Ricin (Cazin 1868)
[914]
Nom accepté : Ricinus communis
Ricinus vulgaris. C. Bauh., Tourn. — Ricinus seu palma-christi, seu cataputia major. Off. , Murr.
EUPHORBIACÉES. — CROTONÉES. Fam. nat. — MONŒCIE MONADELPHIE. L.
Le ricin (Pl. XXXIV), originaire de l'Inde et de l'Afrique, où il s'élève à la hauteur de 20 à 40 pieds, est cultivé en France avec succès, particulièrement dans nos départements méridionaux. Mais ce n'est plus qu'une plante annuelle, qui, vers la fin de juillet, a atteint la hauteur de 1 à 2 mètres et est couverte de fleurs auxquelles succèdent des fruits ayant quelque ressemblance à la tique des chiens de chasse (que les Latins appelaient ricinus) et dont on tire une huile très-usitée en médecine.
Description. — Racine pivotante, presque simple, fibreuse. — Tige dressée, rameuse, flstuleuse, cylindrique, articulée, devenant rougeâtre, les jeunes rameaux glauques, haute de 1 à 2 mètres (de 6 à 12 en Afrique). — Feuilles alternes, larges, palmées, peltées, divisées en sept ou neuf lobes inégaux, pointus, dentés en scie et glabres. — Pétioles gros et longs, stipulés à la base. — Fleurs monoïques, disposées en épis allongés, rameux et terminaux présentant au sommet les fleurs femelles et à la base les fleurs mâles (juillet-août). — Fleurs mâles : calice petit, à cinq divisions concaves ; étamines nombreuses réunies à la base, à anthères jaunes et biloculaires. — Fleurs femelles : calice caduc à cinq découpures étroites, lancéolées ; un ovaire à trois styles bifides et à stigmates rougeâtres. — Fruits : capsule à trois côtes saillantes, couverte d'épines, à trois loges monospermes, contenant chacune une graine ovale, dure, tachetée de rouge, de la grosseur d'un haricot.
Parties usitées. — Les graines et les feuilles.
Culture, récolte. — On le cultive dans tous les jardins, à une exposition chaude. Elle est annuelle si on la place en pleine terre ; en serre on peut la conserver plusieurs années, mais rarement plus de trois. Dans les départements méridionaux de la France, les semis de ricins faits en place réussissent bien. On choisit une terre fraîche et une exposition chaude. Cette culture a pris notamment dans la plaine de Nîmes une importance réelle. La plus grande partie de l'huile de ricin que la médecine française emploie de nos jours n'a pas d'autre origine. On a calculé qu'un are pouvait donner 14 kilogr. de graines et environ 2 1/2 kilogr. d'huile. Les graines mûrissent fort inégalement; on les récolte en automne.
Propriétés physiques et chimiques. — Les fruits du ricin sont d'une saveur oléagineuse, douceâtre, nauséeuse, âcre, brûlante ; leur odeur est nulle. Ils rancissent en vieillissant et prennent alors un goût de chènevis. Leur substance est blanche, ferme, de nature émulsive, et très-analogue à celle des amandes. (Tuson[1] y a constaté la présence d'un alcaloïde, la ricinine, cristallisant en prismes et lamelles incolores, sublimable et brûlant avec une flamme fuligineuse, soluble dans l'eau et l'alcool, répandant une odeur d'essence d'amandes amères; cet alcaloïde paraît doué de propriétés toxiques ; il n'est pas purgatif.) Ils renferment en outre une grande quantité d'huile grasse et douce[2], qu'on en retire facilement, soit par expression, soit par infusion dans l'eau bouillante. Le premier procédé est préférable. On prend les semences de l'année, sèches et bien saines ; on les réduit en pâte au moyen d'un moulin ; on renferme cette pâte dans des carrés détachés, et, on exprime l'huile graduellement, longtemps et fortement. Cette huile est blanche, visqueuse, d'une odeur et d'une saveur faibles, désagréables ; elle est soluble en toutes proportions dans l'alcool à 95 degrés ; l'alcool à 90 degrés en dissout les trois cinquièmes de son poids. Sa composition chimique n'est pas bien connue. Bussy et Lecanu en ont extrait par la distillation une huile volatile, cristallisant par le refroidissement ; il restait comme résidu, une matière solide représentant les deux tiers du poids de l'huile employée. Elle a fourni à la saponification trois acides différents : ricinique, élaïodique et margaritique. Les deux premiers sont extrêmement âcres. — L'acide ricinique est solide ; l'acide élaïodique est liquide. Tous les deux sont très-solubles dans l'alcool et dans l'éther. Soubeiran[3] a retiré de la se-
____________________
- ↑ Répertoire de pharmacie, août 1864, p. 53.
- ↑ L'amande, qui fait les 69/100 de la semence, contient 46/100 d'huile fixe.
- ↑ Traité de pharmacie, 3° édit., t. I, p. 494.
[915]
mence de ricin une sorte d'huile résineuse, molle, analogue à la résine de l'huile d'épurge mais qu'il a considérée comme un produit complexe. — L'huile de ricin est moins active que les semences qui l'ont fournie ; c'est que l'huile qui s'écoule sous la presse entraîne comparativement moins de résine qu'il n'en reste dans le marc. [L'ammoniaque transforme l'huile de ricin en ricénolamide = C38 H35 Az O4. Lorsqu'on la distille avec la potasse, on obtient de l'alcool caprylique, et il reste pour résidu du sel acétate de potasse ; elle se décompose vers 270 degrés, et elle produit alors un grand nombre d'acides volatils, parmi lesquels on trouve les acides ricinique, élaïodique (déjà mentionnés), œnanthylique, et un peu d'acroléine, de l'œnanhol, dont la formule = C14 H14 O2 (Bussy). Oxydée par l'acide sulfurique et le bichromate de potasse, l'huile de ricin se transforme en valerol et en acide œnanthylique (Arzbrecher). D'après Saalmuller, l'huile de ricin contient un acide solide, l'acide ricinoléique, = C38 H35 O5 HO, qui fond à 74 degrés, et qui se rapproche de l'acide palmitique.] — L'huile de ricin qui nous vient de l'Amérique est colorée, légèrement rougeâtre, d'une saveur très-âcre, ce qui tient au mélange des véritables ricins avec plusieurs autres euphorbiacées, telles que les Jatropa curcas, multifida, gossifolia, et le croton tiglium, et aussi au mauvais procédé suivi pour son extraction. On peut, en chauffant cette huile, lui enlever une grande partie de son âcreté et en obtenir ainsi l'huile douce de ricin ; mais on doit préférer celle de France, toujours beaucoup mieux préparée, surtout en Provence.
A L'INTÉRIEUR. — Semences, une ou deux, comme drastique (exige une grande circonspection.) |
de menthe, 32 gr. ; eau commune, 64 gr., jaune d'œuf n° 1. |
Les fruits du ricin n'étaient point employés en médecine, bien que leur propriété purgative fût connue des anciens. On les regardait comme dangereux. Deux ou trois suffisent pour produire des vomissements, des selles dysentériques et tous les accidents dus à une vive irritation du tube digestif. On les a recommandés néanmoins comme drastiques. On a prétendu aussi que pris pendant dix à douze jours, à la dose d'un ou deux, ils guérissent
____________________
- ↑ Abeille médicale, l853, t. X, p. 20.
[916]
la gonorrhée ; mais leur usage exige une grande circonspection, et l'on doit même, suivant l'aveu de Rolfinck, s'en abstenir.
Mialhe rapporte divers résultats obtenus par l'émulsion des semences de ricin : 10 gr. de ces semences, dépouillées de leurs coques, produisirent un effet éméto-cathartique qui persista pendant près de trois jours, sans que les opiacés, les boissons gazeuses froides, les cataplasmes, pussent parvenir à le maîtriser. Une émulsion préparée avec une dose moitié moindre c'est-à-dire avec 5 gr., détermina vingt-huit vomissements et dix-huit évacuations alvines. Enfin, avec une troisième émulsion contenant seulement 1 gr. de semences de ricin, l'effet éméto-cathartique fut encore des plus marqués.
Mialhe conclut de ces faits :
- 1° Que le principe oléo-résineux, trouvé par Soubeiran dans les semences du ricin, n'existe qu'en proportion très-faible dans l'huile de ces semences tandis qu'il se retrouve en totalité dans leur émulsion ;
- 2° Que les ricins de France renferment en grande proportion le principe âcre éméto-cathartique, qui est propre à un grand nombre de plantes de la famille des euphorbiacées ;
- 3° Que l'émulsion de semences de ricin, préparée avec seulement 20, 30 ou 50 centigr. de semences, constitue peut-être le purgatif le plus agréable au goût de tous ceux usités jusqu'à ce jour (si toutefois l'effet vomitif de cette émulsion cesse complètement, alors qu'on diminue convenablement la dose de semences).
J'emploie cette dernière émulsion depuis plusieurs années avec des résultats constants, comme purgatif à la fois agréable et économique. Elle n'a amené le vomissement qu'une seule fois, sans doute par une disposition particulière à la personne à laquelle je l'avais administrée. Lorsque je soupçonne cette disposition, je fais prendre l'émulsion en deux fois, à une demi-heure d'intervalle. A moindre dose, elle m'a réussi dans les constipations les plus opiniâtres, et sans avoir l'inconvénient d'irriter le gros intestin comme l'aloës et autres médicaments analogues, ordinairement mis en usage pour combattre ces affections.
Ce ne fut que vers 1767 que l'on songea à en extraire l'huile, employée d'abord en Angleterre sous le nom vulgaire d’huile de castor[1] ; mais elle ne fut bien connue et son usage ne fut bien répandu en France que par les ouvrages d'Odier de Genève, en 1778.
On la prescrit dans tous les cas où les laxatifs sont indiqués. C'est un purgatif doux, qui, à la dose de 10 à 60 gr., convient surtout lorsqu'il existe une irritation des voies digestives, comme dans les cas de colique, de péritonite, de dysenterie, de hernie étranglée, d'engouement stercoral, d'inflammation sourde, obscure des intestins, de rétention de calculs dans les canaux biliaires, l'iléus, etc. Elle fait cesser la constipation beaucoup mieux que les purgatifs les plus énergiques, et convient sous ce rapport aux hypochondriaques et aux hémorrhoïdaires. Il suffit, pour remplir cette indication, d'en ordonner 10 gr. chaque jour ou de deux jours l'un. (Il faut bien être pénétré de ce fait qu'une petite dose produit presque le même effet qu'une forte, que dès lors il devient inutile de prescrire.) On la donne avec avantage dans l'empoisonnement produit par les corps âcres et délétères, comme les champignons, les renonculacées. Dans l'Inde, on l'administre avant l'accouchement. Gartner[2] la conseille dans la fièvre puerpérale et la suppression des lochies, par cuillerées, unie au calomel. P. Dubois la donne habituellement aux femmes en couches par cuillerées à café dans du bouillon aux herbes : 3 cuillerées à café suffisent ordinairement pour produire un résultat satisfaisant. Chez les nouveaux-nés, 1 cuillerée à café suffit souvent
____________________
- ↑ Cavan's, Dissert. on the oleum palmæ christi, seu oleum ricini, etc., 2e édit., 1769.
- ↑ Bulletin des sciences médicales de Férussac, t. XXII, p. 247.
[917]
contre la rétention du méconium. « On s'en sert avec avantage, dit Martin-Solon, à la suite des couches, dans quelques cas de péritonite, où l'on reconnaît l'indication d'évacuer le canal intestinal. Corvisart l'unissait au sirop de nerprun, et prescrivait ce mélange, un peu épais, à la fin des péripneumonies ; il obtenait de cette médication de grands avantages, que nous avons souvent observés dans le service de Husson, et que, depuis, nous avons fréquemment constatés. » On l'emploie avec succès comme anthelminthique, contre les lombrics. Dunant et Odier prétendent qu'on peut également s'en servir pour l'expulsion du ténia. Mérat n'est pas de cet avis ; il est certain que les faits n'ont que rarement répondu d'une manière affirmative à cette assertion. Cependant, employée conjointement avec la décoction de fougère mâle et l'éther, elle a quelquefois réussi au professeur Boursier dans le traitement de ce parasite dangereux. Il ne faut pas oublier qu'à l'époque où l'huile de ricin était préconisée comme ténifuge, on n'employait que celle qui nous venait d'Amérique, et dont l'efficacité anthelminthique était peut-être due aux principes plus âcres qu'elle contenait.
Lavergne[1] a obtenu la guérison d'un iléus très-grave causé par la rétention des matières fécales, en faisant administrer au malade le mélange de 20 gr. d'huile de ricin et de 65 gr. d'huile d'amandes douces. Le soulagement fut instantané. Néanmoins, on réitéra la potion, à prendre par cuillerées d'heure en heure : nouvelles selles en parties moulées. Dès ce moment, amélioration rapide.
« Pison rapporte qu'au Brésil on applique de l'huile de ricin sur le nombril des enfants, pour leur faire rendre des vers. Nous avons essayé de frictionner ainsi le ventre avec de l'huile de ricin, soit comme laxatif, soit comme anthelminthique ; nous avons rarement obtenu le premier, jamais le second de ces effets. On a vanté aussi l'usage de cette huile, en lavement ou en potion, contre la colique saturnine. Il s'en faut, d'après nos essais, du moins, que ce médicament procure de fréquentes et durables guérisons dans cette affection ; son action paraît le plus souvent insuffisante. Toutefois, on peut la prescrire avec avantage lorsque la maladie a peu d'intensité[2]. »
J'ai souvent employé avec avantage dans les fièvres muqueuses, surtout chez les enfants, l'huile de ricin mêlée avec le suc d'oseille, l'infusion de menthe et du sucre, unis au moyen d'un peu de jaune d'œuf.
(Spencer Thompson se trouve aussi très-bien de cette huile dans les affections diarrhéiques et dysentériques chez les enfants[3].
Carnavale Arella[4] a retiré les plus grands avantages de l'huile de ricin à petites doses fréquemment répétées, comme remède antiphlogistique dans les affections inflammatoires de la muqueuse gastro-intestinale.)
Sous la forme d'émulsion, l'huile de ricin semble perdre un peu de sa propriété purgative et se rapproche des médicaments simplement émollients ; aussi convient-elle alors particulièrement dans les bronchites aiguës, sur la fin des pneumonies, etc., surtout lorsqu'il existe en même temps une tendance à la constipation.
L'huile de ricin devient, avec le temps, rance, irritante et drastique. Je lui ai souvent substitué, dans ma pratique rurale, le mélange extemporané d'huile d'œillette et d'huile de croton (1 goutte par 30 gr.) ou de celle d'épurge (4 à 8 gouttes).
Ce mélange de 1 partie d'huile de ricin et de 3 de collodion constitue le collodion élastique employé dans les érysipèles, brûlures, etc., etc.
Les feuilles du ricin, que certains auteurs ont à tort regardées comme âcres et vénéneuses, ne sont qu'émollientes ; appliquées fraîches ou légère-
____________________
- ↑ Journal de médecine de Toulouse, 1843.
- ↑ Dictionnaire de médecine et de chirurgie pratiques, t. XIV, p. 388.
- ↑ Monthly Journ. of med. science, 1846.
- ↑ Annales de thérapeutique, t. V, p. 233.
[918]
ment fanées, elles calment, dit-on, les douleurs arthritiques ; pilées et réduites en cataplasmes, on les applique sur les yeux dans l'ophthalmie et sur les inflammations locales des autres parties du corps ; macérées dans le vinaigre, on leur a attribué contre la gale, la teigne, les dartres, etc., une efficacité que l'expérience n'a pas confirmée. Dans le but d'activer ou de provoquer le travail de la lactation, alors que celle-ci se fait attendre ou se fait imparfaitement, William[1] conseille l'application de feuilles de ricin, sous forme de cataplasme. D'après le médecin anglais, ce moyen serait tellement actif qu'il servirait même à établir la lactation chez les personnes qui n'ont pas eu d'enfants depuis longtemps, et même auprès de celles qui n'en ont jamais eu... ?
(Gilfillan, chirurgien du Long Island College Hospital (U. S.), annonce[2] qu'il a obtenu un résultat très-satisfaisant, dans quelques cas semblables, en substituant aux applications topiques l'administration à l'intérieur de l'extrait de feuilles de ricin. Les doses employées ont été de 4 gr. environ, trois fois par jour.)
____________________