Goyave, Goyavier (Arveiller)
Arveiller, Raymond, 1963. Contribution à l'étude des termes de voyage en français (1505-1722). Paris, d'Artrey. 571 p.
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Nom accepté : Psidium guajava
Le dictionnaire étymologique de Bloch-von Wartburg date le terme de 1640 (gouyave) et le donne pour un emprunt à l'espagnol guyaba, « qui vient lui-même du parler des Arouaks » [1]. M. Dauzat, dans son dictionnaire, signale guayaba, 1555, chez Poleur, et gouyave, 1654, chez Du Tertre ; il s'agirait d'un emprunt à « l'espagnol guyaba, mot caraïbe ». M. König [2] avait signalé que les plus anciennes attestations du mot en français [3] venaient, par l'espagnol, de l'arouak des Tainos haïtiens, qui avait les formes guyaba (d'après Oviedo), guayava, guava (d'après V. Martius). En revanche, le mot se présentait sous une forme goyaba dans l'arouak du continent et le galibi [4], et les Français, plus tard, avaient pu en prendre directement connaissance.
Nous voudrions signaler les plus anciennes attestations du mot en français, préciser le passage du terme dans la langue scientifique au début du XVIIe siècle, essayer enfin de déterminer à quel idiome a été prise la forme française moderne gouyave (goyave), qui devait se vulgariser aux Antilles.
Le mot fait deux apparitions dans notre langue avant 1555 : il se lit dans le récit italien de Pigafetta, traduit par J.-A. Fabre vers 1525 :
- « En toutes les isles de Mollucques se trouue... ung autre [fruit] comme la pesche dict guau [5]. »
Il semble bien que le mot italien ait été pris, vraisemblablement par l'intermédiaire de l'espagnol, à l'arouak d'Haïti guava [6].
D'autre part Crignon, en 1529, avait tenté de franciser la forme espagnole entendue à Haïti :
- « La dite Yaguana [région de cette île] est une terre basse, rase comme la mer, avec grandes prairies, et grande multitude de palmes,
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- ↑ Le Dic. de J. Corominas (s. v. Guayaba) penche pout un emprunt à l'arouak.
- ↑ Op. cit., s. v. Goyavier.
- ↑ Tirées de traductions (1555-1598).
- ↑ « Indessen ist das Wort in der Form goyaba auch im Festlandsaruak und im Galibi vertreten » ; suit un renvoi à De Goeje, Et. ling. car., p. 53.
- ↑ F. 67 r°. L'identification avait été faite, à propos du texte italien, par Ch. Amoretti, Premier voyage, p. 203, note 2. Pour la rapide diffusion du terme, comparez « batates », de même origine, également donné par Pigafetta pour une production des Moluques. Forme citée et commentée par G. Friederici, Amer. Wtb., p. 264, s. v. guaba.
- ↑ Pour le rôle des deux langues espagnole et portugaise chez Pigafetta, voir l'article Almadie, note 5. Pour la date de 1525, vo1r l'article Arack.
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et autres manières d'arbres fruitiers qu'on appelle Gouyaux, de la grosseur d'un limon, et de la couleur jaune [1]. »
La rédaction donne à penser que le terme désigne à la fois l'arbre et le fruit [2].
Il ne fait pas de doute que les attestations du nom de l'arbre, comme de celui du fruit, remontent, pour la période 1555-1598, aux termes espagnols correspondants. M. König cite, pour goyave : « Guayaba » 1555, Oviedo, et « les Guiavé », 1579, Benzoni ; pour goyavier : « Guayabos », 1555, Oviedo - « Guayabos », 1568, Gomara - « les guayavos », 1598, Acosta. On peut ajouter à ces attestations celles qu'on lit chez Belleforest :
- « Apres y voit on le Guayabà, qui a les feilles [sic] comme le Meurier, sauf qu'elles sont plus petites... » Cosmographie, II, col. 2108.
Pays : Haïti ; source : Oviedo, mentionné en marge, mais lu chez Ramusio [3].
- « Le Guiabo est tout ainsi que nos Orengers... », id., II, col. 2111.
Même source, même intermédiaire.
Ces mots, qui apparaissent dans des traductions ou adaptations, passèrent ensuite dans le français des savants au début du XVIIe siècle. Monardes avait parlé du fruit ; son adaptateur latin L'Escluse en fait mention à son tour. Le mot apparaît donc dans le français scientifique chez Colin, traducteur de l'Escluse en 1602 : un chapitre s'intitule « Du Guayauas » [4]. Le terme désigne à la fois le fruit et l'arbre ; il est précisé en effet d'où vient la semence de « ce fruict tant celebre entre les Indiens et les Espagnols, appellé Guayauas », mais un sous-titre marginal, placé en face de la description du goyavier, indique : « Description du Guayauas ». Une autre traduction du latin, l'importante version française du Daléchamps, parue en 1615, fournit les formes suivantes au chapitre Du Guaiaua [5] : « Guyava est un arbre et un fruict » ; référence : « Scalig. Exer. 181.9. » ; « Guayabo... est un arbre... Comme l'arbre s'appelle Guyabo [sic], le fruict s'appelle Guyaba [sic]... » ; référence : « Oviedo ; Liu. 8 ch. 19 » ; « le fruict appellé Guaiauas » ; référence : « Acosta ». On conclura donc sur ce point que les noms de l'arbre et du fruit passent
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- ↑ Discours, p. 96. Le récit contient bon nombre d'hispanismes.
- ↑ C'est celle que reprend Thevet dans son Grand Insulaire publié par Schefer à la suite de l'ouvrage de Crignon : « arbres fruictiers qu'on appelle Govyaux, de la grosseur d'un limon et de la couleur jaune », p. 172.
- ↑ Sur Belleforest lecteur de Ramusio, cf. l'article Albatros, note 5 et suite de l'article.
- ↑ Hist. des Drogues, p. 660.
- ↑ Hist. gén. des Plantes, II, p. 723.
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dans la langue des botanistes en 1602-1615, portés de l'espagnol au français par le latin. La forme est encore flottante. Elle l'est toujours dans la version française de De Laet (1640). On y a signalé « l'arbre de Guyava » [1]. Nous y lisons aussi :
- « Pour l'onzieme le Xalxocotl ; (par les Espagnols Guyabo) c'est un grand arbre, duquel on trouve [en Nouvelle-Espagne] plusieurs especes », p. 138 ;
sources indiquées à la même page : Ximenes, Oviedo, Gomara, « Monard » lu dans L'Escluse.
- « Le Goyaue ou Morgoya est une espèce d'arbrisseau... », p. 549.
Source indiqnée : : Claude d'Abbeville.
- « Rameau du Guayabe avec son fruict »,
Table.
Entre-temps le mot était parvenu au français par voie orale. Très importantes, nous semble-t-il, sont les attestations de Champlain [2] dans le Brief Discours (1601-1603) : elles présentent pour la première fois les formes gouiaue et gouiauier. Sur la route de Vera-Cruz [3] à Mexico, le navigateur admire de belles forêts remplies de beaux arbres
- « comme palmes, cedres, lauriers, oranges, citronneles, palmistes, gouiauiers, accoyates, bois d'ebene, Bresil, bois de campesche, qui sont tous arbres communs en ce pays là [4] ».
Il donnera plus loin une description d'un
- « arbre qui s'appelle gouiaue, qui croist fort communement audict pays [le Mexique], qui rend ung fruict que l'on nomme aussy gouiaue [5] ».
« Gouiauier » et « gouiaue » ont-ils été empruntés par Champlain à l'espagnol ou à un parler « sauvage » ? Ces mots marquent~ils simplement ici l'utilisation de termes déjà français et connus des marins de notre pays trafiquant dans ces régions ? Tel est le problème. A priori, les trois solutions sont possibles. Champlain commande un vaisseau français qui fait partie d'une escadre espa-
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- ↑ M. König, op. cit., s. v. Le contexte précise les sources : nous lisons en effet, pp. 277-8, de L'Histoire : « Enfin l'arbre de Guyaua de moyenne grandeur, (dit Monardes)... la fueille comme le laurier, mais plus espaisse et large, (dit Gomara). »
- ↑ Signalés par M. König, datées de (1599). Pour la date, voir la bibliographie.
- ↑ Pour l'identification de « Saint Jean de Luz », nom du port donné par Champlain, voir l'éd. citée, p. 20, note. 2.
- ↑ P. 22.
- ↑ P. 27.
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gnole croisant dans la mer des Antilles. Certains mots de son récit sont des citations de l'espagnol. Exemple : « pacho del ciello » [1] ; d'autres, nombreux, sont de source espagnole reconnue, par exemple les noms de fruits « coraçon [2] ou « serolle » [3]. Pourtant « gouiaue » ne paraît pas avoir été emprunté par Champlain à l'espagnol. Il ne pouvait, en cette fin du XVIe siècle, entendre qu'un -b- pour la dernière consonne du mot, prononcé par un Espagnol [4]. De fait, i1 appelle tel arbre et son fruit « algarobbes » [5], plur. « a1garobe » [6]; C'est un emprunt certain à l'espagnol algaroba ou algarova, « espèce d'Acacia du nouveau monde » [7]. Si le nom du fruit étudié remontait à la même source, Champlain, semble-t-il donc, l'eût noté *gouiabe, voire *gouiabbe.
Restent deux hypothèses : le mot a été emprunté par Champlain à un parler américain ; ou bien le mot, quelle que soit son origine, existait déjà en français. Examinons la première supposition. Champlain, au cours de son voyage, n'a abordé qu'aux Antilles et au Mexique. Dressant la liste des fruits de Porto-Rico [8], il ne parle ni de goyave ni de goyavier ; il ne mentionne pas non plus le fruit à propos de Saint-Domingue [9], ni de Cuba [10], ni des Petites Antilies [11]. C'est sur la route qui le mêne de Vera-Cruz à Mexico qu'il rencontre de belles forêts où poussent les goyaviers « communs en ce pays là » [12] ; la description de la goyave est donnée de même à propos des productions du Mexique. Si le mot est chez Champlain un emprunt à un parler américain, c'est au Mexique que le passage d'une langue à l'autre devrait s'être fait. Mais le mot mexicain n'est pas guyava ni guayava, ni rien qui ressemble à cela ; c'est « Xalxocotl », vocable fourni à la fois par De Laet [13] et Recchus [14]. D'ailleurs le capitaine français ne donne nullement le mot comme « indien » [15]. Il présente gouiauier sans commentaire dans une liste, puis écrit, comme on a vu : « un arbre qui s'appelle gouiaue »
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- ↑ P. 35.
- ↑ P. 11.
- ↑ P. 28. Cf. la note 6 de l'éd. citée : « De l'espagnol Ciruela, prune. (Ed. Soc. Hakl.) »
- ↑ Il n'y a pas trace de culture livresque dans le Brief Discours. Champlam dit ce qn'i1 a vu et répète ce qu'il a entendu.
- ↑ P. 11 ; région : Porto-Rico.
- ↑ P. 28 ; région : Mexique.
- ↑ Ed. citée, p. 11, note 3.
- ↑ P. 11.
- ↑ Pp. 13-18.
- ↑ P. 45.
- ↑ Pp. 5-7.
- ↑ P. 22.
- ↑ L'Histoire (1640), p. 138.
- ↑ Thesaurus (1649), p. 84.
- ↑ Comparez : « Les Indiens se seruent d'une espece de bled qu'ils nomment mammaix », p. 30.
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« ung fruict que l'on nomme aussy gouiaue ». Examinons la liste citée : elle ne contient que des mots déjà français ou des mots adaptés de l'espagnol ; le seul qui ait un aspect étrange accoyates, s'explique mieux par une forme espagnole agouacat que par l'indigène (aztèque) ahuacahuitl [1]. Prenons maintenant un à un tous les animaux et végétaux que présente Champlain à l'aide des formules « on nomme, on appelle », des participes « nommé, appelé » ou des formes pronominales à sens passif « se nomme, s'appelle ». Nous trouvons dans l'ordre :
- « une maniere d'autres [sic] arbre que l'on nomme sonbrade [2], un fruit nommé coraçon [3], une racine qui s'appelle cassaue [4], de petits oyseaux... que l'on nomme sus le lieu [Porto-Rico] perriquites [5], une espece de baume, appellee huille de Canime [6], ung autre arbre que l'on nomme cacou [7], ce fil, nommé fil de pitte [8], ung fruict qui s'appelle accoiates [9], un fruict que l'on nomme algarobe [10], ung autre fruict qui s'appelle carreau [11], un autre fruict qui se nomme serolles [12], un arbre que l'on nomme palmiste [13], un autre fruict que l'on nomme cocques [14], son fruict, que l'on appelle nois d'Inde [15], un autre fruict qui s'appelle plante [16], une gomme qui se nomme copal [17], une racine que l'on nomme patates [18], ung oyseau qui se nomme pacho del ciello. [19] ».
Tous les mots de cette liste remontent à une forme espagnole, fournie en note par notre édition, ou étaient déjà attestés en français avant 1601-1603. Or le mot gouiaue est présenté de la même manière par Champlain. S'il n'est pas emprunté à l'espagnol, et l'on a vu qu'il ne peut l'être, c'est que c'est déjà un mot français connu des marins croisant dans la mer des Antilles, ce qui est le cas d'au moins cassave, sans doute de patate. Appuierait cette hypothèse la forme du mot gouiauier ; cette francisation du nom de l'arbre, au moyen du suffixe -ier, suppose un emploi assez habituel du mot, et par suite fait penser à un emprunt déjà ancien :
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- ↑ Formes indiquées par l'éd. cit., p. 27, note 5. Cf. K. König, op. cit., p. 20 : « Ins Frz. gelangte das Wort wohl durch die Vermittluug der Spanier, die es über aguacate zu avocata, avogato u. ähnl. umformten. ».
- ↑ P. 11. « De l'espagnol sombra ». id., note 1.
- ↑ Id.
- ↑ Id.
- ↑ P. 12.
- ↑ P. 25. (Canime = animé.)
- ↑ Id.
- ↑ P. 26.
- ↑ P. 27.
- ↑ P. 28.
- ↑ Id.
- ↑ Id.
- ↑ Id.
- ↑ P. 29
- ↑ Id.
- ↑ P. 30.
- ↑ P. 31.
- ↑ Id.
- ↑ P. 35.
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aucun des autres mots nouveaux qu'apporte Champlain dans le Brief discours, en particulier dans la liste citée, n'a ce suffixe.
Nous avancerons donc l'hypothèse suivante : gouyave (goyave) est un emprunt à un parler arouak, soit celui de Saint~Domingue, où les formes guayava, guyaba, guava, sont attestées [1], soit celui d'un îlot voisin de cette grande île. On sait [2] que la région antillaise a été visitée par des vaisseaux français dans la seconde partie du XVIe siècle ; ceux-ci, naturellement, évitaient avec soin les Espagnols. Champlain confirme le fait dans le Brief discours, à propos de Saint-Domingue :
- « le reste du peuple [de cette île] sont Indiens, gens de bonne nature et qui ayment fort la nation françoise, auec laquelle ils trafficquent le plus souuent qu'ils peuuent en fere, toutesfois c'est à desçu des Espagnolz. C'est le lieu aussy où les François traffiquent le plus en ces quartiers-là, et là où ils ont le plus d'acces, quoy que peu libre [3]. »
L'escadre dont fait partie Champlain surprend en effet des vaisseaux français devant l'île de la Tortue et près du cap Saint-Nicolas.
Il se peut d'ailleurs que l'emprunt ait été fait par l'intermédiaire d'un « baragouin » commercial [4] : nous citerons ci-dessous un texte de 1638 qui montre que les goyaves... étaient transportées en barque par les Caraïbes, et utilisables comme provisions, de même que la cassave ou les patates [5].
L'examen du texte de 1614 fait penser, à son tour, que « Goyaue » [6] est alors un mot français utilisé par les marins. A cette date, Claude d'Abbeville parle d'un arbrisseau de l'île de Maranhão « que les Indiens appellent Goyaue ou Morgoyä » [7]. Les deux mots, il est vrai, sont donnés pour « indiens », mais pourquoi deux noms, alors que le même missionnaire n'en donne habituellement qu'un pour chacun des végétaux de la région ? Nous supposons que le premier, bien français d'allure, représente une forme du langage des marins de notre pays, évidemment d'origine « indienne », tandis que la seconde est la forme indigène. En effet, lorsqu'il a à parler de certain village de la région qu'il chris-
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- ↑ Voir le début de cet article.
- ↑ Sur ce point : articles Cassave, Patate et surtout Ouragan.
- ↑ Brief discours, p. 18.
- ↑ Voir les articles Cabouille, Cassave, Marron, Ouragan. Notez que la variation p/v/b est fréquente dans les langues caraïbes ; De Goeje, Et. ling. car., p. 73.
- ↑ Voir l'article Cassave.
- ↑ On sait qu'au début du XVIIe siècle l'hésitation o - ou est très fréquente dans notre langue en syllabe initiale.
- ↑ Histoire, f. 220 r°. Formes déjà relevées par M. König, op. cit., s. v. Goyavier.
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tianise, le P. Claude indique ; « le principal [vîllage] est Margoya Perop, c'est à dire la peau amere d'un fruict nommé Margoyaue » [1]. La forme indigène du pays - citée ici - est donc bien « Margoya ». Quant au nouveau mot « Margoyaue », fruit, il paraît un compromis entre la forme de Maranhão citée deux fois, « Margoya » [2], et le mot déjà français « Goyaue », signalé plus haut comme nom de l'arbre.
On peut opposer à ces hypothèses le fait que De Goeje signale un tupi « guaiába, guajava » [3], qui aurait peut-être pu devenir goyave chez Claude d'Abbeville. La table des abréviations du même savant précise ses sources : « Tupi sans indice, Martius » [4]. Reportons-nous à cet auteur ; l'on trouvera : « Guaiába, Guajava, Guayava Psidium Guayava Raddi, Piso II. 153. Marcgr. 104 (hunc fructum introductum praedicat). Guayabo Haiti : Oviedo VIII. c. 19. Benzoni l. c. 27 » [5]. De Goeje a bien entendu laissé, sur ce point, la forme haïtienne, qui ne peut être du tupi. Les trois premières formes citées par V. Martius ont donc été prises dans les ouvrages de Marcgravius et de Pison [6], et l'on nous prévient de plus que le premier de ces savants donne le fruit pour importé. Ouvrons ces livres aux pages indiquées. Marcgravius signale effectivement, à l'article Guayaba [7], qu'il traite d'un arbre importé « ex America septentrionali [Mexique] et Peru » : il lui a gardé tout simplement la forme espagnole commune, dont l'origine est précisée par une « annotatio » : «... quam indigenae Insulae Hispaniolae vocabant Guayabo, est arbor grandis, et ab Hispanis similiter vocatur Guajabo » [8]. On ne saurait trouver dans ce texte, et pour cause, la trace d'une appellation indigène tupie. Lisons maintenant ce qu'écrit Pison dix ans plus tard, à la page indiquée par V. Martius et aux précêdentes [9]. Le chapitre XX du livre IV est intitulé : « Ibabirába, Araça duae, et Guaiába ». Quand Pison se sert de termes « brésiliens », il le précise toujours ; aussi note-t-il dans le chapitre étudié : « vasta arbor quae gentilitio vocabulo Ibabirába, corrupte à Lusitanis et Nostris Guabirába [10]. Hujus arboris fructus a Brasilianis appellatur Araça miri [11] ... Quapropter ab Indigenis Araça-guaçú, id est, Araça
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- ↑ Histoire, f. 183 r°.
- ↑ Notez la variante « Morgoyä », f. 220 r°, à côté de « Margoya », f. 183 r°.
- ↑ Etudes Ling. car., p. 53.
- ↑ En tête de l'article.
- ↑ Wörtersammlung, p. 394.
- ↑ Publiés respectivement en 1648 et en 1658. Voir la bibliographie.
- ↑ Historiae, livre III, p. 104.
- ↑ Id., p. 105.
- ↑ Pp. 149-158, dans le livre IV.
- ↑ P. 149.
- ↑ P. 150.
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major vocatur [1]... ». Mais vient-il à parler de l'extrême ressemblance que l'on note entre ce dernier arbre, indigène, et la « Guiába », il indique sans ambiguïté : « Aliis Indiarum regionibus communis haec arbor, ac proinde hic patriam Brasiliani negant » [2]. Il s'agit bien d'un arbre importé, et le mot ne saurait être, au Brésil, une désignation indigène. Pison parlera aussi à propos de la même région, du bananier, de la banane, et de la patate, mais les mots qu'il utilise le plus souvent, « Bananiera » [3], « Banána » [4], « Batáta » [5], ne sauraient être considérés comme tupis.
Résumons-nous : les deux auteurs sur lesquels s'appuie V. Martius pour poser un mot tupi « Guaiába, Guajava, Guayava », ne donnent aucunement ce mot pour « brésilien » d'origine. Par suite l'indication de De Goeje « Tupi Guaiába, Guajava » n'est plus fondée, du moins à date ancienne.
Il nous paraît donc établi que goyave ne peut être chez Claude d'Abbeville un emprunt au tupi ; nous proposons d'y voir, par conséquent, le mot déjà français de la langue des marins, attesté dès 1601-1603. Le vocable « Morgoyä, Margoya », en revanche, donné comme indigène, a chance d'être un mot tupi, car Léry avait signalé dès 1578 le terme de « Morgouia » [6] appliqué par les Brésiliens aux oranges des arbres plantés par les Portugais, et la ressemblance entre le goyavier et l'oranger a plusieurs fois été notée [7].
Nous ne croyons pas non plus que la phrase de P. Boyer permette de fonder l'hypothèse d'un emprunt au galibi [8]. Il écrit en 1654 : Gouyanes {sic] est un fruict rond et gros comme un œuf » [9]. Mais il faut remarquer que le mot est attesté au moins deux fois avant que les Français se soient établis, et de façon bien intermittente jusqu'en 1676, à l'île de Cayenne et en Guyane (1635) [10]. Ensuite Boyer ne donne pas le mot pour indigène ; dans sa liste des productions du pays, d'où est tirée la phrase
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- ↑ P. 152.
- ↑ P. 153. Variante « Guajába », p. 151. Pas de trace d'une forme avec -v-, pp. 149-153.
- ↑ P. 154.
- ↑ Id. ; « Banána, planta quae Brasiliensibus Pacobuçú dicta », p. 155.
- ↑ Id., p. 254. « Quae Peruvianis Apichu, Brasilianis Tetica dictae ». id.
- ↑ Histoire, p. 208.
- ↑ Belleforest, Cosmogr. univ., II, col. 2111 ; texte cité ; - Daléchamps, trad. Des Moulins (1615) : « de la grandeur des Orengiers », II, p. 723 ; « les fleurs blanches, semblables à celles des Orengiers », II, p. 724.
- ↑ La forme « goyaba » est attestée dans ce parler pour l'époque actuelle (enquête de De Goeje). De Goeje, Et. ling. car., p. 53, n. 310.
- ↑ Véritable relation, p. 315. Déjà cité par M. König, op. cit., s; v. Goyave, avec correction de la coquille (n pour u).
- ↑ Cf. l'article Caïman, note 46.
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citée, il utilise quantité de termes de marins de toute origine : banane [1], igname [2], cassave [3], « cachimans » [4], etc.
Enfin l'article de Raymond Breton « coyábou, sont goyauiers blancs » [5] montre que le caraïbe des Petites Antilles avait un mot de forme voisine, différent cependant de la forme de notre langue qui a prévalu dans ces îles, et qui est attestée avant 1635, date de l'arrivée des premiers colons français. Comme dans le cas de banane, canot ou manioc [6], par exemple, la forme française paraît donc avoir été importée à la Martinique et à la Guadeloupe par les marins de notre pays.
La forme gouyave, goyave, s'est sûrement vulgarisée aux Antilles ; elle se lit souvent dans les récits des voyageurs. Aux attestations déjà signalées, on ajoutera les suivantes :
1638 : « ils [les Caraïbes de la Guadeloupe] avoient mis leur [sic] provisions des meilleurs fruits du païs : asçavoir des patates, ce sont des racines en forme de raves plus savoureuses que nos trufes : des gouyanes [sic] qui est un fruit du goust d'une pomme de reinette, ayant au dedans des grains pareils à ceux de grenade. » Gazette de France, p. 90.
Remarquez que la même coquille déforme le terme chez Bouton, Relation, p. 63 [7]. Coppier, Histoire et Voyage (1645) a « Gouyaues », p. 90.
1643 sans doute, 1647 au plus tard : « ils [les habitants de la Martinique] ont pareillement plusieurs sortes de bons fruits, comme ananas, gouyaves, limons ... » Le Hirbec, Voyages, p. 21.
1647 : « Le Goyavier est poly par l'escorce, et lice... La Goyawe est fort bonne de couleur, de chair. » Relation de l'isle de la Guadelouppe, f. 16 r°.
Première attestation de la forme définitive, pour le nom de l'arbre. Nous ne sommes pas sûr de la lecture du nom du fruit (pour les deux dernières lettres).
1652 : « on mange des Goyaues » à la Martinique. Maurile, Voyage, p. 32. - « Il y a [à Saint-Christophe] un arbre qu'on appelle Goyauier », id., p. 73.
16S8 : « Ce fruit, qui se nomme Goyave » aux Antilles françaises. Rochefort, Histoire, p. 49.
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- ↑ P. 314.
- ↑ P. 316.
- ↑ Id.
- ↑ P. 314.
- ↑ Dic. car.-fr. (1665). p. 252. Cité par M. König. op. cit., s. v. Goyavier.
- ↑ Voir les articles correspondants.
- ↑ M. König cite la forme corrigée « gouiaves ».
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1659 : « Ces Sauuages [de Guadeloupe] auoient leurs charges de "cassaue... cachimans, goyaues, papaïs. » Chevillard, Les Desseins, p. 41.
1667 : « les Gouyaves », Du Tertre, Antilles, 1, p. 405 [1].
Aussi bien est-ce aux Antilles françaises que se réfèrent les dictionnaires de Th. Corneille (1694) [2] et de Trévoux (1704) [3].
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