Cameline (Rozier)
[tome 11 - 291]
Cameline, Myagre
Nom accepté : Camelina sativa
CAMELINE, MYAGRE, myagrum, genre de plantes à fleurs polypétalées, de la tétradynamie siliculeuse, de la famille des crucifères, qui a pour caractère un calice de quatre folioles concaves et caduques ; une corolle de quatre pétales à onglet étroit et à sommet arrondi, six étamines, dont deux plus courtes ; un ovaire supérieur ovale, chargé d’un style à stigmate obtus.
Fleurs, polypétales, portées par des pédoncules d’un pouce de longueur, formant des épis clairs ou lâches aux extrémités des branches : elles sont composées d’un calice peu couvert et à quatre folioles ; de quatre pétales jaunâtres et en croix ; de six étamines, deux courtes et quatre longues, avec des anthères simples ; d’un germe supérieur et ovale, et d’un style conique ou en alêne, persistant et terminé par un stigmate obtus.
Fruits. Les silicules de la plante sont petites, ovoïdes, ou en forme de poires, plus larges dans leur partie supérieure, bordées et couronnées au sommet par le style de la Fleur ; chaque silicule est à deux loges, et renferme dix à douze petites semences ovoïdes et rouges.
Feuilles. Elles sont un peu velues, vertes, molles et pointues, embrassent la tige par leur base, où elles ont deux petites oreillettes ; leurs bords sont légèrement dentelés.
Port. La tige est droite, cylindrique, et rameuse vers son sommet ; ses rameaux sont lisses et remplis d’une moelle spongieuse.
Lieu. Rien n’est moins rare aux environs de Paris : elle croît naturellement dans les seigles, les orges et les avoines.
Propriétés. Elle est cultivée pour sa graine, dont on retire, par expression, une huile bonne à brûler, pour les cuirs et pour les laines.
La cameline change de nom selon le canton où on la cultive ; dans les pays circonvoisins de Calais, ou l’appelle camomen ; dans la Picardie, camornille ; et dans d’autres, sesame d’Allemagne. Elle s’apperçoit dans tous les lins, parmi lesquels sa graine se mêle. Les cultivateurs, à la vérité, ne se plaignent pas du dommage qu’elle leur cause, parce qu’on peut la rouir et la filer avec le lin ; cependant, il faut l’avouer, si la graine de cameline s’y trouvoit dans une certaine quantité ils ne manqueroient pas de chercher et de trouver les moyens de s’en débarrasser, vu que sa filasse est bien inférieure.
Dans les campagnes des environs de Béthune et de Saint-Omer, on cultive beaucoup de cameline ; elle est destinée à remplacer le lin, le colza, les pavots ou œillets que l’intempérie des saisons a détruits, tantôt par des gelées inattendues, tantôt par l’ardeur du soleil ou
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par des sécheresses prolongées ; alors les cultivateurs ont recours à la cameline : elle ne trompe jamais leur attente, parce que, pouvant être semée beaucoup plus tard que ces plantes, et n’exigeant que trois mois au plus pour parcourir toutes les périodes de sa végétation, elle n’est pas exposée aux mêmes inconvéniens ; ce sont là de ces avantages qu’on ne sauroit assez apprécier dans les cantons où les gelées tardives anéantissent en un instant toutes les ressources des habitans.
Dans les environs de Montdidier, on ne sème presque toujours la cameline que sur les parties des pièces de froment où ce grain a manqué ; on est encore à tenps de profiter de la ressource qu’offre cette plante, pour en couvrir les places vides dans le courant d’avril.
La cameline se cultive comme le lin, mais elle n’exige pas une aussi bonne terre. Après lui avoir donné deux labours avec un hersage, on sème à la volée ; on mêle la graine avec du sable, à cause de sa ténuité. Une mesure qui en contient environ deux livres suffit pour couvrir un arpent de cent perches, à vingt-deux pieds la perche ; les pieds doivent se trouver espacés d’environ six pouces les uns des autres, afin de multiplier davantage la graine.
Si la cameline est semée drue, elle étouffe toutes les autres plantes ; si elle est semée claire, il faut enlever les pieds, afin qu’elle n’en soit pas incommodée. Trois mois après l’ensemencement, la graine de cameline est mure, mais, pour la récolter, il ne faut pas attendre que les capsules soient parfaitement sèches, il suffit qu’elles commencent à jaunir ; autrement on seroit exposé à en perdre beaucoup. Cette graine est jaune, un peu oblongue, et exhale, à sa maturité, une odeur d’ail qu’elle perd par sa dessiccation ; elle ne conserve pas sa vertu germinative aussi longtemps que celle de beaucoup d’autres plantes, et ne réussit qu’étant semée un an après la récolte.
Des usages économiques de la cameline. Lorsque la graine est vannée, on l’envoie au moulin pour en tirer l’huile par l’expression ; cette huile est bonne à brûler, et a moins d’odeur que celle de colza ; cette dernière paroit cependant plus estimée, car sa graine se vend 13 francs, lorsque la même mesure de cameline ne vaut que 11 francs : l’huile qu’on en extrait suit à peu près les mêmes proportions. A la vérité, il semble que, depuis quelque temps, elle est plus recherchée, à cause vraisemblablement de ses usages plus multipliés. Plusieurs fabricans nous ont assuré qu’elle était employée aux vaisseaux, à la peinture, et surtout à l’éclairage, parce qu'elle a l’avantage de donner moins de fumée que les autres huiles dont on se sert dans les parties du nord de la France, pour le même objet ; on l’emploie encore dans la confection du savon, en hiver, de préférence aux autres huiles ; car, dans les temps chauds, elle n’a pas le même degré d’utilité ; mais c’est mal à propos que, dans quelques endroits, on appelle cette huile, huile de camomille, au lieu de cameline. La camomille est une plante fortement aromatique, d’une famille et d’une propriété bien différentes ; sa tige ne fournit pas de filasse, ni sa graine d’huile grasse.
Quand la tige de cameline est dépouillée de sa graine et séchée, on la conserve en tas, qu’on appelle moie ; on s’en sert pour se chauffer ; elle est aussi employée à la couverture des maisons des habitans de la campagne.
Quoique, dans les pays on le lin vient mal, la cameline pourroit fournir une filasse utile, c’est spécialement pour son produit huileux qu’elle est cultivée, et qu’on peut se flatter d’en retirer un grand profit ; la matière filamenteuse est si abon-
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-damment répandue dans la nature, qu’il n’y a pas d’arbres, d’arbrisseaux, ou de plantes, qui ne la contiennent, soit dans l'écorce, soit dans les feuilles, soit enfin dans le fruit ; on peut donc se dispenser de songer à cette dernière ressource, dans la culture de la cameline.
Cependant, quand on considère que l’huile de cameline, quoique, dans le commerce, son prix soit inférieur à celui des autres huiles, appartient à une plante qui en donne une très-grande quantité ; qu’elle peut se semer dans des terres sèches et légères sur lesquelles le lin ne réussiroit point ; qu’elle supplée les récoltes avortées, et en fournit deux, dans un cas urgent, à cause de l’extrème promptitude de sa végétation et du peu qu’elle exige du sol, on a droit d’être étonné, formalisé même, que la cameline, qui réunit tant d’avantages, soit encore dédaignée dans les endroits et dans les circonstances où elle pourroit remplacer le colza, la navette, l’œillette.
Mais, supposons que l’huile de cameline ne soit propre qu’à la lampe, et que ce soit par fraude qu’on en allonge l’huile de colza pour dégraisser les laines, ne pourroit-on pas espérer que la chimie vînt à bout de la rendre moins grossière ? M. Lendormy, médecin à Amiens, que la mort vient de frapper au milieu d’une carrière brillante et distinguée, à qui les objets d’économie n’étoient point étrangers, a obtenu quelques résultats qui lui faisoient croire que, si, avant l’extraction, on laissoit macérer la graine dans une lessive alcaline, il seroit possible de parvenir à l’améliorer.
Les hivers rigoureux des années précédentes ayant détruit un grand nombre de noyers et beaucoup d’oliviers, on a songé à réparer cette perte, en introduisant dans les cantons du midi de la France des plantes annuelles, telles que le pavot, la navette ; mais la cameline dont l’huile est destinée à brûler ou à dégraisser les laines, ou à fabriquer des savons, doit être adoptée dans tous les endroits où les gelées tardives détruisent ces dernières plantes.
Les expériences faites par M. Mesaize, professeur de chimie, sur la graine de pavot semée et récoltée dans les environs de Rouen, ne permettent plus de douter que, dans tous les cas, on peut substituer l’huile qu’on en retire à celle d’olive ; qu’elle est d’une grande utilité dans les arts, et qu’il seroit bien à désirer que celle plante fût cultivée dans le département de la Seine-Inférieure.
Peu d’auteurs ont traité ce sujet avec plus d’étendue, de clarté et de connoissances positives, que Rozier ; l’article Huile renferme des découvertes précieuses, et de grandes vues sur ce liquide et sur les végétaux propres à le fournir ; c’est précisément à cause de cette circonstance que je me permettrai d’ajouter, à la suite d’une plante qu’il avoit oublié de décrire, quelques considérations sur la même matière ; il convient que le Cours complet d’Agriculture offre le résumé de toutes les notions que nous possédons sur les huiles, et de toutes les vues présentées relativement à cette branche de l’industrie agricole et du commerce national.
Il existe une quantité considérable de végétaux dont le fruit ou la semence contient de l’huile, qui varie à raison du corps d’où elle est exprimée, et du procédé employé à son extraction ; ce n’est qu’en brisant les cellules qui la renferment qu’on peut parvenir à l’avoir à part ; mais, dans celle opération, absolument mécanique, c’est l'écorce et le germe qui produisent les nuances de qualité qui caractérisent ce fluide, et auxquels les huiles des plantes de la famille des crucifères doivent cette saveur si frappante de chou et de rave, qu’il n’est guères possible de méconnoitre dans
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l’huile de colza et de navette, et a l’art d’enlever en totalité.
Que d’arbres, d’arbrisseaux et de plantes dont les fruits ou les semences qu’on néglige, soumis au procédé ordinaire, fourniroient de l’huile ! Il en existe déjà plusieurs dont on tire parti depuis peu pour cet objet : dans les environs de Bouillon, par exemple, on obtient de la semence de galeope chanvrin une huile à brûler. Le cornouiller sanguin qui, dans certains cantons de la France, se trouve dans les taillis et sur les bords des fossés, rapporte des baies qui se perdent de toutes parts ; quatre-vingts livres de ces fruits, cueillis à leur point de maturité, ont produit quinze à seize livres d’huile propre à tous les usages domestiques.
L’arachide ou pistache de terre, dont la culture s’est propagée dans le département des Landes avec une rapidité étonnante, et qui fait le plus grand honneur à l’administrateur zélé qui a introduit et encouragé cette culture, aussi bien qu’aux citoyens qui ont secondé ses efforts, par leur empressement à en faire des essais et à rendre compte de leurs résultats ; l’acquisition de cette plante peut devenir une nouvelle source de richesses pour plusieurs de nos cantons méridionaux.
Nous n’avons qu’à vouloir, pour étendre la culture des plantes reconnues propres à donner de l’huile, pour multiplier leurs espèces, et nous dispenser d’aller au loin chercher à grands frais une matière si essentiellement nécessaire à l’économie domestique et aux arts de premier besoin. Peut-être qu’en nous attachant seulement à la nombreuse quantité de plantes crucifères, en découvririons-nous quelques unes dont la semence posséderoit des propriétés particulières aux localités. La graine de julienne, dont la culture est si facile, produit une grande quantité d’huile.
Les essais tentés eu dernier lieu sur le cresson alénois, en sont une preuve manifeste. Cette plante ne demeure en terre que pendant trois mois ; elle foisonne beaucoup en graine qui, mûrissant tout à la fois, n’est mangée ni par les rats, ni par les oiseaux, et ne se répand pas d’elle-même sur les champs ; ce sont autant d’avantages que ne partagent point les semences des raves et des choux ; l’huile qu’on en obtient peut servir à soutenir la concurrence avec les meilleures pour l’éclairage, les fritures, et le travail des laines ; enfin, la paille du cresson alénois réunit la ténacité, la souplesse du sparte, et peut être employée à quelques ouvrages de ce genre.
Toutes les plantes dont les semences sont dicotylédones, renferment plus ou moins d’huile ; ce seroit en vain qu’on voudroit tenter d’eu extraire des monocotylédones, parce qu’elles ne fournissent que des fécules ; mais le moyen le plus vulgaire pour s’assurer que telle ou telle graine peut donner de l’huile par expression, consiste à l’écraser dans un mortier avec un peu d’eau, qui alors devient laiteuse, et présente une sorte d’émulsion ; on peut compter dans ce nombre les semences du pedane acanthin, de la jusquiame noire, de la digitale pourprée, de la cynoglosse officinale, du cresson à petite fleur, de la gaude, et d’autres, dont on pourroit tirer parti, toutefois en les cultivant ; car, nous le répétons, les végétaux qui croissent spontanément ne seront jamais que des ressources précaires, lorsqu’il s’agira de remplacer ceux qui couvrent une certaine étendue de terrain. Tenons-nous en aux plantes qui nous sont les plus connues, cultivons-les bien, soignons leurs récoltes, accordons surtout plus d’extension à celles pour lesquelles le sol et le climat de la France sont si favorables ; nous ne serons plus obligés alors de tirer de l’étranger, pour des sommes exorbitantes, de la graine et de
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l’huile de lin, du lin et du chanvre en masse, filés ou ouvragés, que peuvent fournir nos fabriques nationales. Les végétaux propres à donner de l’huile ont bien trouvé quelques écrivains ; mais il est honteux que nous ne possédions pas encore de traité complet sur ceux qui donnent de la filasse, quand on en a tant composé pour des plantes dont les avantages sont au moins problématiques.
(Parmentier.)