Leipzig et Vienne, 1909, 1, 397 et suiv.
La méthode linguistique
A l'histoire du monde ainsi comprise doivent collaborer les sciences naturelles et la philologie. Jusqu'à une époque récente ce fut presque uniquement le témoignage des textes anciens ou des monuments anciens qui fournissaient leurs documents aux études relatives à l'occupation primitive du sol. C'est de là qu'on partait pour imaginer ce qu'avait pu être, avant l'histoire écrite, le choix ou la culture des premières plantes utiles, leur mode
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d'utilisation et leur extension géographique initiale. Mais il se trouve souvent que, du point de vue du philologue et du point de vue des sciences naturelles, on n'arrive pas aux mêmes conclusions. Un exemple bien connu de la situation privilégiée faite, des siècles durant, au point de vue philologique, nous est offert par l'autorité dont jouit l'estimable ouvrage de Victor Hehn. Les spécialistes de la linguistique ont émis les opinions les plus aventurées, et toutes ont été prises au sérieux du moment qu'elles satisfaisaient aux lois phonétiques de la dérivation des racines. Mais déjà de Candolle s'était élevé avec succès contre les opinions de Hehn et, en particulier, contre sa prétention de considérer les linguistes utilisant les méthodes philologiques classiques comme seuls qualifiés pour émettre une opinion sur l'origine des animaux domestiques ou des plantes utiles. Ce qui a beaucoup contribué aussi à maintenir si longtemps tout ce domaine comme étranger aux réalités, c'est l'indéracinable ténacité avec laquelle on s'obstine à donner aux opinions traditionnelles une supériorité de droit sur celles qui s'inspirent de la constatation des faits. Les naturalistes eux-mêmes, et parmi eux bon nombre de botanistes, ont trop longtemps traîné le poids mort de la pensée classique philologico-historique et restèrent longtemps incapables de s'en affranchir. Mais, heureusement, la philologie est engagée maintenant dans une voie nouvelle qui conduit aux « réalités » des mots et des choses et qui jette comme un pont entre des points de vue longtemps contradictoires[1].
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- ↑ Zeitsch,[La revue] Wörter und Sachen paraît depuis 1912, Heidelberg, Carl Winter éditeur).
La théorie des trois étapes et la théorie de Hahn
L'évolution générale des sociétés, autrefois conçue selon la théorie des trois étapes, l'est actuellement selon la théorie de Hahn.
a) Théorie des trois étapes. — On admettait autrefois à peu près universellement qu'à l'origine la vie de l'homme avait reposé entièrement sur les ressources de la chasse. Les hommes, d'abord chasseurs (1) étaient devenus ensuite des pâtres sans établissement fixes, c'est-à-dire des nomades (2). Enfin, croyait-on, l'homme, devenu sédentaire (3), commença à travailler le sol et créa l'agriculture telle que nous la connaissons. Telle est, brièvement résumée, la théorie dite « des trois étapes de la civilisation » dans la forme où elle est restée familière presque sans exception à toutes les personnes cultivées et telle que l'admettaient aussi beaucoup de savants.
Mais l'évolution que suppose cette théorie est plutôt une vue rationnelle de l'esprit qu'une conclusion basée sur des faits. Il est bien vrai qu'il existe, d'une part, des pâtres nomades, ne connais-
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sant pas l'agriculture et sans établissements fixes, et, d'autre part, des peuples attachés à leur sol, et dont les plus civilisés se vouent à l'agriculture. On commet pourtant une erreur en tirant de ces faits la conclusion qu'il y a entre ces états relation de succession et que la vie pastorale, l'occupation nomade du sol, sont un état inférieur et ancien par rapport à la pratique de l'agriculture, état plus élevé et plus récent.
Qu'est-ce que l'état nomade ? C'est un genre de vie dans lequel l'homme se déplace librement sur de vastes espaces pour arriver à satisfaire à ses besoins de nourriture et de vêtement. Il reste ainsi dans la dépendance étroite de la nature. Or, sur le même sol, une autre race peut immédiatement (c'est-à-dire sans pratiquer d'abord la vie nomade) fonder des établissements fixes, dans les cas toutefois où la vie nomade n'est pas la conséquence inévitable de l'insuffisance des ressources qu'offre la nature et s'explique simplement par l'insuffisant esprit d'initiative de l'homme dans sa lutte contre les difficultés ou par l'insuffisance de ses moyens d'action. Ainsi les Toungouses sont nomades sur un sol où les Russes fondent immédiatement des établissements fixes et il en est de même des Mongols vis-à-vis des Chinois. Les Anglo-Saxons sont agriculteurs sur un sol où les Indiens mènent une existence misérable. En cette affaire, ce qu'est l'homme explique tout. Ce n'est pas le climat en pareil cas qui détermine ce qu'est l'homme mais l'homme qui détermine ce que sera sa façon d'utiliser le sol. Plus sa civilisation est élevée, plus il sait vaincre d'obstacles, plus il devient indépendant de la nature. C'est ce qui rend si compliquée l'appréciation des rapports qui existent entre l'homme et la terre, car la dépendance de l'homme est d'autant moindre que sa civilisation est plus élevée. Il est d'autant moins obligé de rester nomade, il est d'autant plus solidement fixé sur le sol que sa culture sociale est d'un degré plus haut.
Il y a dans l'occupation nomade du sol (sans agriculture) plusieurs degrés que von Richtofen distingue. Chez certains nomades, tout ce qui se rencontre sert à la nourriture, on recueille des plantes ou de petits animaux, on pratique la chasse, la pêche. Ces trois catégories de ressources alimentaires sont combinées et d'abord confondues[1]. Puis nous distinguons des peuples
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- ↑ Richthofen (Ferd. von); Siedlungs- u. Verkehrsgeographie, Berlin, 1908, 137, 182 et suiv. ; Knabenhans, (Alfr.) Über d. Australischen Nahrungserwerb, (Publié pour le 60me anniversaire de Ed. Hahn, Stuttgart, 1917, pages 74 et suiv.) ; Kirchhof (A.), Mensch und Erde (collection : a. Natur. u. Geisteswelt Leipzig, 1909 ; Przewalski (N. M. Von), Reisen in Tibet und a. ob. Lauf d. Gelben Flusses i. d. J. 1879-80, Iéna, 1884, 235.
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chasseurs qui ne cultivent que rarement le sol et plus rarement encore ont une agriculture vraiment organisée. Reste enfin une catégorie de nomades qui sont supérieurs à toutes les populations précédemment mentionnées du fait qu'ils possèdent un bien : leurs troupeaux.
Il n'y a pas lieu ici d'examiner en détail ce que sont ces diverses formes de la vie nomade. Il nous suffira de considérer ce qu'elle est sous une forme réellement très élevée déjà : telle qu'elle existe chez los Mongols. Malgré ce degré d'évolution supérieur, le Mongol ne voit et n'entend rien en dehors de ce qui concerne ses troupeaux et sa vie reste un constant combat avec les forces adverses de la nature : il ne connaît aucun confort, aucune jouissance de caractère élevé, il vit dans l'apathie. Il est vrai, par contre, que ce peuple ne connaît guère la mendicité, que la prostitution et l'ivrognerie sont des produits de la civilisation.
Dans ce cas, ce qui rend impossible le développement de la civilisation, c'est la terre inhospitalière. Les conditions physiques régnantes en Mongolie imposent absolument la vie nomade et rendent très difficile que la civilisation puisse prendre possession de cet immense domaine.
En Europe, l'existence nomade n'a laissé de traces que dans peu de contrées : Citons les Lapons dans quelques parties de la Russie. Citons quelques parties des Balkans et de l'Espagne. Pour les peuples nomades, le déplacement constant est une condition de l'existence. Un seul peuple fait exception : les Tziganes.
Alimentation végétale et civilisation
La vie nomade n'a donc pu être le point de départ d'aucun état de civilisation élevé, si haut que nous estimions la domestication des animaux sauvages et bien que la sélection des animaux et l'élevage supposent un effort très prolongé.
En réalité les populations qui s'adonnent uniquement à l'élevage, (alors même que s'y ajoute la propriété des bêtes de troupeau), n'arrivent jamais qu'à une évolution de degré moyen et s'arrêtent là.
Il en est autrement des peuples voués à la pratique exclusive de l'agriculture, tels que les Japonais, qui ne connaissent à proprement parler aucun élevage. Un tel état social conduit à une civilisation de degré élevé, à l'art, aux sciences, à la littérature. Or, la sédentarité, le sentiment d'attachement au sol, ne sont nulle part sur la terre aussi développés qu'au Japon et de même en Chine, où règne absolument le mode d'aménagement du sol en jardins. Les familles sont attachées à des résidences fixes. L'opinion de von Richtofen, qui connut l'état des choses avant la grande poussée
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de la civilisation occidentale, était que le Japon fut une contrée très heureuse. Il y a eu plusieurs importants foyers de civilisation de ce type, par exemple dans l'Amérique centrale. Du reste ces deux moitiés de la planète diffèrent beaucoup entre elles au point de vue du monde végétal et du monde animal.
L'Amérique ne connaissait qu'un seul animal susceptible d'être apprivoisé, le lama, qui est probablement un descendant du « Guanako ». Le foyer de l'utilisation du lama (et de la vigogne) se trouve dans l'ancien royaume des Incas, en dehors des limites duquel aucune des deux formes apprivoisées ne s'étend beaucoup.
b) Théorie de Hahn. — Ces faits et d'autres, peu remarqués jusqu'à une époque récente, ne cadrent pas avec la théorie des trois étapes successives de la civilisation. De plus l'anthropologie, l'ethnographie, la préhistoire ont abouti à des constatations qui ne sont pas de nature non plus à la soutenir.
Dès l'année 1891, Edouard Hahn formula l'opinion que la théorie des trois étapes était désormais insoutenable. Dans le domaine des connaissances relatives à l'utilisation primitive du sol, à la domesticatioa des animaux, à l'économie domestique primitive, à l'alimentation des peuples, Hahn a introduit des conceptions toutes nouvelles et les a présentées sous une forme extrêmement attrayante[1]. Pour lui c'est aux plantes que revient l'importance essentielle dans l'alimentation de l'homme. Pour lui, c'est le ramassage des plantes sauvages qui constitua l'étape primitive dans l'acquisition de la nourriture. Assurément, les primitifs ont aussi utilisé la viande, mais ils ne sont devenus qu'en cas de détresse les exclusifs mangeurs de viande qu'imagine, au stade initial, la théorie des trois étapes. Même du point de vue de l'anatomiste, l'homme est un omnivore. A partir du stade initial du ramassage, le développement de la civilisation conduisit l'homme, selon la théorie de Hahn, au stade de la culture à la houe (ou à la pioche: Hackbau). D'où le nom de Hackbautheorie donné à la théorie de Hahn. La pioche, puis la houe, furent une évolution du bâton de forme spéciale qui servait aux primitifs à récolter, en les extrayant du sol, les racines et les bulbes. Certains déchets des plantes récoltées par les hommes trouvèrent au voisinage des campements humains, un sol mêlé de fumiers sur lequel ils poussèrent en donnant des plantes plus vigoureuses que leurs congénères des sols sauvages. D'abord ces plantes se développèrent sans le secours de l'homme, puis l'homme les protégea à l'aide d'une légère clôture. Il arriva
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- ↑ Bibliographie de Hahn dans les publications pour son son 60e anniversaire : Stuttgart, 1917 ; Krzymowski (R.), Landw. Jahrbücher, 1919, V, 486.
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que, dans la concurrence vitale, certaines espèces introduites fortuitement avec les plantes qu'on avait voulu récolter se révélèrent comme plus utilisables que ces dernières elles-mêmes.
Poussant plus vigoureusement elles les supplantèrent et l'homme aida le processus naturel ainsi spontanément commencé. Tout le développement ultérieur de l'agriculture est dominé par ce conflit de la plante utile et de la « mauvaise herbe », après que l'homme eut trouvé son profit à favoriser la « mauvaise herbe » aux dépens de l'espèce primitivement introduite comme plante utile.
J'ai depuis 1916 souvent attiré l'attention sur cette question.
Le ramassage. Le bâton à fouir. La houe
Le ramassage, le bâton à fouir, la houe. — Hahn avait à plusieurs reprises insisté sur le fait que la pioche résulte d'une transformation du bâton à fouir (par exemple Alter der wirtschaftlichen Kultur : Heidelberg 1925-1926).
A l'époque où toute l'économie sociale reposait sur le ramassage des plantes sauvages, c'était déjà à la femme qu'incombait la charge principale dans l'alimentation. On ne manque pas de preuves établissant que le bâton à fouir était l'outil servant à ce travail.
Toutes les grandes collections ethnographiques possèdent des exemplaires des bâtons à fouir utilisés par les divers peuples sauvages. Le bâton à fouir du nègre australien, demeuré au niveau le plus bas de la civilisation, et qui ignore toute culture du sol, est une simple tige de 1 mètre à 1 m. 1/2 de long. Il est le seul instrument que possède la femme et il est absolument indispensable pour aller à la recherche de la nourriture. Ce bâton est fait d'un bois dur et il est apointé à une extrémité. Chez d'autres peuples, l'extrémité du bâton est durcie au feu. Même dans une fête ou dans une danse, 1a femme australienne garde son bâton à fouir avec elle, comme marque de sa dignité de pourvoyeuse d'une famille, et, en cette qualité, elle erre souvent tout le jour, portant par surcroît sur ses épaules son petit enfant, qu'elle quitte seulement pour fouir ou pour grimper. Souvent on voit, accompagnant sa mère, qui tire du sol des racines, des lézards, des fourmis à miel, sa petite fille, armée d'un bâton à fouir en miniature, et qui prend les premières leçons d'un métier qui occupera toute sa vie. Dans des ouvrages anciens relatifs au Northern Territory de l'Australie, on trouve signalé que la population d'une région est d'autant plus dense que l'alimentation d'origine végétale est plus abondante. Si abondantes que soient en certains endroits les ressources alimentaires d'origine animale, on trouve toujours une partie de la population occupée à la recherche fastidieuse des racines alimentaires dans le sol.
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Le seul outil utilisé pour cet usage est le bâton à fouir. Lorsque l'homme commença à s'en servir aussi pour effectuer une espèce de labourage, cet outil ne manqua pas d'acquérir dans son opinion une dignité plus haute encore. Harshberger a trouvé le bâton à fouir employé de cette manière chez les Indiens de l'Amérique du Nord (v. fig. 1). Certainement il a eu le même emploi ailleurs. Dans les habitations lacustres de la Suisse on trouve des bâtons dont la poignée est de corne ou de pierre artistiquement travaillées ce qui leur fait donner le nom de bâton de commandement. Ces symboles de la puissance ou ces signes de reconnaissance des peuples lacustres sont peut-être le commencement d'une série qui se termine avec la baguette magique ou la main de justice, avec le sceptre, la crosse épiscopale ou le fanion des parlementaires, et même peut-être les drapeaux des états, des régiments et des sociétés.
Les précurseurs de la théorie de Hahn furent Morgan (1876) dont il sera question plus loin ainsi que Nowacki (1881)[1]. Dans un travail spécial, j'ai fait l'histoire critique de la vieille théorie des trois étapes de la civilisation[2] et de la théorie du Hackbau. Cette dernière est, dans son développement, une théorie du perfectionnement et, du point de vue des sciences naturelles, une théorie optimiste. Les deux théories sur le travail des terres, la théorie traditionnelle et le point de vue de l'observation, ont toujours coexisté côte à côte.
Il y a encore une autre façon d'envisager l'histoire de l'alimentation végétale et elle apparaît comme très féconde. Elle porte sur la comparaison des surfaces fournissant l'aliment et du nombre des hommes. Les surfaces disponibles se sont réduites de plus en plus. Plus le nombre des consommateurs s'est élevé, plus on s'est adressé à des plantes à haut rendement. Ces plantes sont, à notre époque, les céréales et un petit nombre d'espèces ayant des racines riches en hydrates de carbone. Les études néomalthusiennes ap-
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- ↑ Nowacki (A.), Thiels Landw. Jahrb., 1880, 853 et suiv ; Jagd od. Ackerbau. Beitrag zur Urgesch. d. Menschheit, Zürich, 1885 (i. Kommission b. Parey, Berlin).
- ↑ Maurizio (A. D.), Theorien üb. d. Gesch. d. Anbaus u. d. Nahrung (Zeistchr. Kosmos) (en allemand et en polonais) Lemberg, Bd. 47, 1922
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portent là-dessus des suggestions intéressantes pour l'histoire de l'alimentation, bien que négligées dans l'application.