Batate ou Patate (Candolle, 1882)
Nom accepté : Ipomoea batatas (L.) Lam.
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Batate ou Patate, Sweet Potatoe (en anglais) — Convolvolus Batatas, Linné. Batatas edulis, Choisy.
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racines de cette plante, renflées en tubercules, ressemblent aux Pommes de terre, d'où il est résulté que les navigateurs du xvie siècle ont appliqué le même nom à ces deux espèces très différentes. La Batate est de la famille des Convolvulacées, la Pomme de terre de celle de Solanées ; les parties charnues de la première sont des racines, celles de la seconde des rameaux souterrains 1.
La Batate est sucrée, en même temps que farineuse. On la cultive dans tous les pays intertropicaux ou voisins des tropiques, plus peut-être dans le nouveau monde que dans l'ancien 2.
Son origine est douteuse d'après un grand nombre d'auteurs. De Humboldt 3, Meyen 4, Boissier 5, indiquent une origine américaine ; Bojer 6, Choisy 7, etc., une origine asiatique. La même diversité se remarque dans les ouvrages antérieurs. La question est d'autant plus difficile que les Convolvulacées sont au nombre des plantes les plus répandues dans le monde, soit depuis des époques très anciennes, soit par l'effet de transports modernes.
En faveur de l'origine américaine, il y a des motifs puissants. Les 15 espèces connues du genre Batatas se trouvent toutes en Amérique, savoir 11 dans ce continent seul et 4 à la fois en Amérique et dans l'ancien monde, avec possibilité ou probabilité de transports. La culture de la Batate commune est très répandue en Amérique. Elle remonte à une époque reculée. Marcgraff 8 la cite pour le Brésil, sous le nom de Jetica. Humboldt dit que le nom Camote vient d'un mot mexicain. Le mot de Batatas (d'où par transposition erronée on a fait Potatoe, pomme de terre) est donné pour américain. Sloane et Hughes 9 parlent de la Batate comme d'une plante très cultivée, ayant plusieurs variétés aux Antilles. Ils ne paraissent pas soupçonner une origine étrangère. Clusius, qui l'un des premiers a parlé de la Batate, dit en avoir mangé dans le midi de l'Espagne, où l'on prétendait l'avoir reçue du nouveau monde 10. Il indique les noms de Batatas, Camotes, Amotes, Ajes 11, qui étaient étrangers aux langues de
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1. Turpin a publié de bonnes figures qui montrent clairement ces faits. Voy. Mémoires du Muséum, in-4, vol. 19, pl. 1, 2 et 5.
2. Le Dr Sagot a donné des détails intéressants sur le mode de culture, le produit, etc., dans le Journal de la Société d'hortic. de France, vol. 5, 2e série, p. 430-458.
3. Humboldt, Nouv.-Espagne, éd. 2, vol. 2, p. 470.
4. Meyen, Grundrisse Pflanz. geogr., p. 373.
5. Boissier, Voyage botanique en Espagne.
6. Bojer, Hort. maurit., p. 225.
7. Choisy, dans Prodromus, 9, p. 338.
8. Marcgraff, Bres., p. 16, avec fig.
9. Sloane, Hist. Jam., I, p. 150 ; Hughes, Barb. p. 228.
10. Clusius, Hist., II, p. 77.
11. Ajes était un nom de l'igname (Humb., Nouv-Esp., 2e édit., vol. 2, p. 467, 468).
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l'ancien monde. Son livre date de 1601. Humboldt 1 dit que, d'après Gomara, Christophe Colomb, lorsqu'il parut pour la première fois devant la reine Isabelle, lui offrit divers produits du nouveau monde, entre autres des Batates. Aussi, ajoute-t-il, la culture de cette plante était-elle déjà commune en Espagne dès le milieu du xvie siècle. Oviedo 2, qui écrivait en 1526, avait vu la Batate très cultivée par les indigènes de Saint-Domingue, et l'avait introduite lui-même à Avila, en Espagne. Rumphius 3 dit positivement que, selon l'opinion commune, les Batatas ont été apportées par les Espagnols d'Amérique à Manille et aux Moluques, d'où les Portugais les ont répandues dans l'archipel indien. Il cite des noms vulgaires, qui ne sont pas malais et qui indiquent une introduction par les Castillans. Enfin, il est certain que la Batate était inconnue aux Grecs, aux Romains et aux Arabes ; qu'elle n'était pas cultivée en Egypte, et cela même il y a quatre-vingts ans 4, ce qui ne s'expliquerait guère si l'on suppose une origine de l'ancien monde.
D'un autre côté, il y a des arguments pour une origine asiatique. L'Encyclopédie chinoise d'agriculture parle de la Batate et mentionne diverses variétés 5 ; mais le Dr Bretschneider 6 a constaté que l'espèce est décrite pour la première fois dans un livre du iie ou iiie siècle de notre ère. D'après Thunberg 7, la Batate a été apportée au Japon par les Portugais. Enfin la plante cultivée à Taïti, dans les îles voisines et à la Nouvelle-Zélande, sous les noms Umara, Gumarra et Gumalla, décrite par Forster 8 sous le nom de Convolvolus chrysorhizus, est la Batate, d'après sir Joseph Hooker 9. Seemann 10 fait observer que ces noms ressemblent au nom quichuen de la Batate, en Amérique, qui est, dit-il, Cumar. La culture de la Batate était répandue dans l'Inde au xviiie siècle 11. On lui attribue plusieurs noms vulgaires, et même, selon Piddington 12, un nom sanscrit, Ruktaloo (prononcez Roktalou), qui n'a d'analogie avec aucun nom à moi connu et n'est pas dans le dictionnaire sanscrit de Wilson. D'après une note que m'avait donnée Adolphe Pictet, Ruktaloo semble un nom bengali composé du sanscrit Alu (Rutka, plus âlu, nom de l'Arum campanulatum). Ce nom, dans les dialectes modernes, désigne l'Igname et la Pomme de terre. Cependant Wallich 13 in-
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1. Humboldt, Nouv.-Esp., 1. c.
2. Oviedo, trad. de Ramusio, vol. III, part. III.
3. Rumphius, Amboin., V, p. 368.
4. Forskal, p. 54 ; Delile, lit.
5. D'Hervey Saint-Denys, Rech. sur l'agric. des Chin., 1850, p. 109.
6. Study and value of chinese bot. works, p. 13.
7. Thunberg, Flora japon., p. 84.
8. Forster, Plantæ escul., p. 56.
9. Hooker, Handb. New Zealand. flora, p. 194.
10. Seemann, Journal of bot., 1866, p. 328.
11. Roxburgh, édit. Wall., II, p. 69.
12. Piddington, Index.
13. Wallich, Flora Ind., 1. c.
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dique plusieurs autres noms que Piddington omet. Roxburgh 1 ne cite aucun nom sanscrit. Rheede 2 dit que la plante était cultivée au Malabar. Il cite des noms vulgaires indiens.
Les motifs sont beaucoup plus forts, ce me semble, en faveur de l'origine américaine. Si la Batate avait été connue dans l'Inde à l'époque de la langue sanscrite, elle se serait répandue dans l'ancien monde, car sa propagation est aisée et son utilité évidente. Il paraît, au contraire, que les îles de la Sonde, l'Egypte, etc., sont restées étrangères pendant longtemps à cette culture.
Peut-être un examen attentif ramènera-t-il à l'opinion de G. F. W. Meyer, qui distinguait 3 la plante asiatique des espèces américaines. Cependant on n'a pas suivi généralement cet auteur, et je soupçonne que, s'il y a une espèce asiatique différente, ce n'est pas, comme le croyait Meyer, la Batate décrite par Rumphius, que celui-ci dit apportée d'Amérique, mais la plante indienne de Roxburgh.
On cultive des Batates en Afrique ; mais, ou leur culture est rare, ou les espèces sont différentes. Robert Brown 4 dit que le voyageur Lockhardt n'avait pas vu la Batate, dont les missionnaires portugais mentionnaient la culture. Thonning 5 ne l'indique pas. Vogel a rapporté une espèce cultivée sur la côte occidentale, qui est certainement, d'après les auteurs du Flora Nigritiana, le Batatas paniculata Choisy. Ce serait donc une plante cultivée pour ornement ou comme espèce officinale, car la racine en est purgative 6. On pourrait croire que, dans certains pays de l'ancien ou du nouveau monde, l'Ipomœa tuberosa L. aurait été confondu avec la Batate ; mais Sloane 7 nous avertit que ses énormes racines ne sont pas bonnes à manger 8.
Une Convolvulacée à racine comestible qui peut bien être confondue avec la Batate, mais dont les caractères botaniques sont pourtant distincts, est l'Ipomœa mammosa, Choisy (Convolvulus mammosus, Loureiro Batata mammosa, Rumphius, Amb., I. 9, tab. 131). Cette espèce croît spontanément près d'Amboine (Rumphius), où elle est aussi cultivée. Elle est estimée en Cochinchine.
Quant à la Batate (Batatas edulis), aucun botaniste, à ma con-
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1. Roxburgh, éd. 1832, vol. 1, p. 483.
2. Rheede, Mal., 7, p. 93.
3. Meyer, Primitiæ Fl. Esseq., p. 103.
4. R. Brown, Bot. Congo, p. 55.
5. Thonning, Pl. Guin.
6. Wallich, dans Roxburgh, Fl. Ind., II, p. 63.
7. Sloane, Jam., I, p. 152,
8. Plusieurs Convolvulacées ont des racines (plus exactement des souches) volumineuses, mais alors c'est la base de la tige avec une partie de la racine qui est épaissie, et cette souche radicale est toujours purgative (Jalaps, Turbith, etc.), tandis que dans la Batate ce sont les racines latérales, organe différent, qui s'épaississent.
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naissance, ne dit l'avoir trouvée lui-même sauvage, ni dans l'Inde, ni en Amérique 1. Clusius 2 affirme, sur ouï-dire, qu'elle croît spontanée dans le nouveau monde et dans les îles voisines.
Malgré la probabilité d'une origine américaine, il reste, comme nous venons de le voir, bien des choses inconnues ou incertaines sur la patrie primitive et le transport de cette espèce, qui joue un rôle considérable dans les pays chauds. Quelle que fût son origine, du nouveau ou de l'ancien monde, comment expliquer qu'elle eût été transportée d'Amérique en Chine au commencement de notre ère et dans les îles de l'océan Pacifique à une époque ancienne, ou d'Asie et d'Australie en Amérique dans un temps assez reculé pour que la culture s'en soit répandue jadis des Etats-Unis méridionaux jusqu'au Brésil et au Chili ? Il faut supposer des communications préhistoriques entre l'Asie et l'Amérique, ou se livrer à un autre genre d'hypothèses, qui, dans le cas actuel, n'est pas inappliquable. Les Convolvulacées sont une des rares familles de Dicotylédones dans lesquelles certaines espèces ont une aire, ou extension géographique, très étendue et même divisée entre des continents éloignés 3. Une espèce qui supporte actuellement le climat de la Virginie et du Japon peut avoir existé plus au nord avant l'époque de la grande extension des glaciers dans notre hémisphère, et les hommes préhistoriques l'auraient transportée vers le midi quand les conditions de climat ont changé. Dans ces hypothèses, la culture seule aurait conservé l'espèce, à moins qu'on ne finisse par la découvrir sauvage en quelque point de son ancienne habitation, peut-être, par exemple, au Mexique ou en Colombie.
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1. Le n° 701 de Schomburgk, coll. 1, est spontané dans la Guyane. Selon M. Choisy, c'est une variété du Batatas edulis; selon M. Bentham (Hook, Journ. bot., V, p. 352), c'est le Batatas paniculata. Mon échantillon, assez imparfait, me semble différer des deux.
2. Clusius, Hist., 2, p. 77.
3. A. de Candolle, Géog. bot. raisonnée, p. 1041-1043 et p. 516, 518.