Angavodiana (Pharmacopée malagasy)
[289]
Sommaire
Nom scientifique : Agauria salicifolia Hooker fils (Ericacées) (Synonymes : Andromeda salicifolia Lamarck ; Leucothoe salicifolia De Candolle ; Agarista salicifolia Don, etc.).
- Nom accepté : Agauria salicifolia
Autres noms malagasy : Ankavodiana, Kavodiana, Gavodiana, Kavodia, etc.
Noms créoles : Bois de rempart, Langavel (Maurice) ; Bois de rempart, Bois de rivière, Mapou (La Réunion) ; le dernier nom commun à plusieurs arbres toxiques.
[288]
Description
Arbre ou arbuste de 8 à 10 mètres de haut avec un diamètre atteignant parfois 80 centimètres dans les forêts ombrophiles, mais réduit à un buisson de 2 à 3 mètres de haut sur les sols arides ; à écorce épaisse, crevassée, brune, grise ou noirâtre ; parfois à cime étalée et à branches plus ou moins retombantes (port de saule pleureur) ; rameaux toujours glabres. Feuilles de forme et de dimensions très variables suivant les variétés (voir ci-dessous), mais toujours à limbe coriace, glabre, glauque en-dessous, pétiolées (pétiole de 5 à 15 millimètres de long, toujours glabre).
Fleurs en grappes axillaires, imitant des cymes unipares, parce que les pédicelles floraux grêles plient sous le poids des fleurs et que celles-ci paraissent toutes insérées du même côté du rachis, réparties à l'aisselle des feuilles supérieures sur tous les rameaux périphériques ; rachis de la grappe glabre, atteignant 5 à 12 centimètres de long ; chaque fleur portée par un pédicelle grêle, glabre, de 3 à 5 millimètres de long ; calice à 5 segments (parfois 4 accidentellement) presque libres jusqu'à la base, ovales-lancéolés, aigus au sommet, à bords membraneux ou scarieux, pourvus de cils plus ou moins nombreux et longs ; segments souvent pubescents à leur face externe, tout au moins dans certaines formes ; corolle d'un blanc jaunâtre ou verdâtre ou rose pâle, tubuleuse, un peu urcéolée, glabre, de 7 millimètres de long et 3 à 4 millimètres de diamètre, à 5 segments (rarement 4) triangulaires, très petits, réfléchis vers l'extérieur ; 10 étamines à filet pubescent, élargi à la base, puis régulièrement atténué vers l'anthère ; celle-ci formée de deux théques confluentes à la base, en forme d'ampoules gibbeuses à la base, effilées au sommet et terminées par un bec où s'ouvre le pore par où s'échappe le pollen ; ovaire glabre, à 5 loges (rarement 4), chacune pourvue d'un gros placenta axille ; style épais, aussi long que le tube de la corolle, terminé par un stigmate peu distinct. Le fruit est une capsule de 6 millimètres de diamètre, s'ouvrant par 5 fentes longitudinales, contenant de très nombreuses graines, très petites, applaties, linéaires.
Espèce très répandue dans toute l'Afrique tropicale (Cameroun, Gabon, République Centrafricaine, Congo, Kenya, Tanzanie, etc.), aux Comores, à Madagascar, aux Mascareignes.
Le très grand polymorphisme de cette espèce a été souligné par tous les auteurs qui l'ont étudiée et notamment par J.G. Baker in Flora of Mauritius, p. 80 ; E. Jacob de Cordemoy in Flore de la Réunion, p. 438 ; et H. Perrier de la Bâthie in Revue Générale de Botanique, XXXV, 1923, p. 321.
Plusieurs de ces formes ont été considérées dans le passé comme des espèces distinctes par divers auteurs. On tend aujourd'hui à n'en faire que des sous-espèces ou des variétés, voire même de simples écotypes d’A. salicifolia.
La forme type : A. salicifolia, variété salicifolia, est caractérisée par ses feuilles oblongues, arrondies ou un peu atténuées aux deux extrémités
[289]
[290]
mais souvent apiculées ou même acuminées au sommet, de 3 à 13 centimètres de long et 0,8 à 3,8 centimètres de large (voir fig. 52). C'est une forme des forêts ombrophiles, commune sur le versant oriental de Madagascar à moyenne et basse altitude, mais existant aussi dans les habitats analogues où l'espèce est présente.
Agauria Bojeri De Candolle (syn. : Andromeda ciliosa Bojer ; Leucothoe Bojeri De Candolle) se distingue par son calice plus nettement pubescent à la face externe, à segments bordés de cils plus visibles, et par ses feuilles plus largement oblongues ou obovales. C'est une forme des forêts plus sèches, qu'on trouve plutôt à Madagascar sur le versant occidental ;
- Nom accepté : Agauria bojeri
Agauria buxifolia De Candolle (syn. : Andromeda buxifolia Commerson ex Lamarck) est une forme à très petites feuilles coriaces, obovales (un excellent dessin en a été publié par le Botanical Magazine, Tab. 2660). C'est un écotype des sables littoraux, au bord de la mer ;
- Nom accepté : Agauria buxifolia
Agauria littoralis De Candolle (syn. : Leucothoe littoralis D.C.) affectionne au contraire les rives des cours d'eau de haute altitude dans l'Imerina, le Vakinankaratra et le Betsileo. Les Malagasy le distinguent sous les noms d’Angavodianandrano, Angavodiandrano, Angavodianalahy, Kavodiandrano, Kavodiandimo, etc. Cette forme présente des feuilles étroites presque linéaires, de 2 à 5 centimètres de long et 0,3 à 0,7 centimètre de large. Elle est considérée comme la forme la plus toxique et l'étude chimique a confirmé sa teneur plus élevée en alcaloïdes ;
- Nom accepté : Agauria littoralis
Agauria polyphylla Baker est la forme la plus répandue en Imerina. Elle présente des feuilles largement obovales, souvent un peu gaufrées, toujours très obtuses et arrondies ou même émarginées au sommet. Les Malagasy la distinguent sous les noms d’Angavodianantanety, Ankavodianantanety, Angavodianavavy, Kavodianantanety, Kavodianavavy, etc. ;
- Nom accepté : Agauria polyphylla
Agauria nummulariaefolia Baker est une forme récoltée dans le nord-est de l'Ile (région de Vohémar), se distinguant par ses feuilles suborbiculaires ;
- Nom accepté : Agauria nummulariifolia
Agauria pyrifolia De Candolle est une forme de La Réunion qui rappelle beaucoup l’A. polyphylla Baker, si même elle s'en distingue.
- Nom accepté : Agauria salicifolia var. pyrifolia
Bibliographie botanique
- Lamarck in Encyclopédie Méthodique, tome, I, p. 159.
- De Candolle in Prodromus Regni Vegetabilis, tome VII, p. 602-603.
- Oliver in Flora of Tropical Africa, tome III (1877), p. 483 ; c'est cet ouvrage qui contient la description de Hooker fils.
[291]
- Baker in Journal of the Linnean Society (London), XX (1882), p. 190, et XXV (1887) p. 332.
- Engler : Vegetation Ansicht der deutsch Ost-Africa (1902) p ... et tab. 60.
- Karsten et Schensk : Vegetation Bild, XII (1914), tab. 14.
- H. Lecomte : Les Bois de la Forêt de l'Analamazaotra, Paris, 1922, p. 119.
- Louvel : Bulletin Economique de Madagascar, 1924, 1er et 2e trim., fig. 5.
- H. Perrier de la Bâthie : Revue Générale de Botanique (Paris), XXXV, 1923, p. 321.
- Hutchinson et Dalziel : Flora of West Tropical Africa, tome II (1931), p. 1.
- Lebrun : Essences Forestières (Publication de l'Institut National d'Etudes Agronomiques du Congo Belge ; série sciences, n° 1, 1935) p. 189 et tab. 16.
Les Ericacées malagasy n'ont fait l'objet d'aucune révision récente.
Emplois empiriques
Daruty de Grandpré dans ses Plantes Médicinales de l'île Maurice (p. XVI et 7) considère l’Agauria comme « dépuratif, antipsorique et antivénérien » et en recommande l'emploi dans la gale. Le mode de traitement est précisé comme suit (p. 66) : « Pilez les feuilles de Langavel ; ajoutez un peu de sel de cuisine ; faites une pâte avec laquelle vous frotterez les galeux ». C'est donc un traitement purement externe qui est préconisé.
M. Radais et A. Sartory (loc. cit.) rapportent d'après le Commandant Herqué, le Dr Lafont, Médecin principal des Troupes Coloniales, et le Capitaine Desroches, que l’Agauria est un toxique redoutable ayant causé des accidents mortels chez les animaux qui en broutent accidentellement les feuilles. L'action est rapide et intense et se traduit par une mort presque immédiate chez le boeuf ; la chèvre succombe après avoir ingéré quelques feuilles seulement ; le lapin après avoir brouté une feuille et demi. La plante fraîche présente une action révulsive qui la fait employer en topique sur les rhumatismes et douleurs articulaires. Mais ces propriétés disparaissent avec le séchage, alors que la toxicité persiste chez la drogue sèche.
D'après Heckel, dans son ouvrage bien connu : Plantes utiles de Madagascar, p. 33, « ce serait, paraît-il, un poison violent qu'il conviendrait dès lors d'étudier méthodiquement. Le bois appliqué sur une simple écorchure y produirait une sensation de brûlure ».
[292]
Étude chimique et pharmacologique
La très violente toxicité reconnue par les empiriques s'est trouvée pleinement confirmée par l'expérimentation scientifique.
Radais et Sartory ont, par exemple, fait macérer les feuilles à froid pendant trente jours dans l'alcool à 15° ; après concentration à la pression normale, la liqueur obtenue a été reprise en solution salée isotonique de façon à ce que 1 millilitre de solution représente 0,30 gramme de plante sèche.
Inoculée au Cobaye par voie intra-péritonéale, cette solution provoque la mort après des durées variant avec la dose administrée (exprimée en grammes de poids sec de la plante par kilogramme de poids vif des animaux) :
dose utilisée | mort en : |
1 gramme | 35 minutes |
0,50 | 1 h. 23 minutes |
0,20 | 2 h. 28 minutes |
Le chauffage à l'ébullition de la solution ne modifie pratiquement pas sa toxicité.
Administrée par voie orale, toujours au Cobaye, la solution provoque également la mort, bien que de façon un peu moins rapide.
On observe des vomissements, des déjections, des cris de douleur. Les animaux ont le ventre douloureux, le cœur rapide, une parésie du membre postérieur (souvent du seul côté où a eu lieu l'injection en cas d'administration intra-péritonéale), puis une paralysie complète du train postérieur ; parfois, bien que de façon non constante, des soubressauts et convulsions, de la dyspnée. L'animal bave abondamment. La mort survient par arrêt du cœur en systole. A l'autopsie, les lésions les plus visibles intéressent le poumon et le gros intestin, mais les symptômes enregistrés montrent que le système nerveux doit également être atteint.
Radais et Sartory ont également expérimenté la toxicité des autres parties de la plante. Celle-ci est presque nulle pour les écorces (à la dose employée pour les feuilles), faible pour les racines. Ce sont donc les feuilles, fleurs, fruits et graines qui constituent les parties les plus toxiques.
Les principes responsables de la toxicité sont solubles dans l'eau et l'alcool faible et thermostables (tout au moins pour certains d'entre eux). Sans citer de référence précise, Radais et Sartory rapportent que Houdas aurait isolé de la plante un glucoside (?) qui, administré par voie intrapéritonéale, provoquerait la mort du Cobaye à la dose de 2 milligrammes seulement. Toutefois, ils constatent sous l'influence de ce corps des
[293]
symptômes quelque peu différents de ceux provoqués par l'extrait total et concluent à la pluralité des principes toxiques.
J. Dussy et A. Sosa furent les premiers à étudier la composition chimique de l’Agauria. Ils y montrèrent la présence d’alcaloïdes (0,05 à 0,08 du poids des feuilles sèches et 0,03 à 0,06 p. 100 du poids des écorces, par dosage suivant Stass-Otto) ; une forte teneur en tanins cathéchiques, la présence de composés triterpéniques qui firent l'objet de leurs travaux ultérieurs. Par contre, par la technique de Bourquelot, ils ne trouvèrent aucun hétéroside hydrolysable par l'émulsine ou la rhamnodiastase.
Sosa et Dussy devaient préciser la nature des triterpènes en cause. Ils comprennent un composé acide et plusieurs composés neutres. L'acide triterpénique auquel ils donnèrent tout d'abord le nom d’acide agauriolique, fut ultérieurement identifié par Sosa à l’acide acétyl-morolique (voir formule). C'est un corps en C32 H50 O4 à point de fusion F = 315°, (α)D + 44 à + 48° (chloroforme), donnant avec le diazo-méthane un ester méthylique bien cristallisé en C33 H52 O4, F = 259-264°, (α)D + 36 à+ 39° (chloroforme).
La fraction triterpénique neutre s'est révélée beaucoup plus complexe et a fourni sept substances différentes après divers fractionnements. Son principal constituant est l’agaurilol, C30 H46 O3, F = 321°, (α)D + 6°9 (chloroforme). Il donne un monoacétate, C32 H48 O4, F = 285° et un diiodure bien cristallisé, F = 215°, ce qui semble indiquer qu'il présente une fonction alcool primaire ou secondaire très réactive et deux autres hydroxyles tertiaires. Sa structure n'est pas établie.
Puis viennent en quantité moins abondante :
- l’agaurol A, C38 H62 O2, F = 228°, donnant un acétate, F = 246° ;
- l’agaurol B, C23 H34 O, F = 247°, donnant également un acétate, F = 246°, mais différent du précédent par sa composition centésimale.
- l’agaurol C, C36 H 56 O3, F = 268°, donnant un acétate, F = 241°.
[294]
- l’agaurol D, C31 ou 32 H52 ou 54 O, F = 286°, donnant un acétate, F = 310-311°.
- l’agaurol-α de formule empirique incertaine (C = 81,15% et H = 11,15%), F = 196°, donnant un acétate, F = 230°.
- l’agaurol-β, C21 H32 O, F = 216°, acétate F = 249-250°.
Tous ces corps sont incolores ; ils cristallisent en belles aiguilles après sublimation sous vide ; ils donnent les réactions de Salkowski, Liebermann et Noller, généralement caractéristiques des polyterpènes et des stérols.
Leur étude mériterait d'être reprise avec les méthodes modernes, telle que la chromatographie en phase gazeuse, car leur séparation chromatographique sur colonne est délicate.
P. Boiteau, Marie Nigeon-Dureuil, Marianne Rabinowicz et Simone Raynaud-Jaquard ont isolé plus tard la substance responsable de l'action révulsive et irritante. Il s'agit d'une saponine triterpénique de formule C36 H56 O11 Na (la présence de sodium est peut-être un artefact de préparation), cristallisant en plaquettes blanches, solubles dans l'eau, l'alcool et l'acétone, F = 261°. Elle donne par hydrolyse acide du glucose et un acide dicarboxylique dénommé acide agaurique en C30 H48 O6. La liaison entre l'ose et l'acide est du type ester ce qui explique qu'elle reste insensible à l'action de l'émulsine comme l'avaient constaté Sosa et Dussy.
Dans le même travail, Boiteau et coll. ont confirmé la très haute toxicité de la saponine d’Agauria. En pratiquant une plaie expérimentale chez le Rat anesthésié et en saupoudrant cette plaie après le réveil de l'animal avec 200 μg seulement des cristaux obtenus, on constate dans un très bref délai l'apparition de bradypnée, puis de dyspnée, la paralysie du train postérieur et la mort après des convulsions peu fréquentes. Depuis lors, le mélange de la saponine et des alcaloïdes extraits de la plante, appliqué dans les mêmes conditions, s'est montré susceptible de provoquer la mort plus rapidement encore. Dans ce cas, la paralysie du train postérieur se manifeste immédiatement après le saupoudrage de la plaie ; elle est suivie d'une intense dyspnée, de convulsions violentes et de l'arrêt du cœur en systole.
L’Agauria se révèle ainsi l'un des toxiques les plus violents par simple application sur une plaie expérimentale et ses symptômes rappellent une intoxication du type de celle que provoque le curare.
La toxicité des alcaloïdes et de la saponine isolés vis à vis de divers insectes et acariens, notamment le Sarcopte de la gale, a également été confirmée.
Par contre l'acide acétyl-morolique, l'agaurilol et les divers agaurols sont pratiquement dépourvus de toxicité.
[295]
Bibliographie chimique et pharmacologique
- M. Radais et A. Sartory : Sur une Ericacée toxique, le mapou, Agauria pyrifolia D.C., in C.R.Ac.Sc (Paris), CLIII, 1911, p. 964-967.
- A. Sosa et J. Dussy : Sur quelques constituants nouveaux d'une Ericacée africaine, l’Agauria salicifolia Hook. f., in C.R.Ac.Sc. (Paris), CCXXXII, 1941, p. 2259-2251.
- J. Dussy et A. Sosa : Sur la composition chimique d'une Ericacée toxique : l'Angavodiana de Madagascar, Bulletin de la Société de Chimie Biologique (Paris), XXXIII, 1951, p. 1672-1678 ;
- A. Sosa : Note complémentaire sur l'acide agauriolique, même publication, p. 1679-1680.
- P. Boiteau, M. Nigeon-Dureuil, M. Rabinowicz et S. Raynaud-Jaquard : Un triterpénoïde nouveau, responsable de l'action curarisante d’Agauria salicifolia Hook. f., in C.R.Ac.Sc. (Paris), CCXLIX, 1959, p. 309-311.
Indications thérapeutiques ; précautions à prendre
L'efficacité des préparations d'Angavodiana (emplâtres et autres topiques) contre la gale a été pleinement confirmée par l'expérience.
Mais cette drogue est à réserver strictement à l'usage externe. Il convient même d'attirer l'attention sur le danger que peuvent présenter de telles préparations si elles sont inconsidérément appliquées sur des blessures, des lésions d'une certaine étendue, voire même de simples égratignures.
Ainsi l'emploi de la drogue mériterait d'être mieux contrôlé même pour les usages externes.
Toute administration par la bouche doit être exclue étant donnée la haute toxicité du produit.
Réglementation
A inscrire au tableau des substances dangereuses.
Indications vétérinaires
Il n'est sans doute pas superflu de faire connaître aux éleveurs les dangers d'intoxication que l’Angavodiana peut faire courir au bétail, en particulier aux chèvres et aux bovins.
Peut-être certaines préparations de cette plante pourraient-elles avoir de l'intérêt dans la lutte contre les parasites externes du bétail (tiques, etc.). La question ne nous semble pas avoir été étudiée jusqu'ici.