1-11 Époques lacustres ; artichauts (Maurizio)

De PlantUse Français
Aller à : navigation, rechercher
Épinards
Maurizio, Histoire de l'alimentation végétale (1932)
Pratique actuelle du ramassage

[129]


CHAPITRE XI


LE RAMASSAGE ET LA CULTURE AUX ÉPOQUES LACUSTRES
LES ARTICHAUTS DES RAMASSEURS. — CÉRÉALES PRIMITIVES ET MAUVAISES HERBES DES MOISSONS


L'âge de la pierre polie. Survivances du ramassage ancien et agriculture primitive. Histoire de la découverte des cités lacustres

L'époque néolithique (époque récente de l'âge de la pierre, ou époque de la pierre polie) était déjà une époque de civilisation agricole, et non plus une époque de ramassage pur et simple. On possédait déjà à cette époque huit espèces de céréales. (On sait que l'étude des gisements bien explorés fixe à 2.000 ans, à peu près, avant notre ère, la fin de cette période). Seuls parmi nos céréales européennes actuelles manquaient encore, à cette époque, l'épeautre, le seigle et l'avoine, qui ne firent leur apparition que plus tard, à l'époque du bronze, ou à la transition entre l'âge du bronze et celui du fer. Le seigle date même presque des temps historiques. L'agriculture des temps néolithiques (époques récentes de l'âge de la pierre) était donc bien plus avancée qne ne l'est encore celle de beaucoup de populations primitives dont nous avons parlé et dont la civilisation correspond à celle des phases lointaines de l'âge de la pierre. Du point de vue auquel nous nous sommes placés, cette agriculture des temps néolithiques récents est déjà notre agriculture à nous-mêmes [notre propre agriculture]. Nos mauvaises herbes actuelles salissaient déjà, en même temps qu'elles les paraient, les champs néolithiques. L'habitant des villages lacustres néolithiques de l'Europe moyenne mangeait, en temps de mauvaises récoltes, les plantes que ramasse encore, en temps de famine, le paysan russe actuel. Il avait pourtant sur lui l'avantage de pouvoir les ramasser plus abondamment, parce qu'autour de ses établissements, les terres restées à l'état de nature étaient plus vastes. Mais, armé seulement de sa pioche ou de sa charrue primitive, il restait cependant plus près de l'homme dont toute l'alimentation dépend


[130]

du ramassage. C'est pourquoi ce qu'il avait conservé encore du vénérable ramassage primitif constitue pour nous un précieux document sur ce qu'avait été l'alimentation initiale des hommes.

Les débuts des recherches préhistoriques se heurtèrent à des circonstances hostiles. Les premières découvertes étaient si inattendues, si incompatibles même avec l'ancienneté déjà considérable attribuée à l'espèce humaine, qu'on les accueillit avec méfiance ct qu'on en fit peu de cas. En 1841, Boucher de Perthes trouva à Menchecourt, près d'Abbeville, un silex qui avait été travaillé en forme de tranchoir grossier et il en trouva d'autres dans les années qui suivirent. On tint Boucher de Perthes pour un rêveur, et même pour un esprit dérangé. Pendant plusieurs années il ne convainquit que peu de personnes. C'est en 1853 et en 1859 seulement, après de nouvelles découvertes, que des chercheurs français et anglais, ayant enfin regardé les choses avec leurs yeux, constatèrent la réalité de la grande découverte de Boucher de Perthes. Dix ans après la première découverte d'Abbeville, en 1851, l'instituteur Joh. Aeppli, avait extrait du lit du lac de Zürich, à Obermeilen, près de sa maison, des vestiges de l'ancienne activité de l'homme « bien propres à jeter une lumière inattendue sur la condition primitive des habitants de la contrée ». Aeppli croyait qu'à l'époque correspondant à ces vestiges, le niveau du lac était plus bas et que des hommes avaient vécu sur le sol, à l'endroit où il recueillait les restes de leur activité. Le grand mérite d'Aeppli fut parfaitement reconnu par les savants auxquels il fit part de ses constatations et qui, aussitôt, se chargèrent de continuer ses recherches. Mais la mauvaise humeur des milieux étrangers ne désarma pas et, vingt ans après, Aeppli était encore dans l'obligation d'intervenir pour confirmer l'authenticité de sa découverte. Autant que peuvent l'établir les informations dont je dispose, c'est Aeppli aussi qui, le premier, découvrit dans les palafittes (ou villages lacustres) des débris végétaux conservés à l'état de charbons[1]. La curiosité éveillée par les découvertes d'Aeppli fut en tout cas considérable. Avec des restes de plantes cultivées remontant aux époques néolithiques, on trouva aussi des restes de plantes sauvages. Les premières fouilles avaient fourni seulement d'énormes quantités de noisettes. Le second rapport publié sur ces recherches, 4 ans plus tard, signale des pommes sauvages,

____________________

  1. Aeppli (Joh.), D. Entdeckung d. Pfahlbauten i. Ob.-Meilen, Stäfa, 1870, 8 p. (communiqué par son fils Pr Hs. Aeppli, Zürich, 8, Blumenweg, 19). Voir aussi Jahresb. Schweiz. Ges. f. Urgesch. f. d. J. 1915, Zürich, 1916, 7-9 avec dessin de Aeppli.


[131]

des poires sauvages, des prunelles, des framboises, des mûres, d'énormes amas de semences de pins [pignons], de faînes et de noisettes[1]. On continua de pénétrer plus avant dans la connaissance de la vie des lacustres. En 1865 Osw. Heer put donner un exposé d'ensemble de ce qu'était l'économie sociale des populations lacustres. Le fond du lac a peu à peu livré les trésors qu'il cachait. Actuellement on a fouillé plus de 300 stations lacustres, dont les deux tiers sont en Suisse. Après Keller, Escher von der Linth et Heer, un groupe nombreux de chercheurs ardents s'attacha à l'étude des restes végétaux préhistoriques provenant des palafittes ou des établissements de terre ferme. Citons Andersson, Cotte, von Deininger, Hartwich, de Mortillet, Netolitzky, Neuweiler, Schröter, Aug. Schultz, Wittmack. Au cours d'une année ont été publiés neuf rapports de fouilles relatives à des stations lacustres suisses. Actuellement, les espèces végétales découvertes sont assez nombreuses pour que nous puissions distinguer, d'une part des plantes cultivées indiquant un état avancé du développement de l’agriculture, d'autre part des plantes dont la production par culture reste douteuse, et enfin des plantes sauvages obtenues par ramassage[2].

On prétend parfois que les restes végétaux d'origine préhistorique ont été peu à peu transformés en tourbes et en charbons. Il est exact qu'exposées à l'air toutes les parties des végétaux brunissent puis noircissent par oxydation lente de leur surface. Mais des matériaux friables ne peuvent pas se transformer en tourbes. D'emblée il était certain pour tout chimiste que les matières végétales trouvées dans les gisements lacustres n'avaient pas pu se transformer en tourbes et peu à peu devenir des charbons. Les derniers doutes sur ce point avaient été levés par C. Schröter. II est donc certain que les restes végétaux en question sont arrivés dans le sol, alors qu'ils étaient déjà passés à l'état charbonneux et c'est même à cette circonstance que nous devons leur bonne conservation. Cette conclusion s'impose plus encore pour les restes végétaux qui tombent dans l'eau. Les restes végétaux conservés provenant du moyen âge sont, eux aussi, à l'état charbonneux. Quand ils ne le sont pas (comme c'est le cas pour des graines de céréales et des millets datant du VIe au XIIe siècle et qui

____________________

  1. Keller (Ferd.), Keltische Pfahlbauten u. s. w. Mitt. antiquar. Ges., Zürich, Bd. IX, 1854, 80 ; Keller (Ferd.), Pfahlbauten. 2 Ber. Mittel. Antiqu. Ges., Zürich, Bd. XII, H. 23, 1858, 127 et 140.
  2. Heer (Osw.), D. Pfzn. d. Pfahlbauten, Zürich, 1865. Sonderdruck a. d. 6 Pfahlbauber. ; Neuweiler (E.), loc. cit., 1905-1926 ; Deininger (E. von), 3 Bd. des Prähistor. Schanzwerks von Lengyel, Budapest, 1891. Autres références in Neuweiler.


[132]

sont en ma possession), ils ne constituent que des pellicules extrêmement minces ne renfermant qu'une misérable poussière. Le millet ne fait pas exception, bien que les enveloppes mêmes du grain soient admirablement conservées. Les choses ont pu se passer autrement pour la conservation des végétaux sous un climat sec comme celui de l'Egypte.


Flore des gisements lacustres

Voici un aperçu des restes végétaux préhistoriques qui nous intéressent ici. On trouve on quantités massives dans de nombreux gisements néolithiques (époque récente de l'âge de la pierre}: Chenopodium album L. En ce qui concerne le Chenopodium Bonus Henricus et sa proche parente l'arroche, on admet qu'elles constituaient également des plantes alimentaires et peut-être même des plantes cultivées. Citons comme autres plantes : Pastinaca sativa L., Daucus carota L., c'est-à-dire le panais et la carotte, puis la noix du noyer (Juglans regia L.) qui certainement croissait spontanément dans l'ouest de l'Europe ; puis la vigne (Vitis vinifera L.), probablement cultivée hien que les pépins étudiés (Vouga, Pigorini) ressemblent à ceux des vignes sauvages. Parmi les plantes sauvages dont on pratiquait le ramassage, citons : les glands du Quercus Robur L. et du Q. sessiliflora Sm., les noisettes sous leurs deux formes : Corylus avellana L. forme oblonga G. And. et Corylus avellana forme sylvestris var. ovata Willd. Toutes les deux sont déjà connues comme existant à l'époque interglaciaire. Comme plantes sûrement sauvages, on trouve Trapa natans L., Sorbus aucuparia L., S. Aria {L.) Crtz. Les fruits de ce sorbier et de cet alisier étaient alors consommés par grandes quantités, car on en trouve souvent des amas importants. Il en est de même des fruits du Viburnum Lantana, des Pyrus et Malus, poirier et pommier des bois. Heer distingue deux pommes, la pomme des bois et la pomme ronde que cultivaient les lacustres. Neuweiler parle du pommier comme d'un arbre dont la culture à cette époque est certaine. Mais toutes les transitions existent quant à la grosseur des pommes, de sorte qu'il ne peut pas établir de distinction rigoureuse. Il pense que les pommes appartenant à la petite forme étaient aussi cultivées, et, en plus, il y avait aussi la pomme sauvage ramassée dans les bois (loc. cit., 1924, pp. 16 et suiv.) La poire sauvage (Pyrus communis) n'avait pas autant d'importance. Les débris qui tombaient le plus abondamment sur le fond lacustre étaient des graines de fraisiers Fragaria vesca L., des framboises et des mûres de ronces, c'est-à-dire Rubus Idæus L. et Rubus fruticosus L. On distingue bien les restes des deux espèces dans les boues. On ramassait aussi les fruits de l'églantier (Rosa canina L.).


[133]

Parmi les Amygdalées on a trouvé le cerisier-merisier (Prunus avium), la quetsche {ou prune ovoïde) Prunus domestica L. Cette dernière a été aussi trouvée par Ferd. Cohn, en Silésie, dans des gisements beaucoup plus récents. De même la prunelle (Prunus spinosa L.) le prunier (ou cerisier) à grappes (Prunus Cerasus Padus) et le Bois de Sainte-Lucie (Prunus Cerasus Mahaleb). Le Prunus spinosa était l'espèce la plus importante, tandis que le Prunus (ou Cerasus) Padus était plutôt, comme aujourd'hui, une espèce médicinale. On a utilisé aussi comme plante médicinale ou comme teinture le sureau hièble (Sambucus Ebulus L.), comme condiment le sureau ordinaire : Sambucus nigra[1]. Parmi les fruits riches en amidon, ceux du genre Chenopodium viennent sans doute en première ligne. Ils sont à cause de cela d'un intérêt historique général. On a vu précédemment que les feuilles du Chenopodium Bonus Henricus étaient cuites depuis les temps les plus lointains pour faire des plats d'épinards et que, à une époque assez récente, notre véritahle épinard a pris leur place. D'après Neuweiler, le Chenopodium album, à cette époque, n'était pas du tout une « mauvaise herbe ». Ses graines forment, à elles seules, dans les gisements lacustres, des couches continues. On trouve aussi en amas considérables, des graines de « renouées » (Polygonacées) par exemple des graines de l'espèce à tiges volubiles (Polygonum Convolvulus L.) que l'on nomme encore en certains pays sarrasin sauvage. Encore au XIXe siècle on connaissait dans quelques villages d'Allemagne les gruaux faits avec les graines de cette espèce. Quant à notre véritable sarrasin (le Polygonum Fagopyrum L.), il est, en Allemagne, d'introduction récente ; on ne le trouve cité qu'à partir de 1646. Bien que les préhistoriens ne se prononcent pas à cet égard, il est cependant presque certain que d'autres Polygonacées trouvées par eux (sauf Polygonum Hydropiper L.) servaient à l'alimentation, c'est-à-dire Polygonum lapathifolium L., P. dumetorum L., P. aviculare L. Ces plantes étaient déjà comme aujourd'hui des mauvaises herbes des champs cultivés. Ajoutons Astragalus glycyphyllos L., et Agrostemma Githago L., avec leurs graines nourrissantes. Ce lychnis nielle (Caryophyllées) avait alors selon Neuweiler, Heer, von Deininger, des graines plus petites que celles de notre A. Githago actuel.

Les gisements néolithiques, comme ceux de l'âge du bronze, qui

____________________

  1. Neuweiler (E.), Vierteljschr. Natf. Ges., Zürich, Jg. 55, 1910, 156-202 ; Jg. 70, 1925, 225 et suiv. ; Mitt. Natf. Ges., Luzern, Bd. 9, 1924, 5 et suiv. et son Überblick der Pflnwelt i. d. Stein. u. Bronzezeit d. Schweiz, Mttl. Antiquar. Ges. Zürich, Bd. 29, H. 4, 1924, 254 et suiv. ; Festschr. C. Schröter, Zürich, 1925, 509.


[134]

vint ensuite (de 2000 à 800 avant notre ère) ont livré aussi des substances riches en amidon, par exemple, les fruits de : Avena fatua L., Triticum repens Pol. Beauv., Lolium temulentum L., Bromus secalinus L., avec B. arvensis L., Setaria viridis Pol. (L.), Echinochloa crus galli P. B. Toutes sont assez vulgaires, sauf le chiendent (Triticum repens) plus rare. En ce qui concerne l'ivraie enivrante (Lolium temulentum), Neuweiler dit qu'on la trouve en amas si incroyables qu'il faut bien la considérer comme ayant été un aliment courant. Il en est sans doute de même des autres graminées énumérées ci-dessus, car von Deininger trouva de grandes quantités de folle avoine (Avena fatua) et par centaines les grains des deux brômes (B. secalinus et arvensis) et de l’Echinochloa (ou Panicum) crus galli.

Dans la composition de la flore, on n'aperçoit aucune différence importante entre celle qui existait à l'époque néolithique et à l'âge du bronze et même jusqu'à l'âge du fer. Mais il en existe en ce qui concerne }es plantes cultivées. Nous ne nous occuperons cependant ici de la culture qu'en tant qu'elle nous renseigne sur les survivances du ramassage. A cette époque on cultivait une fève : Vicia Faba L. var. celtica nana O. Heer, (la petite fève celtique), dont les graines ressemblent à celles d'une espèce récemment trouvée à l'état sauvage dans l'Afrique du nord. La question de l'origine des fèves et des Vicia cultivées se relie étroitement à celle des espèces cultivées de Dolichos puisque le fasiolum du Capitularium de villis et cortis [Capitulare] était une espèce de Dolichos (V. Fischer-Benzon). Plus tard cette plante a èté abandonnée au profit du haricot (Phaseolus) venu d'Amérique. Mais on semait encore çà et là en Allemagne, vers 1880 une plante ressemblant à un haricot qui était très probablement encore un Dolichos. Malheureusement, nous ne savons presque rien à ce sujet. Peut-être notre fève actuelle a-t-elle derrière elle un passé analogue et sans doute elle a eu aux époques préhistoriques des espèces concurrentes. Les Vicia suivantes sont connues en ce qui concerne l'époque préhistorique et particulièrement l'âge du bronze : Vicia Cracca L., V. tetrasperma (L) Mönch., V. sepium L., V. hirsuta (L.) S. F. Gray. (Sur le haricot v. p. 310.)

Aux espèces sauvages du temps du bronze appartient aussi le châtaignier Castanea vesca Miller, mais pourtant le fait n'est pas absolument certain. Cultivait-on déjà la moutarde noire (Sinapis nigra L.) et la cameline (Camelina sativa Crtz. ?) ou les choux et navets (Brassica rapa L., B. oleracea L. et encore une autre espèce B. sp. [un autre Brassica]) La même question se pose en ce qui concerne un cresson


[135]

de terre : Barbarea vulgaris. Les Crucifères dont il vient d'être question fournissaient peut-être de l'huile par expression de leurs graines, comme le pavot, cultivé à l'époque néolithique. Hartwich pense que les variétés de pavots connus aux temps préhistoriques appartenaient à l'ensemble des formes du Papaver setigerum[1]. Il pense que le pavot servait plutôt comme épice que comme plante oléagineuse, car les lacustres ne manquaient nullement de plantes oléagineuses. J'ai vu au musée régional de Zurich un morceau d'un véritable gâteau de pavots, provenant, je crois, de Storen. Il est évident que le pavot était préparé de diverses manières et quelquefois aussi pressé. Au nombre des plantes qui fournissaient de l'huile, on comptait aussi le hêtre (Fagus sylvatica L.) le tilleul à petites feuilles (Tilia parvifolia L.) le cornouiller sanguin (Cornus sanguinea L.) et le lin. Lorsque Hartwich publia ce qu'il a dit des espèces oléagineuses, on ne connaissait pas encore les Crucifères des gisements préhistoriques. D'autre part, il est certain que les paysans de ce temps-là n'avaient pas manqué de constater la tendance qu'ont les Crucifères à épaissir leurs racines. C'est, en effet, un caractère général de la famille, connu de tout le monde, et on sait tout ce que de Candolle a trouvé à dire à ce propos. L'usage des feuilles des Crucifères comme salade et pour faire des plats d'épinards est aussi extrêmement ancien mais sans qu'on puisse le prouver de la même manière, les feuilles ne se conservant pas en général dans les gisements. On utilisait de façons analogues beaucoup d'autres plantes, dont Neuweiler a déterminé les graines, par exemple, les nénuphars blancs et jaunes (Nymphaea alba L. et Nuphar luteum Lam.) un roseau (Phragmites communis L.) et, à part, Aethusa Cynapium L. Mais il n'est pas question ici seulement de plantes à racines. Dans la liste considérable des espèces que l'on désigne en bloc comme étant des mauvaises herbes, mais dont beaucoup sont à la limite des mauvaises herbes et des plantes cultivées, citons les espèces suivantes : Heracleum Sphondylium L., Valeriana dioïca L., Valerianella dentata Pollich., V. rimosa Bast, V. olitoria (L.) Mönch. Et, plus près de nous, Arctium Lappa L. (la Bardane). On utilisait les feuilles de presque tous les Polygonum cités précédemment, avec celles de diverses espèces de Rumex, dont quelques-unes seulement ont laissé dans les gisements des graines identifiables (par exemple) Rumex crispus L., R. acetosella L. Ajoutons Plantago lanceolata L., Thlaspi arvense L., Trifolium repens L., Ajuga reptans L., Lamium purpureum L., Sonchus oleraceus L., Stellaria media L., Arenaria

____________________

  1. Hartwich (C.), Apothekerzt., 1899, p. 11 du tirage à part.


[136]

serpyllifolia L., Fumaria officinalis L., Urtica dioica L., et enfin des Renonculacées, dont l'utilisation est moins certaine mais cependant vraisemblable, puisque ce sont des plantes dont on se sert encore en temps de famine : Ranunculus repens L., R. flammula L. peut-être aussi R. lingua L. et R. aquatilis. On pourrait en ajouter d'autres sans craindre la contradiction.


Le ramassage des réceptacles des composées. Les artichauts des ramasseurs

Beaucoup de questions restées obscures dans l'histoire de l'alimentation s'expliqueront si on considère la façon dont la mauvaise herbe devint plante utilisée et plante cultivée. Ce mot a un sens si variable, appliqué à beaucoup de plantes, qu'il semble ne leur avoir été donné que provisoirement. Je vais essayer de rendre à quelques Composées et à quelques Graminées la place à laquelle elles ont véritablement droit. Neuweiler a trouvé dans des vases provenant des stations lacustres (1919 et plus tard) des capitules entiers de Cirsium arvense (L.) Scop., de Carduus, de Centaurea Cyanus L., (le bleuet des champs), de Centaurea Jacea, de Scabiosa columbaria L., et un autre capitule non déterminable. On trouva aussi quelques akênes (fruits) de composées, encore attachés dans un grand involucre, mais je n'en tiens pas compte. Or, Gibault (à propos de notre artichaut : Cynara Scolymus L.) dit que, dans l'antiquité, on a mangé les réceptacles de toutes les Carduinées, et que les pauvres, particulièrement, s'en nourrissaient, comme on le voit encore actuellement en Algérie. Mais nous avons la preuve qu'à une époque bien plus rapprochée de la nôtre on mangeait volontiers les têtes des gros chardons et que par conséquent notre artichaut n'est que le survivant d'un groupe tout entier d'espèces alimentaires. Conrad Gesner (Descriptio montis fracti, 1555, cité par Christ loc. cit., 1915 et 1923) dit ce qui suit de notre Carlina acaulis L. : « Ses têtes charnues constituaient pour nous, débarrassées de l'involucre et des graines, un aliment excellent, qui serait meilleur encore si on y mettait du poivre. » Comme en Suisse, on savait apprécier dans les vallées du Piémont vaudois la Carline, « ce vieux légume sauvage atavique ». Goethe, dans le récit de son voyage d'Italie. en 1787, parle des chardons : « Nous eûmes la surprise de voir ces deux graves personnages {nobles de Sicile) sortir leurs couteaux de leur poche devant une touffe de chardons et couper la partie supérieure des hautes branches. Ils saisissaient la tige et en mangeaient l'intérieur avec satisfaction. Le conducteur de notre voiture prépara pour nous cette moelle et nous la donna. » Dans l'Encyclopédie de Krünitz, il est question aussi de cette sorte d'artichauts sauvages. Je pense que nous avons affaire ici à une sorte


[137]

d'aliment qui fut d'usage général jusqu'à une époque récente. Dans les Pyrénées et les Cévennes, on mangeait, en plus d'une carline (Carlina acanthifolia), quelques espèces de chardons {comme Carduus eriophorus) et un Onopordon (d'après Leunis, Onopordon Acanthium L.[1]. Encore à présent, dans diverses parties de la Pologne, les enfants mangent le réceptacle de la Carlina acaulis et il est probable que les adultes le font à l'occasion.

Tout cela nous explique comment il se fait qu'on ait trouvé des têtes de chardons dans les pots des anciens occupants des habitations lacustres.

____________________

  1. Tiedemann (Friedr.), Physiol. d. Menschen, Bd. 3, Nahrungsbedürfnisse, etc. Darmstadt, 1836, 202.

Graminées du ramassage et origine des céréales

On arrive au même résultat si on étudie les trois plus importantes Graminées figurant parmi les mauvaises herbes do nos champs.

Neuweiler admet que l'ivraie enivrante Lolium temulentum était ramassée par les populations lacustres. Von Deininger a trouvé plusieurs centaines de grains du Bromus secalinus, grains pesants et dont nous savons d'ailleurs qu'on les mange. La folle avoine, Avena fatua, qui apparaît dans les stations lacustres suisses à l'époque du bronze, est bien caractérisée sous ses deux formes. Dans sa remarquable monographie du genre Avena[1], Thellung a établi que ses espèces sauvages sont très voisines de l'avoine cultivée. Plus tard, Schulz a découvert les fruits de l’Avena fatua en grande quantité dans une station de l'époque hallstattienne, à Braunsdorf {âge du fer). Il n'est pas interdit de penser qu'il y a eu, en ce qui concerne cette espèce, vers les premiers temps de l'histoire, des essais de culture véritable qui ont conduit à l'obtention de notre véritahle avoine cultivée, l'avoine côtelée [Rispenhafer ? Rispe = panicule]. La folle avoine (Avena fatua) était évidemment à Braunsdorf une très désagréable mauvaise herbe des champs de céréales, à supposer, bien entendu, que les nombreux grains qu'on en a trouvés ne soient pas le produit de champs de cette espèce cultivée intentionnellement. Mais il n'est pas admissible, dans le premier cas, que les populations agricoles de Braunsdorf n'aient pas eu la curiosité de chercher s'ils ne pouvaient pas utiliser comme nourriture les fruits de cette mauvaise herbe et la cultiver elle-même comme céréale. Des essais de culture de ce genre ont pu conduire à l'obtention de notre avoine véritable : Avena sativa. Nous n'avons pas à étudier ici l'origine botanique de l'avoine cultivée. Cependant, notons comme

____________________

  1. Thellung (A.), Vierteljschr. Natf. Ges., Zürich, 56, 1911, 293-349 ; Schultz (August), D. Geschichte d. kultivierten Getreide, Halle a. S., 1913, 128, Ber. D. Bot. Ges., 33, 1915, 16.


[138]

intéressante pour ce qui va suivre la remarque de Neuweiler (1905-1929) constatant que les fruits d'avoine rapportés par divers auteurs à l’Avena fatua pourraient appartenir en réalité à plusieurs espèces d'avoines. Cela se peut parfaitement. Il y a, en effet, une autre espèce d'avoine qui est une mauvaise herbe et, malgré cela, fut cultivée, c'est l'avoine rude ou avoine des sables : Avena strigosa Schreber. Cette avoine apparut comme mauvaise herbe à Leipzig aux environs de l'année 1700. On peut établir qu'elle fut l'objet de cultures agricoles durables dans le Mecklembourg, le Schleswig-Holstein, dans une partie de la province de Hanovre, et encore ailleurs, au XVIIIe siècle et au XIXe siècle. Schulz dit, en ce qui concerne les régions scandinaves, qu'on ne l'a cultivée qu'au Jutland et qu'on l'y cultive encore. Les traces de ces essais de culture ne peuvent cependant pas être suivis jusqu'aux origines de l'histoire. On est plus heureux avec Avena fatua. Schulz admet ceci : comme on ne connaît pas avec certitude jusqu'ici, en Allemagne, de grains attribuables à l'avoine de culture et datant de l'époque de Hallstatt, il croit que les énormes quantités d'avoine trouvées à Braunsdorf étaient de l’Avena fatua. Cette Avena fatua provenait de cultures ou bien de ramassage. En tout cas ses fruits conviennent admirablement à la nourriture de l'homme. A condition de prendre quelques précautions, on peut rentrer sans trop de pertes ces fruits, bien qu'ils se détachent facilement. Cette opinion ne s'oppose en aucune façon au fait que, au moins dès l'àge du bronze, notre avoine était déjà semée.

Bien entendu, on a trouvé sur les points occupés par les agriculteurs primitifs beaucoup de restes végétaux sur lesquels nous ne possédons pas de renseignements comparables à ce que nous avons pu dire des Composées et des Graminées. Mais, lorsque nous trouvons dans de si nombreuses stations des âges de la pierre, du bronze ou du fer, des centaines de grains de certaines espèces de plantes, toujours les mêmes, lorsque nous trouvons des résidus de récoltes ayant toujours à peu près la même composition, nous sommes bien obligés de considérer comme impossible que les coïncidences soient le simple effet du hasard et ne s'expliquent pas par certaines intentions sérieuses et certains besoins des populations lacustres. Neuweiler[1] après vingt ans d'études attentives consacrées au monde végétal préhistorique nous a donné à ce point de vue ses conclusions. Il pense que la particulière abon-

____________________

  1. Neuweiler (E.), D. Pflanzwelt i. jüngeren St. u. Br.-Zeit. d. Schweiz. Ein Überblick n. d. Funden a. d. Pfahlbauten. Mitt. Antiquar. Ges., Zürich, Bd. 29, 1924. H. 4, 261-2.


[139]

dance de certaines semences s'explique par le simple fait qu'elles servaient d'aliment aux hommes. « Certaines de ces plantes étaient ramassées comme complément agréable de l'alimentation. D'autres plantes, qui sont actuellement pour nous des mauvaises herbes, étaient, en tant que plantes utiles, l'objet de tous les soins des populations préhistoriques. L'homme des temps néolithiques possédait des prairies et des pacages, car avec l'agriculture, il connaissait l'élevage du bétail. Mais les trouvailles qui se rapportent à ces herbages sont peu abondantes. Toutes ces trouvailles sont, dans leurs traits importants, en conformité avec notre flore actuelle. » En réalité, il y a parmi les restes végétaux que l'on extrait des gisements préhistoriques des plantes dont la présence est due au jeu du hasard, mais il y a les semences des plantes que nous avons appris à reconnaître pour les espèces sur lesquelles portait le ramassage. Il pouvait aussi se mêler aux restes des plantes utiles, lorsqu'ils tombaient dans l'eau, des débris de plantes inutiles : les « mauvaises herbes » des « mauvaises herbes ». Comme exemple des mélanges que l'on trouve dans les gisements lacustres, citons le contenu d'un vase datant de l'époque du passage entre l'âge du bronze et l'âge du fer (Neuweiler, loc. cit., 1919, 642). Ce vase (catalogué n° 51) renfermait : Panicum miliaceum, Setaria italica, Triticum dicoccum et T. monococcum (épis), Schoenoplectus lacustris, Polygonum Convolvulus, Rumex crispus, Chenopodium album, Ranunculus aquatilis, et R. repens, Stellaria media, Fragaria vesca, Rubus fruticosus, Vicia hirsuta, Linum austriacum, Aethusa cynapium, Anagallis arvensis, Fraxinus excelsior (bois carbonisé), Lamium species, Valerianella dentata. Neuweiler a immédiatement reconnu l'intérêt que présentent ces mélanges dès que, pour la première fois, il les constata, en 1905, à Wauwil. Dans un pot provenant de cette station, on trouvait en grande quantité les semences suivantes : Fragaria vesca, Rnbus idaeus, R. fruticosus, Pyrus Malus, Papaver somniferum var., Sambucus nigra, Linum austriacum, Galium palustre. Triticum compactum, Moehringia trinervia, puis des coques de noisettes et des arêtes de poisson. Sans aucun doute nous sommes en présence des restes d'un repas ou des déchets d'un repas. D'autres savants ont trouvé des mélanges de ce genre dans des vases préhistoriques, par exemple à Laibach (Carniole). Le mobilier funéraire donnera d'autres renseignements. Mais, trop souvent, on a vidé les vases sans en étudier le contenu.

Pour l'essentiel, nos documents proviennent des stations lacustres. Depuis les premières publications de Heer (1865), nos connaissances ont été considérablement accrues. Heer ne con-


[140]

naissait en tout que 120 plantes préhistoriques, presque toutes des stations lacustres. Actuellement, de cette source, nous connaissons environ 40 Monocotylédones, 200 Dicotylédones. Des milliers de documents ont été examinés par Neuweiler. En 1919, il examina 90 vases provenant d'une seule station (du bronze), et détermina 450 débris de bois. Nous sommes donc au début d'une science riche de promesses et qui, étendue à d'autres parties du monde, fournira des renseignements essentiels sur les origines de l'humanité.