Carthame (Maison rustique 2, 1837)
Le Carthame officinal, ou Safran bâtard (Carthamus tinctorius, L.; angl., Bastard Saffron ; all., Wilder Saffran ; ital., Cartamo ; Qortom ou Qârtâm des Arabes) (fig. 47), est une plante annuelle de 2 à 3 pieds de haut, très-rameuse, à fleurs d'un jaune rouge, appartenant à la famille de Cynarocéphales.
On cultive le carthame pour les deux substances colorantes, l'une jaune, l'autre rouge, qu'on extrait des fleurons de ses fleurs. En
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outre les graines, qui sont grosses et nombreuses, et qu'on vend à Paris sous le nom de graines de perroquets, parce que ces oiseaux en sont très-friands, fournissent le quart de leur poids d'une huile bonne à brûler et à manger, en sorte que, seulement sous le rapport de l'huile, cette plante mériterait d'être cultivée. Les feuilles peuvent servir de fourrage aux animaux et procurer une nourriture d'hiver pour les moutons, les chèvres et les vaches, et les tiges sont employées comme litière et en Egypte servent de combustible. Enfin, les fleurs de cette plante sont aussi employées en médecine, dans l'économie domestique et dans l'art culinaire, en place du véritable safran, et on la cultive dans les jardins pour la décoration des plates-bandes. Le carthame, originaire d'Egypte, est comme naturalisé dans les parties méridionales de l'Europe ; il supporte même le climat de Paris, quoiqu'il y périsse avant d'avoir donné toutes ses fleurs et que sa graine y mûrisse mal. Autrefois on le cultivait fort en grand dans la Thuringe, d'où on l'exportait non seulement eu Allemagne, mais encore en Angleterre et ailleurs ; cette culture est presque tombée, les Anglais livrant à l'Europe du carthame turc ou oriental qui est de meilleure qualité et qu'ils vont particulièrement chercher en Egypte, pays qui fournit les 7/8 de ce que les teintures consomment. Cependant, d'après les produits recherchés obtenus par M. Preyss, de Pesth, il paraît que la supériorité de celui du Levant tient moins au climat qu'au mode de préparation ; par conséquent, en suivant ses procédés, on pourrait faire revivre cette culture en Europe, d'autant plus que le vice-roi d'Egypte, en s'appropriant le monopole du carthame égyptien, en a fait beaucoup hausser le prix, que la fabrication des étoffes auxquelles on l'applique comme matière colorante prend toujours plus d'extension, et que sa préparation n'exige pas de grands appareils.
Le carthame exige une terre légère, profonde et la plus exposée aux ardeurs du soleil ; à moins qu'elle ne soit trop maigre, on peut se dispenser de la fumer ; dans un sol trop substantiel, les plantes s'élèvent fort haut, mais les fleurs sont rares et tardives, et les fleurons, seule partie dont on fasse usage, sont moins colorés et d'une qualité inférieure.
La terre ayant été labourée ou, encore mieux, bêchée profondément avant l'hiver, on sème depuis la fin de mars jusqu'au milieu d'avril et même plus tard sous le climat de Paris. Il est bon de faire tremper la semence pendant 24 heures, dans un mélange de cendres et d'eau de fumier, afin d'attendrir la peau des graines qui est dure et épaisse, et de hâter la germination. Le semis a lieu généralement à la volée et très-clair, pour que les plantes soient espacées de 15 à 18 pouces au moins ; mais le semis en raies est préférable, et les plantes sont éloignées dans les lignes de 8 à 10 pouces les unes des autres. Il faut choisir pour l'ensemencement un jour où la température soit chaude et humide, car sans cela la graine est sujette à pourrir en terre. On peut aussi cultiver le carthame entre des carottes ou d'autres plantes charnues dont les tiges ne s'élèvent et ne s'étendent pas beaucoup au-dessus du sol.
Tant que les jeunes carthames sont petits, il faut sarcler soigneusement, éclaircir et arracher les plantes qui portent des aiguillons.
La floraison a lieu a la fin de juillet, en août et même plus tard ; comme les fleurs n'acquièrent que successivement la couleur rouge-brun qu'on désire, il faut aussi faire la cueillette à différentes reprises, et toujours par un temps sec, l'humidité faisant noircir le carthame. On pensait généralement que cette plante ne peut donner en même temps ses fleurs et ses fruits, et M. Thouin a professé cette opinion ; mais M. Bonafous a reconnu qu'on peut très-bien obtenir ces deux produits en procédant de la manière suivante : on arrache chaque matin, au lever du soleil, les pétales ou fleurons dont l'épanouissement annonce que l'œuvre de la reproduction est assurée, mais sans couper les têtes des fleurs ; les pétales ainsi récoltés sont étendus à l'ombre, et à un air chaud, sur des claies ou des nattes, et, lorsqu'ils sont desséchés, on les met dans des sacs pour les conserver à l'abri de l'humidité, afin que les principes colorans ne s'allèrent pas. — La cueillette du carthame dure environ deux mois, et pendant ce laps de temps on doit, chaque jour de beau temps, aller dans les champs faire cette récolte ; on y emploie des femmes et des enfans. La longueur de cette opération et la nécessité d'éplucher et de préparer sans retard les produits, ne permettent guère de cultiver le carthame très en grand, et en feraient au contraire un objet avantageux de petite culture.
Après la cueillette des pétales, on laisse les plantes sécher sur pied pendant quelques jours ; on arrache alors les tiges dont on retire la graine en les frappant avec des bâtons. Cette graine, soumise aux mêmes manipulations que celle du colza, donne un quart environ de son poids en huile d'une qualité non moins précieuse pour l'éclairage que pour l'usage de nos tables.
On extrait des feuilles florales deux matières colorantes, l'une jaune, d'une nature gommeuse, l'autre rouge, de nature résineuse. On en obtient en outre des couleurs rose, jaune-ponceau et rouge-cerise. En comparant le carthame du Levant avec celui d'Allemagne, on remarque les différences suivantes : ce dernier est sec, dur, tient de la nature de la paille, et l'on aperçoit que les fleurs sont simplement séchées; leur couleur est le rouge vif entremêlé de beaucoup de jaune ; on y trouve beaucoup de débris du réceptacle, du calice et d'autres corps étrangers. Le carthame oriental a une couleur plus sombre, homogène, d'un brun-rouge ; il est plus noir et un peu humide au toucher ; son odeur est plus forte et il paraît comme composé de fibres fines déchirées, ne contenant aucune matière étrangère, si ce n'est quelques fragmens de capsules des graines. Ces différences paraissent tenir uniquement au procédé de préparation mis en usage. Voici celui qu'on doit suivre : les
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feuilles florales nouvellement cueillies et séchées à l'ombre, sont mises dans un vase de bois où elles sont arrosées avec une dissolution de quelques parties d'eau et une partie de sel commun, jusqu'à ce que par leur ramollissement elles se trouvent à peu près dans l'état où elles étaient dans leur fraîcheur. Elles sont alors mises entre deux pierres meulières et entièrement broyées. La masse broyée est, après qu'on en a exprimé le suc avec la main, humectée une seconde fois d'eau salée, qui est derechef exprimée ; cette opération est renouvelée plusieurs fois, le résidu est alors étendu sur des planches, et après avoir été séché à l'ombre, il est bon à être livré au commerce. — Nous devons faire remarquer ici que M. Bové (Observations sur les cultures de l'Egypte) ne parle pas de ce mode de préparation, et qu'il dit simplement qu'après avoir fait dessécher les fleurs à l'ombre, on les pile pour les réduire en pâte à laquelle on donne la forme de pains du poids de 2 à 3 livres.
Il n'est pas de notre ressort d'indiquer les moyens à l'aide desquels on extrait du carthame les diverses substances colorantes qu'il renferme. Le célèbre Berthollet (Traité des teintures, etc.) les a décrits fort exactement, ainsi que les procédés pour les fixer sur les étoffes. On trouve aussi en abrégé (Bull. des sciences agric., tome 16) deux procédés indiqués par M. Wehner. Ces couleurs ne supportent ni le débouilli au savon, ni l'exposition prolongée au soleil ; ce sont donc des couleurs de petit teint ; mais, comme la couleur moyenne qui en résulte est très-brillante, on en fait, malgré cela, un fréquent usage dans la teinture. C'est encore la partie colorante rouge du carthame qu'on emploie à la fabrication du plus beau rouge de toilette qu'on connaisse.
Le produit de la culture du carthame peut se monter à 3 quintaux de fleurs par arpent.