Figuier (Candolle, 1882)

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Nom accepté : Ficus carica L.

Papayer
Alphonse de Candolle, Origine des plantes cultivées, 1882
Arbre à pain

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Figuier. — Ficus Carica, Linné.

L'histoire du Figuier présente beaucoup d'analogie avec celle de l'Olivier en ce qui concerne l'origine et les limites géographiques. Son habitation, comme espèce spontanée, a pu s'étendre par un effet de la dispersion des graines à mesure que la culture s'étendait. Cela paraît probable, car les graines traversent intactes les organes digestifs de l'homme et des animaux. Cependant on peut citer des pays dans lesquels on cultive le figuier depuis au moins un siècle sans qu'il se soit naturalisé de cette manière. Je ne parle pas de l'Europe au nord des Alpes, où l'arbre exige des soins particuliers et mûrit mal ses fruits, même ceux de la première portée, mais par exemple de l'Inde, du midi des Etats-Unis, de l'île Maurice et du Chili, où, d'après le silence des auteurs de flores, les faits de quasi spontanéité paraissent rares.

De nos jours, le Figuier est spontané ou presque spontané dans une vaste région dont la Syrie est à peu près le milieu, savoir de la Perse orientale ou même de l'Afghanistan, au travers de toute la région de la Méditerranée, jusqu'aux îles Canaries 5. Du midi au nord, cette zone varie de 25 à 40-42° de latitude environ, suivant les circonstances locales. En général, le Figuier

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5. Boissier, Flora orientalis, 4, p. 1154 ; Brandis, Forest flora of India, p. 418 ; Webb et Berthelot, Hist. nat. des Canaries, Botanique, 3, p. 257.


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s'arrête, comme l'Olivier, au pied du Caucase et des montagnes de l'Europe qui bordent le bassin de la mer Méditerranée, mais il se montre à l'état presque spontané, sur la côte sud-ouest de la France, grâce à la douceur des hivers 1.

Voyons si les documents historiques et linguistiques font présumer dans l'antiquité une habitation moins vaste.

Les anciens Egyptiens appelaient la figue Teb 2, et les plus anciens livres des Hébreux parlent du Figuier, soit sauvage, soit cultivé, sous le nom de Teenah 3, qui a laissé sa trace dans l'arabe Tin 4. Le nom persan est tout autre, Unjir : mais je ne sais s'il remonte au zend. Piddington mentionne, dans son Index, un nom sanscrit, Udumvara, que Roxburgh, très soigneux dans ces sortes de questions, n'indique pas, et qui n'aurait laissé aucune trace dans les langues modernes de l'Inde, à en juger d'après quatre noms cités par ces auteurs. L'ancienneté d'existence à l'orient de la Perse me semble un peu douteuse jusqu'à ce que le nom attribué au sanscrit ait été vérifié. Les Chinois ont reçu le Figuier de Perse, mais seulement au huitième siècle de notre ère 5. Hérodote 6 dit que les Perses ne manquaient pas de figues, et Reynier, qui a fait des recherches scrupuleuses sur les usages de cet ancien peuple, ne mentionne pas le Figuier. Cela prouve seulement que l'espèce n'était pas utilisée et cultivée, mais elle existait peut-être à l'état sauvage.

Les Grecs appelaient le Figuier sauvage Erineos et les Latins Caprificus. Homère mentionne dans l'Iliade un pied de cet arbre qui existait près de Troie 7. M. Hehn affirme 8 que le Figuier cultivé ne peut pas être venu du Figuier sauvage, mais tous les botanistes sont d'une opinion contraire 9, et, sans parler des détails floraux sur lesquels ils s'appuyent, je dirai que Gussone a obtenu des mêmes graines des pieds de la forme Caprificus et

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1. M. le comte de Solms-Laubach, dans une savante dissertation (Herkunft, Domestication, etc., des Feigenbaums, in-4, 1882), a constaté sur place des faits de ce genre, déjà indiqués par divers auteurs. Il n'a pas trouvé les graines pourvues d'embryons (p. 64), ce qu'il attribue à l'absence de l'insecte (Blastophaga), qui vit ordinairement dans la figue sauvage et favorise la fécondation d'une fleur à l'autre dans l'intérieur du fruit. On assure cependant que la fécondation s'opère quelquefois sans le secours de l'insecte.

2. Chabas, Mélanges egyptol., série 3 (1873), vol. 2, p. 92.

3. Rosenmüller, Bibl. Alterthumskunde, 1, p. 285 ; Reynier, Economie publique des Arabes et des Juifs, p. 470 (pour la Michna).

4. Forskal. Fl. ægypto-arab., p. 125. M. de Lagarde (Revue crit. d'Hist., 27 février 1882) dit que ce nom sémite est très ancien.

5. Bretschneider, dans Solms, l. c., p. 51.

6. Hérodote, 1, 71.

7. Lenz, Botanik der Griechen, p. 421, cite quatre vers d'Homère. Voir aussi Hehn, Culturpflanzen, ed. 3, p. 84.

8. Hehn, Culturpflanzen, ed. 3, p. 513.

9. Il ne faut pas s'attacher aux divisions exagérées faites par Gasparini dans le Ficus Carica, Linné. Les botanistes qui ont étudié le Figuier après lui conservent une seule espèce et énumèrent dans le Figuier sauvage plusieurs variétés. Elles sont innombrables pour les formes cultivées.


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de l'autre l. La remarque faite par plusieurs érudits qu'il n'est pas question dans l'Iliade de la figue cultivée, Sukai, ne prouve donc pas l'absence du Figuier en Grèce à l'époque de la guerre de Troie. C'est dans l' Odyssée que la figue douce est mentionnée par Homère, et encore d'une manière assez vague. Hésiode, dit M. Hehn, n'en parle pas, et Archilochus (700 ans avant J.-C.) est le premier qui en ait mentionné clairement la culture chez les Grecs, à Paros. D'après cela, l'espèce existait à l'état sauvage en Grèce, au moins dans l'Archipel, avant l'introduction de variétés cultivées originaires d'Asie. Théophraste et Dioscoride mentionnent des Figuiers sauvages et cultivés 2.

Remus et Romulus, selon la tradition, auraient été nourris sous un pied de Ficus qu'on appelait ruminalis, de rumen, mamelle 3. Le nom latin Ficus, que M. Hehn, par un effort d'érudition, fait venir du grec Sukai 4, fait aussi présumer une existence ancienne en Italie, et l'opinion de Pline est positive à cet égard. Les bonnes variétés cultivées ont été introduites plus tard chez les Romains. Elles venaient de Grèce, de l'Asie Mineure et de Syrie. Du temps de Tibère, comme aujourd'hui, les meilleures figues venaient de l'Orient.

Nous avons appris au collège comment Caton avait exhibé en plein sénat des figues de Carthage encore fraîches, comme preuve de la proximité du pays qu'il détestait. Les Phéniciens avaient dû transporter de bonnes variétés sur la côte d'Afrique et dans les autres colonies de la mer Méditerranée, même jusqu'aux îles Canaries, mais le Figuier sauvage peut avoir existé antérieurement dans ces pays.

Pour les Canaries, nous en avons une preuve par des noms guanches, Arahormaze et Achormaze, figues vertes, Taharemenen et Tehahunemen, figues sèches. Les savants Webb et Berthelot 5, qui ont cité ces noms et qui avaient admis l'unité d'origine des Guanches et des Berbères, auraient vu avec plaisir chez les Touaregs, peuples berbères, le mot Tahart pour Figuier 6, et dans le dictionnaire français-berbère, publié depuis eux, les noms Tabeksist pour figue fraîche et Tagrourt pour Figuier. Ces vieux noms, d'origine plus ancienne et plus locale que l'arabe, parlent en faveur d'une habitation très ancienne dans le nord de l'Afrique jusqu'aux Canaries.

Le résultat de notre enquête est donc de donner pour habi-

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1. Gussone, Enum. plant. Inarimensium, p. 301.

2. Pour l'ensemble de l'histoire du Figuier et de l'opération, d'une utilité douteuse, qui consiste à répandre des Caprificus à insectes parmi les pieds cultivés (caprification), voir la dissertation de M. le comte de Solms.

3. Pline, Hist., 1. 15, c. 18.

4. Hehn, l. c., p. 512.

5. Webb et Berthelot, l. c., Ethnographie, p. 186, 187 ; Phytographie, 3, p. 257.

6. D'après Duveyrier, Les Touaregs du nord, p. 193.


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tation préhistorique du Figuier la région moyenne et méridionale de la mer Méditerranée, depuis la Syrie jusqu'aux îles Canaries.

On peut avoir du doute sur l'ancienneté des Figuiers maintenant dans le midi de la France ; mais un fait bien curieux doit être mentionné. M. Planchon a trouvé dans les tufs quaternaires de Montpellier et M. le marquis de Saporta 1 dans ceux des Aygalades, près de Marseille, et dans le terrain quaternaire de La Celle, près de Paris, des feuilles et même des fruits du Ficus Carica sauvage avec des dents d'Elephas primigenius, et des feuilles de végétaux, dont les uns n'existent plus, et d'autres comme le Laurus canariensis, sont restés aux îles Canaries. Ainsi le Figuier a peut-être existé sous sa forme actuelle, dans un temps aussi reculé. Il est possible qu'il ait péri dans le midi de la France, comme cela est arrivé certainement à Paris ; après quoi il serait revenu à l'état sauvage dans les localités du midi. Peut-être les Figuiers dont Webb et Berthelot avaient vu de vieux individus dans les endroits les plus sauvages des Canaries descendaient-ils de ceux qui existaient à l'époque quaternaire.

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1. Planchon, Etude sur les tufs de Montpellier, p. 63 ; de Saporta, La flore des tufs quaternaires en Provence, dans les Comptes rendus de la 33e session du Congrès scientifique de France, et à part, p. 27, Bull. Soc. geolog., 1873-74, p. 442.