4-1 Mouture primitive (Maurizio)
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Voir le tableau récapitulatif IXe partie, ch. IV.
Sommaire
- 1 La pierre à moudre et l'écrasoir [Reibplatten und Mulden]
- 2 Mortiers, pilons et moulins à pilons
- 3 Meules tournantes simples. Moulins à main
- 4 Moulins à bras, meules à manivelle. Formes primitives. Formes compliquées
- 5 Moulins à manèges, à roues, à eau. Meunerie romaine et meunerie du moyen âge. Formes anciennes du moulin à eau
La pierre à moudre et l'écrasoir [Reibplatten und Mulden]
L'introduction dans l'alimentation des premières céréales eut pour conséquence la nécessité de techniques nouvelles.
Jusqu'ici nous manquons de documents pour comparer les procédés primitifs du nettoyage des grains et de la séparation du son, à ceux qui datent seulement des premières époques historiques. Pendant longtemps on ignora même, pour bien des pays, si l'âge de la pierre et l'âge du bronze avaient ou non connu la culture des céréales. Pour la Suisse, les doutes cessèrent avec la découverte des habitations lacustres (premier rapport sur les palafittes : 1854, Heer : 1865), et il en fut de même pour l'Italie. Mais, en ce qui concerne les pays du nord, c'est seulement en 1894 que Frode Kristensen et G. Sarauw découvrirent des grains d'époque préhistorique : du millet, de l'orge, du froment, datant de l'époque de 1a pierre polie. Sophus Müller fut tout d'abord d'avis qu'on ne
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pouvait décider si les grains avaient été concassés ou grillés, car on ne trouva qu'une seule fois (et dans des conditions laissant certains doutes) des auges de granit d'époque néolithique, auges qui, « selon l'opinion générale, servaient à concasser les grains des eéréales ». Mais, à l'époque du bronze, ces auges deviennent plus nombreuses. On trouve plus souvent aussi des globes arrondis et polis de quartzite ou de granit, ayant servi, dit-on, à concasser les grains. Mais la ressemblance de ces globes avec des globes de date paléolithique, et d'autres circonstances, empêchèrent Müller de les considérer comme ayant servi à la mouture et il fut d'avis que les documents restaient insuffisants pour éclaircir ces questions. Pfeiffer, Holmes et Bennett-Elton[1] publièrent les premiers une étude préparatoire approfondie sur la technique des céréales à l'époque de la pierre.
Toutes les contrées de la terre connaissent « l'auge à moudre » de forme plate. La figure 14 représente l'outillage qui servait en Silésie, à l'époque de la pierre, à la mouture du grain. L'outillage
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- ↑ Müller (Sophus), Nordische Alterthumskunde nach Funden, etc., Strassburg, 1897, Bd. I, 206-207 et fig. 102-103. Pfeiffer (L.), D. steinzeitl. Technik u. ihre Bezieh. zur Gegenwart (Contribution à l'histoire du travail), Jena, 1912, 182 et fig 142. - D'une grande importance sont les données apportées par Holmes (W. H.), loc. cit. (von dem Amt. Bureau of Ethnology) ; Evans (John), Ancient stone implements, etc., of Great Britain, London, 1872, 225, fig. 170. ; Hörnes (Moriz), Natur- u. Urgeschichte des Menschen, Wien, 1919, Bd. 2 -14-16 ; Tylor (Edward), B. Anthropology : an introduction, etc., Londres, 1881, 200 ; Schlemm (Julie), Wörterbuch zur Vorgesch., Berlin, 1908, 334 ; Reichard (Paul), Ztsch. für Ethn., 1899, année 2l, Verh, p. 214 ; Krickeberg (Walter), loc. cit., 706. Partout où il est question de meules on examine aussi les écrasoirs, en particulier : Müller (S.), loc. cit. ; Hörter (Peter), Mannus, 1904, Bd. 6, Hf. 3. Sur l'ensemble de la meunerie primitive : Bennett (Rich.), et Elton (John.) History of corn milling, Londres et Liverpool, 1898-1904, Bd. I. Handstones, slaves and cattle mills 1898, XI et 246 (Ouvrage peu critique mais renfermant beaucoup de renseignements). Dans les trois autres volumes, histoire de la meunerie jusqu'aux temps modernes. - J'ai traité la préhistoire de la meunerie dans mon ouvrage, Verarbeitung des Getreides zu Fladen in den Urgesch. Zeiten. Anz. f. Schweiz. Altertkd. N.F., Bd. XVIII, 1916, 1. 1 à 30 avec 36 fig., 1 planche. ; Cf. aussi Rütimeyer (L.), 1924, loc. cit. ; Feldhaus (Fr.), Die Technik der Vorzeit, Leipzig, 1914 ; Ringelmann (M.), Essai sur l'histoire du génie rural, t. II et III, Paris, 1907-1910.
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africain actuel (qu'on nomme « la mère et l'enfant ») ne s'en distingue que par plus de simplicité. En Afrique, on utilise comme support, ou meule gisante, sans beaucoup d'adaptations, un simple morceau plat de gneiss ou de granit, tel qu'il résulte de l'éclatement naturel des roches sous l'influence de la chaleur du soleil et du froid des nuits. Tout au plus prend-on la peine d'en abattre les bords comme le montre la figure 15. Un morceau de pierre un peu plus petit sert de meule mobile, d'écrasoir. La pierre à moudre le grain ne manque en Afrique dans aucune demeure. On la voit posée sur une natte, ou sur le sol d'argile battue de la maison, qui reçoit les grains qui tombent. Quand on change de domicile on emporte la meule, mais non pas dans les simples voyages, parce qu'alors on achète de la farine toute moulue ou bien on emprunte une meule. On trouve parfois des pierres à moudre en des lieux déserts, comme dernier vestige d'un village abandonné et détruit. La meule est souvent aussi chez nous la dernière trace de la vie humaine des temps de l'âge de pierre. Chez les primitifs actuels des femmes sont toute la journée occupées au travail fatigant de la mouture. Il en était déjà de même à l'âge de la pierre car, dans beaucoup de gisements, on a trouvé une pierre à moudre donnée comme présent, dans son tombeau, à une mère de famille[1]. Entre autres Stuhlmann et Schweinfurth ont décrit en détail la pénible manœuvre de la mouture. Vers lea années 1870 à 1874 la mouture nous est décrite, en ce qui concerne le Soudan islamique, comme se faisant avec deux pierres, dont une plus petite travaillant sur une plus grande nommée Murhaga. L'importance de ce fait est plus grande qu'on ne serait tout d'abord tenté de le croire au point de vue de l'énorme besoin qu'ont ces pays de femmes esclaves. « Chez le plus grand nombre des peuples de l'Afrique on trouve pratiqué le travail fastidieux et interminable de la mouture. Le travail d'une esclave, même occupée sans relâche, ne lui permet pas d'assurer l'alimentation de plus de 4 à 6 hommes chaque jour. Quotidiennement, dans sa vie errante, Schweinfurth avait le spectacle de ce travail des esclaves : Une esclave nouvellement capturée est placée sous la surveillance constante d'un jeune garçon. Elle a le cou chargé du joug pesant des Scheba et on la contraint au dur travail de la Murhaga. Le garçon relève le joug pour que la femme puisse
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- ↑ Quelques remarques dans Bennett et Elton (Ce genre de décoration se trouve sur des tombeaux de femmes pour honorer des vertus domestiques), loc. cit., 25-28. Plus tard on mit aussi dans les tombeaux des cloches à cuire (voir plus loin).
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remuer. A Khartoum, il y avait un moulin mu par des bœufs. Le gouvernement l'avait fait installer pour assurer l'approvisionnement des troupes en farines et aussi pour pouvoir moudre à un prix modique le grain des particuliers. Mais cela n'empêchait pas que, dans toutes les maisons, le grain de Durra était moulu sur la Murhaga. Personne, dans la population indigène, ne portait son grain au moulin à bœufs. Jusqu'au jour où on aura mis un terme à cet incroyable gaspillage de forces humaines, soit par l'introduction de moulins à main plus perfectionnés, soit par une taxe sur les Murhaga, il ne faut pas s'attendre à voir diminuer le besoin qu'ont ces pays de femmes esclaves[1]. L'instrument dont il s'agit est toujours ici « l'auge à moudre » telle qu'on la trouve aussi chez les Indiens de l'Amérique du nord (fig. 15). La meule mobile, l'écrasoir ou concassoir est, en pareil cas, manœuvré d'une seule main. La plupart des pierres à moudre (celles de dessous [meule dormante]) sont creusées suivant une forme régulière qui les a fait nommer par les Anglais « pierres en selles » (saddlestones). Plus perfectionnées, elles ont l'aspect qu'on leur voit dans un jouet articulé de l'ancienne Egypte, dont il existe plusieurs formes au musée de Gizeh (fig. 16): ·nepuis les temps préhistoriques jus-
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- ↑ Schweinfurth (Georg), Im Herzen von Afrika, etc., Leipzig, 1874, Bd. II, 442, avec figure. - Nombreux renseignements dans Evans (loc. cit.), et Andree (Rich.), Die Steinzeit Afrikas, Globus 41, 1882, 170 et 185.
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qu'à nos jours, c'est sur des saddlestones qu'est écrasé le maïs dans l'Amérique centrale et l'Amérique du sud. Parfois elles offrent une ornementation élégante comme celle qu'on voit figure 17, où l'on retrouve sur les côtés de la pierre un motif d'ornementation aimé de la Grèce ancienne. Leur nom est metata [metate] ou, en français, trépieds, metates trépieds. Cette forme est inconnue dans l'ancien continent. En ce qui concerne ces types (les plus parfaits) de la série des formes, Will. H. Holmes (l. c., p. 179) adopte l'opinion de Powers et dit qu'elles lui donnent l'impression à lui-même d'être plutôt une forme très évoluée des pierres à moudre qu'une forme primitive. Mais, cependant c'est pourtant bien là toujours l'universelle auge à moudre qui, depuis des milliers d'années, prouve sa valeur utilitaire. Dans beaucoup de cimetières préhistoriques de l'Europe on a trouvé ces auges à moudre par douzaines.
Depuis l'âge de la pierre jusque bien avant dans le moyen âge on a moulu le grain sur des pierres plates, dans des auges à moudre, dans des cuvettes. Toutes ressemblent plus ou moins aux metates americaines, même si elles en diffèrent beaucoup par les dimensions. Au début, c'étaient toujours des pierres plates, ou très peu creusées et c'est seulement l'usure qui fait apparaître une cavité profonde. Le musée provincial de Dantzig possède une douzaine de beaux exemplaires ayant de 1 mètre à 2 mètres de long et de 0,60 à 1 m.50 de large. La collection archéologique de l'Université de Vienne (von Much et Hoernes) possède des pierres à moudre, avec quelquefois deux cavités, ayant 43 et 46 centimètres de long et 23 ou 25 centimètres de large. Une pierre provenant d'« Amsee » offre trois cavités. Comme on le verra par les exemples suivants cet antique et très simple ustensile servait aux moutures les plus diverses et il a mérité d'être attentivement étudié. La paroi extérieure des grandes auges à moudre était à peine travaillée et on se souciait surtout de leur donner une bonne assiette. Mais il existe aussi des auges de moyenne dimension (datant du Hallstadt ?) appartenant au « Gräflich Dzieduszyckische Museum », à Lemberg, et qui sont d'aspect extrêmement élégant, polies de tous les côtés. Ce sont, avec les écrasoirs qui leur correspondent, de véritables
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pièces de salon. Elles n'ont que 25 à 40 centimètres de long sur environ 15 centimètres de hauteur. La grandeur de ces ustensiles peut ne pas dépasser celle des petites meules romaines destinées à pulvériser des terres colorées (des fards). Il y en a au musée provincial de Zürich. Ces dernières, à peine creusées par l'usage, ont les dimensions suivantes : 6 à 12 centimètres de long, 5 à 7 centimètres de large et seulement un demi-centimètre à un centimètre et demi d'épaisseur. (Nous trouvons aussi en dehors de l'Europe des exemplaires de ces petites « pierres à moudre ».) Le musée ethnographique de Neuenberg, en Suisse, possède une belle collection de meules de ce genre, provenant de l'Amérique du sud, où la variété de leurs formes est particulièrement riche. Ce sont des « metates trepieds » mexicains, dont les plus petites ont 1 centimètre à un centimètre et demi de haut et 8 à 12 centimètres de long, de véritables jouets.
Les peuples actuels qui ne connaissent d'autres ustensiles de mouture que ces meules nous ont très exactement montré comment s'en servaient les populations préhistoriques. Quand l'usure a creusé dans la meule une cavité trop profonde, on la retourne et on commence à triturer le grain sur l'autre côté de la pierre, qu'on a choisie de forme plate. Or, l'usage de la pierre fait toujours apparaître une cavité, parce que la pierre qu'on tient à la main, et avec laquelle on triture le grain, est bien plus petite que la meule sur laquelle on frotte. Finalement les pierres du dessous arrivent à être usées de part en part et il s'y fait un trou. La collection de Dantzig renferme des pierres à moudre provenant de Findlingen, datant du IVe siècle avant notre ère, qui sont en gneiss ou en granit et qui ne pouvaient être utilisées que d'un côté parce que l'autre côté, qui est irrégulièrement arrondi, n'offrait pas de surface permettant de moudre[1]. Dans la pierre de la figure 18, la surface servant à moudre était primitivement au point 1. Puis on utilisa les surfaces situées au point 2 et enfin au point 3, de
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- ↑ Les meules de forme plate, utilisables sur les deux faces, sont donc d'un type différent. Quand la cuvette devient incommode d'un côté, on utilise l'autre. Il arrive ainsi : « que des pierres de ce genre finissent par être usées et ont au milieu un trou avec des bords très accusés » ; Reichard (Paul), Zeitsch. f. Ethnologie, 1889, Bd. XXI. Article page 214. - Stuhlmann (Fr.), Handwerk u. Industrie i. Ostafrika, Hambourg, 1910, 22.
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sorte que la surface de friction finit par avoir un mètre de long. La surface qui reposait sur le sol était primitivement à gauche et le point 1 commença à se creuser. Le travail devenant incommode on l'effectua plus à droite. Pour cela on souleva la pierre par dessous, pour la relever du côté gauche. Du côté droit la pierre finit en un bord extrêmement mince, qui sonne comme de la porcelaine. Les pierres de Dantzig sont des exemplaires extrêmement curieux et jusqu'ici négligés. Particulièrement frappant est un grand bloc à moudre venant de Maken, profondément creusé et un autre, de provenance inconnue, qui est fortement usé, à plat, et devenu si mince au bord que son épaisseur est seulement de 3 à 5 millimètres et qu'il est cassé sur un tiers de sa largeur. On appréciait beaucoup pour cet usage les morceaux de gneiss et de granit. En 1912, Conwentz, de Berlin, que je questionnais à ce sujet, me répondit qu'il en avait trouvé dans les fossés des châteaux-forts jusqu'à l'époque de l'ordre teutonique. La section américaine du Musée ethnographique de Berlin expose des pierres à moudre tout à fait semblables, d'origine non spécifiée, offrant de profondes cuvettes qui, sur les côtés, tombent à angle droit. Dans les cavités ayant reçu intentionnellement cette forme s'adaptent exactement des concassoirs cylindriques. Quel que soit l'aspect des pierres à moudre, on en distingue dans tous les cas deux sortes : les plaques à moudre et les cuvettes (assiettes) à moudre [Mahlteller]. Les exemplaires provenant de la Suisse ne font pas exception. Cependant il ne faut pas considérer comme ayant servi à la mouture toutes les pierres où on trouve une cavité. Il y a beaucoup de cavités qui servaient à recevoir un axe tournant, dans des tours de potier, ou dans des métiers de tisserand, ou dans des machines servant à soulever des fardeaux. Au musée de Bienne (Biel) on voit une pierre qui présente plusieurs cavités, et qui a dû avoir cet emploi. On s'est servi des pierres à moudre plates longtemps encore après l'introduction des meules tournantes. D'autre part, à peine peut-on affirmer qu'il y ait eu réellement passage de la simple pierre à moudre au mortier, aux moulins à pilon, aux moulins à meules tournantes [moulins rotatifs]. Au contraire, chacun de ces appareils correspond, selon toute vraisemblance, à une pensée inventive différente : idée de ]a plaque à moudre, du pilonnage, du mouvement tournant. Il devait venir bien facilement à la pensée, pourrait-on croire, de faire un mortier avec une pierre à moudre plate devenue très excavée par l'usure. Mais, à en juger par les objets découverts jusqu'ici, c'est une chose qui n'est jamais arrivée. Krickeberg rapporte des faits bien curieux paraissant établir que le passage de l'idée d'une meule plate, creusée
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en cuvette par l'usage, à l'idée d'un mortier n'était pas réalisable sans secours étranger pour l'imagination humaine. Il mentionne les pierres creusées par l'usage d'où dérive peu à peu une sorte de bouteille de pierre. En ce qui concerne les populations les plus retardataires parmi les Indiens de l'Amérique du Nord, nous apprenons que, chez elles, la présence d'un mortier résulte toujours d'une trouvaille, qu'on n'en fabrique jamais, que ces objets sont toujours considérés avec respect, comme des ustensiles sacrés. Or il s'agit d'Indiens qui ornent avec le plus grand soin leurs pierres à moudre plates. Ainsi ces Indiens sont, malgré cela, fort en retard sur d'autres populations qui vécurent jadis sur le même sol.
Il faut bien distinguer l'écrasoir, la pierre qu'on tient à la main pour écraser le grain (la pierre d'en dessus), de la pierre à aiguiser (pour aviver les surfaces opérant la mouture). Les écrasoirs sont ordinairement des pierres sphériques, avec un côté aplati, ou des sphères offrant du côté bombé des trous pour les saisir mieux, pour enfin aboutir aux pilons, aux « chapeaux de Napoléon » que Hörter a décrits, et enfin aux pilons remarquablement décorés des sauvages actuels. On trouve très souvent des pierres plates qui sont prises à deux mains. Différentes de toutes ces formes sont les pierres en forme de cylindre ressemblant aux rouleaux à pâte [rouleaux à pâtisserie].
Toutes ces pierres à moudre abondent dans les collections. Mais peu nombreuses sont celles qu'on a examinées au point de vue de la possibilité de l'usage qu'on leur suppose. A Biel (Bienne), le musée Schwab possède, par exemple, un grand nombre de pierres globuleuses dont beaucoup sont certainement des pierres de jet ou des pierres pour cogner. Le musée provincial de Zürich possède des pierres à moudre tout à fait plates, en granit ou en grès, avec, sur les côtés, des endroits creusés pour les prendre, sur la destination desquelles aucun doute ne peut exister. Il existe là aussi en grand nombre des « broyeurs » comme ceux de Cham, dont le diamètre est d'environ 10 centimètres sur 8 centimètres. Certains sont paléolithiques, d'autres datent du néolithique récent, et même de l'âge du bronze et de l'époque romaine (Cham, Fallanden, Zürich, Wollishofen, Wauwil, Lattrigen, Windisch). Il s'y trouve, aussi, dans le nombre, des pierres de jet et des pilons.
A une certaine époque, toutes les pierres rondes de granit, de gneiss ou de granit, provenant des époques préhistoriques ont été considérées comme des écrasoirs. Avec raison, Reichard a protesté, affirmant qu'avec des pierres de cette sorte on pouvait tout au plus arriver à aplatir le grain. Le plus souvent, elles sont grosses
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comme le poing. Instruit par ce qu'on voit faire aux sauvages actuels, il les considère comme des aiguisoirs, ayant graduellement pris une forme globuleuse parce que leurs parties proéminentes ont été utilisées les premières pour frapper. Quand la pierre devient finalement trop petite ou trop légère, on la jette. Parmi les pierres à moudre (pierres du dessous) installées dans les huttes ou au voisinage des huttes, on trouve toujours une pierre à aiguiser de cette sorte. Tous les huit à dix jours elle sert à battre la meule dormante ou la meule mobile. On commence à donner les coups d'un côté avec la pierre à aiguiser. On donne les coups très rapprochés pour rendre aux deux pierres une surface mordante.
Il est surprenant que des doutes aient pu naître sur les caractères permettant de reconnaître les pierres servant à écraser les grains. Ce qu'en a dit Reichard est confirmé par Virchow, et aussi par Rütimeyer, dans une étude fort attrayante. Ce dernier examine les massues de pierre de la région du lac Nyanza. Il dégage de son revêtement de cuir et de fibres la pierre solidement fixée au manche. Il trouve dessous une pierre préhistorique, « un indubitable marteau, comme nous en trouvons en abondance en Europe, du paléolithique au néolithique ». La preuve nous en est fournie par la comparaison du marteau, du pommeau de la massue de pierre avec le marteau de la station lacustre de Gerlafingen sur le Bielersee (lac de Bienne).
Mortiers, pilons et moulins à pilons
Aux époques correspondant à « l'âge des bouillies et à l'âge des galettes de céréales » on s'est servi de mortiers et de pilons pour séparer les grains de céréales de leurs enveloppes et pour les concasser. Ces ustensiles étaient de pierre ou de bois. Comme on l'a dit précédemment, aucune transition ne relie la pierre à moudre simple, la cuvette de pierre, au mortier et au pilon. Les mortiers préhistoriques en pierre sont le plus souvent d'époque indéterminée et les mortiers de bois ne nous ont pas été conservés. Le musée provincial de Zürich possède un morceau d'un billot de bois provenant de Robenhausen, qui est probablement le fond d'un mortier à pilonner les céréales. A part cela, on ne trouve rien dans les travaux publiés qui se rapporte aux mortiers de l'âge de pierre, pas même dans le récent exposé de Rütimeyer (1924, 220). Il est cependant certain qu'on se servait pour les faire de pierre et de bois.
Ces deux matières sont encore en usage actuellement, mais on trouve principalement des mortiers de bois. Rütimeyer (l. c. 1924, 257) nous apprend que, sur le haut plateau de la boucle du
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Niger, les anciennes stations néolithiques livrent de nombreuses pierres à moudre d'une forme encore en usage chez certaines races. Ces races se considèrent comme étant la descendance des occupants primitifs du sol tandis que les descendants des conquérants Malnikes ou Fulbês, venus plus tard, se servent uniquement pour concasser leurs céréales, de mortiers et de pilons.
On trouve dans les territoires slaves de l'orient, encore à présent, des mortiers de bois d'une forme primitive (fig. 19). Ce mortier vient de Skawina, dans la Galicie occidentale : il a 50 centimètres de hauteur, 30 de diamètre extérieur, 18 de diamètre intérieur et il est profond de 25 à 26 centimètres. Ce pilon correspondant à 56 centimètres de longueur. Ce mortier sert à décortiquer l'orge pour préparer l'antique bouillie alimentaire nommée pecak. Dans toutes les parties du monde, on trouve beaucoup de mortiers d'origine locale dont la forme est celle d'un gobelet, comme les mortiers romains ou étrusques. Tout pareil est le mortier de Lithuanie (fig. 20) dont je dois la photographie à M. Wandalin Szukiewicz, propriétaire foncier à Nacza cercle de Lida près Wilna. Ses dimensions sont : hauteur, 82 centimètres ; diamètre supérieur, 30 ; profondeur de la cavité, 32. La longueur du pilon est de 85 centimètres. Les pilons sont toujours en bois de pin. Le mortier en question est du même bois, mais il y en a aussi en bois de chêne et en bois d'aune. Deux mortiers de même forme, avec de pareils pilons servant des deux côtés, existent à Varsovie, au musée d'économie et d'industrie rurales. Les dimensions que je leur ai trouvées sont : hauteur, 82 et 90 centimètres ; largeur de l'ouverture, 25 centimètres ; profondeur de la cavité, 36 et 25 centimètres. Ils viennent de la Lithuanie et de la Russie blanche. J'ai mesuré un mortier tout pareil à celui de la figure 19, venant de la Galicie occidentale, de Maszkienice et qui avait : hauteur, 72 centimètres ; profondeur, 42 ;
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largeur de la cavité, 32 centimètres. Le pilon unique avait 45 centimètres de haut (mais on peut se demander si c'est bien le pilon de ce mortier). Au musée ethnographique slave de Prague existent des mortiers, petits et grands, les uns de pierre et datant du début du moyen âge (à supposer qu'ils ne soient pas de l'âge de la pierre), les autres de bois et modernes, de Valachie, Selcau, Böhmisch Brod, de Mikolaje dans les environs de Troppau (avec une date gravée : 1854) et d'ailleurs encore. Mais ce n'est pas seulement chez les Slaves qu'on retrouve constamment cette forme en calice, comme le prouvent les musées de Berlin, Breslau, Thorn, Posen, Dantzig, ainsi que les ouvrages d'ethnographie. Le musée des antiquités de Thorn possède un mortier en forme de gobelet, d'origine ancienne, et un autre, plus récent, avec un pilon ayant la forme d'un double marteau avec son manche placé de côté, (comme dans un marteau). A Berlin, le musée provincial de Brandebourg possède un mortier de pierre ayant la même forme en gobelet et d'époque indéterminée. Il a 80 centimètres de hauteur, 56 de largeur en haut, 40 de largeur pour la cavité, qui a 38 centimètres de profondeur. Au même musée s'en trouve un autre, de Seedorf près de Lenzen, d'une sorte moins commune, bien que plus pratique, en forme de cône tronqué et qui repose sur sa grande base, par conséquent solidement. Son pilon est percé et muni d'un anneau de fer, probablement destiné à passer une corde. Ces deux mortiers sont fort anciens, mais difficilement préhistoriques. Dans tous ces mortiers on préparait des gruaux ou des grains mondés d'orge, de millet ou de sarrasin pour faire des bouillies. Dans le mortier en forme de calice du musée de Dantzig, on suppose qu'on faisait des gruaux de Glyceria fluitans.
La fabrication du pilon est l'objet de beaucoup de travail et d'ingéniosité. Le pilon pour pilonner le riz est d'une sorte particulière que Paul et Fritz Sarasin ont figurée pour l'édification de leurs lectrices éventuelles. Avec ce dispositif les hommes
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trouvent moyen d'être plus rusés que les femmes. Deux petits morceaux de bois sont soigneusement dégagés de l'extrémité supérieure du pilon. Le travail les met en mouvement, de sorte qu'il en résulte pour les femmes qui travaillent une sorte d'agréable musique battant la mesure. Mais cela permet aussi de savoir quand elles restent à ne rien faire.
Les mortiers en forme de gobelet se retrouvent donc partout chez les populations primitives, par exemple en Bolivie chez les Chanes et aussi dans les îles de la Sonde. Ils servent surtout à pilonner le maïs et le riz. Nous trouvons chez les Battaks des mortiers offrant une rangée de quatre trous creusés dans le même bloc de bois. Sans insister, faisons seulement remarquer que, chez ces sauvages, les formes classiques sont extrêmement vulgaires et exactement conformes aux descriptions de Blümner. Il y a de petits mortiers d'autres formes : en forme de gobelets, de cavité articulaire, de creusets, de lampes. Il y en a aussi qui reposent sur un trépied. Sans aucun doute ces formes étaient aussi en usage aux époques primitives. D'ailleurs, encore actuellement, dans les campagnes, on utilise ces petits mortiers, semblables à ceux des cuisines, pour piler le sel, les épices, pour faire les mélanges et les triturations de graisse de porc, de fromage de chèvre, et autres choses semblables. Comme exemples, en ce qui concerne la Galicie, citons le nombre considérable des petits mortiers à piler le sel, ayant par exemple, 15 centimètres de haut, 10 centimètres d'ouverture et 10 centimètres de profondeur. Un autre avait 20 centimètres de haut et, avec ses anses, 6 centimètres de large, 7 centimètres d'ouverture avec 8 centimètres de profondeur, Il ressemble à une sorte de poêle profonde. La queue de cette poêle se dilate souvent dans la forme d'un banc dont chaque bout est soutenu par un pied (comparez avec la figure 17). Le tout est alors soutenu par trois pieds, deux sous le banc et le troisième figure le billot avec le mortier. Il y a un petit mortier de cette forme dans une collection particulière à Cracovie. Les dimensions sont : hauteur, 20 centimètres ; longueur, 45 ; cavité, 15 centimètres de profondeur et 12 de largeur. Ce sont de petits ustensiles domestiques maniables, souvent d'aspect extrêmement ancien et qui mériteraient peut-être d'être plus longuement étudiés.
Vers l'ouest, les mortiers deviennent plus rares. Lindet, donnant un dessin de mortier français du XVIe siècle semble ne pouvoir s'émerveiller assez à l'idée qu'à cette époque un pareil ustensile ait pu être encore en usage en France : « un mortier en usage en
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Europe vingt siècles après le temps où le décrivit Hésiode »[1]. Mais, si on cherchait mieux, on pourrait trouver encore des mortiers en usage dans la France actuelle, comme en Suisse et, en général, en Europe. On conserve des mortiers (même, si, le plus souvent, c'est sans en faire usage) dans le canton de Saint-Gall, dans le Tessin, dans les Grisons, dans la plaine de l'Aar. Celui de la plaine de l'Aar (fig. 21) possède un système de suspension élastique pour le pilon (dont le fonctionnement n'a pas besoin d'être plus longuement expliqué) et, par là, cet appareil ressemble déjà d'assez près aux moulins à pilons plus évolués. Ces dispositifs et de pareils mortiers ont été très répandus en Suisse. Un mortier qui semble pareil à celui de la figure 21 est signalé par Brandtstetter, de Lucerne. Il était particulièrement grand et avait aussi un très long et très lourd pilon qui était en relation, par le haut, avec une tige transversale formant ressort (« wo g'fäderet hed »), ce qui en rendait la manœuvre facile[2]. Il n'est pas difficile de trouver
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- ↑ Lindet (M.), Les origines du moulin à grains. Revue archéologique, 1899, XI, et Bull. de la Soc. Encouragement pour l'Industrie nationale, août 1900, 14.
- ↑ Brandstetter (Renward), Die Hirse im Kanton Luzern. Tirage à part de : Geschichtsfreund. Stans, Bd. 72, 1916, 91 et suiv.
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des formes de mortiers formant passage vers le moulin à pilons. A ces formes appartient, par exemple, le mortier (dénommé Gläckstampf) que l'on peut voir devant toutes les maisons rurales de la vallée du Lötsch, dans le canton de Saint-Gall (V. fig. 22). Stebler dit qu'il sert à préparer pour le bétail un « Gläck » tout particulier. On y pilonne les jeunes pousses du genévrier, très abondant dans cette vallée (Wacholder ou Räckbolder) et celles de Rhododendrons[1]. On commence par faire sécher les pousses, puis on les réduit en une poudre à laquelle on ajoute du sel, du maïs ou du trèfle (Krüch). Le mélange, que l'on nomme Gläck, sert de sel. Le pilon a la forme d'un marteau, pareil à celui figuré par von Schulenburg. Les pilons ainsi montés font partie des formes de passage aboutissant aux moulins à pilons (c'est-à-dire aux machines où des pilons sont mus par leviers). De même en ce qui concerne la figure 23. S'il peut être quelquefois exact de dire que l'outil est le prolongement du bras de l'homme c'est bien dans un cas comme celui-là. Le levier agissant en prise sur un pilon a ses analogues dans le treuil qui sert à remonter le seau du puits, dans le moulin à vent élévateur d'eau, dans le van mécanique, les tarares et, sous les formes les plus diverses, dans les machines à pilonner japonaises mues avec le pied, par eau, ou par augettes (voir les figures suivantes)[2].
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- ↑ Sur ce passage du mortier au moulin à pilons et autres formes de cette évolution : Cf. F. G. St. (Stebler), Schweiz. Landwirtsch. Zeitsch ; 1897, Jg. 25, 464 et fig. 60 ; Schr. (C. Schröter) même année, page 878, fig. 103-104 ; Schulenburg (W. von), Zeitsch. f. Ethnologie, 1888. 20 Verhdl. 474 ; Mitth. Anthrop. Ges., in Wien., Bd. XVII, N. F., Bd. VII, 54.
- ↑ Franke (O.), Kéng Tschi Tu Ackerbau, u. Seidengewinnung in China Ein kaiserliches Lehr- u. Mahnbuch., 101 pl. 57 fig. Abhandlung vom Hamburg Kolonial Institut, Hamburg, 1923.
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La raison qui a favorisé la persistance du mortier de bois, même après l'introduction des moulins à main, est qu'il était fort transportable. De plus, une main exercée peut obtenir d'un mortier, en pilonnant plus ou moins fort, des farines assez diverses. Avant de les passer au mortier on grillait les grains, comme le paysan slave le fait encore actuellement. Tout cela constituait un ensemble d'avantages qui, dans les autres systèmes, ne sont réalisés, et même rarement, qu'à la faveur de complications mécaniques. Justement pour tout cela on préféra aussi faire des ustensiles en bois plutôt qu'en pierre (Blümner). Des vans ou des cribles séparaient alors en gros et fin le résultat de la mouture.
Après le mortier, les moulins à pilons, qui sont aussi en bois, constituent un nouveau progrès dans l'outillage de la mouture. La façon dont ils ont dérivé du simple mortier n'est pas difficile à saisir[1]. Dans ces appareils le pilon est fixé à un levier que l'on manœuvre avec le pied et le pilon, le levier, le mortier constituent ensemble un seul outil.
On a vu ci-dessus des formes de pilons à main se rattachant à ces systèmes, par exemple (fig. 23) le pilon à tige, d'origine japonaise, des collections
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- ↑ Au lieu du mot Stampfe (ici traduit moulin à pilons) on emploie plutôt actuellement le mot plus exact de Anke. Exemples : Wasseranke pour Wasserstampfe (voir plus loin) Cf., Wörter u. Sachen, Bd. 1, 1909, p. 1 et 127.
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de Berlin et de Thorn, le marteau du « Gläckstampf » (fig. 22), le pilon à ressort de la figure 21, et les systèmes décrits et figurés par von Schulenburg. Il s'agit, dans ces exemples, soit de pilons munis d'une tige, soit de pilons ayant une courte poignée transversale, soit de pilons disposés pour être manœuvrés à deux mains. Les peuples sauvages connaissent d'ailleurs aussi le « marteau » comme remplaçant le pilon (par exemple il en existe au musée ethnographique de Münich).
Comme le mortier lui-même, le moulin à pilons fournit essentiellement des gruaux grossiers et des bouillies et non pas de la farine et du pain. Tous les deux étaient encore en usage jusqu'à une époque récente dans toutes les maisons de paysans (dans l'Europe de l'est), conjointement avec le moulin à bras, ou même le sont encore. Les noms usités en Pologne ou en Bohême : stepy, stoupy, stepor ; pour les mots allemands : Stampfe, Stampfer, sont évidemment d'origine allemande. Mais cela n'a pas plus de signification que l'origine slave de beaucoup de noms allemands désignant des ustensiles agricoles. Les pilons mécaniques existent dans toutes les parties du monde. Les Chinois, les Japonais, les Siamois les construisent exactement comme les Slaves et les quelques vestiges suisses ne présentent rien de spécial. Quand il existe une batterie de mortiers, il existe aussi une série de pilons (Inde) dont les marteaux, avec les leviers qui les commandent, sont disposés comme les touches d'un piano et sont manœuvrés au pied par des coolies. Tout pareils étaient les moulins à bocarder, pour pulvériser les minerais et les scories, dont je trouve le dessin dans la Cosmographie de Sébastien Münster (1544). Mais, en Europe, on ne trouve rien qui ressemble aux moulins à pédales pour la décortication du riz, si ce n'est, au moyen âge, les moulins à foulon pour le travail des peaux.
Dans l'Europe orientale les moulins à pilons sont encore utilement en usage et largement employés[1]. Ils sont un héritage des ancêtres, car chaque partie d'un appareil slave porte son nom particulier. On les fait avec un bois dur, de préférence en hêtre, en frêne ou en chêne, mais aussi quelquefois avec le bois d'un poirier abattu. Les propriétaires fonciers aussi utilisent les systèmes à pilons, qui sont le « moulin seigneurial » des petits et moyens domaines nobles. Le bâti d'un tel moulin est de bois dur et travaillé avec soin. Le pilon et son levier sont de bois tendre et élastique.
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- ↑ La littérature qui traite du folklore polonais en renferme beaucoup de descriptions, entre autres : Gloger (Z.), Wisla, 1898, Bd. XII, 341 et même revue Bd. XI, 1897 : Saloni (Alex.). Malheureusement sans indications numériques des dimensions.
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On choisit du bois sain et sans défaut, particulièrement pour la partie où se trouve la cavité du mortier, dont le creux est fait en travers des fibres du bois. La figure 24 indique la disposition générale de l'ensemble. Le bâti est toujours placé contre le mur de la maison ou de la grange et il y a une cheville H, piquée dans le mur (en W) à laquelle se tient l'homme qui monte sur le levier. La disposition générale est reproduite en plan par la figure 25.
Le bâti (fig. 24} a 1m.63 de longueur. Mais j'en ai rencontré ayant de 1m.80 à 2 mètres. Les autres dimensions sont portées sur le plan. Le rapport de la longueur à la largeur est assez généralement comme 4 à 1. Mais on trouve aussi presque 6 à 1. La cavité (fig. 25} s'étant creusée à l'usage, le marteau commença alors à être trop juste. Pour y remédier on avait cloué sur l'ouverture la planchette aa. Le véritable mortier a, dans l'exemple dont
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il s'agit, 42 centimètres de profondeur et 27 centimètres de largeur. Il est étroit à l'ouverture et s'élargit à l'intérieur et au fond. On le dispose ainsi dès le commencement, dans l'idée que les grains seront chassés par la chute du marteau et seront, non pas écrasés, mais décortiqués. En sautant le long de la paroi du mortier on suppose qu'ils doivent rouler et, en retombant, se frotter les uns contre les autres. Dans sa chute, l'extrémité du marteau ou pilon ne doit pas toucher, au plus bas de sa course, le fond du mortier. Elle doit en rester écartée de quelques millimètres. Pour protéger les grains on met quelque morceau d'étoffe sur le fond du mortier. Mais ce sont des précautions qu'on ne prend pas toujours car, dans d'autres cas, le marteau heurte simplement le fond du mortier. Il arrive même qu'il porte au voisinage de l'extrémité percutante une virole de fer, comme protection contre l'éclatement du bois et l'usure. Enfin il arrive que le marteau est souvent plus long que la profondeur du mortier, aussi bien dans l'Asie orientale qu'en Europe comme le montrent les figures 26 et 27.
Les concasseurs de grains et égrugeoirs ont encore eu une autre disposition : ils ont été mis en mouvement par l'eau. Le levier du concasseur d'os figuré (fig. 28) porte une rigole que vient remplir l'eau d'un ruisselet. La poutre s'incline alors et l'eau s'en va. A l'autre bout il est appesanti par une pierre, de sorte qu'il retombe alors par son propre poids dans le portier de pierre rempli d'os.
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La figure 29 représente une machine du musée historique du canton de Berne, servant à pilonner les os, à actionner une scie, et avec laquelle, dans le canton de Berne, on décortiquait aussi les grains. On s'est servi de cet appareil jusqu'en 1890. Une pelle en bois creuse se remplit d'eau, s'alourdit et soulève la poutre formant levier avec le pilon. Au point le plus bas de sa course, la pelle constituant l'auge se vide de son eau. En même temps que le pilon l'appareil actionne la scie visible en bas de la gravure. Je dois le dessin d'ensemble de cet appareil à l'obligeance de M. K. Hänny, sculpteur à Berne.
En pays slave, je ne connais aucun exemple de moulin à pilons mû par amenée d'eau. Ils ont dû disparaitre sans laisser de traces puisque les spécialistes de l'histoire des machines ne les connaissent pas. Ils ne sont signalés ni par Bennett et Elton (pour l'histoire de la meunerie), ni par l'érudit professeur Lindet de Paris. L'ingénieur Feldhaus, dont j'ai beaucoup utilisé l'ouvrage sur l'histoire de la technique primitive, n'a pas connu non plus ces dispositifs. Après la publication, en 1916, de La nourriture céréale au cours des temps, M. Feldhaus a eu l'amabilité de m'écrire que cette façon d'alimenter un dispositif à pilons par courant d'eau ne lui était connue que par une esquisse de Léonard de Vinci, où, d'ailleurs, l'eau n'a pour effet que de provoquer le déclenchement d'une machine[1]. Voir fig. 30 un type japonais.
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- ↑ Feldhaus (Franz.), Leonardo da Vinci, Jena, 1913, fig. 97.
Meules tournantes simples. Moulins à main
Le dernier progrès fut, dans l'ordre de la mouture, l'invention des meules à rotation et des moulins à bras. Ces appareils comportent une meule dormante qui est en dessous, et une meule supérieure qui tourne. On obtient ainsi des grains égrugés de qualité supérieure convenant pour les galettes. Depuis l'époque de la pierre, ces meules tournent et traitent les grains suivant un principe resté
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immuable au fond, malgré des améliorations techniques tardives et c'est seulement dans la seconde moitié du XIXe siècle, vers 1860, qu'ils ont été commencés et refoulés, mais dans une faible mesure, par l'introduction de la meunerie à cylindres. Encore au XIVe siècle on conservait la notion que les moulins à bras avaient été, dans l'économie domestique, une innovation capitale. Chaucer, célébrant l'âge d'or, dit que c'était un temps où on ne connaissait ni meules ni moulins. Mais, bien que le souvenir de l'instrument primitif, de la pierre à moudre et de son écrasoir (de la mère et de l'enfant des nègres) ait laissé un souvenir encore si vivace, on n'a pas encore étudié exactement comment les hommes, à partir de cet outillage primitif, sont arrivés au moulin à main, à la meule tournante. Le mortier, le moulin à pilons et la meule tournante subsistent côte à côte depuis longtemps, tandis que la pierre à moudre primitive disparaît.
Le mouvement circulaire, pour attiser le feu, pour fabriquer les pots, peut-être pour élever les fardeaux ou pour tourner le bois dans des formes simples, fut une invention qui facilitait considérablement le travail. En 1914, F. M. Feldhaus (l. c.) disait à ce propos : « obtenir un mouvement de rotation de sens constant...
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ce fut un problème bien difficile... puisqu'au XVIIe siècle il n'avait pas encore été entièrement résolu par les artisans. »
Le moulin à rotation est bien connu dans sa disposition générale. Il est constitué par deux pierres en forme de disques, placées horizontalement l'une sur l'autre suivant la même verticale. La pierre supérieure, la plus légère (meule tournante ou allante) est percée au voisinage de son bord d'un trou où s'engage une courte poignée pour la faire tourner. Mais il me semble que, primitivement, on a dû établir les meules tournantes sans poignée et qu'on les mettait en mouvement avec les mains étendues. Car on a trouvé beaucoup trop de meules n'offrant aucun trou pour l'insertion de la poignée. On n'imagine pas, dès lors, comment on pourrait expliquer cette circonstance autrement. Car, s'il est Yrai que la meule tournante s'use plus vite que la meule dormante, il n'est pourtant pas aisément admissible que ce soient toujours uniquement les meules dormantes ou inférieures (lesquelles n'ont pas de trou) qui se soient conservées. Il est vrai que beaucoup de meules tournantes sans trou pouvaient faire partie d'une certaine sorte de moulins à bras composés, mais toutes n'étaient certainement pas dans ce cas. Il est à souhaiter qu'un spécialiste de la mécanique examine toutes les meules au point de vue de leur structure et de l'inclinaison des surfaces triturantes. Mais, pour le moment, la seule chose que je puisse faire est d'essayer de grouper pour le mieux les meules que j'ai examinées.
Une question m'a toujours préoccupé : comment la meule tournante était-elle primitivement mise en mouvement ? Certaines pièces des collections de Varsovie, avec meules tournantes bien ajustées, et correspondant évidemment aux meules inférieures, puis, d'autre part, l'existence fréquente de meules tournantes ayant dans l'axe un trou à quatre pans, m'amenèrent nécessairement à me poser la question que j'ai indiquée ci-dessus . Les meules tournantes préhistoriques de la collection de Varsovie ont, à leur surface supérieure, des crochets sur lesquels la main trouvait une prise. D'autre part, les trous quadrangulaires situés dans l'axe des meules tournantes pouvaient servir, dans quelques cas, à mettre la meule en rotation par son axe, mais d'une manière économiquement mauvaise. Sur cette question, Stehlin a donné son opinion. Il pense qu'il est impossible de mettre la meule tournante en rotation en y appliquant les mains, que c'est irréalisable[1]. Mais, lorsque le moulin à bras apparut, le principe du
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- ↑ Stehlin (Karl), Anz. f. Schw. Altertztmkd. N.F., Bd. XX, 1918, 120, avec bibliographie ; Ringelmann, loc. cit.
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mouvement circulaire devait déjà être connu pour d'autres emplois. La poignée n'est pas absolument indispensable, car les meules cylindriques de Lettonie ont, au lieu de poignée, une corde solidement serrée au pourtour de la meule tournante et on passe dans le nœud de cette corde une cheville de bois ou un bâton, de sorte que la prise sur la meule tournante se fait par son bord. Déjà avant que n'eussent été publiées les objections, certainement judicieuses, de Stehlin, j'avais eu sur les origines du moulin à bras une correspondance épistolaire avec L. Pfeiffer, l'archéologue récemment décédé, de Weimar. En 1917, il expliquait de la façon suivante la section quadrangulaire de l'orifice axial de la meule tournante : ce trou était fait pour recevoir une pièce de bois ou de corne convenable, ayant deux courtes branches à angle droit. On prenait ces branches avec les mains et on faisait ainsi faire à la meule, autour de son axe, non pas une rotation complète, mais un quart de tour ou un demi-tour, successivement dans les deux sens. Plus tard les populations apprirent à pratiquer la rotation continue. La figure 31, que Pfeiffer a mise à ma disposition, précise l'essai qu'il avait fait en partant de cette conception. Cependant on peut objecter à cette supposition que, peut-être, la meule avait au bord une barre directrice et que l'orifice carré, souvent observé par moi-même, pouvait avoir seulement pour objet de recevoir un réservoir d'où les grains de céréales s'écoulaient lentement entre ]es surfaces triturantes. De plus, la pierre supérieure pouvait être du type
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correspondant au dispositif romam ancien que reproduit la figure 32, et qui est encore actuellement largement représenté chez les primitifs actuels. Je me contente de signaler à ce point de vue cette figure 32, qui représente une des trois dispositions des anciens moulins romains. Ici, le levier est fixé sur l'axe et non plus à la périphérie, ce qui d'ailleurs, ne se retrouve pas dans les moulins domestiques romains. La figure 33 nous présente, avec le moulin de campagne des légions, le second type. Celui-ci étroit mis en mouvement par la périphérie, il appartenait au matériel domestique et offrait encore dans sa construction une autre particularité : il opérait la mouture à la façon de notre moulin à café. Nous le retrouvons employé dans la mouture en grand sous la forme reproduite par les figures 34 et 35. Ces figures 33 à 35 montrent une meule tournante d'une forme qui n'a pas été rencontrée ailleurs. Il y a deux cônes réunis solidement par leurs pointes et creux. Le supérieur reçoit le grain et l'inférieur est la véritable meule. L'ensemble se nomme castillus. Le cône creux inférieur repose sur la meta, troisième cône, massif.,. qui porte des rainures, et qui constitue la meule dormante. Les
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deux meules ne sont pas en contact, mais laissent entre elles un espace. Il y a une cheville qui, comme dans les moulins à main modernes, maintient les meules à cet écartement. Elle est fixée à la pointe du cône inférieur ou meule dormante et il y a à la partie la plus étroite de la meule tournante un épais disque de fer, percé de cinq trous. La cheville de la meta se plaçait dans le trou occupant le milieu du disque et servait d'axe de rotation à la meule supérieure. Les quatre autres trous donnaient passage au grain que l'on versait dans l'entonnoir supérieur et arrivaient par là dans l'espace étroit compris entre les deux meules, pour y être moulu. Par suite d'une légère déviation de la ligne de profil, l'espace entre les deux meules n'était pas partout de la même largeur. A un certain endroit, sa largeur était au minimum. On obtenait, grâce à cela, de la farine fine sans être obligé de dépenser beaucoup de force, comme il aurait fallu le faire si les meules s'étaient touchées partout. Autrement on n'aurait pas pu tourner les meules (Lindet et Blümner). Les autres détails se voient sur les figures 34 et 35. Cette disposition n'est plus actuellement en usage en grand que pour la mouture en gruaux ou en grains concassés (maïs et riz).
Dans un moulin à main, un levier adapté à la périphérie de la meule tournante offre beaucoup d'avantages sur un levier travaillant suivant l'axe de rotation. Mais, si les Romains ont connu les deux systèmes, les époques préhistoriques les ont connus aussi. Ainsi la façon dont les Romains attachaient le levier à la meule tournante constitue un terme de comparaison qui plaide en faveur de l'opinion de Pfeiffer et semble permettre d'expliquer le mystère de ce trou carré qui existe dans l'axe de tant de meules tournantes préhistoriques. L'attache du levier suivant l'axe se retrouve dans
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les moulins des sauvages actuels et aussi, comme nous le verrons dans les moulins à eau de construction simple, avec cette différence cependant que, dans ces sortes de moulins à eau, c'est la meule inférieure qui tourne et que c'est la supérieure qui est la meule dormante.
Nous avons dû aborder cette discussion essentielle pour commencer, c'est-à-dire avant d'examiner pour le reste la forme et la manœuvre des moulins à main.
D'abord considérons les moulins sans bâti. Le tout reposait sur une natte ou sur un tissu grossier. On fixait entre ses pieds les petits moulins à main, comme le font encore actuellement les Marocains et les Arabes.
Très souvent on ne peut distinguer, dans les exemplaires des musées, la meule de dessus de celle de dessous et on ne peut même savoir si les pierres, telles qu'elles sont placées, s'ajustaient. Grosze a trouvé des pierres s'adaptant bien sur une aire de plaques d'argile. Peut-être la trouvaille de Szukiewicz dont je vais parler est-elle de la même catégorie. (V. aussi fig. 64, en haut).
Il semble qu'on ne connaisse aucune meule tournante datant de l'âge de la pierre qui soit munie d'une poignée. Tel est le cas du moins en ce qui concerne les meules de date définie qui sont au musée provincial de Zürich, et dont l'une vient de Robenhausen,
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et l'autre de Fällanden. Celle-ci, plus petite, qui a 15 centimètres de rayon, a 1 centimètre et demi à 2 centimètres d'épaisseur au milieu, là où était la cheville. Les surfaces triturantes sont dans les deux cas rudes. Ces meules tournantes n'ont pas de trou pour mettre une poignée.
Nous sommes jusqu'ici dans l'incertitude en ce qui concerne l'inclinaison habituelle des surfaces triturantes dans les moulins à rotation préhistoriques. Nous ne savons pas si la forme ordinaire était celle d'un entonnoir très évasé qui, par rotation, fournissait de la farine à la périphérie ni si les peuples primitifs s'étaient apertçus que c'est la forme la plus avantageuse comme rendement mécanique. A ce point de vue je signale donc l'intérêt qu'offrent les meules dont l'érudit collectionneur M. Wandalin Szukiewicz m'adresse les photographies et la mensuration avec une obligeance dont je le remercie. La figure 36 les reproduit schématiquement. La pierre inférieure est réellement un entonnoir plat, une assiette. La profondeur est de 5 centimètres. La pierre supérieure, au contraire, est bombée et repose sur l'autre par son côté conique. Les deux pierres ont le même axe. Le diamètre de la pierre du dessous est de 50 centimètres, celui de la pierre supérieure est de 38. L'ouverture du trou de la supérieure est de 0,075, celui de l'inférieure de 0,085. Par conséquent, le trou s'évase en entonnoir, en s'élargissant vers le bas. L'orifice supérieur de la pierre d'en dessus est de 0,06. La plus grande épaisseur de la meule inférieure est de 0,04 centimètres et celle de la supérieure de 0,05. Ces meules, dont l'adaptation réalise l'idéal, viennent d'un fossé de forteresse près de Kozlicha, dans l'ancien gouvernement de Grodno et se trouvent dans la collection de la société des amis des sciences de Wilna. Tout aussi heureusement construites sont les meules représentées schématiquement figures 38 et 39, ainsi que la meule tournante artistement perforée de la figure 37 qui se trouve dans l'ancien musée Kaiser Friedrich à Posen. La collection de Dantzig possède plusieurs meules de forme analogue, avec traces d'utilisation visibles, et, parmi elles, des exemplaires semblables aux meules tournantes des figures 38 et 39.
Mais on trouve partout en abondance des meules où les surfaces
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triturantes sont horizontales (fig 40 à 43), ou faiblement coniques et inclinées vers le pourtour (fig. 44, 45). Intéressantes aussi sont les meules autour desquelles pouvait être adaptée une enveloppe, dans la position indiquée par le pointillé dans les figures 40 et 44. Peut-être dans ces deux exemples, qui viennent de Prague, cet appareil était-il adapté à la meule inférieure. Les meules dormantes et tournantes des figures 41, 42, 45 étaient toutes les deux ainsi enveloppées. Les meules tournantes des figures 43 a, b, c, ont les unes une poignée, et les autres pas de poignée. Lorsque ies pierres étaient usées à fond il se produisait une partie saillante, (un collier), autour de l'axe. A ce degré d'usure, ces reliefs annulaires et, de plus, de grandes surfaces sur les parties triturantes finissent par être polies comme des miroirs (jusqu'aux endroits marqués xx dans les figures 46 à 52). Tout aussi polies par l'usure sont les pierres du dessous qui imitent en cela les meules tournantes (v. les figures 46, 49, 50, 52). Certainement les meules dont la coupe est figurée (fig. 46 et 49) étaient des meules de dessous. Mais, en ce qui concerne les figures 50 et 52 on ne peut affirmer ce qui était dessus et ce qui était dessous. Je n'insiste pas sur les particularités, mais elles mériteraient d'être exactement étudiées par un spécialiste des questions de meunerie. Les pierres de la figure 42 ont des surfaces de friction dirigées tout autrement et la question se pose de savoir si ce sont bien les pierres qui allaient ensemble. Il n'est pas sûr non plus que, dans le voisinage de l'axe, la meule tournante ait réellement subi une usure de 5 centimètres d'épaisseur. Les pierres n'ont probablement pas été aiguisées.
Voici les renseignements que m'a obligeamment donnés mon
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collègue et ami Z. Krygowski sur les causes qui donnent lieu, au cours de l'usure des meules tournantes, à la formation d'un collier annulaire saillant. On nomme vitesse angulaire le chemin que fait en une seconde un point de la meule situé à 1 centimètre de l'axe. On nomme vitesse de rotation d'un point situé sur la meule, à une distance quelconque de l'axe, le produit de la vitesse angulaire par cette distance. Comme la vitesse angulaire est, dans le calcul, la même pour tous les points d'une même meule, la vitesse de rotation s'accroît proportionnellement à la distance séparant les points que l'on considère de l'axe de rotation. Lorsqu'il y a des grains entre les deux meules, ceux qui sont au voisinage de l'axe tendent donc à tomber, pendant que la meule tourne, du côté de l'axe, et ceux qui en sont plus éloignés tendent à tomber vers la périphérie. Il y a donc une certaine distance pour laquelle, quand la mouvement de la meule est régulier, les deux tendances se font

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équilibre. Il en résulte donc une immobilisation des grains autour de l'axe, dans la région aussi où la pression de la meule tournante est plus grande qu'à la périphérie, à cause de son épaisseur et à condition que nous ayons affaire à une meule tournante plate et horizontale à sa face supérieure. (Mais ajoutons que, dans la mouture avec des meules tournantes et avec des moulins à main, il ne peut être question d'un mouvement de vitesse uniforme et que, de plus, la constitution substantielle de la pierre en chaque point a beaucoup d'influence sur ce qui se produit). La face inférieure de la meule tournante est donc particulièrement intéressée et usée au voisinage de l'axe. Les figures 46 à 52 montrent comment se continue le processus.
Les moulins à main simples, c'est-à-dire les meules tournantes montées dans des supports de bois, telles qu'on les trouve dans les maisons des paysans slaves, ne se distinguent pas de ceux qui ont été décrits, ni des deux sortes de moulins romains. On retrouve l'ancienne forme romaine dans de nombreux exemplaires des moulins à bras du moyen âge (par exemple à la collection de Breslau et dans d'autres collections), avec la tête d'animal figurant le déversoir de la farine, à propos de quoi on peut comparer ce qu'on lit dans Agricola. Mais on la trouve aussi dans des exemplaires venant de l'Extrême-Orient (fig. 53) et il est difficile de croire qu'alors ils soient imités de l'antique. Nous aurons en effet souvent.
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l'occasion de constater qu'en des pays divers les mêmes besoins ont amené à créer des ustensiles de même forme, sans que soit intervenue la copie du modèle classique ou sa transmission d'âge en âge. Mais Lindet peut avoir raison de penser que les Gaulois devaient réellement aux Romains la forme classique de leurs moulins, en particulier celle dans laquelle la meule est de forme fortement conique (comme dans notre moulin à café).
Moulins à bras, meules à manivelle. Formes primitives. Formes compliquées
MOULINS À BRAS REPOSANT SUR UN BATI. APPAREILS À MANIVELLE. FORMES PRIMITIVES ET FORMES COMPLIQUÉES. - On ignore l'époque à laquelle apparut cette forme de moulin à bras, mais sa haute antiquité est certaine. Les parties de l'appareil qui étaient en bois n'ont pas été conservées, mais il est certain pourtant que beaucoup de meules représentées dans les figures 36 à 52 ont fait partie de moulins à bras de ce genre. D'ailleurs les moulins à bras, en particulier, tels qu'ils existent ancore chez les Slaves, sont toujours construits de la même manière. La figure 62 (moulin d'Agricola) représente un degré d'évolution beaucoup plus élevé. On y voit, avec des meules tournantes simples (en haut de la figure) deux moulins composés, où le mouvement est transmis par roue dentée ou produit par la marche d'un animal. De plus, fait assez curieux, c'est la meule inférieure qui tourne.
Quant aux moulins plus simples, qui sont les seuls nous intéressant ici, ils sont abondamment représentés dans les musées et on en trouve bien plus dans l'est (où ils sont en usage encore à
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présent) que dans l'ouest. On en voit des exemplaires remarquables à Lemberg, à Cracovie, à Prague, à Vienne, à Berlin. Ces moulins à bras sont en général munis de chevilles pour la mise en place des meules et on rencontre aussi des essais de dispositifs pour régler automatiquement l'arrivée du grain à l'aide de la barre directrice. C'est aussi pour cela que les petits réservoirs à grain placés au-dessus de la meule tournante n'ont que des orifices extrêmement petits (fig. 58 et 59). Cependant ce ne sont là que des fantaisies et le vieux moulin ordinaire est bien plus simplement construit, quel que soit le pays d'où il vient. La figure 54 en reproduit un modèle, qui se trouve au musée d'ethnographie slave de Prague. Tel est le moulin utilisé partout par les Slaves et dont j'ai vu des spécimens en beaucoup de maisons rurales de la Galicie, le moulin qui donne la farine, quand il ne donne pas simplement du grain concassé pour les jeunes bestiaux. Rien n'empêche de croire que l'époque de la pierre ait déjà connu ce moulin, tel qu'il est encore. Mais on comprend qu'il ne soit pas facile d'en donner la preuve. Ces moulins, en effet, ne comprennent aucune partie qui soit en fer, ou n'ont de fer qu'un ou deux petits bandeaux cachés sur le côté de l'axe, dans une cavité de la meule du dessous. Ils servent
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à régler la distance, le jeu des pierres et à empêcher l'usure des surfaces actives. A une époque encore récente, ces petites pièces de fer et les meules mêmes étaient, en Galicie, dans les petites villes des campagnes, articles de commerce de détail. La barre de direction est, dans ces simples moulins, laissée amovible dans la meule tournante, qui montre un second trou ayant la même destination et quelquefois encore un troisième résultant d'un essai manqué (fig. 54, voir p. 505 : moulins à sarrasin).
Je n'ai jamais rencontré en Pologne de moulins où fassent défaut les petites pièces de fer destinées au réglage de l'écartement. Mais c'est seulement dans l'est du pays que l'on rencontre des moulins ayant une disposition aussi simple. Le journal polonais pour l'ethnographie Wisla reproduit une gravure à laquelle le rédacteur anonyme n'a joint qu'un texte très bref, mais qui montre que ces moulins n'étaient pas des objets extrêmement rares. Il s'agit d'une maison servant de moulin, au village de Mereckie, dans le district Dzisienie. Sur le côté est figuré un fort piquet de bois dont il est écrit qu'il sert à mettre des coins entre les meules pour élever plus ou moins la meule tournante[1]. Cette façon d'assurer l'écartement a pour effet de mélanger à la farine ou au grain concassé de la farine de bois, parce que les coins de bois qui séparent les meules sont moulus avec le reste, si les coins ne sont pas relégués au pourtour, seulement donc pour élever la meule davantage. Je ne saurais dire exactement s'il existe encore dans l'est des moulins dépourvus de toute partie de fer, mais je ne le tiens pas pour impossible, vu que, au moyen âge, de tels moulins
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- ↑ Anonyme, Wisla, t. XV, 1901, t. I, p. 137.
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semblent avoir été en usage (fig. 55). Dans les meules représentées ci-dessus (fig. 46 à 52) la surface des meules n'aurait pas pu être usée au poin de devenir lisse comme de la porcelaine si elles avaient été tenues à un écartement suffisant. La figure 56 représente un moulin à bras plus parfait, muni des pièces de fer, assurant le réglage et dessiné par un technicien en 1915. Ce dessin est dû au lieutenant et commandant allemand Macketanz, qui, en Galicie et en Russie, a examiné les moulins à bras dans presque toutes les exploitations rurales[1]. La même disposition très simple est encore réalisée dans le moulin qui représente la figure 57, d'après un dessin de M. Szukiewicz, qui a eu l'amabilité d'en relever les dimensions exactes. La caisse où est logé le moulin a 0m.77 de côté et 0m.30 de profondeur. Les pieds de la caisse, jusqu'au fond ont 0m.62. Le diamètre des meules est de 0m.45. La supérieure a 0m.12 d'épaisseur. La barre qui sert à mouvoir la meule a 1m.23 de long, jusqu'au plafond. Un autre moulin à bras, mesuré par le même observateur, avait les dimensions suivantes : longueur et largeur de la caisse : 0m.75, profondeur 0m.27, hauteur des pieds jusqu'au fond de la caisse 0m.62, diamètre des meules 0m.41, épaisseur de la meule tournante 0m.14, longueur de la barre de direction 1m 25. Les moulins à bras que j'ai vus en Pologne ont à peu près ces mêmes dimensions, cependant j'en ai souvent rencontré dont les meules étaient plus petites et descendaient jusqu'à 0m.36. Ces dimensions (diamètre des meules,
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hauteur de la caisse, etc.), sont en rapport avec la taille de l'homme qui les fait mouvoir et avec la longueur de ses bras. Le moulin à bras de Nacza a un cercle de fer au pourtour de la meule tournante avec une partie saillante et un trou (fig. 57). La barre de direction est munie à ses deux bouts d'une garniture de fer et elle entre librement dans le trou en question. L'autre bout de la barre se meut de la même manière dans un trou du plafond de la pièce où est le moulin.
Schnippel a donné une bonne description, avec dessin, des moulins à bras (Quern). Les « quirdel » de la Prusse orientale, dont i1 parle, sont très voisins des « quernen » jadis très répandus dans toute l'Allemagne (v. aussi Bennett et Elton, l. c.). La collection de la société autrichienne d'ethnographie, à Vienne, renferme un moulin semblable dont les meules sont en pierre calcaire de la nature des tufs. C'est ce moulin qu'on emploie à Guarnero, en Chersonnèse, mais on s'en sert aussi ailleurs comme me le signale M. le Dr Arth. Haberlandt, dans certaines contrées du sud de l'ancien empire d'Autriche. Les deux meules ont le même diamètre : 52 centimètres. La distance entre les trous est, à la meule supérieure de 12 centimètres, à la meule inférieure de 6 centimètres. Cette dernière est munie d'un trou et d'une cheville et une petite pièce de tôle de fer règle la distance des pierres. Mais il n'y a, si je ne me trompe, aucune autre pièce de fer.
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La meule tournante du moulin à bras simple de Pologne et du pays ruthêne s'use peu à peu. Elle a, au commencement, 12 à 14 centimètres d'épaisseur mais, dans le courant de l'année, son épaisseur tombe à 6 et 7 centimètres et, finalement, le bout de la barre de direction finit par traverser la pierre. Il arrive alors au contact de la meule inférieure et il est moulu avec le grain. On voit souvent sur les moulins à bras des meules extrêmement minces et qui demandent à être remplacées. Les meules tournantes sont le plus souvent d'une pierre plus tendre que les pierres dormantes. Selon un proverbe des meuniers, deux meules pareilles ne donnent pas souvent de fine farine. Mais malheureusement je n'ai pas noté la nature des pierres. Dans les familles de paysans qui continuent de vivre à la façon des ancêtres, et qui n'achètent jamais de pain chez le boulanger, on mange peu à peu ]es meules avec la farine. C'est à l'usure graduelle des meules qu'est due la forte teneur en sable des ga1ettes et des pains. Mes nombreuses analyses indiquent une teneur en sable variant de 0,3 % à 2 %. Naturellement, quand les pierres viennent d'être aiguisées la quantité est particulièrement forte[2].
La comparaison de l'ancien moulin à bras sans pièces de fer et des formes nouvelles donne lieu aux remarques suivantes. Il n'est pas établi que, du point de vue mécanique, l'existence des pièces de fer offre des avantages, car on pouvait tout aussi bien utiliser pour maintenir les meules en place de petites chevilles libres de bois ou de pierre, qui eussent été il est vrai moins durables. Cette mise en place des meules est obtenue à l'aide de coins ou de petites pièces de tôle de fer, ou de leviers, comme dans la figure 56,
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- ↑ Macketanz, Mühle, Jg. 52, 1915, n° 33, 594.
- ↑ Meules tournantes et moulins à bras : Dickenmann (Joh. Jack), Das Nahrungswesen in England vom 12 bis 15 Jh., Zürich, Dissert. Halle, a. S. 1904, 24. (d'après Chaucer) ; Grosse (H.), Zeitschr. f. Ethnol., 1909, Jg. 41, 926. - Agricola. De re metallica. Basileae (Froben), 1556, avec deux planches ; Cf. Mitteil, Aus d. Ver. d. Königl. Samml. d. D. Volkskunde, Berlin, 1906, Bd. 2, Hft. 4 ; Froelich, Beitr. z. litauisch. Volkskunde i. Program d. Gymnasiums in Insterburg f. d. J., 1902 ; Heyne (Moriz), 261 ; Stebler (F. G.), i. d. Beil. z. Jbuch. d. S. A. C. Bd. XXXVIII, 1903, 78 et Bd. XLIX, 1913, 85. Même auteur : Ob den Heidenreben., Zürich, 1901, 57 ; Guthe (H.), Kurzes Bibelwörterbuch, Tubingen et Leipzig, 1903, 97, 380 ; Gloger (Zygmund), Wisla, 1898, Bd. 12, 341, Ziemia, 1910, Bd. I, 275 (Polni, Zeitscbr. f. Volkskunde). Sur les moulins à eau simples : Jhb. d. Schweiz. Wasserwirthschaftsverbandes, Jg. 3, f. d. J ., 1912, 1913, Zürich, 1914, 48, fig. 1 à 3 ; Schnippel (E.), Ueb. Ostpreuszische bes. Oberländische Handmühle. Sitzungsber. d. Altertumsges. Prussia, 1900.1904, Hfl. 22, p. 516. Vortr. v. 20 févr., 1903). Avec quelque littérature sur les Querne ; Bennett et Elton, loc. cit., 153-173. Le moulin du moyen Age était encore fort en usage au commencement du XVIIe siècle : Muller (Sebaldus), Ber. vom Brotbacken. Fundiret u. Gerichtet auf die Substantz Natur, etc., Leipzig, 1616 (dans la dédicace). Rütimeyer cite diverses formes de moulins à bras suisses, 1924, 220-247.
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Dans l'ancien moulin romain en forme de moulin à café (figures 34-35) on se servait d'un disque de fer perforé. Ces dispositifs pour la meule dormante pouvaient être aussi constitués avec de la pierre (et peut-être du bois ?). Ces différences font penser que, parmi les meules de pierre qu'on a trouvées, beaucoup, qui passent pour des meules de dessous, sont des meules tournantes de moulins du nouveau type, dont l'anneau de fer s'est perdu. Les figures 36 à 54 montrent beaucoup de meules différentes ayant fait partie de moulins à main ou à bras, mais j'ai souvent été frappé du fait qu'on trouve bien plus souvent des meules de dessous que des meules de dessus.
Les meules tournantes s'usent plus vite, s'amincissent, et alors on les jette. Mais une bonne partie des soi-disant meules de dessous est peut-être constituée par des meules de dessus, ayant eu un anneau de fer. Les figures 43a et 44 représentent des exceptions, elles appartiennent à des meules à main (comparez avec la figure 53) pendant que la meule tournante de la figure 43b faisait sûrement partie d'un moulin à bras sans fer. Et enfin il est bien compréhensible qu'on ait plus de meules tournantes du nouveau type que de l'ancien.
On secouait dans le trou de la meule tournante, simplement avec la main, le grain destiné à être moulu (v. fig. 54 et 57). Cependant beaueoup de moulins romains ou du moyen âge montrent qu'on essaya de régler automatiquement l'arrivée du grain. Dans ce but, les moulins à bras qui étaient portés par un bâti possèdent une barre de réglage faite d'une tige de fer d'épaisseur moyenne (fig. 58, 59) avec un dispositif de commande simple. Le moulin de Raron (fig. 59) se distingue à peine du moulin à main africain. C'est une pièce historique. Sur le dessus de la meule tournante
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(vers le lecteur sur la gravure} on voit un trou dans lequel, primitivement, entrait une courte poignée, car les deux meules firent d'abord partie d'un moulin à main du type le plus simple. C'est bien plus tard que ce moulin reçut comme ornement l'anneau de fer, la barre de réglage et le récipient pour le grain à moudre. La poignée fit place à une manivelle dont l'axe, fait avec une vieille vis, repose dans une douille. A côté de la manivelle, on voit se détacher un bâton, dirigé vers le réservoir à grains. Au milieu de ce bâton (fig. 59) est un court morceau de bois, qui (me semble-t-il) doit secouer le réservoir à grain quand on tourne la manivelle et faire tomber à chaque tour un peu de grain entre les meules. De même dans le moulin à bras de Husum (fig. 58) le choc de la poignée de la manivelle contre le réservoir provoque l'écoulement du grain. Ce moulin n'est donc pas autre chose qu'un moulin à bras slave de l'époque moderne, amélioré. La barre motrice de la meule est attachée au milieu de celle-ci mais prend son point d'appui sur le support du moulin et non au plafond. Sa poignée ressemble à celle d'un villebrequin. L'autre bout de cette barre est accroché à la périphérie de la meule et règle l'écoulement du grain par une tige transversale, c'est-à-dire par sa petite cheville.
Nous rencontrons souvent ces essais d'amélioration d'ustensiles extrêmement anciens par des expédients modernes. D'une façon générale, on constate la coexistence bien intéressante d'anciens moyens de meunerie et de moyens modernes. Avec l'industrie meunière actuelle et malgré elle, les mou1ins à main et les moulins à bras subsistent. Il est vrai que le paysan oriental achète sa farine dans
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le commerce et qu'il fait maintenant moudre par des meuniers de profession son propre grain, mais cela ne l'empêche pas de se servir de ses moulins à pilons, de ses moulins à bras, et même du mortier[1]. Les moulins à bras tournent encore dans des régions fort étendues des pays de l'est. Un grand mécontentement se manifesta pendant la guerre en Galicie lorsque les autorités répartirent la farine et le grain, et que, pour empêcher les paysans de frauder, on leur prit leurs moulins. Les paysans voulurent reprendre leurs moulins par la violence. Il y eut des combats sanglants. Dans le district de Rawa Ruska, et dans beaucoup d'autres, au printemps de 1918, les événements aboutirent à des condamnations, par exemple le 23 juin 1918. Un grand nombre des moulins saisis retournèrent secrètement à l'endroit d'où ils étaient partis. En 1914 et 1915 on pouvait voir que des moulins à bras étaient en vente ouvertement sur les marchés des grandes villes. Il y avait saisie en un lieu, puis saisie en un autre, mais les moulins à bras étaient constamment en service. Ils étaient souvent tournés par des gens qui n'en avaient jamais vu auparavant mais, qui, maintenant, en achetaient en secret et avaient même appris à remettre les meules en état fort correctement avec la pierre à aiguiser. Tant le moulin à bras fait partie intégrante de la vie des paysans slaves ! On trouvait même chez eux, jusqu'à une époque récente, des survivances de la façon primitive de moudre le grain. M. Seweryn Udziela, inspecteur des écoles à Cracovie, m'en a communiqué l'exemple étonnant que voici : Le peuple garde encore la tradition de la « mère et de l'enfant », ainsi que les sauvages d'Afrique nomment la meule simple initiale. Dans l'ouest des Carpathes, les vieilles gens savent encore ce que c'est et peuvent en parler. Entre 1870 et 1880 on pouvait voir, dans la région de Nowy Targ et à Jelesnia, près de Zywiec, des fours à pain de paysans ayant sous le toit du four (nommé okap ou kapa), la pierre creusée en écuelle, avec la meule à écraser correspondante, le tout portant les traces manifestes de l'usage qui en était fait. L'écuelle se trouvait à la hauteur de la bouche du four, appuyée contre la paroi de la pièce, engagée dans la nalepa, c'est-à-dire dans l'auvent de tuiles qui s'avance, dans les fours à pain, en avant de la bouche du four.
En Afrique aussi, on constate la coexistence de procédés de mouture très anciens et de nouveaux procédés plus parfaits, mais avec cette différence que les uns et les autres (ceux d'hier et ceux d'aujourd'hui) sont très antiques et que le moulin à main s'y
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- ↑ Sur l'usage actuel du mortier : Ztschr. Wisla, 1901, Jg. 15. Bd. 2, 273.
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présente encore comme une nouveauté. Nous savons par Andree, Reichard, Schweinfurth, que les nègres de l'Afrique se servent de pierres à moudre non tournantes, sauf ceux des côtes et de Zanzibar où les Arabes ont introduit la meule tournante mue à la main. On ne doit donc pas se figurer les formes primitives de la mouture (la pierre à moudre avec l'écrasoir, le mortier, enfin la meule tournante mue à main) comme correspondant à des périodes successives, comme autant d'étapes distinctes et séparées d'un développement. Chez les nègres des côtes de l'Afrique orientale allemande ces procédés sont en usage tous en même temps. Le simple procédé de la mouture entre deux pierres plates est devenu rare, mais il était autrefois courant chez des nègres qui, depuis, ont émigré vers l'intérieur des terres, fuyant devant leurs ennemis.
Le procédé le plus usité est le pilonnage dans des mortiers faits de bois, qui ont 50 à 70 centimètres de haut, et environ 25 centimètres de diamètre. Le pilon, qui est gros comme le bras, a 1m.20 de long. Souvent deux femmes travaillent au même mortier. Les meules tournantes mues directement à la main sont souvent utilisées, mais moins que le mortier. La pierre inférieure est en forme de cône et la meule supérieure tournante, creusée en cône creux, repose sur elle. La farine tombe dans un grand plat de vannerie sur lequel sont posées les meules[1].
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- ↑ Krauss (H.), Globus, 93, 1908, 357 pp. avec fig.
Moulins à manèges, à roues, à eau. Meunerie romaine et meunerie du moyen âge. Formes anciennes du moulin à eau
PROGRÈS ULTÉRIEURS DE LA MEUNERIE PRIMITIVE DANS L'ANTIQUITÉ : MANÈGES, « TRETRAD », MOULIN À EAU ALEXANDRIN. MEUNERIE ROMAINE ET MEUNERIE DU MOYEN ÂGE. - Dans l'antiquité, la meunerie et la boulangerie constituaient en général la même industrie. En Egypte, la durra était le plus souvent (comme actuellement dans le sud) écrasée chez les pauvres gens entre deux pierres et chez les riches avec des meules tournées à main. Des esclaves, hommes et femmes, faisaient tourner une manivelle quand les meules étaient de grande dimension. C'était un des plus durs travaux des esclaves. Plus tard, enfin, quand le machinisme se développa ce furent des ânes ou des bœufs qui mirent les moulins en mouvement. Les Egyptiens fabriquaient les tamis à farine, à mailles larges ou à mailles fines, avec du papyrus ou avec des joncs. Les Juifs avaient aussi des moulins à bras. L'ancien testament compare le bruissement de la meule aux chuchotements du fiancé et de la fiancée. On ne sait où fut inventé le moulin romain en forme de moulin à café, dont il a été question précédemment. Le travail à la barre de ces moulins était un dur supplice d'esclave et de condamnés et ne faisait pas partie des coutumes
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familiales et nationales des Juifs. On connaît la description impressionnante que Gustave Flaubert en a donnée dans Salammbô. Une muselière, des gants dépourvus de doigts, empêchent les esclaves condamnés à ce travail de goûter à la farine d'Hamilcar[1]. Aussi dur était ce travail dans l'ancienne Rome. Un homme libre ne se louait pour ce métier qu'à la dernière extrémité. En général c'étaient des esclaves qui tournaient la meule, ou ceux qu'on y condamnait. On leur mettait un anneau de bois, pareil à une collerette, pour les empêcher de porter à leur bouche, avec la main, un peu de la farine (objet analogue au scheba d'Afrique, décrit par Schweinfurth, p. 271). Il n'était pas rare que les condamnés fussent enchaînés au moulin. Il n'est pas surprenant que le christianisme ait supprimé cette invention sanguinaire (molendina sanguinis).
Les progrès qui suivirent font déjà partie des commencements de la véritable meunerie. On a cru pouvoir considérer la préparation et l'utilisation des grains au moyen âge comme la simple continuation de ce que Rome avait inauguré et on s'appuyait sur ce que la philologie, avec ses vues unilatérales, retrouvait en tout un prototype romain. Mais, avec sa pénétration ordinaire, Heyne a bien vu que les débuts du travail des grains en Allemagne se perdent dans la nuit des temps. On ne trouve presque aucune trace d'une évolution ayant pour point de départ la technique romaine et il est bien plus probable que cette technique, comme celle du moyen âge ont eu leurs origines dans des sources communes. La boulangerie et la meunerie de Rome naufragèrent dans le courant d'idées hostiles à la civilisation dont l'idéal était un renoncement. Avec le moyen âge, l'industrie romaine a fait plus que de changer de maître. Braungart (l. c.) loue trop exclusivement les Goths lorsqu'il leur attribue le très grand mérite d'avoir d'année en année resemé les céréales des époques primitives (le blé des palafittes, etc.) et de nous avoir transmis l'héritage des caractères avantageux qu'elles avaient acquis au cours d'innombrables essais. En réalité, tous les peuples du moyen âge l'ont fait et les paysans ne pouvaient du reste pas procéder autrement. Mais ces mêmes paysans, qui venaient à peine d'abandonner le labourage à la houe, ou qui en étaient encore aux méthodes primitives du labourage à la charrue, étaient hors d'état de continuer, même simplement, les méthodes de l'état romain, parce que les conditions
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- ↑ Blümner, loc. cit. ; Woenig (Franz), Die Pflanzen in Alt-Aegypten, 2 Auf, Leipzig, 1886, 175. Gustave Flaubert, Salammbô, Ed. définitive, Paris, 1893, 154 ; Bennett et Elton, loc. cit., Bd.1, 180 et suiv. Ringelmann, Rütimeyer.
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économiquement nécessaires leur manquaient ou ne se trouvèrent réalisées que plus tard. Le christianisme se chargea de faire le reste du mal. Il n'avait pas de goût pour le progrès scientifique ou technique des barbares. Dans ces tristes siècles sombra donc le haut développement de la meunerie et de la boulangerie romaines. L'état misérable de la science au moyen âge est connu de tous les naturalistes. Vollers[1] dit que la vieille culture méditerranéenne fut dépossédée de son domaine et submergée par l'invasion d'une pensée tout asiatique. Et nous n'avons pas encore réussi à nous en rendre maîtres.
A Rome, un four de boulanger, travaillant avec un moulin, nourrissait son homme. On en trouve un beau témoignage historique dans le luxueux tombeau d'un boulanger romain découvert en 1837 à Rome près de la Porta maggiore. On y voit représentées toutes les opérations successives de la fabrication du pain, depuis l'arrivage du grain jusqu'à la pesée du pain vendu aux clients : le grain est moulu, nettoyé, tamisé, puis c'est la fabrication de la pâte et du pain. Les Romains connaissaient deux sortes de pains : le pain ordinaire, qui tombe au fond de l'eau, et le pain léger, qui surnage. Mais c'est bien plus tard que se constitua une industrie véritable des céréales. La technique romaine, sans aller bien loin dans cette voie de progrès s'y engagea cependant. Quant aux meules à main, moulins à bras, moulins à eau, et boulangerie du moyen âge, on ne peut guère différer d'avis sur leur compte, étant donné l'ensemble des faits rapportés ci-dessus : il s'agit dans tout cela de technique primitive. Que l'on compare les figures 31 à 35 avec les dessins de moulins à bras de l'année 1556, les moulins à bras slaves des figures 54, 56, 57, les moulins du moyen âge des figures 55, 58, 59, et les fours à pain du moyen âge décrits ci-après, on arrivera sans peine à la conclusion que ces dispositifs de meunerie et de cuisson du pain, bien que datant d'époques si tardives, sont bien au-dessous de ce qu'avaient fait les Romains.
En Suisse, beaucoup de moulins ruraux sont très simplement organisés. Stebler a dit avec raison que le moulin à eau de Saint-Gall (fig. 60, 61) est plus simplement construit que les moulins à eau romains (Sonnige Halden, l. c.). Ses dispositions le placent immédiatement au-dessous du moulin d'Agricola (fig. 62).
Le moulin de Binn (canton de Saint-Gall) offre à remarquer
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- ↑ Vollers (Karl), D. Weltreligionem i. i. geschichtl. Zus. hange, Jena, 1907, p. 164 et suiv. ; Renan (Ern.), Marc-Aurèle et la fin du monde antique, Paris, 1886, passim.
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les aubes de la roue à eau perpendiculaires à l'arbre de couche, auquel est directement attachée la meule tournante, qui est ici la meule du dessous.
Selon une hypothèse de A. Härry (Jahrhuch des Schweizerischen Wasserwirthschaftsverbandes[1], ce sont les Sarrazins qui, dans leurs expéditions jusqu'à la région alpine, firent connaître ces moulins, qui existent dans la péninsule des Balkans, mais aussi en Espagne, dans les Pyrénées, dans le sud de la France. De là viendrait leur existence actuelle dans le canton de Saint-Gall, dans le Tessin, dans les Grisons. Cette forme de roue à eau (roue des Grisons) appartient, dit Härry, aux formes les plus anciennes de la roue à eau. Elle était déjà connue dans le premier siècle avant notre ère. C'est de ce type qu'est la roue des moulins de Auszerberg et de Binn (fig. 60 et 61), constituée par un axe vertical portant des palettes rayonnantes qui reçoivent le choc d'un fort courant d'eau. Les deux moulins sont disposés de la même manière. Remarquons que c'est la meule du dessous qui tourne et non pas celle du dessus.
Le moulin d'Auszerberg (fig. 60) qui est un « moulin par le bas » (Fuszmühle) est constitué par la roue, l'arbre vertical de la roue, la meule inférieure ou meule tournante, logée dans ce qu'on appelle la zarge (ou châssis), l'entonnoir à grains et la caisse avec son sac pour la farine, enfin le système du va et vient. La façon dont tout
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- ↑ Mach (Ernst), Kultur u. Mechanik., Stuttgart, 1915. Voir p. 57 une figure du moulin à eau roumain à palettes en forme de cuillères.
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s'assemble est ingénieuse et efficace. La roue, avec son axe, repose sur une poutre de bois légèrement courbe vers l'extérieur. A l'aide d'une pièce de bois verticale, munie en haut d'une vis, on peut soulever l'ensemble. On élève donc aussi la roue et on peut ainsi en régler la vitesse. Pour empêcher la poutre de céder il y a une pièce de bois verticale qui fait corps avec elle, ainsi qu'on le voit sur la figure 60. Les moulins de Binn et de Auszerherg se rattachent probablement au type du moulin à bras, tel qu'il a été décrit longuement ci-dessus, mais ce sont en même temps des moulins que le moyen âge a construits en grand nombre et en beaucoup d'endroits.
Ceci ne veut pas dire que le moyen âge n'ait pas connu de moulins plus perfectionnés. C'est à cette époque qu'apparut la roue à eau dite « roue en dessous ». Il est à noter que les moulins à eau et à roue d'écureuil des figures 61 et 62 ne furent pas les seuls à posséder la meule inférieure tournante. Le moulin à bras de la figure 63 était construit ainsi. Nous allons maintenant faire la comparaison avec les moulins à eau qui avaient été inventés par les anciens Romains à partir des mêmes origines. Mais il ne faut pas perdre de vue ce que Mach (l. c.) dit des inventions autochtones :
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aussitôt qu'il est l'objet d'une étude un peu plus exacte, chaque outil, chaque ustensile devient l'objet d'une élaboration particulière. Les débuts de la meunerie seraient intéressants aussi pour l'histoire des céréales car il n'est pas dit que les moulins de Saint-Gall ne soient pas plus anciens que les moulins romains.
D'après Feldhaus, nous ne trouvons que rarement mention de moulins à eau dans l'antiquité. C'est seulement au IIIe siècle avant notre ère que nous voyons signalée chez les Grecs une roue à eau qui était un appareil d'épuisement. Aux environs de l'an 24 avant J.C, Vitruve décrit pour la première fois un moulin à eau romain : « A l'extrémité de l'arbre de la roue à eau (recevant l'impulsion de l'eau en dessous) est une roue dentée. Dans celle-ci s'engrène une seconde roue plus petite et horizontale qui tourne au bout d'un arbre. A l'autre extrémité de cet arbre est une pièce de fer en forme de double mortaise (queue d'aronde) qui est coincée dans la meule. Au-dessus de la machine est suspendue une gouttière qui sert à amener le grain à la meule. La figure 64 montre la disposition de ce moulin de Vitruve. C'est seulement au IVe et au Ve siècle que ces moulins se
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généralisèrent. L'introduction du moulin à eau eut pour conséquence importante que l'industrie du meunier devint distincte de celle du boulanger, parce que l'installation ne pouvait plus s'en faire dans la boulangerie même. Les moulins à eau qui furent une invention si importante n'étaient pas une invention romaine. Ils venaient de Grèce ou d'Asie, et furent seulement (comme tant d'autres choses) adoptés par les Romains.
Les moulins à eau du moyen âge sont souvent dessinés dans les manuscrits. Mais ces dessins sont extraordinairement petits (Feldhaus) et, pour cette raison, presque inutilisables pour en distinguer les détails. Au moyen âge on connaissait à la fois la roue à eau en dessous et la roue à eau en dessus. L'abesse Herrad von Landsperg a, pour l'instruction des nonnes de ses cloîtres (à Sainte-Odile), décrit toutes sortes d'objets de la vie courante, dans le cadre d'une histoire hiblique. Entre autres choses, elle prend comme thème, au cours de ce récit, les passages de l'Évangile de saint Luc, 17, 35 et de saint Mathieu 24, 41 presque identiques : « Deux iront moudre au moulin, une sera prise, l'autre sera laissée. » Ainsi s'expliquent les trois personnages de la figure 65 (figure 64bis, qui a été oubliée dans la version française). L'une des deux femmes est appelée par l'ange, tandis que l'autre est abandonnée à la calamité qui l'attend. La roue à eau (roue en dessous) met en mouvement un arbre horizontal auquel la meule emprunte son mouvement. Les roues dentées des moulins du moyen âge, comme tout l'ensemble du moulin, étaient presque exclusivement en bois. Encore à cette époque, le fer coûtait trop cher. On ne se préoccupait pas dans cette industrie de tout repos d'économiser l'énergie. C'est seulement à l'époque des moulins à vent qu'on commença à diminuer les résistances et les frottements, parce que le vent a des fantaisies. Les anciens ne connaissaient pas les moulins à vent.
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C'est seulement au moyen âge qu'on vit les premiers. D'après Feldhaus, jusque vers 1800, les roues dentées de fer demeurèrent une rareté dans la construction des moulins. Encore aux environs de 1820, en Allemagne, il était tout à fait rare de voir, dans les moulins, les axes tourner dans des supports de métal.