Betterave (Cazin 1868)

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Bette
Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Bident


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Nom accepté : Beta vulgaris


BETTERAVE. Beta vulgaris. L.


Cette plante est une variété de la précédente, à racine épaisse et charnue. Elle a elle-même plusieurs sous-variétés qui diffèrent principalement par la couleur des racines et des feuilles. L'espèce dite betterave blanche de Silésie est la plus utile à l'industrie.

Propriétés physiques et chimiques; usages économiques. — Cette racine est un aliment convenable aux personnes d’un tempérament chaud, bilieux et irritable. Les feuilles ont peu de sapidité ; cependant lorsqu’elles sont jeunes et tendres, on peut les substituer aux épinards. On mange également les jeunes pousses que les racines jettent en hiver dans la cave ou la serre. Les principes constituants de la racine la rendent très-nourrissante.

La betterave n’a été longtemps cultivée dans les jardins que pour l’usage culinaire ; mais lorsque le système continental eut réduit la France presque aux productions de son sol, le génie industriel prit un nouvel essor, et l’on vit nos chimistes s’élancer dans le vaste champ de l'expérimentation et des découvertes. Chaptal, Deyeux, Barruel, etc., connaissant les travaux de Margraaff sur l’extraction du sucre de la betterave, travaux qui, plus récemment, avaient été repris par Achard, de Berlin, s’attachèrent à perfectionner les procédés. Il est résulté de ces recherches et des succès obtenus depuis, que la culture de la betterave s’est prodigieusement étendue, et que la France, s'affranchissant ainsi du tribut qu’elle payait à l'étranger, produit annuellement de 40 à 50 millions de kilogrammes de sucre.

(Le sucre est employé sous plusieurs formes principales, le sucre brut ou cassonade, le sucre cristallisé ou candi, le sucre raffiné en pains, et la partie non cristallisable, la mélasse ou sirop. — Cette dernière, en dissolution dans l'eau, est susceptible de fermentation alcoolique.)

Indépendamment du sucre, la racine de betterave qu’on a fait fermenter donne de l'alcool à la distillation. [On peut en préparer des boissons alcooliques assez agréables.]

En Lithuanie, on réduit la pulpe de betterave à l’état de fermentation acéteuse. Cette pulpe, convenablement accommodée, est très-agréable au goût. On la regarde comme un préservatif des fièvres putrides et des affections scorbutiques.

La betterave fournit une nourriture très-saine à tous les bestiaux, surtout aux vaches, dont elle rend le lait plus abondant et plus crémeux.

(Dans le département du Nord, les tourteaux de betterave, après l’extraction du suc, forment une grande partie de leur alimentation ; ils augmentent beaucoup la nutrition du tissu adipeux. On a constaté[1] que les vaches et les chèvres exclusivement nourries de betteraves donnent un lait exactement semblable à celui de la femme. Ce fait est d’une très-haute importance, et nous souhaitons que de nouvelles expériences viennent le confirmer.)

L’usage du sucre dans l'économie domestique, dans l'art du confiseur, dans celui du pâtissier, dans tout ce qui est propre à flatter le goût et la sensualité, est trop connu pour que nous ayons à nous en occuper. Son intervention dans un grand nombre de préparations pharmaceutiques est tellement indispensable, qu'un pharmacien qui manque d'une chose essentielle est, dans le langage populaire, un apothicaire sans sucre.

Le sucre, selon Gay-Lussac et Thénard, est composé de : carbone, 42.27 ; oxygène, 50.63 ; et hydrogène, 6.90. Il est soluble dans son poids d’eau froide, et en toute proportion dans ce liquide bouillant. Une partie d’eau et deux de sucre forment le sirop. L'alcool concentré est presque sans action sur le sucre ; l’alcool faible le dissout, moins bien cependant que l'eau. L’acide sulfurique le charbonne rapidement ; l'acide nitrique le décompose et le convertit en acide oxalique. Les alcalis, et surtout la chaux, le rendent amer, astringent et incristallisable. Chauffé, il fond, (se décompose en partie, prend, une couleur foncée, une odeur forte, agréable et empyreumatique, devient caramel ; puis, l'action de la chaleur étant continuée, se boursoufle, noircit et se carbonise.)

[Le sucre est la base des saccharolés, que l’on divise en pharmacie de la manière suivante :

Saccharolés liquides, sirops, mellites et oxymellites ;

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  1. Annales vétérinaires, 1863.


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Saccharolés mous, gelées, marmelades, pâtes et conserves;

Saccharolés solides, tablettes, pastilles, saccharines, oléo-saccharums.]

(Le sucre de betterave se différencie cle celui de canne en ce que l’acide sulfurique noircit la dissolution aqueuse du premier et est sans aclion sur celle du second. La distillalion sèche du sucre produit cle l'acétone.)

Le sucre est adoucissant, relâchant et très-nutritif. Dans les colonies, les hommes employés à la fabrication de ce produit acquièrent beaucoup d’embonpoint, et offrent tous les signes de la force et de la santé la plus florissante, en mangeant en abondance de la mélasse, de la cassonade et du sucre. En Europe, ceux qui font un grand usage de sucre ne sont pas moins bien portants que ceux qui n’en font aucun usage. Le duc de Beaufort, qui, pendant quarante ans, en a mangé plus de 500 gr. par jour, a vécu jusqu’à soixante-dix ans. Le célèbre jurisconsulte batave Coster, qui a poussé sa carrière jusqu'à l'âge de quatre-vingt-dix ans, en a fait pendant toute sa vie une énorme consommation.

Cependant, l’abus de cette substance peut être nuisible comme celui des meilleures choses. On a accusé le long usage du sucre d’altérer le tissu des dents, et de donner lieu à l’espèce de carie qui se manifeste au collet de ces ostéides, et que l'on désigne sous le nom de carie sucrée. Cette opinion semble justifiée par l’expérience.

(Pendant mon internat à l’hôpital Necker, mon cher maître, Delpech, s'occupait spécialement des maladies professionnelles. Notre attention a été deux fois portée sur l’appareil dentaire de deux confiseurs. L'un d'eux surtout présentait une carie très-avancée des incisives et des canines du côté gauche ; voulant nous rendre compte de cette particularité, nous avons appris qu’en faisant le sucre d’orge, ils cassaient avec les dents le produit, pour s’assurer de sa consistance ; cette petite épreuve se faisait du côté gauche, parce que pendant que la main droite opérait la confection du sucre, la gauche en portait un fragment à la bouche.

On a avancé que le sucre attaquait l'émail des dents à cause de sa transformation en acide lactique sous l'influence de la salive.)

Stark l'a accusé, sans preuves, d'opérer la dissolution du sang et de produire beaucoup d'autres inconvénients. Magendie a observé que le sucre pur, donné pendant longtemps pour seule nourriture à des chiens, amenait la faiblesse, le marasme et la mort. Mais doit-on conclure des effets de cet aliment sur des animaux carnivores, à son action sur l’homme, qui vit également de matières végétales et animales?... Non. Est-ce avec plus de raison qu’on a regardé l’abus du sucre comme pouvant, sinon causer, du moins favoriser la glycosurie ou diabète sucré, dont la pathogénie, malgré les recherches chimico-physiologiques de Mialhe, Bouchardat, Claude Bernard, etc., est encore bien obscure ?

(Bouchardat a établi d'une façon magistrale l'hygiène et le régime des diabétiques, et il a insisté sur l'abstention complète du sucre et des aliments qui pourraient, par suite des réactions digestives, former du sucre. La suspension de cet aliment respiratoire amène une amélioration quelquefois très-prompte dans les phénomènes de la soif ardente. Ces préceptes sont admis par la généralité des praticiens ; aussi est-ce avec un étonnement marqué que, dans ces derniers temps, nous avons vu surgir une théorie toute différente : pour réparer les pertes du sucre normal, je dirai même physiologique, nécessaire aux fonctions de nutrition, un médecin anglais conseille d’en saturer les diabétiques. Je doute que son exemple soit suivi.

Le sucre, pris en quantité trop grande, donne des aigreurs à certains dyspeptiques ; il détermine de la soif et mène ainsi à l’ingestion abusive des boissons aqueuses.


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Bouchardat et Sandras avaient, dès 1846[1], avancé que le sucre retardait l’absorption. C’est probablement à ce titre qu'il a pu être utile pour arrêter les progrès de l’ivresse commençante ou diminuer la rapidité et la gravité des symptômes alcooliques.[2]

Le sucre, et surtout la cassonade, pris en grande quantité, est laxatif. En calmant l’irritation des voies digestives, il a pu remédier à des gastroentérites chroniques ou à des engorgements abdominaux accompagnés de phlegmasie, de constipation, de chaleur fébrile, etc., sans pour cela agir par une vertu résolutive que quelques auteurs ont cru lui reconnaître. C’est à cette action adoucissante, et peut-être aussi à une combinaison chimique, qu’il faut rapporter les succès que Lobb[3] lui a attribués dans les affections arthritiques et calculeuses. C’est un fait à noter que l'urine des chiens sur lesquels expérimentait Magendie, analysée par Chevreul, était alcaline et ne contenait pas trace d’acide urique. Le sucre est employé avec avantage dans les irritations internes en général, et en particulier dans celles de la poitrine, des intestins et des voies urinaires.

Beccher, Pringle, Magbride, Targioni, se fondant sur des expériences constatant que le sucre retarde la putréfaction des matières animales privées de vie, l’ont considéré comme antiputride. Comme tel, ils l’ont prescrit dans les fièvres typhoïdes, le typhus, le scorbut. C’est évidemment plutôt comme substance adoucissante et alimentaire qu’il peut être utile dlans ces maladies.

On croit vulgairement que le sucre favorise la production des vers chez les enfants. Mais des vers plongés dans le sucre, soit en poudre, soit en solution, ont éprouvé en assez peu de temps, d’après les expériences de Redi[4], les effets d'une action délétère. Mérat[5] range le sucre au nombre des substances qui agissent comme anthelmintiques en tuant les vers par indigestion. J’emploie fréquemment les lavements de décoction de graines de lin dans le lait, avec addition de cassonade et d’huile d'olives, de lin ou d'œillette. Ces lavements sont surtout convenables quand la douleur, une irritation vive ou un état phlegmasique des intestins se joint à l’affection vermineuse. Je les mets aussi constamment en usage dans les convulsions et dans tous les accidents sympathiques qui, par leur invasion soudaine, ne permettent guère que l’administration des moyens que l’on peut toujours trouver sous la main. Je fais ordinairement succéder à l'usage de ces lavements, que je considère plutôt comme préparatoires que comme curatifs, l'emploi à l'intérieur de vermicides appropriés à l'état du sujet, et quelquefois même, quand il n’existe pas de contre-indication, l'usage de lavements vermifuges-purgatifs faits avec la décoction de gratiole, de racine de bryone, de mercuriale annuelle, de liseron des haies, etc.

(Le hasard a signalé à Debout l'action délétère du sucre sur les entozoaires[6]. Placés dans de l'eau sucrée, les oxyures vermiculaires s'y tordent, s'y crispent et tombent rapidement sans vie au fond du vase. De cette observation à l’application thérapeutique il n'y avait pas loin. Les lotions et les lavements d’eau fortement sucrée ont admirablement réussi à cet habile praticien, contre ces parasites. La vie des animaux respirant dans l’eau est incompatible avec la présence d’une quantité plus ou moins grande d'une substance sucrée. Nous faisons appel chaque jour à ces propriétés toxiques pour faire tomber les sangsues. L'action topique n'est pas douloureuse comme

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  1. Supplément à l’Annuaire, mémoire sur la digestion des sucres.
  2. Lecœur, Du sucre contre l’ivresse. Caen, 1860.
  3. A treatise on dissolvents of the stone, and curing the stone and gout by aliments. Londres. 1739.
  4. Opere di F. Redi, etc. Florence, 1702.
  5. Dictionnaire des sciences médicales, t. LVII, p. 197 et suiv.
  6. Bulletin thérapeutique, 1863.


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celle du-sel marin sur les piqûres. Des expériences nombreuses, instituées par Mundt[1], ont démontré que, dans ces cas, la mort ne peut être attribuée ni à l’absence de l’air, ni à la fermentation, ni à l'action chimique exercée sur le sang, ni à la viscosité, mais qu'elle est uniquement due à l'action osmotique (endosmose et exosmose) des solutions sucrées.

Plusieurs phénomènes physiologiques et pathologiques trouvent leur explication dans l’osmose exercée par les substances sucrées : ainsi, la soif excitée par leur ingestion, l’eau des tissus en contact avec elles se trouvant absorbée ; le pouvoir digestif de petites quantités de sucre qui provoquent l’exosmose du suc gastrique, tandis que de grandes quantités introduites dans le sang en augmentent le pouvoir osmotique, ce qui fait comprendre l’emploi de ces substances dans le traitement des hydropysies, etc., etc.)

D’après les expériences de Duval (in Flore méd.), le sucre, avalé en grande quantité et immédiatement, soit en poudre, soit en solution aqueuse, prévient les accidents auxquels donne lieu l’empoisonnement par le vert-de gris.

(Le charbon de sucre est d'un usage populaire en Grèce dans la dysenterie. Poliazky[2] a soumis ce moyen au contrôle de l'expérience. Il a toujours réussi dans les cas légers ou graves, en l’administrant à la dose d'une demi-cuillerée à bouche, deux fois par jour.)

Appliqué à l’extérieur, le sucre en poudre est regardé comme détersif et légèrement cathérétique. Dans ce cas il agit mécaniquement, en irritant un peu les parties dénudées, jusqu’à ce que ses molécules aient été dissoutes. Ainsi, on l’applique sur les ulcères blafards et atoniques, sur les gerçures du mamelon non enflammées, en insufflation sur les taies et les petits ulcères de la cornée, dans les fosses nasales chez les enfants atteints de coryza. Sa solution aqueuse est employée en gargarisme contre les aphthes des enfants et contre certaines ulcérations de la bouche ; en injection dans le conduit auditif, contre les écoulements sanieux de ce conduit, et en lavement pour provoquer doucement l’action du gros intestin. Le lavement de parties égales de lait et d’eau, avec addition de cassonade, remplit très-bien cette dernière indication.

(La mélasse peut remplacer, mais avec désavantage, le bon miel dans une foule de circonstances ; comme ce dernier, elle sert à édulcorer les boissons médicamenteuses et à donner aux médicaments pulvérulents la forme qui doit en faciliter l'ingestion. Elle pourrait être d'un usage économique dans la préparation de certains sirops pharmaceutiques ; elle sert également à augmenter l'action des lavements.)

La vapeur épaisse, aromatique et suave du sucre brûlé passe pour désinfectante. Elle masque seulement les émanations malfaisantes, sans les corriger.

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  1. Académie des sciences, 1860.
  2. Journal de médecine, de chirurgie et de pharmacologie de Bruxelles, novembre 1863.