'''Propriétés physiques et chimiques; usages économiques'''. — La bruyère, d'une saveur astringente, un peu amère, contient une assez grande quantité de tannin et se rapproche beaucoup, par ses principes actifs, de quelques plantes de la même famille, particulièrement de la busserole (''arbutus uva ursi''). Elle sert au tannage. En Danemarck on en fait une sorte de bière qui n'est pas désagréable. Les abeilles cueillent sur les fleurs les matériaux d'un miel jaune qui conserve la saveur un peu âpre de la plante. Les paysans du Nord font avec cette plante des couchettes qui, certes, sont moins douces que nos lits de plumes, et sur lesquels ils reposent plus tranquillement que nous.
Les anciens attribuaient à la bruyère la vertu de briser ou de dissoudre la pierre de la vessie, ainsi que l'indique le nom d’''Erica'', dérivé d'un mot grec qui veut dire ''briser''. J'en connais plusieurs, dit Matthiole, qui, vivant sobrement, ont été guéris de la pierre, et l'ont jetée par la verge en petits morceaux, usant seulement de la décoction de bruyère. « L'eau en laquelle la bruyère aura cuit, dit le savant bénédictin Alexandre, prise tiède en breuvage le matin et le soir, au poids de cinq onces, trois heures devant le repas durant trente jours, rompt la pierre de la vessie, et la fait sortir dehors ; mais après cela il faut que le malade se baigne en la décoction de bruyère, et, pendant qu’il sera dans le bain, il faut qu’il soit assis dessus ladite herbe ; il faut faire souvent ce bain<ref>Alexandre (Nicolas), savant bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, né à Paris en 1654, et mort dans la même ville en 1728. On a de lui deux ouvrages : ''la Médecine et la chirurgie des pauvres'', Paris, 1714, 1 vol. in-12 ; ''Dictionnaire botanique et pharmaceutique''. Paris, 1716, 1 vol. in-8°.</ref>. »
On a traité un peu légèrement les opinions émises par nos prédécesseurs sur les vertus de la bruyère. En ne voyant que la gravelle dans ''les petits morceaux de la pierre brisée'' dont parle Matthiole, on sera dans le vrai. Au lieu de rejeter comme absurdes les exagérations des anciens sur les propriétés de nos végétaux, il faut les examiner et les réduire à leur juste valeur. Le dédain de la science moderne pour tout ce que l'observation leur avait fait acquérir, nous a privés de ressources thérapeutiques réelles. « La bruyère, par ses propriétés chimiques, dit Roques, se rapproche beaucoup de quelques plantes de la même famille, particulièrement de la busserole, à laquelle on ne peut contester une action spéciale sur l’appareil urinaire ; cette analogie nous dit de ne pas la confondre avec les végétaux inertes. Nous la recommandons aux hommes spéciaux qui s'occupent des maladies de la vessie. » Sans m'occuper spécialement des maladies des voies urinaires, j'ai tenu compte de la recommandation. J'ai substitué avec d'autant plus de raison la bruyère à la busserole, que cette dernière ne croît point dans les contrées septentrionales de la France, où je tâche de trouver des succédanés de nos productions du Midi. Je me suis bien trouvé de l'usage de la bruyère en décoction (30 gr. pour 1 kilogr. d'eau), dans le catarrhe chronique de la vessie, dans la gravelle, dans l'anasarque, et surtout dans un cas d'albuminurie avec infiltration séreuse des membres abdominaux, chez une femme enceinte, âgée de trente-sept ans, d'un tempérament lymphatique et affaiblie par des couches trop rapprochées.