Seigle (ergot) (Cazin 1868)
Sommaire
- 1 PROPRIÉTÉS PHYSIOLOGIQUES ET TOXIQUES
- 2 ACTION OBSTÉTRICALE
- 3 ACTION DANS DIVERSES AFFECTIONS DE L'UTÉRUS
- 4 ACTION DANS LES PARALYSIES
- 5 ACTION HÉMOSTATIQUE
- 6 ACTION SUR CERTAINS FLUX
- 7 INCONTINENCE NOCTURNE
- 8 ACTION ANTIPHLOGISTIQUE
- 9 ACTION SÉDATIVE
- 10 ERGOTINE DE BONJEAN
- 11 MODE D'ACTION DE L'ERGOT DE SEIGLE
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Nom accepté : Claviceps purpurea
Clavi selaginis. Lonirer (1565). — Secalis mater. Thalius (1588). — Secale luxurians. Bauh. — Grana secalis degenerati. Brunn. — Sclerotium clavus. Decand. — Sphacelia segetum. Léveillé.
Spermædia. - Fries. — Ergotœcia aborti faciens. Quekett. — Sphacelidium clavus. Fée. — Hymenula clavus. Corda. — Onygena cæsitosa. Mérat.
Ergot, - argot, — seigle cornu, — seigle noir, — seigle malade, — seigle ergoté, —clou de seigle, — seigle à éperon, — éperon court, — seigle corrompu, — seigle ivre, — faux seigle, — calcar, — ébrun, — chambucle (en patois lyonnais), — charbon du seigle, — blé rachitique, — blé farouche, — blé hâve, — blé avorté, — mère de seigle, — seigle utérin (Allemagne).
L'ergot de seigle (Pl. XXXVIII) est une excroissance de forme allongée qui se développe sur l'ovaire du seigle, à la place de la graine de cette plante. Il vient de préférence sur le seigle planté dans les terres humides et légères, et sur le bord des chemins. On a quelquefois rarement l'occasion de le rencontrer ; d'autres fois il est répandu, surtout dans les années pluvieuses, au point de former dans certaines localités le quart de la récolte. Il est des contrées où il est beaucoup plus commun. (Nous citerons en particulier la Sologne.) Il se développe en même temps que les grains de seigle ; (par des arrosages exagérés, on peut le produire artificiellement).
Description. — L'ergot de seigle est en général allongé, recourbé, ayant une certaine ressemblance avec l'ergot du coq. Il est presque quatre fois plus gros que le grain de seigle, long de 14 à 18 millimètres, brun violacé et un peu poudreux à l'extérieur, d'un blanc mat, légèrement nuancé de violet à l'intérieur, compacte, homogène. (Il offre dans sa longueur trois angles mousses, séparés par autant de sillons plus ou moins apparents, dont le plus prononcé regarde en dehors de l'épi. Il est, en outre, quelquefois fendillé dans sa longueur, ou de travers, et laisse voir le tissu intérieur. Son extrémité inférieure est conique, adhère au centre de la fleur à la place du hile du grain, mais sans continuité de fibres ; la supérieure est conique ou tronquée, et à l'état frais surmontée d'un corps jaunâtre ou gris, de forme plus ou moins globuleuse, peu adhérent à l'ergot, caduc, communément appelé sphacélie, qui manque presque toujours sur le produit pharmaceutique.
L'ergot est d'une consistance assez ferme ; si on cherche à le ployer, il fléchit très-légèrement, puis casse net.)
Nature de l'ergot. — De nombreuses opinions ont régné dans la science sur la nature de l'ergot. Elles peuvent se rapporter à trois principales :
A. L'ergot est une simple altération du grain. C'était l'idée autrefois admise. Parola[1] le considère comme un produit amorphe, essentiellement hydrogéné, sécrété accidentellement par le pédoncule de l'épillet, et comparable au tissu mélanique de l'homme et des animaux.
B. L'ergot reconnaît une origine animale.
D'après Martin Field, cette production serait une dégénérescence de l'ovaire des graminées, une altération morbide causée par la piqûre d'un insecte du genre musca, qui y dépose une matière noirâtre. — Reproduisant l'opinion ancienne de Tillot, Read et Duhamel, Debourges[2] l'a attribuée à un insecte de la famille des téléphores, lequel va déposer une liqueur sur un grain de seigle et y produit l'ergot. D'où il suit qu'on peut faire naître l'ergot à volonté, en exprimant cette liqueur sur tous les grains de seigle qui ne sont ni trop près, ni trop éloignés de leur maturité. — Pour Raspail[3], l'ergot est peut-être l'œuvre de la piqûre et de la présence d'un vibrion susceptible de ressusciter après son entière dessiccation.
C. (De Candolle est le premier qui ait attribué au développement d'un champignon la production du corps qui nous occupe. En effet, il a l'odeur des champignons et se compose de la plupart des éléments chimiques trouvés dans ces derniers. Ce naturaliste crut devoir classer l'ergot dans le genre sclerotium.)
Suivant Léveillé, l'apparition de l'ergot est précédée d'un suc mielleux qui constitue
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- ↑ Nuove ricerche sperimentali sullo sprone de' graminacei. Milan, 1844.
- ↑ Bulletin de l'Académie royale de médecine, t. II, p. 526.
- ↑ Physiologie végétale, 1837, t. II, p. 605.
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un champignon de l'ordre des Gymnomycètes, et qu'il a nommé sphacelia segetum ; il naît au sommet de l'ovaire ; de sorte que l'ergot serait formé de l'ovaire altéré et non fécondé du seigle, surmonté du sphacelia, qui serait la seule partie active : privé de cette partie, l'ergot serait inerte. (Il est regrettable pour la théorie de ce savant que la pratique médicale démente chaque jour cette dernière assertion ; car, nous l'avons dit plus haut, la sphacélie ne subsiste qu'exceptionnellement dans les échantillons pharmaceutiques, et l'effet attendu n'en est pas moins produit avec des ergots qui en sont totalement privés.)
(Fée ne le considère comme une plante complète, qu'il appelle sphacelidium, que réuni à la sphacélie ou sacculus, végétal dont l'ergot serait le pseudo-stroma formé par l'hypertrophie présumée de la graine, et que pour cela il nomme nosocarya.
L'ergot n'est pas un champignon parfait, comme l'ont avancé les auteurs que nous venons de citer, et Philippart, Phœsus, Guibourt, etc., mais un organe transitoire ou mieux, préliminaire, de végétation. Cette altération des graines des graminées se présente successivement sous trois formes différentes : 1° A la première phase de développement, ce n'est encore qu'un liquide visqueux, recouvrant l'ovaire entier et faisant avorter la fleur ; c'est à cette période que Léveillé l'a observé ; c'est à ce moment que s'applique le nom de sphacelia segetum 2° A la seconde phase, cette masse s'allonge ; c'est l'ergot proprement dit ; il constitue un stroma, comme l'a démontré Tulasne, donnant dans des conditions assez rares naissance à de vraies spores. 3° Alors, c'est-à-dire à la troisième période, naît le véritable champignon, le cordiceps (ou claviceps) purpurea, que l'on n'a qu'exceptionnellement l'occasion d'observer (Fries), et dont, nous le répétons, l'ergot médicinal n'est que le stroma, c'est-à-dire un organe de transition.
On trouvera dans le dictionnaire de Nysten[1], auquel nous empruntons ces détails, des descriptions précises des différents états de ce cryptogame. On y lira aussi que la sphacélie est un corps complexe constitué surtout par les restes des stigmates plumeux de l'ovaire, par les anthères des étamines, par des filaments de mycélium et des conidies.)
Récolte, conservation. — (L'ergot a acquis toute son énergie d'action six à huit jours après sa maturité. C'est donc alors, et non au commencement de sa formation, qu'on doit le récolter.) Suivant la remarque de Kluge, de Berlin, l'ergot doit être recueilli sur l'épi même du seigle et sur pieds ; quand on le ramasse dans l'aire de la grange, il a déjà perdu de ses propriétés, d'autant plus qu'il absorhe l'humidité de l'air. Mais il n'est pas nécessaire qu'il soit muni de sa sphacélie, qui, d'ailleurs, se détache si vite que presque tous les ergots en sont dépourvus. L'ergot blanc, à l'intérieur, est aussi énergique que celui qui est violacé. L'ergot doit être conservé dans un lieu sec et rejeté au bout de deux années de vétusté. (En effet, il peut devenir fétide ou être la proie d'un acarus, qui s établit à son centre et s'y creuse des galeries. Fée l'a reconnu pour identique à celui qui attaque le fromage.)
On pulvérise ordinairement l'ergot au moment de s'en servir, parce que l'on pense généralement qu'il se conserve moins longtemps à l'état pulvérulent. Cependant, pour l'usage obstétrical, surtout à la campagne, il serait à désirer que l'on pût le conserver assez longtemps en poudre. On a proposé pour cela plusieurs procédés : 1° méthode Appert ; 2° procédé de Legripp : pulvériser l'ergot récent et bien séché ; exposer ensuite la poudre à une température de 45 à 50° C, afin de la sécher promptement et parfaitement ; ensuite la tasser, l'enfermer hermétiquement dans des vases de verre de la capacité de 1 hectogr. au plus, et enfin la soustraire à l'action de la lumière, soit en l'enfermant dans un lieu obscur, soit en recouvrant le vase de papier noir ; procédé de Stanislas Martin : dessécher la poudre d'ergot à l'étuve, le renfermer dans un flacon bouché à l'émeri, après l'avoir humecté de 60 gr. d'alcool à 40 degrés ou d'une quantité égale d'éther sulfurique pour 500 gr. d'ergot.
Ces moyens, comme on le voit, ont pour but de préserver autant que possible l'ergot de l'action de la lumière, du contact de l'air et de l'humidité. Boins conseille, pour le conserver, de mettre un peu de mercure dans le flacon qui le renferme.
[En somme, cette poudre se conserve assez mal ; il vaut mieux la pulvériser ou la moudre au moment du besoin. A Paris, dans les hôpitaux d'accouchement, on se sert pour cela d'un petit moulin à café très-commode.]
Lorsque l'ergot de seigle fournit une infusion lacto-mucilagineuse, c'est une preuve, d'après Ramsbotham, que cet ergot est altéré. L'infusion reposée de cette substance, non altérée, doit être limpide et avoir une couleur de chair foncée.
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- ↑ Page 529, 11e édition.
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[L'ergot de froment se distingue de celui du seigle en ce qu'il est plus court, plus gros, plus ridé, contrairement à ce qu'a dit Grand-Clément dans sa thèse ; d'après Gauthier-Laroze, il se conserve mieux ; et selon C. Le. Perdriel, qui a aussi fait une thèse sur ce champignon, il serait tout aussi actif et déterminerait tout aussi bien les contractions utérines, sans être aussi vénéneux.
On distingue encore l'ergot du Diss (ampe tenax, L. ; arundo festucoïdes, Desf. ; arundo tenax, Wahl.- ; donax tenax, Palissot (de Beauvais) ; arundo Mauritanica, Poir.), qui nous vient d'Afrique, qui se distingue en ce qu'il est long de 2 à 4 centimètres, menu, courbé en croissant ; il paraît jouir des mêmes propriétés que ceux du seigle et du blé.]
(Propriétés physiques et chimiques. — L'ergot a une odeur vireuse et une saveur amère légèrement mordicante, plus marquée quand il est à l'état frais. Vauquelin est le premier qui se soit occupé de l'analyse de ce corps. Malgré son imperfection, elle a ouvert la voie-aux recherches qui maintenant encore ont amené des résultats trop contradictoires. En 1832, Wiggers publiait une monographie du seigle ergoté, couronnée par la Faculté de Gottingue[1].
L'analyse de Maas (P.)[2] avait eu peu de retentissement ; celle de Wiggers fut bientôt acceptée par beaucoup de chimistes. D'après cet auteur, l'ergot contient :
Huile grasse non saponifiable | 35.00 |
Matière grasse cristallisable | 1.05 |
Cérine | 0.70 |
Ergotine ou ségaline | 1.25 |
Osmazôme | 7.78 |
Sucre cristallisable de nature particulière | 1.55 |
Matière gommeuse extractive et colorante | 2.23 |
Albumine | 1.46 |
Fungine | 46.19 |
Phosphate de potasse | 4.42 |
Chaux | 0.29 |
Silice | 0.14 |
Total | 102.20 |
Ce que Wiggers appelle ergotine, et qu'il croyait à tort être le principe actif thérapeutique de l'ergot, est une substance pulvérulente, non cristallisée, insoluble dans l'eau et l'éther, soluble dans l'alcool, d'un rouge-brun, d'une saveur amère et un peu âcre, ni acide, ni alcaline. On en retire environ 1.25 pour 100. Le sucre qu'il supposait d'une nature particulière a été considéré par Liebig et par Pelouze comme de la mannite. Les travaux plus récents de Mitscherlich[3] établissent que c'est en effet une nouvelle espèce de sucre, le sucre de seigle ergoté. Ce chimiste lui a imposé le nom de mycose.
En 1841, Bonjean reprit ces études et publia dans son ouvrage[4], couronné par la Société de pharmacie, l'analyse suivante :
Huile fixe | 37.50 |
Ergotine | 13.25 |
Résine brune | 2.25 |
Poudre rougeâtre inerte, insoluble dans l'alcool bouillant | 0.63 |
Gomme | 1.62 |
Gluten | 0.12 |
Albumine végétale | 1.80 |
Fungine | 5.25 |
Matière colorante violette | 0.40 |
Chlorure de sodium | 1.12 |
Phosphate de potasse, de magnésie | 0.75 |
Sous-phosphate acide de chaux | 3.43 |
Oxyde de fer. | 0.31 |
A reporter | 73.93 |
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- ↑ Extrait par Vallet, in Journal de pharmacie, 1832, t. XVIII, p. 525.
- ↑ Nouvelle analyse du seigle ergoté, in Kastner's Archiv, XVIII.
- ↑ Journal des connaissances médico-pharmaceutiques, 20 juillet 1858.
- ↑ Traité théorique et pratique de l'ergot de seigle, etc., 1845.
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Report | 73.93 |
Silice | 0.87 |
Cuivre | traces |
Fibre ligneuse | 24.35 |
Eau | 9.25 |
Perte | 2.60 |
Total | 100.00 |
Si, dans leur ensemble, ces résultats diffèrent peu de ceux de Wiggers, dans les détails, il y a des opinions complètement différentes. Nous verrons, en traitant des phénomènes physiologiques observés à la suite de l'ingestion de l'ergot ou des préparations qui en dérivent, que Bonjean reconnaît dans ce corps deux principes, un poison énergique, l'huile d'ergot, et un remède salutaire, l'ergotine. Mais cette ergotine, dont le nom semble indiquer un principe immédiat, est une matière très-complexe ; c'est un extrait hydroalcoolique (dont nous donnons plus loin les caractères, aux Préparations pharmaceutiques et doses) renfermant l'ergotine de Wiggers, mais n'ayant d'importance qu'au point de vue pharmacologique.
Parola[1], à la suite d'expériences nombreuses, a établi les conclusions suivantes : il n'y a qu'une seule substance active, médicale et toxique, c'est la résine. On doit à une modification de cette substance toutes les préparations qui jouissent d'une certaine action, et cette action est en raison de la quantité qu'elles en contiennent. Ainsi l'huile d'ergot n'aurait d'action que par la résine, qu'elle tiendrait en dissolution. Cetle résine est d'une consistance semi-liquide, de couleur café foncé, d'une saveur très-nauséeuse, sui generis, un peu âcre et amarescente ; son odeur est fortement vireuse.
J. Forbes Royle et Fr. W. Headland[2] donnent comme la plus récente l'analyse de Winckler. Après avoir séparé, au moyen de l'éther, 34.4 pour 100 d'huile fixe dénuée de pouvoir médicinal, cet auteur a trouvé dans le résidu deux principes, la sécaline, substance basique volatile, analogue à la propylamine, répandant une odeur désagréable, et l’ergotine de Wiggers, qu'il considère comme jouissant de propriétés acides. Ce dernier corps se combinerait dans l'ergot avec le premier, et formerait l’ergotate de sécaline (?), représentant probablement l'activité médicinale de l'ergot lui-même. L'ergotate de sécaline serait soluble dans l'alcool et dans l'eau, insoluble dans l'éther.
Cette dernière hypothèse satisfait assez l'esprit ; reste à savoir si les faits lui donnent une valeur sérieuse. Devant tous ces travaux, dont aucun ne concorde avec l'autre, et qui offrent tous tant de vague, on sent le besoin de trouver quelque chose de défini, de plus précis.)
A L'INTÉRIEUR. — Poudre (on fait sécher l'ergot à l'étuve, et on le pulvérise sans résidu), 50 centigr. à 2, 4, 6 et même 8 gr. — Comme, obstétrical : dans l'eau sucrée, le bouillon, l'infusion de feuilles d'oranger, de menthe, de tilleul ; en potion, dans le pain azyme, en avalant ensuite quelques cuillerées de liquide. — Dans les cas où l'on ne veut pas produire un effet immédiat, on le donne en moindre dose et en pilules. La poudre très-fine peut aussi s'administrer en lavement. |
Sirop (1 sur 5 de sirop), 10 à 00 gr. par jour. |
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- ↑ Nuove ricerche sperimentali sullo sprone de' graminacei, 1 vol. in-8°. Milan, 1844.
- ↑ Man. of mat. med. and ther. Fourth edit., p. 669.
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24 gr., par cuillerées à bouche d'heure en heure dans les hémorrhagies ordinaires. Cette potion s'altère facilement, surtout en été. Il ne faut la préparer qu'à mesure du besoin. |
tigr. ; ergot de seigle en poudre, 3 centigr. ; sucre pour enveloppe, Q. S., pour une dragée. De huit à dix matin et soir chez les enfants de sept à dix ans) |
(De toutes les préparations ayant pour base l'ergot, la poudre est la plus usitée en France, surtout pour l'usage obstétrical. On l'administre dans un peu d'eau pure sucrée, d'eau rougie, ou dans une infusion aromatique, dans du vin blanc, d'eau additionnée d'esprit de cannelle. Il est bon de connaître tous ces petits moyens, car beaucoup de femmes ne peuvent supporter le médicament et le vomissent à chaque prise. Le professeur Pajot a cru reconnaître qu'en réduisant le plus possible la quantité de véhicule, on parvenait souvent à obtenir la tolérance. Nous verrons plus loin qu'on l'injecte quelquefois dans le rectum. L'extrait hydroalcoolique dit ergotine Bonjean est aussi très-employé. Voici quels sont ses principaux caractères : C'est un extrait mou, rouge-brun foncé quand il est en masse, et d'un rouge de sang quand il est en couches
minces. Sa consistance est celle d'une pâte ferme ; il a une odeur fort agréable de viande rôtie, due à la présence de l'osmazôme, et une saveur un peu piquante et amère qui rappelle celle du blé gâté. Il se dissout entièrement dans l'eau froide, et la dissolution est limpide, transparente et d'un beau rouge. Un grand excès d'alcool le précipite de cette dissolution ; mais il ne doit plus en séparer de gomme ou toute autre matière analogue. Enfin, l'ergotine Bonjean ne doit céder à l'éther aucune trace d'huile ni de résine. Toute ergotine qui ne présentera pas ces caractères devra inspirer peu de confiance.
L'ergot de seigle est rangé par Orfila parmi les poisons narcotico-âcres, regardé avec raison comme un des fléaux de l'agriculture. Mais, ainsi que beaucoup d'autres substances toxiques, il est aujourd'hui reconnu comme un des agents thérapeutiques les plus utiles.
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PROPRIÉTÉS PHYSIOLOGIQUES ET TOXIQUES
PROPRIÉTÉS PHYSIOLOGIQUES ET TOXIQUES. — (Nous nous occuperons d'abord de l'ergot de seigle lui-même, nous réservant ensuite l'étude des différents corps que la chimie pharmaceutique en a extraits. Nous consacrerons un paragraphe spécial à l'analyse physiologique de ses effets électifs sur la contractilité de la fibre utérine dans le chapitre particulièrement affecté à la description de son usage en obstétrique.
Action sur les animaux. — Dès que l'action du seigle commence à se faire sentir, abaissement du pouls, battements du cœur graduellement faibles, irréguliers, spasmodiques, respiration lente, profonde ; puis, si l'usage est continué, inappétence, maigreur, tremblements, démarche vacillante, tristesse, hébétement, vertiges, mouvements convulsifs partiels ou généraux, extrémités froides, engorgées, couvertes de taches ecchymotiques, puis gangreneuses ; la mort, précédée d'un grand état de prostration, arrive tranquillement, sans que l'animal indique par ses cris qu'il est en proie à de violentes douleurs. La mortification se manifeste dans les organes les plus éloignés du cœur, et n'est pas précédée, comme les autres gangrènes, de phénomènes inflammatoires. L'autopsie étant pratiquée après l'administration prolongée de l'ergot, on trouve des ramollissements de tous les organes, de tous les tissus, qui sont gorgés d'un sang sanieux, déliquescent, d'un rouge violacé.
Action sur l'homme. — Les observations sont très-nombreuses, surtout celles qu'ont fournies les habitants de pays où l'on se nourrit de pain de seigle ; d'abord par ignorance, ensuite par incurie, les paysans n'enlevant de la récolte que les plus gros ergots, on a, surtout après les étés pluvieux, vu des populations entières se nourrir de pain où l'ergot entrait dans des proportions souvent considérables.) Ce pain est d'une couleur violacée ou parsemée de petites taches brunâtres ; il a une saveur très-désagréable de pourri, qui laisse dans la gorge une âcreté plus persistante que celle de l'ergot pulvérisé. Cependant il est reconnu que les propriétés toxiques de l'ergot diminuent toujours sous l'influence de la chaleur et de la fermentation panaire. Le symptôme le plus commun qui se manifeste chez ceux qui font usage de ce pain est un enivrement qu'on a, peut-être à tort, comparé à celui que produisent les boissons alcooliques ; mais cet état n'est jamais suivi du dégoût et du malaise qui ont toujours lieu après l'abus des liqueurs fermentées.
Cette intoxication est connue sous le nom d’ergotisme (Raphania, Linné). Cette affection a régné épidémiquement dans diverses contrées, dans la Hesse, le Voigtland, le canton de Fribourg, les environs de Berlin, la Bohême, la Silésie ; et, en France, à Montargis et en Sologne. Les accidents qui la caractérisent n'ont pu être attribués à d'autres causes, malgré l'opinion contraire de quelques auteurs. Si des familles nombreuses ont pu sans danger faire usage du pain infecté d'ergot, des populations entières ont été empoisonnées par cette substance. Cette différence dans les résultats trouve son explication dans les remarques que Bonjean a consignées dans son excellent travail sur le seigle ergoté. « L'ergot, dit-il, est brun-violet à l'extérieur, quand il a été recueilli peu après son développement; et à l'intérieur, il est tantôt d'un blanc sale, tantôt violacé ; sa saveur rappelle celle des amandes fraîches, et il n'est point vénéneux ; mais si, au lieu de le récolter presque au moment de sa naissance, on le laisse mûrir pendant quelque jours sur le seigle, il est moins grêle, moins violet, plus volumineux, plus nourri et plus brun ; il commence à présenter cette saveur désagréable de blé pourri qu'on lui a souvent reconnue, et qui ne se développe bien qu'avec le temps : c'est alors qu'il est vénéneux. »
Ces différences en apportent nécessairement dans les effets. Le vannage du seigle, fait avec plus ou moins de précaution, expliquerait encore pour-
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quoi certaines familles échappent à l'action délétère de cette substance.
On a décrit deux espèces d'ergotisme : le premier, caractérisé par des vertiges, des douleurs, des convulsions et des contractions spasmodiques des muscles, est appelé convulsif ; le second, plus grave, par la gangrène ou le sphacèle de quelque partie du corps, est nommé gangreneux. « La même quantité d'ergot, dit Bonjean[1], peut également déterminer l'ergotisme convulsif ou l'ergotisme gangreneux, suivant qu'on aura mis plus ou moins de temps à la consommer. Ainsi, par exemple, 4 onces d'ergot, toujours en pain, prises en peu de jours, peuvent donner lieu à des accidents nerveux seulement, tandis que la même dose produirait très-probablement la gangrène, sinon la mort, dans tous les cas, si elle avait été employée en petite quantité pendant vingt à trente jours consécutifs. Voilà du moins ce que l'observation semble avoir confirmé. »
(On est actuellement porté à admettre que ces deux formes ne sont que deux degrés différents, deux phases d'une même intoxication, l'ergotisme.
Pour ce qui concerne la description méthodique de l'ergotisme, l'historique détaillé de ses épidémies, le traitement, etc., nous renverrons aux ouvrages classiques[2] et aux travaux spéciaux publiés sur ce sujet[3]. Nous ne ferons que donner une idée générale de l'ergotisme et fixer l'attention du lecteur sur quelques points intéressants ou encore peu étudiés, dont nous pourrons plus tard tirer quelques déductions.
Dans certaines épidémies, tantôt les accidents nerveux, tantôt les accidents gangreneux prédominent ; mais il est avéré que, dans l'ergotisme convulsif observé comme une espèce distincte, on constate parfois de légères gangrènes, et, dans la gangrène par le seigle ergoté, on rencontre des phénomènes nerveux. Ces derniers peuvent même être considérés comme constituant la période prodromique de l'intoxication, caractérisée par une ivresse plus ou moins durable, suivie d'hébétude, de vertiges, de troubles de la vue et de l'ouïe ; si l'alimentation vicieuse est continuée, les malades éprouvent des mouvements d'abord intermittents, revenant par crises ; la vue es ttéteinte, les pupilles dilatées, l'ouïe altérée ; puis les malades tombent dans le délire et le coma. Ces accès convulsifs, dans certaines conditions (quantité énorme d'ergot ingéré, caractère de l'épidémie, etc.), ces accès peuvent devenir promptement mortels.
En même temps qu'ils se produisent, quelquefois un peu avant, les malades éprouvent dans le membre qui sera plus tard frappé de mortification, des picotements, un engourdissement marqué, des douleurs très-vives avec chaleur intolérable aux orteils. Cette chaleur fait bientôt place à un froid qui ne tarde pas à devenir glacial ; avec lui apparaissent des troubles de la myotilité (contractures) et de la sensibilité (anesthésie souvent très-profonde et très-étendue). C'est aux parties les plus éloignées des centres circulatoires qu'apparaît le sphacèle. La peau rougit ou devient pâle et ridée ; elle se couvre de taches violacées, puis noires. La gangrène affecte le plus souvent la forme sèche. La circulation générale est ralentie, le pouls est lent,
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- ↑ Traité théorique et pratique du seigle ergoté, p. 139. Chambéry, 1845.
- ↑ Compendium de chirurgie pratique, t. I, p. 255. — Traité de pathologie externe de Follin, t. I, p. 109.
- ↑ Read, Traité du seigle ergoté, ses effets sur les animaux. Strasbourg, 1771. — Tessier, Mémoire sur les maladies du seiqle appelé ergoté. (Mémoires de la Société royale de médecine, 1776, t. 1, p. 417 ; 1778, t. III, p. 387.) — Janson, Mémoire sur l'ergotisme gangreneux. (Mélanges de chirurgie. Paris, 1844.) — Courbaut, Traité de l'ergot de seigle ou de ses effets sur l'économie animale. Chalon-sur-Saône, 1827. — Millet, de Tours, Du seigle ergoté sous le rapport physioiogique, obstétrical et de l'hygiène publique. Paris, 1852, in-4°. — Barrier, De l'épidémie d'ergotisme gangreneux. (Gazette médicale de Lyon, mai 1855.) — Lassègne, Matériaux pour servir à l'histoire de l'ergotisme convulsif épidémique. (Archives de médecine, mai 1857.) — Plus, les Traités de Parola et de Bonjean, déjà cités.
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petit. Dans le membre affecté, Courhaut et Bourdot ont noté la diminution et bientôt la disparition des battements, même dans de très-fortes artères.
Comme dans la gangrène spontanée, l'eschare s'élimine, et les parties mortifiées se séparent des chairs vives.
Nous devons signaler l'influence de l'ingestion prolongée de l'ergot sur la sécrétion lactée, qu'il tarit ; sur la nutrition du cristallin, où on l'a vu déterminer des cataractes (Meyer) [1], et son innocuité sur le produit de la conception. Les opinions sont généralement d'accord pour refuser au seigle ergoté pris dans ces conditions une action élective sur l'utérus. Il y a tolérance, à cause de l'habitude on à cause du fractionnement des doses, et les avortements ont été très-rarement observés dans les diverses épidémies d'ergotisme (voyez p. 988), quoi qu'en ait dit Giacomini[2].
Quant au mode d'action intime de l'ergot dans cette intoxication, tout est obscurité. Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il ralentit la circulation, intercepte le cours du sang dans les troncs artériels que Courhaut a trouvés « réduits aux seuls rapprochements de leurs tuniques, dont la couleur était brune. L'introduction d'un stylet ne pouvait avoir lieu dans leur calibre. » On retrouve dans l'ergotisme gangreneux les lésions anatomiques éloignées et les symptômes qui appartiennent à la gangrène spontanée, suite d'artérite, avec quelques phénomènes généraux de plus, qui résultent de l'action du seigle sur le système nerveux.
Il faut aussi observer qu'à l'époque où survenaient surtout ces épidémies, alors que la presque totalité des populations se nourrissent de pain de seigle, toutes les causes débilitantes s'unissaient pour laisser l'homme en proie à l'empoisonnement progressif. L'insalubrité de l'air et des logements, la misère, la famine étaient, comme toujours, les auxiliaires de la cause principale. Heureusement, par suite des progrès de la culture et du bien-être matériel qui commence à s'étendre à toutes les classes de la société, l'usage du pain de seigle devient de plus en plus rare, la quantité d'ergot qui entre dans sa composition est de moins en moins considérable, en sorte que les accidents qu'il produisait autrefois n'apparaissent guère de nos jours que dans des cas isolés.
Administré à dose élevée et non graduellement, l'ergot produit des phénomènes particuliers qui consistent principalement dans un abaissement assez prompt dans le nombre des pulsations artérielles, le pouls devient filiforme et mou, la peau, les extrémités se refroidissent ; le sujet de l'expérience éprouve une lassitude générale du système musculaire, un sentiment de brisure dans les membres, de l'engourdissement, des formicaiions, une faiblesse intellectuelle tellement prononcée qu'il perd l'activité de la pensée et l'énergie du mouvement volontaire ; il se plaint de céphalalgies, de nausées; plus rarement il présente de la stupeur complète ou du délire. Tous ces phénomènes, auxquels il faut joindre une dilatation pupillaire révoquée en doute par certains auteurs, annoncent un trouble particulier de la circulation et de l'innervation qui présente quelque analogie avec ceux que provoquent les substances stupéfiantes, les solanées vireuses, par exemple.
En résumé, les phénomènes dominants sont ceux qui portent sur la circulation, et la série des accidents observés, soit chez les animaux, soit chez l'homme sain, paraissent se rapporter à une modification de cette grande fonction, aux entraves apportées par le poison à son accomplissement normal.
Voyons maintenant si les divers corps que la chimie (voyez page 981) a
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- ↑ Archives générales de médecine, 1863, t. I, p. 350.
- ↑ Traité philosophique et expérimental de thérapeutique, p. 327.
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tenté d'extraire de l'ergot ont une action spéciale, ou si l'un d'eux représente d'une façon plus ou moins complète l'activité du corps composé.
Ergotine de Wiggers. — Ce corps, considéré par les uns comme une matière colorante résinoïde, est regardé par Wiggers comme vénéneux. 45 centigr. administrés à un coq ont déterminé des accidents mortels ; elle exerce une action sédative sur la circulation. Giacomini la place dans les hyposthénisants vasculaires ; Parola lui reconnaît une action, mais faible et lente ; il a noté, après son administration, un ralentissement notable des battements du pouls. Bonjean, lui, prétend qu'elle est totalement inerte, puisqu'il a pu avaler, sans aucun accident, tout ce qu'il en a obtenu de 130 gr. de poudre d'ergot. Son action sur l'utérus en travail n'est pas connue.
Ergotine de Bonjean. — Voyez plus loin (page 1005) un chapitre spécialement affecté à ce produit, que son inventeur appelle l’agent obstétrical, en opposition avec l'agent toxique, dont nous allons nous occuper.
Huile. — L'huile fixe, regardée par Bonjean comme un poison narcotique, considérée par Wright comme le seul principe actif, a été trouvée presque inefficace par Parola quand elle est privée de résine. Bien plus, Bertrand ne lui a reconnu aucune espèce d'action sur l'homme et sur les animaux ; et Kilian (de Bonn) a employé, avec le meilleur effet, l'ergot privé de l'huile au moyen de l'éther.
Huile résineuse. — Selon Parola, elle n'agit que par la résine qu'elle contient.
Résine. — D'après ce dernier auteur, et conformément à l'opinion que nous venons de citer, c'est, en dernière analyse, le principe véritablement actif ; la résine reproduirait toute l'énergie de l'ergot.
Rayer et Magendie, à l'occasion d'un rapport sur cette substance, ont fait au Collège de France des expériences dont les résultats concordent avec ceux du médecin italien.
On voit tout ce que ces recherches ont encore d'incertain et de contradictoire. Jusqu'à présent, elles n'ont abouti qu'à très-peu d'applications pratiques. La poudre d'ergot, l'infusion, l'extrait hydroalcoolique de Bonjean spnt les préparations les plus employées en France.
Quant au mode d'action intime de l'ergot ou des préparations qui en dérivent, nous pensons qu'il sera plus profitable de toucher cette question, à la fin de l'article, quand nous aurons passé en revue toutes les applications de ce précieux agent.)
PROPRIÉTÉS THÉRAPEUTIQUES. — Les propriétés thérapeutiques de l'ergot de seigle comprennent, dans l'état actuel de la science, son action : l° comme obstétrical ; 2° dans diverses affections de l'utérus en dehors de l'état puerpéral ; 3° comme hémostatique ; 4° sur certains flux ; 5° comme antiphlogistique et sédatif.
ACTION OBSTÉTRICALE
ACTION OBSTÉTRICALE. — Historique. — La connaissance des vertus obstétricales de l'ergot date de longtemps. Ce ne fut pas sans étonnement que j'appris qu'il était en usage depuis plus de soixante ans dans nos campagnes comme moyen de provoquer l'accouchement. (Adam Lonicer et Jean Thalius, au XVIe siècle, paraissent être les premiers qui l'aient employé en médecine.) Dans certaines contrées de l'Allemagne, au rapport de J.-R. Camerarius (1688), les matrones l'employaient pour hâter l'accouchement[1]. (Bordeu nous apprend que de temps immémorial il est d'un usage vulgaire dans le Texin. Balardini rapporte la même assertion pour l'Italie. Ainsi, la connaissance de la vertu excito-motrice spéciale de l'ergot était assez répan-
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- ↑ Act. nat. cur. cent. 6.
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due traditionnellement, et ce n'est qu'en 1747 que, à notre connaissance il fut employé méthodiquement par un médecin hollandais nommé Rathlaw. Peu après (1777), Desgranges, de Lyon[1], instruit par des matrones, en constatait, par de nombreuses expériences, les vertus obstétricales. On lit dans l'Albert moderne, recueil imprimé en 1782, page 1, article ACCOUCHEMENT LABORIEUX, comme recette populaire, que, pour faire accoucher incontinent, il faut prendre un dé à coudre de l'ergot qui se trouve sur les épis du seigle.
Stearns, dans une lettre adressée à Akerley et insérée dans le Magasin de médecine de New-York (1808), éveilla un des premiers l'attention des médecins sur l'emploi de l'ergot de seigle pour déterminer des contractions utérines et accélérer l'accouchement. Quelques années ensuite (1814), Olivier Prescott[2] publia un mémoire intéressant sur l'emploi de cette substance dans l'inertie de la matrice, la leucorrhée, les pertes utérines[3]. Après les expériences négatives de Chaussier et de Mme Lachapelle, qui faillirent faire bannir l'usage obstétrical de l'ergot, Goupil[4] et Villeneuve[5] publièrent un mémoire où il résulte de l'analyse des travaux de leurs prédécesseurs et de l'exposition de leurs propres expériences, la preuve irréfragable de ce qui avait été dit jusqu'alors en faveur de ces mêmes vertus.
Nous devons signaler, comme le plus remarquable, l'ouvrage de Levrat-Perroton[6], fondé sur une pratique d'environ six mille accouchements, qu'il dit avoir faits dans une période de trente-quatre années.
(De la contraction utérine consécutive à l'emploi du seigle ergoté, ou contraction ergotique. — L'administration du seigle paraît être sans effet sur l'utérus non gravide, sauf lorsqu'il existe une métrorrhagie ; mais alors il agit comme pour les hémorrhagies ayant tout autre siège.
Pour que la contraction se produise, il suffit quelquefois que l'organe soit distendu par un corps étranger (corps fibreux, môle, hydatide). On a rapporté plusieurs cas d'expulsion de polypes utérins par l'action du seigle ergoté. (Voyez page 998.)
C'est spécialement sur l'utérus physiologiquement développé par la grossesse, distendu par le produit de la conception, sur l'utérus gravide que l'ergot porte son action spéciale. Cette action a t-elle lieu à toutes les époques de la grossesse ? La question mérite d'être sérieusement examinée. L'action a son summum d'intensité quand le travail de la parturition a commencé spontanément ; mais n'existe-t-elle pas aussi au début de la gestation ? En un mot, l'ergot est-il abortif ?
Il est généralement regardé en France comme ne pouvant provoquer l'accouchement avant terme, ni l'avortement. Levrat-Perroton en a quelquefois donné de très-hautes doses dans des cas d'hémorrhagies par insertion du placenta sur le col ; jamais il n'a produit de contraction utérine expulsive.
D'un autre côté, Dezeimeris[7] a avancé que le seigle ergoté pouvait suffire à provoquer l'expulsion de l'œuf avant terme ; mais les essais faits à la Clinique obstétricale de Pavie par Bongiovanni[8] et Lovati[9], et ceux tentés plus tard en Allemagne par Goetz et Ritgen n'ont pas été heureux. Duhamel rapporte, à l'appui de cette opinion, une observation très-instructive. Une femme enceinte affectée d'inertie de la vessie prit pendant longtemps du seigle ergoté contre cette infirmité, sans que son emploi prolongé
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- ↑ Nouveau Journal de médecine, t. I, p. 54.
- ↑ Medical and phys. Journ., t. XXXII, p. 90.
- ↑ De la contraction utérine consécutive à l'emploi du seigle ergoté.
- ↑ Journal des progrès, t. III, p. 150.
- ↑ Mémoire sur l'emploi du seigle ergoté.
- ↑ Traité sur l'emploi thérapeutique du seigle ergoté, 2e édit., 1853.
- ↑ Dictionnaire de médecine en trente volumes, article ACCOUCHEMENT PRÉMATURÉ ARTIFICIEL.
- ↑ Annali universali di medicina, vol. XXVII.
- ↑ Ibid., vol. XXIX.
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ait entravé la marche heureuse de la grossesse. Le professeur Tardieu assure qu'il n'a « jamais rencontré un seul fait qui autorise à penser que cette action (l'action abortive) soit réelle. » Millet exprime la même conviction[1]. Enfin, Chailly, Stearns, Dower, Roche, Cazin père ont vu des femmes faire usage du seigle ergoté dans un but coupable, et cela sans résultat.
Cependant, en Angleterre, on accorde une grande confiance à l'ergot pour la production des contractions utérines avant leur moment d'apparition normal. Ramsbotham[2] en fait un usage habituel dans ce but ; mais il reconnaît son action funeste sur le produit de la conception. Le plus souvent il l'emploie comme moyen préparatoire, et le fait suivre de la ponction des membranes. Avec ce moyen d'opérer pour l'accouchement prématuré artificiel, il a un chiffre de morts-nés moins considérable.
Nous pensons qu'il faut demander à l'observation attentive et méthodique la raison de ces divergences d'opinion. Il est évident que les effets sont variables, selon les doses du médicament, les dispositions organiques individuelles, l'époque de la gestation.
Parola insiste sur l'importance de ce dernier point. Danyau, dans son célèbre rapport à l'Académie, en 1850, dit aussi : « Nous ne pensons pas que ce seigle puisse, sans aucun travail commencé, sans impulsion étrangère, sans manœuvre préalable, à lui seul mettre en jeu les contractions de l'utérus dans la première moitié de la grossesse, qui est celle pendant laquelle le crime d'avortement est le plus souvent commis. »
Parola va plus loin ; il avoue, et ce fait demande confirmation, que, lorsque le seigle est employé au début, non-seulement il n'y a pas d'avortement, mais que le terme de la grossesse se trouve reculé, par suite du ralentissement de la circulation utéro-placentaire consécutive à cet emploi... ?
Les expériences sur les animaux ont donné des faits peu probants pour l'une ou l'autre opinion. Il en est de même des observations relevées dans les épidémies d'ergotisme, où les rares avortements observés ont pu être attribués à la débilité générale, etc.
Dans la seconde moitié de la grossesse, l'effet est encore infidèle, il n'a pas été plus souvent observé. Les modifications anatomiques de l'utérus, qui préparent graduellement l'organe à sa fonction finale, rendent suffisamment compte de la possibilité de cette action. Malgré ces conditions organiques plus favorables, il est actuellement avéré que l'ergot n'a pas d'une manière suffisante la propriété de provoquer l'accouchement artificiel. Les rares succès que l'on a publiés n'ont été obtenus qu'avec des doses très-élevées administrées plusieurs jours de suite. Dans ces cas, il est loin d'être inoffensif pour l'enfant et même pour la mère, à cause de la continuité des contractions qu'il éveille. Mais où le seigle ergoté ne peut être mis en jeu comme agent exclusif, il est d'une grande utilité comme agent auxiliaire. Il peut réussir à activer des douleurs trop lentes à prendre leur développement physiologique, quand déjà les autres moyens, l'éponge préparée, la laminaire, les douches utérines, la ponction des membranes, etc., ont donné l'élan à ces douleurs.
Le véritable moment où le seigle ergoté trouve son indication et est appelé à rendre de grands services est, nous l'avons vu, l'état puerpéral. Le travail étant commencé, puis ralenti, le seigle ergoté sollicite les contractions disparues ou seulement affaiblies.
L'action commence ordinairement à se faire sentir dix à quinze minutes après l'ingestion ; la durée de cette action varie d'une demi-heure à une
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heure et demie ; elle s'affaiblit au bout d'une demi-heure, mais elle reprend son intensité si on administre une nouvelle dose.
Les douleurs, au lieu d'être courtes et intermittentes, comme les douleurs physiologiques, sont vives, longues et plus ou moins permanentes. Tantôt la contraction est continue, le globe utérin restant dur, resserré et ne présentant plus les alternatives de tension et de relâchement qui caractérisent le travail naturel. D'autres fois, comme la qualifie le professeur Depaul, la contraction est rémittente. Dans tous les cas, le repos est perdu pour la femme ; elle s'agite, jette des cris accusant les plus violentes souffrances, devient impressionnable et irascible, le visage s'anime, les yeux deviennent vifs et brillants, on observe quelquefois une légère dilatation des pupilles, le pouls s'accélère, puis devient moins précipité et affaibli au bout de quinze à trente minutes.
Ces phénomènes sont quelquefois accompagnés ou suivis, surtout lorsque les doses ont été répétées, de céphalalgie, de vertige, d'engourdissement, de tendance à l'assoupissement, de nausées, de vomissements, de démangeaisons, de fatigue des membres.
Au reste, la rapidité et l'intensité de tous ces effets varie beaucoup, suivant la dose administrée et les conditions de susceptibilité organique de la malade.
L'étude de la contraction ergotique sera complétée dans les chapitres suivants, où nous jugerons son influence sur l'état général de la malade, les indications et les contre-indications de son usage, les accusations dont il a été l'objet, etc.)
Les circonstances puerpérales dans lesquelles l'ergot de seigle est employé sont les suivantes :
Inertie de la matrice, — La propriété spéciale, et la plus remarquable du seigle ergoté, est de solliciter, de réveiller les contractions de la matrice dans les cas d'inertie de cet organe. On l'administre lorsque le travail commencé languit, quand les douleurs ont cessé ou sont faibles. Il convertit les douleurs lombaires en douleurs expultrices ; mais il faut, dans tous les cas, que le col utérin soit suffisamment dilaté ; que l'enfant ne soit pas d'un volume disproportionné aux dimensions du bassin ; qu'il se présente dans une position ne faisant pas obstacle à son expulsion ; qu'il ait franchi le détroit supérieur ; en un mot, qu'il ne manque pour l'accouchement que des contractions utérines suffisantes.
Il est des médecins qui ne regardent pas la dilatation préalable du col utérin comme une condition indispensable pour l'emploi du seigle ergoté. Desgranges rapporte l'exemple d'une femme qui prit ce médicament avant le commencement du travail, et qui accoucha une demi-heure après. Hastam obtint le même résultat dans un cas où l'orifice était très-peu ouvert. Mais on sait que quelquefois le col utérin est souple, très-dilatable et cède facilement aux premières contractions de la matrice, ce qui explique la promptitude avec laquelle s'opèrent quelques accouchements naturels, et, par conséquent, l'effet immédiat du seigle ergoté dans ces circonstances. James Prowe, il est vrai, cite un autre fait où le col, qui était raide et peu dilaté, se ramollit et s'ouvrit après l'ingestion de 4 gr. d'ergot, et Chevreul rapporte seize observations où 24 à 30 grains de cette substance determinèrent la dilatation du col utérin et le travail de l'enfantement. Michel cite aussi seize cas de non-dilatation de l'orifice du col, dans lesquels ce dernier, par l'effet du seigle ergoté, s'ouvrit en quelques minutes plus qu'il n aurait fait en quelques heures sans l'emploi de ce médicament. Ces faits prouvent seulement, à mon avis, que la non-dilatation du col utérin n'empêche pas l'action obstétricale du seigle ergoté ; mais cette action, quand le travail est si peu avancé et doit nécessairement se faire longtemps attendre, est intem-
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pestive et peut devenir dangereuse pour la mère par la nécessité de réitérer les doses du médicament, par la possibilité d'une rupture de l'organe gestateur, et pour l'enfant, par la compression plus longue que l'utérus, contracté sans relâche, lui fait subir.
Dans les cas où le col n'est pas suffisamment dilaté, les autres circonstances indiquant d'ailleurs l'emploi de l'ergot de seigle, on doit, une demi-heure ou une heure avant d'administrer cette substance, appliquer l'extrait de belladone autour de l'orifice externe de la matrice.
J'ai remarqué, dans le plus grand nombre des cas qui se sont offerts à mon observation, que les effets du seigle ergoté étaient d'autant plus prononcés que l'inertie utérine était plus grande. Ceci paraît paradoxal ou tout au moins inexplicable ; mais c'est un fait, et, en médecine comme dans toutes les sciences d'observation, un fait répété repousse brutalement toute théorie qui tendrait à l'anéantir.
Lorsqu'il y a pléthore, pouls plein et dur, turgescence de la face, pesanteur de tête, on ne doit point administrer l'ergot, mais pratiquer une saignée copieuse.
Chez les femmes dont l'estomac est très-irritable, qui vomissent facilement, il faut donner l'ergot en lavement, en augmentant la dose. (Dans ce cas, il faut placer la poudre d'ergot dans la canule même de la seringue, de manière qu'elle soit injectée à la première pression du piston.) Montain[1] propose dans ce cas d'injecter l'ergot en poudre à la dose de deux cuillerées dans 120 gr. d'eau, dans l'utérus.
L'ergot de seigle serait très-nuisible aux femmes irritables qui ont eu des convulsions pendant leur grossesse ou pendant des accouchements précédents : ce médicament les jette dans une agitation nerveuse qui peut aller jusqu'à la fureur. On ne le donnera pas non plus aux femmes dont la matrice est le siège de douleurs habituelles, ou qui précédemment auraient été affectées de métrite. On l'emploiera rarement et avec prudence chez les primipares, où l'accélération du travail peut causer la rupture du périnée.
Si l'ergot de seigle est imprudemment administré dans les cas de rigidité du col utérin, de pléthore locale s'opposant par une sorte de torpeur aux contractions utérines, ces contractions ne se développent que peu ou point par l'action de ce médicament ; mais il en résulte une excitation vasculaire pouvant donner lieu à une métrite aiguë.
J'ai observé un fait de cette nature chez la femme d'un épicier, âgée de trente-six ans, d'un tempérament sanguin, d'une constitution forte et active. Cette femme, accouchant pour la quatrième fois, prit, par le conseil d'une sage-femme, une dose de seigle ergoté que je ne puis préciser, mais qui nexcédait pas 2 gr. Le pouls s'accéléra, la face devint vultueuse, un état d'anxiété inexprimable eut lieu, et cependant les contractions utérines n'augmentèrent pas. L'orifice utérin avait 4 centimètres environ de dilatation ; mais il était épais et engorgé, sans trop de résistance. Je pratiquai une saignée du bras de 500 gr., et prescrivis un bain tiède. Au bout de deux heures seulement, les contractions utérines revinrent graduellement ; mais l'abdomen était tellement sensible que la couverture même ne pouvait être supportée. L'accouchement eut lieu naturellement au bout de huit heures ; mais le bas-ventre resta sensible au toucher, le pouls plein, dur et fréquent. Une nouvelle saignée du bras fut pratiquée, des lavements émollients, des fomentations avec la décoction de graine de lin et de tête de pavot furent prescrits. Ce ne fut qu'après une troisième saignée, pratiquée dans les premières vingt-quatre heures qui suivirent l'accouchement, que les symptomes s'apaisèrent, que les lochies parurent et que je pus espérer de
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- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1837, p. 13.
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sauver cette femme. Les suites de couches furent naturelles, et le rétablissement complet au bout de huit à dix jours.
Une première dose de seigle ergoté n'a-t-elle produit aucun effet, on peut en administrer une seconde au bout d'une heure. Mais si la première dose avait produit assez d'effet pour faire descendre la tête, il vaudrait mieux attendre encore quelque temps la terminaison de l'accouchement par les seuls efforts de la nature, en s'assurant toutefois de l'état de la circulation fœtale, dont le ralentissement nécessiterait, non l'emploi d'une seconde dose d'ergot, mais l'application du forceps. Il faut ici se régler principalement sur les bruits du cœur du fœtus. Si chez lui la circulation persiste, on peut attendre ; dans le cas contraire, il faut avoir recours au forceps ou à la version.
Les propriétés obstétricales de l'ergot de seigle dans les cas d'inertie de la matrice ne peuvent plus être révoquées en doute. Des faits nombreux et incontestables les ont sanctionnées. Levrat-Perroton rapporte trente observations dans lesquelles il a employé cette substance. Sur ces trente cas se trouvent deux enfants morts-nés. Le premier, qui mourut en naissant, s'était présenté par le siège ; les eaux s'étaient écoulées presque dès les premières douleurs. Le second s'était présenté par la face, et un médecin avait inutilement fait des tentatives d'application de forceps. Il fut expulsé mort deux heures après l'emploi de l'ergot. Levrat-Perroton pense qu'on eût sauvé l'enfant en administrant plus tôt ce médicament ; car, suivant cet auteur, c'est à son emploi tardif qu'on doit attribuer la mort du fœtus.
D'après tous les faits publiés jusqu'en 1835, suivant Bayle[1], sur l,176 cas d'accouchements ralentis ou empêchés par l'inertie de la matrice, 1,051 ont été plus ou moins promptement terminés par l'emploi du médicament ; dans 111 cas l'ergot a échoué, dans 14 le succès a été modéré.
Sur vingt cas dans lesquels Chrestien, de Montpellier[2], a employé l'ergot de seigle, se trouvent dix-sept succès et trois cas dans lesquels l'enfant a été expulsé ou retiré mort. Chrestien attribue ces insuccès à l'administration trop tardive de l'ergot. Vingt années de pratique comme médecin-accoucheur dans une ville populeuse, m'ont mis à même d'apprécier les services que ce précieux médicament rend à l'humanité. Combien de femmes qui, sans son administration, n'eussent pu accoucher que par l'application du forceps ! Je pourrais citer cent cas où cette médication fut pour moi d'une utilité incontestable ; mais ces documents n'ajouteraient rien à ce qui est ajourd'hui généralement connu.
Après avoir exposé tous les avantages de l'ergot dans le cas d'inertie de la matrice, il nous reste à examiner si l'administration de cet agent énergique est toujours sans danger pour la mère et pour l'enfant. Cette grave question a été soumise, il y a peu de temps, à l'Académie de médecine de Paris. Danyau, rapporteur, en blâmant l'abus, a déclaré qu'on ne pouvait méconnaître les bons résultats d'un usage modéré et intelligent, et que si, dans quelques, circonstances, le forceps peut être substitué, préféré même à l'ergot, il n'en était pas de même de la version, qui est beaucoup plus compromettante pour l'enfant. (Du côté de la mère, quand l'indication est bien saisie, il est rare qu'il arrive des accidents. L'intoxication a été signalée, mais comme un fait exceptionnel ; la rupture de l'utérus, même quand l'agent avait été sagement prescrit, a été observée trois ou quatre fois, entre autres par le professeur Depaul. On a aussi accusé l'ergot d'être la cause de ruptures du périnée.) Comme c'est pour le fœtus que les dangers de l'ergot sont les plus grands, et que ces dangers croissent en raison de la durée, de la continuité et de la violence des contractions qu'il provoque, on ne devra
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le donner que lorsque la disposition des parties sera telle que l'accouchement puisse se terminer en un temps très-court. Le travail précipité que détermine l'ergot serait dangereux s'il se prolongeait outre-mesure. La difficulté et même l'impossibilité de la circulation des vaisseaux qui rampent entre les diverses couches musculaires de l'utérus trop vivement contracté, la pression violente et permanente de cet organe sur le cordon ombilical et sur le fœtus lui-même, peuvent, en anéantissant les fonctions fœto-placentaires, amener la mort de ce dernier. « Le seigle ergoté, dit Danyau[1], quels que soient d'ailleurs les avantages attachés à ce précieux médicament, peut, quand il est imprudemment administré, déterminer la mort de l'enfant et des lésions plus ou moins graves chez la mère. »
Dans les nombreux cas où j'ai eu l'occasion d'employer l'ergot pour activer ou déterminer les contractions utérines dans le travail de l'enfantement, je n'en ai jamais observé de fâcheux résultats ; mais j'ai eu plusieurs fois à combattre des accidents que son administration intempestive avait déterminés chez la mère, et à constater quelques cas de mort du fœtus, attribués avec raison à l'action violente et prolongée de doses réitérées de cette substance. L'ergot de seigle, dont les sages-femmes font abus, ne devrait être délivré chez les pharmaciens que sur ordonnance de médecin.
(En résumé, l'emploi du seigle ergoté doit être soumis à des règles sévères dont le praticien instruit ne pourra s'écarter que dans des cas exceptionnels. On peut le recommander : quand le col est dilaté ou dilatable, les membranes sont rompues, la partie qui se présente est connue (cette partie est l'une ou l'autre des extrémités), le bassin est bien conformé, le fœetus n'est pas hydrocéphale ou ne présente aucune tumeur qui puisse entraver la marche de l'accouchement, la femme (règle moins importante que les précédentes) n'est pas primipare.)
(Pendant l'usage des inhalations de chloroforme ayant pour but de supprimer les douleurs de l'enfantement, les femmes, que la souffrance n'aiguillonne plus, ne font aucun effort pour venir en aide à la contraction utérine. Celle-ci, désormais seul agent d'expulsion, quoique non impressionnée par l'anesthésique, s'épuise à cette lutte sans secours. Il y a là une indication à donner le seigle ergoté, lorsqu'il n'existe antérieurement aucune contre-indication générale ou spéciale à son emploi, Cette administration simultanée est même recommandée pour activer la fin du travail, quand du reste celui-ci marche régulièrement, dans la seule intention d'abréger le temps de l'anesthésie)[2].
Eclampsie. — Les convulsions qui accompagnent le travail de l'enfantement ne sont pas une contre-indication absolue de l'ergot, lorsque l'état de l'utérus est d'ailleurs favorable à son administration. Waterhouse, Michell, Roche, Brinkle, Godquin, Levrat-Perroton disent s'en être bien trouvés dans plusieurs circonstances. Levrat-Perroton en rapporte quatre cas, dans deux desquels il l'a employé en pleine éclampsie, et a ainsi provoqué de fortes douleurs qui ont rapidement amené l'expulsion du fœtus, en même temps que les convulsions ont été arrêtées ; dans les deux autres cas, il l'a administré comme moyen préventif chez une femme qui avait eu de violentes attaques d'éclampsie dans une première grossesse, et pour parer à de nouvelles explosions d'accidents dont les prodromes se montraient déjà. Il a également réussi dans les deux circonstances. L'ergot de seigle est conidéré par les médecins qui le donnent dans les convulsions comme opérant une véritable révulsion sur la matrice. « Ce n'est pas, dit Levrat-Perroton, lorsque les douleurs sont vives que les convulsions surviennent, mais lorsqu'elles sont lentes et se prolongent indéfiniment ; c'est alors qu'elles aga-
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cent les nerfs et vont porter le trouble dans le système nerveux et menacer les jours de la malade. » J'ai été maintes fois à même de vérifier cette assertion. J'ai vu, chez une jeune Anglaise de vingt ans, des convulsions persistant après la saignée et le bain tiède céder immédiatement après l'enfantement accéléré au moyen de l'administration de l'ergot, qui, d'ailleurs, était indiqué par la lenteur du travail et la dilatation du col utérin. Mérat et Delens disent formellement qu'on ne doit point prescrire l'ergot dans les convulsions. Trousseau et Pidoux le trouvent contre-indiqué dans l'éclampsie puerpérale, excepté lorsque de faibles efforts suffisent pour l'expulsion du fœtus, et même dans ce cas conseillent-ils de préférence l'emploi du forceps. Cazeaux, dans les cas où il admet l'indication de terminer promptement l'accouchement, parle bien de la rupture des membranes, du forceps, de la version, mais non du seigle ergoté. Si, après l'administration de l'ergot, l'enfantement se faisait trop attendre, il faudrait avoir promptement recours à l'application du forceps ou à la version.
Rétention du placenta. — Lorsque l'expulsion du placenta ne peut s'opérer ou que sa présence détermine des hémorrhagies, qu'il y a inertie de l'utérus manifestée par le défaut de contraction et l'absence du globe rassurant, l'emploi de l'ergot de seigle est indiqué. (Mais l'inertie est la condition sine quà non de cet emploi ; car, si l'utérus avait déjà quelque tendance à se convulser, celle-ci, augmentée par l'administration intempestive du médicament, déterminerait la rétention et non pas l'expulsion du placenta.) Aux observations recueillies par Bordot, Davis, Balardini, Duchateau et Morgan, et qui ne laissent à ce sujet aucun doute, j'ajouterais inutilement les faits très-nombreux où j'ai expérimenté avec succès l'action du seigle ergoté pour remédier à l'inertie utérine après l'accouchement.
A l'aide de ce précieux agent, des portions de placenta restées dans la matrice, et dont la présence donnait lieu à divers accidents, ont aussi été expulsées plus ou moins longtemps après la parturition.
Caillots de la matrice. — L'ergot de seigle agit de la même manière pour expulser les caillots considérables qui s'accumulent dans la matrice qui tarde à se contracter. (Mais il faut reconnaître qu'alors le moyen est souvent bien insuffisant, et qu'il faut en appeler à l'extraction, etc.)
Métrorrhagies puerpérales. — Nous rangeons sous ce titre les hémorrhagies survenant : 1° pendant la grossesse ; 2° pendant le travail ; 3° pendant les suites de couches.
L'hémorrhagie qui survient dans les six premiers mois de la grossesse est presque toujours le signe précurseur de l'avortement. Cependant on parvient quelquefois à prévenir celui-ci par l'emploi de la saignée et l'opium administré à doses élevées, surtout en lavement. L'ergot serait ici non-seulement inutile, mais nuisible, en activant des contractions que l'on doit calmer au moyen des antiphlogistiques et des opiacés, afin de prévenir autant que possible un avortement souvent rendu inévitable par la maladie de l'œuf. Mais si l'hémorrhagie devient abondante au point de compromettre la vie de la mère, on aura recours à l'ergot de seigle à la dose de 2 à 4 gr. Dans l'avortement qui survient à une époque peu avancée de la grossesse, l'organisation musculaire de la matrice étant peu développée, l'ergot ne provoque pas toujours des contractions suffisantes ou même n'en provoque pas du tout. Il faut alors avoir recours au tamponnement. L'ergot a d'autant plus de prise sur l'utérus que l'on approche davantage de la fin du sixième mois de la grossesse, surtout s'il y a eu quelques contractions.
(Les avortements commencés sont diversement influencés par l'ergot, suivant les conditions dans lesquelles se trouve l'utérus, conditions qu'il est presque impossible de préciser à l'avance ; si, le plus souvent, il réussit à les achever, il est des cas où il les conjure avec succès. Dans le doute, je ne pense pas qu'il faille s'abstenir, si la perte de sang est abondante.)
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Le plus souvent l'hémorrhagie cesse après l'expulsion de l'œuf ; mais il arrive quelquefois que le fœtus seul est rendu ; le placenta reste dans la matrice et l'hémorrhagie continue. Le placenta décollé peut faire l'office de tampon sur l'orifice interne du col et transformer la perte externe en une perte interne d'autant plus grave que la grossesse est plus avancée. Ces hémorrhagies ne se déclarent parfois qu'au bout de quelques jours. L'ergot est alors d'une grande efficacité pour expulser les caillots de sang, entraîner le placenta et faire cesser la perte causée ou entretenue par la présence de ces corps étrangers.
(Le cadre de notre travail ne nous permet pas de nous étendre longuement sur les indications et les contre-indications du seigle ergoté dans les accidents qui suivent ou accompagnent la délivrance dans les avortements. Nous renverrons aux traités classiques d'accouchement et, avant tout, au remarquable mémoire publié par notre ami et ancien collègue des hôpitaux, Gueniot[1]. Nous citerons pourtant une partie de son travail, à cause de l'importance pratique des préceptes qu'il donne.
« Malheureusement, cette action merveilleuse de l'ergot sur la matrice peut entraîner une conséquence des plus fâcheuses : le resserrement tétanique du col et l'emprisonnement complet du délivre. Quand il se produit, cet accident offre d'ordinaire une telle gravité que, si on pouvait le prévoir en temps opportun, l'usage de la poudre serait par cela seul contre-indiqué. Sans doute, on parvient souvent à le combattre avec succès ; les bains, les émollients et les narcotiques en triomphent assez communément. Mais ces remèdes ne sont pas toujours faciles à administrer. D'ailleurs, la contracture ergotique résiste parfois à tout, et persiste, quoi que l'on fasse, un temps suffisant pour que la femme succombe à l'infection putride et à la métrite gangreneuse... Pour employer le seigle ergoté avec sécurité, il serait donc nécessaire de bien connaître les circonstances qui favorisent ou déterminent une telle complication ; car il est difficile de proscrire un médicament aussi utile que l'ergot, à cause de ces méfaits exceptionnels ; et le mieux en pareil cas est de rechercher dans quelles conditions cette poudre peut être nuisible en portant son action plus spécialement sur le col utérin ; puis de distraire ces faits de ceux où ce médicament eonserve, au contraire, tous ses avantages en agissant particulièrement sur le corps de la matrice... Tout ce que je puis dire à cet égard, c'est que j'incline à croire, mais sans pouvoir l'affirmer, que, dans la première moitié de la grossesse, l'ergot est très-peu susceptible de contracturer le col et de clore ainsi étroitement la cavité utérine... D'une autre part, toute matrice épuisée par un long travail ou vivement irritée par une cause quelconque m'a semblé particulièrement sujette au tétanos ergotique.) »
Lorsque, dans les six derniers mois de la grossesse, une hémorrhagie a résisté à l'opium, à l'action du froid employé avec prudence, aux révulsifs sur les extrémités supérieures, sur les mamelles, etc., on doit administrer l'ergot à la dose de 2 gr. en trois prises, à dix minutes d'intervalle. Si ce moyen échoue et que la vie de la femme soit menacée, il ne reste plus de ressource que dans l'application du tampon ou dans l'accouchement artificiel, provoqué par la rupture des eaux. Après l'emploi de ce dernier moyen, si le col est ramolli, peu résistant, disposé à une prompte dilatation, on peut donner utilement quelques doses de seigle ergoté, surtout lorsqu'un commencement de travail s'est ralenti.
Dans l'accouchement à terme, tant que la perte est légère et le col peu dilaté, on doit s'abstenir de tout moyen provocateur. Plus tard, lorsque le col utérin est ouvert, ramolli, dilatable, on rompt les membranes ; et si,
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- ↑ De la délivrance dans l'avortement. (In Bulletin de thérapeutique, livraisons des 15, 30 octobre et 15 novembre 1867.)
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après cette rupture, l'hémorrhagie continue, si le travail est lent il faut donner de l'ergot.
Si, pendant le travail de l'enfantement, une hémorrhagie grave a lieu, que les douleurs soient lentes et qu'il y ait danger extrême tant pour la mère que pour le fœtus, il faut donner le seigle ergoté, alors même que l'orifice de la matrice n'est ni dilaté ni dilatable ; puis on rompt les membranes et on applique le tampon. En cas d'insuffisance de ces moyens, si l'orifice est suffisamment dilaté ou dilatable, il faut le plus promptement possible terminer l'accouchement par le forceps ou la version.
L'ergot de seigle est d'une grande utilité comme moyen prophylactique chez les femmes qui sont menacées de perte après l'accouchement (chez celles qui ont eu beaucoup d'enfants et chez celles dont l'utérus a été distendu par une grande quantité de liquide amniotique.) « Je ne saurais trop insister, dit Cazeaux, sur l'administration de 1 à 2 gr. de seigle ergoté, toutes les fois qu'après la délivrance on constate une tendance à l'inertie de l'utérus. C'est un médicament toujours innocent, et qui, j'en suis convaincu, a souvent prévenu une perte. » Lorsque l'inertie de la matrice ou des pertes antérieures font craindre une hémorrhagie, j'administre toujours l'ergot au moment des dernières douleurs de l'enfantement.
Ce médicament arrête presque toujours la perte qui suit l'accoucbement. Quand l'hémorrhagie est foudroyante, il faut, en attendant l'effet de l'ergot, comprimer l'aorte. Alors même que l'hémorrhagie est complètement arrêtée, on doit, dans tous les cas, pour en prévenir la récidive, donner encore quelques grammes de ce médicament.
Il est une inertie secondaire, sur laquelle Ramsbotham a, pour la première fois, appelé l'attention, et qui peut donner lieu à une hémorrhagie. Quelques heures, quelques jours même après la délivrance, l'utérus, qui s'était maintenu jusque-là dans un état convenable de rétraction, se relâche tout à coup, se ramollit et augmente de volume. En même temps la malade pâlit, s'affaiblit, et cependant il ne s'est écoulé que peu de sang ; mais si on frictionne le ventre, si on le comprime, il s'en échappe un flot de sang coagulé. Si on cesse la compression, la matrice se ramollit et se distend de nouveau, pour se vider de même par une seconde compression. Une compression permanente, au moyen d'un bandage de corps (qu'on devrait toujours appliquer après tous les accouchements), est l'indication qui se présente naturellement pour maintenir l'utérus, s'opposer à son développement et prévenir ainsi l'accumulation du sang dans sa cavité. Le seigle, donné en même temps, triomphe ici comme dans tous les cas d'inertie utérine. Cazeaux, qui a observé quelques faits de ce genre, en fait prendre 1 gr. une fois, puis 30 à 40 centigr. toutes les demi-heures ou toutes les heures, suivant la tendance de l'utérus au relâchement.
Flux immodéré des lochies. — Le seigle ergoté a été employé avec succès pour combattre les lochies sanguinolentes ou séreuses trop abondantes.
Cette propriété de l'ergot était connue depuis longtemps; Ray[1] 1'a signalée en ces termes : Per frequentes pluvias, grana spicarum inferiora in secali per maturitatem in grana atropurpurea excrescunt, quæ substantiæ farinaceæ saporis malti noricis, Mutter-corn dicuntur, et singulare præsidium ad compescendum lochiorum fluxum habentur. Cat. Altdorf. Ce passage, que je n'ai vu cité nulle part, m'a paru curieux au point de vue de l'histoire de l'ergot considéré comme médicament, et surtout comme propre à arrêter les métrorrhagies puerpérales.
Tranchées utérines après l'accouchement. — Il est d'observation que les femmes auxquelles on a administré l'ergot pour terminer l'accoucnement,
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- ↑ Cat. plant. angl, p. 269. Londres, 1677.
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ont beaucoup moins de coliques après la délivrance. Cazeaux le donne en cette circonstance immédiatement après l'accouchement. « J'ai l'habitude, dit-il, chez les femmes qui ont eu beaucoup de coliques après leurs accouchements antérieurs, d'administrer, immédiatement après la délivrance, quelques grammes de seigle ergoté, en trois ou quatre doses. Ce médicament m'a paru, dans beaucoup de cas, prévenir le retour des tranchées utérines, ou du moins en diminuer la violence. Lorsque la matrice se rétracte faiblement, il m'a semblé utile de joindre au seigle ergoté une compression du globe utérin. »
(Prophylaxie de la fièvre puerpérale. — Guérin[1] attribue à l'administration de l'ergot, pendant ou après l'accouchement, le précieux avantage d'amener l'occlusion rapide des orifices vasculaires béants, qui sont autant de voies restées ouvertes à l'infection purulente. Cette opinion est sanctionnée par ce passage de Trousseau[2] : « Si l'ergot a une action anti-hémorrhagique par cela même qu'il détermine et maintient la contraction des fibres musculaires des vaisseaux, pourquoi ne pas mettre à profit cette action contractile pour arrêter la progression du pus dans les capillaires et son passage dans les sinus utérins. »)
ACTION DANS DIVERSES AFFECTIONS DE L'UTÉRUS
ACTION DE L'ERGOT DE SEIGLE DANS DIVERSES AFFECTIONS DE L'UTÉRUS EN DEHORS DE L'ÉTAT PUERPÉRAL. — Métrorrhargies non puerpérales. — L'ergot de seigle a été donné avec succès dans les hémorrhagies utérines autres que celles qui surviennent pendant la grossesse ou dans l'état puerpéral. On lit dans un ouvrage latin[3] du XVIIe siècle que l'on a employé avec succès l'ergot de seigle dans les ménorrhagies. « Dans presque tous les cas, disent Trousseau et Pidoux, dès les premières prises d'ergot de seigle, on a pu remarquer des modifications sensibles dans la nature ou l'abondance de la perte ; plusieurs fois même 12 grains (60 centigr.) ont suffi pour la supprimer complètement. Cependant, dans quelques circonstances, nous avons administré 36 et 48 grains (2 à 3 gr.) sans produire aucun effet appréciable, les phénomènes ne commençant à paraître qu'à la quatrième, cinquième ou sixième dose, et même une fois la perte a augmenté malgré l'ingestion de 4 gr. (1 gros) entiers d'ergot de seigle. Ce fait, quoique exceptionnel, est cependant important en ce qu'il prouve : 1° que l'ergot ne doit pas être considéré comme impuissant par la seule raison que 60, 120 ou 180 centigr. (12,24 pu 36 grains) n'ont produit aucun effet ; 2° que, dans les cas urgents, il ne faut pas compter aveuglément sur les effets d'une certaine dose de ce médicament, mais bien surveiller son action, afin de redoubler promptement les doses, si les premières sont restées inactives. »
Levrat-Perroton rapporte plusieurs faits fort remarquables, parmi lesquels il en est qui sont très-propres à faire ressortir les avantages de l'emploi de l'ergot de seigle dans certaines métrorrhagies avec engorgement de l'utérus.
Dans cinq cas où l'écoulement sanguin était symptomatique d'un cancer de la matrice, Trousseau et Pidoux ont vu la perte s'arrêter en moins de trente-six heures par l'effet de cette substance. J'ai obtenu de prompts et heureux résultats de l'association de l'ergot au tannin contre le flux immodéré des règles, dans les pertes avec chloro-anémie, pendant la ménopause et dans la chlorose ménorrhagique. La potion suivante m'a presque toujours réussi : eau de rose, 150 gr. ; ergot de seigle ou ergotine de Bonjean, 2 à 4 gr. ; sirop d'écorce d'orange, 30 gr. ; à prendre par cuillerée plus ou moins rapprochées, suivant les cas.
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- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, 1863, p. 433.
- ↑ Clinique médicale de l'Hôtel-Dieu, t. III.
- ↑ Sylvia hernica.
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Ainsi que le font remarquer Trousseau et Pidoux, la rapidité d'action de l'ergot de seigle est toujours à peu près la même, soit que les fibres de l'utérus aient été détendues par des grossesses antérieures, anciennes ou récentes, soit qu'elles n'aient jamais éprouvé de distension. Ainsi l'aptitude de l'utérus à recevoir l'influence de l'ergot ne dépend pas, dans les circonstances extra-puerpérales, de l'état des fibres de l'organe. J'ai cru remarquer néanmoins, surtout dans la chlorose ménorrhagique, que l'écoulement sanguin s'arrêtait d'autant plus facilement par ce remède qu'il était plus abondant et plus passif ; aussi ai-je soin, pour l'administration de l'ergot de seigle ou de l'ergotine Bonjean, de choisir le moment où la matrice laisse plus facilement échapper le sang des orifices vasculaires inactifs de sa cavité.
(Fibromes utérins. — Lorsque l'hémorrhagie se lie à la présence d'une tumeur fibreuse utérine interstitielle ou pédiculée, c'est encore à l'ergot de seigle que l'on devra recourir avec le plus de chances de succès.
Nous avons avancé (page 988) que son action excito-motrice avait lieu sur un utérus contenant un produit pathologique. On peut utiliser cette propriété et son emploi dans les fibromes interstitiels ayant pour but de provoquer, dans certains cas, l'énucléation. « La crainte d'augmenter la douleur, qui en fait rejeter l'usage par quelques médecins, n'est pas fondée : d'abord parce que les douleurs ne sont pas habituellement intolérables, soit qu'elles tiennent à la maladie, soit qu'elles proviennent du médicament ; en second lieu, parce qu'on peut les calmer par du laudanum en lavement, sans perdre entièrement le bénéfice de l'action du seigle ergoté sur le développement de la contractilité utérine ; troisièmement enfin, parce que l'indication majeure est de réveiller les efforts expulsifs de l'utérus, seuls capables d'énucléer un fibroïde interstitiel de l'épaisseur de la paroi utérine et de le faire pédiculiser soit vers le péritoine, soit vers la cavité utérine. Cette dernière terminaison est infiniment préférable à la première, car elle permet d'achever l'extraction de la tumeur et d'amener une cure radicale. Mais la première même est préférable à la persistance de l'état interstitiel du fibroïde ; car cet état est le plus favorable au retour des hémorrhagies, à la persistance des douleurs, à l'accroissement indéfini de la tumeur. Je prescris donc habituellement de une à six prises quotidiennes de 25 centigrammes chacune de seigle ergoté fraîchement pulvérisé ; j'y substitue quelquefois des pilules d'ergotine, et j'en continue l'usage pendant plusieurs mois au besoin[1]. »
Lorsque les fibromes interstitiels sont en voie de pédiculisation ou que de prime abord on a affaire à un polype fibreux, sessile, contenu dans la cavité utérine, le seigle ergoté produit souvent le double effet de pédiculiser la tumeur et de la diriger avec force et continuité sur l'orifice interne de la matrice par les contractions qu'il provoque dans le tissu propre de la matrice, d'où la dilatation lente et graduelle du col par la pression même de la tumeur, dilatation comparable à celle que détermine la pression de la poche des eaux au moment de l'accouchement (2)[2]. »
L'usage du seigle ergoté a alors pour but de rendre le corps étranger, corps fibreux ou polype, accessible aux moyens chirurgicaux.)
Abaissement et chute de matrice. — Boudin[3] a traité cette affection depuis le simple abaissement jusqu'à la chute plus ou moins complète, par l'ergot à la dose de 1 gr. 50 centigr. dans 100 gr. d'eau tiède, soit par la bouche, soit en injection dans le vagin.
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- ↑ A. Courty, Traité pratique des maladies de l'utérus et de ses annexes, 1866, p. 826.
- ↑ Ibid., p. 829.
- ↑ Bouchardat, Annuaire de thérapeutique, 1843.
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Métrite chronique, douleurs et engorgements utérins. — Spajrani[1] a tenté de combattre les congestions utérines qui sont souvent le début des phlegmasies chroniques de la matrice, en prescrivant l'ergot. Sur quatre femmes, trois furent guéries, une n'éprouva aucun soulagement. Depuis, plusieurs praticiens, et notamment Lisfranc[2], ont employé ce médicament avec succès dans les engorgements utérins. Il fait cesser, ou tout au moins diminuer graduellement les tiraillements dans les lombes, presque constants dans ces affections. Le praticien que nous venons de citer rapporte un cas de grossesse avec des douleurs névralgiques, prise pour une affection grave du col de la matrice, suivie de guérison et d'un accouchement heureux, après l'emploi du seigle ergoté à la dose de 15 centigr. unis à 1 centigr. d'extrait d'opium pour chaque soir. — Duparcque a appelé l'attention sur les engorgements spongieux de la matrice, comme source d'hémorrhagie, et sur les avantages qu'on retire de l'ergot en dehors de ces dernières. Il existe, à l'âge critique des femmes, alors que les règles ne fluent presque plus, une tendance aux congestions ou engorgements, qui, en passant à l'état chronique, peuvent devenir des maladies graves. L'ergot, dit Levrat-Perroton, peut être utile dans ces circonstances.
Arnal[3] a donné, dans l'engorgement utérin, l'extrait aqueux d'ergot de seigle (ergotine Bonjean) à la dose de 30 centigr. à 1 gr. par jour, suivant l'effet produit. Des douleurs lombaires ou des coliques assez analogues à celles qui précèdent quelquefois les règles annonçaient l'action du médicament et, comme conséquence, la diminution de l'engorgement. Lorsque les douleurs étaient trop vives, Arnal ajoutait à l'ergotine du camphre, de la ciguë et de la jusquiame. Chez les femmes chlorotiques, lymphatiques ou épuisées, soit par les progrès du mal, soit par les pertes sanguines abondantes, il avait recours avec avantage à l'emploi simultané de l'ergotine et de l'iodure de fer. Dans les cas d'ulcérations de nature dartreuse (circonstance plus fréquente qu'on ne le pense), il ajoutait l'iodure de soufre à l'extrait d'ergot. Dans aucun cas, il ne s'est manifesté de symptômes graves, ni d'altération du sang, ni de ralentissement de la circulation. Au contraire, les engorgements chroniques de l'utérus, les leucorrhées simples, les engorgements œdémateux qui accompagnent l'état chloro-anémique, ont été avantageusement modifiés.
Leucorrhée. — Bazoni[4] a publié des observations sur l'utilité de l'ergot de seigle contre la leucorrhée. Sur huit malades auxquelles il l'a administré, sept furent guéries en très-peu de temps. La plupart de ces leucorrhées étaient abondantes et existaient depuis plusieurs mois ; l'une d'elles datait de plusieurs années. Celle où l'on n'obtint que du soulagement était due à une lésion organique de l'utérus. Marschall Hall[5] a aussi employé l'ergot avec avantage dans le flux leucorrhéique. Levrat-Perroton rapporte un cas de leucorrhée avec métrite dans lequel l'administration de l'ergot fut suivie d'un plein succès. Mais il ajoute qu'il a échoué tant d'autres fois, que l'ergot ne lui paraît devoir être placé qu'en dernière ligne dans le traitement de cette affection. La leucorrhée tient à des causes si diverses que l'on peut admettre que le seigle ergoté a pu réussir dans certains cas et être nuisible dans d'autres cas en apparence identiques. C'est à la recherche des causes efficientes, du siège et de la nature des maladies, que le praticien doit s'attacher, s'il veut distinguer le symptôme de l'affection essentielle et arriver à des inductions thérapeutiques vraiment rationnelles : Ad primam mali causam, ad causæ occcasionem et primordia deveniendum. (HIPP.)
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- ↑ Annali universali di medicina, t. LIII, 1830.
- ↑ Maladies de l'utérus, 1836, p. 122.
- ↑ Gazette des hôpitaux, juin 1843, n° 67 et 73.
- ↑ Annali universali di medicina. Omodéi, 1831.
- ↑ Journal analytique, 1829, p. 375.
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Aménorrhée. — Dysménorrhée. — L'ergot de seigle a été recommandé dans l'aménorrhée par Biegelon, Thacher, Ronduck, Bergmann, Béclard, Chinnock, Giacomini, Sacchero, etc. Prescott croit que ce médicament est contre-indiqué dans ce genre de maladie, dont les causes et la nature fournissent d'ailleurs des indications curatives diverses, qu'un seul et même remède ne saurait remplir.
(Chez certaines jeunes filles tourmentées par la première apparition des règles, qui se montre difficile, douloureuse, lorsque les autres préparations ferrugineuses ont échoué, Millet, de Tours[1], réussit avec les dragées anti-anémiques au fer et à l'ergot de Grimaud (voyez Préparations pharmaceutiques et doses). Duclos, de Tours[2], a communiqué à la Société médicale d'Indre-et-Loire un remarquable cas de succès par le même moyen.)
ACTION DANS LES PARALYSIES
ACTION DE L'ERGOT DE SEIGLE DANS LES PARALYSIES. — Barbier, d'Amiens[3], employa l'ergot de seigle dans la paraplégie, et observa des secousses dans les jambes et les cuisses, et une émission d'urine par jet involontaire ; mais il n'obtint aucun résultat dans d'autres paralysies, et il en conclut que ce médicament agissait primitivement dans la parturition sur le renflement lombaire de la moelle épinière. D'autres médecins reprirent les expériences de Barbier, et pensèrent comme ce dernier que l'ergot agissant sur la moelle épinière d'une manière analogue à celle de la strychnine, on pouvait en tirer parti dans les maladies de cet organe.
Paraplégie. — L'ergot a réussi dans les paraplégies sans altération profonde ni compression trop grande de la moelle. Ducros, de Marseille [4], rapporte plusieurs cas de guérison de paralysie des membres inférieurs par l'emploi de l'ergot de seigle pris en guise de café, à la dose de 73 centigr, à 1 gr. 50 centigr. par jour. Payan[5] a rapporté sept cas de paraplégie traités avec succès par le même moyen : quatre étaient dus à une commotion de la moelle, le cinquième dépendait d'une courbure exagérée du rachis chez un vieillard, le sixième d'une ancienne maladie de Pott, le septième d'une myélite chronique. Le docteur Ulo a raconté à la Société de médecine de Marseille[6] l'histoire d'une demoiselle de quarante-sept ans, forte, à tempérament sanguin très-développé, qui, à la suite d'une forte attaque d'apoplexie, fut atteinte d'une paralysie complète des membres inférieurs. Le vingtième jour de la maladie, la paralysie persistant, Ulo donna l'ergot de seigle en pilules, à la close de 20 centigr. ; après douze jours de traitement, il survint une légère amélioration. La dose de ce médicament fut portée à 30 centigr., et, au bout de deux mois et demi, la malade fut tout à fait guérie. Il est à remarquer que la dose d'ergot a été faible, mais longtemps continuée. — Girard, de Marseille[7] a guéri trois paraplégies et en a amélioré un même nombre par l'emploi de l'ergot, commencé à la dose de 50 centigr., et augmenté chaque jour de la même quantité jusqu'à ce qu'il fût arrivé à celle de 2 à 3 gr. Le traitement a duré, sans interruption, deux, quatre et même cinq mois. Mais Girard a échoué dans deux cas où la paralysie siégeait aux membres supérieurs, ce qui indiquait une lésion d'une partie très-élevée de la moelle épinière. Houston, en Angleterre ; Saucerotte père et Saucerotte fils, plus récemment[8], ont rapporté des cas de guérison de paraplégies qui avaient résisté aux moyens plus ou moins énergiques ordi-
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- ↑ Bulletin de thérapeutique, 1862, t. LXIII, p. 339.
- ↑ Recueil des travaux de la Société de médecine d'Indre-et-Loire, 1859, p. 56.
- ↑ Bayle, Bibliothèque de thérapeutique, t. III, p. 530.
- ↑ Gazette des hôpitaux, août 1835, p. 404.
- ↑ Bulletin de thérapeutique, 1841.
- ↑ Compte-rendu des travaux de cette Société pendant l'année médicale 1847-1848.
- ↑ Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. I, p. 631.
- ↑ Bulletin général de thérapeutique, 15 janvier 1850.
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nairement employés dans les affections de la moelle épinière. L'ergot de seigle donné à la dose de 50 centigr. à 1 gr. produisit, dès les premiers jours, un léger mieux, qui continua en progressant de telle sorte que, dans un cas très-remarquable, la malade put quitter l'hôpital entièrement guérie au bout de trois semaines. Debout[1] a publié deux observations sur l'effet de l'ergot de seigle dans la paraplégie essentielle de l'enfance. Ces observations, quoique fort incomplètes, ainsi que le reconnaît l'auteur lui-même, sont néanmoins de nature à appeler l'attention sur l'emploi de ce médicament dans une paralysie trop souvent abandonnée à elle-même, et qui trouverait peut-être dans ce moyen, sinon la guérison, au moins une amélioration de quelque importance.
Inertie ou paralysie du rectum et de la vessie. — Payan[2] a rapporté un cas dans lequel la paralysie de la vessie et celle du rectum, liées à la paraplégie, ont été combattues avec succès par l'usage de l'ergot de seigle. Allier[3] s'en est très-bien trouvé dans des cas où la vessie avait perdu sa contractilité, par suite d'une distension excessive, produite par l'accumulation de l'urine. Guersant fils[4], a signalé aux praticiens l'application qu'il a faite de ce médicament pour faciliter l'expulsion des fragments de calculs après l'opération de la lithotritie. (Tout récemment, nous sommes parvenus, le docteur Filliette et moi, à faire rejeter de la vessie d'une petite fille de dix-huit mois, à l'aide de la poudre d'ergot, un calcul du volume d'un haricot, qui, depuis trois mois, occasionnait des douleurs atroces, de la dysurie et de l'incontinence.) Duhamel[5] l'a vu remédier en quatre jours à une rétention d'urine par inertie de la vessie, en en donnant 2 gr. par jour. Florentin, de Corrèze[6], a guéri en peu de jours une paralysie de vessie avec constipation opiniâtre, chez un homme de cinquante-huit ans, en lui administrant d'abord 4 gr. d'ergot de seigle par jour, et ensuite l'ergotine à la même dose dans une potion de 125 gr. à prendre par cuillerées toutes les heures. Dans un cas de rétention d'urine, chez un vieillard qui n'avait ni rétrécissement de l'urèthre, ni engorgement de la prostate, avec rétention d'urine se produisant sans cesse et nécessitant le cathétérisme trois fois par jour, Ross[7] administra 50 centigr. d'ergot de seigle dans un verre d'eau chaque matin, en élevant progressivement la dose à 2 gr. I1 survint d'abord des signes d'une vive irritation, et la vessie reprit bientôt sa contractilité. - C'est surtout chez les vieillards, dont la vessie a si peu d'action, que l'ergot est employé avec avantage.
Dans l'inertie ou la paralysie de la vessie, il y a incontinence ou rétention d'urine. Dans ce dernier cas, on doit avoir recours à l'emploi réitéré de la sonde, jusqu'à ce que l'action du seigle ergoté ait rendu à la vessie sa contractilité.
ACTION HÉMOSTATIQUE
ACTION HÉMOSTATIQUE DE L'ERGOT DE SEIGLE CONTRE LES HÉMORRHAGIES AUTRES QUE CELLES DE L'UTÉRUS. — La suppression de l'hémorrhagie utérine par l'action de l'ergot de seigle sur la moelle épinière, et par suite sur la matrice, dont il provoque les contractions ou augmente la contractilité, peut physiologiquement s'expliquer, même dans l'état de vacuité de cet organe. Mais on ne conçoit pas son efficacité dans les hémorrhagies ayant leur siège dans d'autres parties du corps, à moins de lui accorder la faculté de modifier la circulation. G. Hardy[8] a remarqué, après l'administration de l'ergot chez
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- ↑ Bulletin de thérapeutique, 15 janvier 1856.
- ↑ Mémoire sur l'ergot de seigle. Aix, 1841.
- ↑ Journal des connaissances médicales, 1838.
- ↑ Journal de chimie médicale, juin 1839.
- ↑ Bulletin de thérapeutique, 1941.
- ↑ Abeille médicale, 25 décembre 1854.
- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XV, p. l60.
- ↑ The Dublin Journal et Gazette médicale, décembre 1845.
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la femme en travail, que la fréquence du pouls avait sensiblement diminué au bout de quinze à trente minutes. La diminution des battements du fœtus était plus considérable encore, de manière qu'on pourrait attribuer à la propriété stupéfiante de cet agent, le danger auquel, suivant quelques accoucheurs, le fœtus est exposé pendant son action obstétricale. Ces faits viennent à l'appui de l'opinion de Giacomini sur l'action physiologique de l'ergot de seigle. Quoi qu'il en soit, la propriété hémostatique de l'ergot pour être moins évidente ici que dans les métrorrhagies, n'en est pas moins prouvée par des faits nombreux et incontestables. Spazzani, Pignacca et Cabini[1] rapportent quatre observations d'épistaxis, huit d'hémoptysie, deux d'hématurie et une d'hématémèse, arrêtées après l'emploi de ce médicament. Levrat-Perrotton cite six cas d'hémoptysie, trois cas de melœna et trois cas d'hématurie, où l'ergot a complètement réussi. P. Guersant a constaté son efficacité dans un cas d'hématurie ; Martin-Solon, dans un cas d'hémorrhagie, suite d'hémorrhoïdes. Garret, Cerésole, Hodel, Chevalley[2] ont rapporté des cas d'hémoptysie, avec ou sans tubercules, et des cas d'hématémèse, de flux de sang, où l'emploi du seigle a été d'une efficacité évidente. Ross[3] a rapporté un cas de purpura hemorrhagica très-grave, où l'ergot de seigle, administré de quatre heures en quatre heures, à la dose de 25 centigr. dans une once d'infusion de roses composée, eut un succès aussi prompt qu'inespéré. — On a vanté contre l'hémoptysie le mélange de l'ergot de seigle et de digitale (digitale pulvérisée, 3 centigr. ; poudre d'ergot, 14 centigr. ; sirop simple, Q. S., pour une pilule, — six et huit par jour suivant l'intensité de la maladie). Cette formule, indiquée dans la Gazette médicale de Toulouse (décembre 1855) m'a complètement réussi dans deux cas récents d'hémoptysie chez les tuberculeux. La promptitude d'action de ce remède m'a fait croire à son efficacité.
D'un autre côté, Trousseau et Pidoux ayant essayé l'ergot de seigle pour arrêter des hémorrhagies autres que celles de la matrice, n'ont pas obtenu de succès, ou, s'ils en ont obtenu, ils n'ont pu l'attribuer au médicament. « Il est en effet bien difficile, disent-ils, de juger de l'influence d'une médication sur une hémorrhagie, accident essentiellement temporaire et variable. » Cependant, il est des cas d'hémorrhagie plus ou moins durable, où l'on peut apprécier l'action hémostatique de l'ergot de seigle comme celle de tout autre médicament. Les essais négatifs de Trousseau et Pidoux ne peuvent infirmer d'une manière absolue les faits contraires recueillis par des médecins éclairés, dignes de foi et doués comme ces derniers de l'esprit d'observation.
ACTION SUR CERTAINS FLUX
ACTION DE L'ERGOT SUR CERTAINS FLUX. — Les flux des muqueuses génito-urinaires et intestinales ont été combattus par l'ergot avec plus ou moins d'efficacité. (Voyez Leucorrhée, p. 999.)
Blennorrhagie chez l'homme. — Desruelles[4] assure avoir retiré d'excellents effets de l'ergot associé au camphre, à la jusquiame et au nitre, dans les cas d'uréthrite intense, siégeant dans la partie la plus reculée du canal ; dans tous les cas, ce remède a calmé les envies fréquentes d'uriner, la chaleur du col de la vessie et les érections. Mais on peut dans ce mélange revendiquer la part de la jusquiame et celle du camphre, et révoquer même en doute celle de l'ergot de seigle. — Muller et Dupuis[5] disent avoir obtenu de bons résultats du seigle ergoté dans la blennorrhagie chronique qui s'accompagne d'éréthisme, d'érections douloureuses, d'écoulement comme
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- ↑ Annali universali di medicina. Omodéi, 1831.
- ↑ Cités par Bonjean, Traité théorique et pratique de l'ergot de seigle.
- ↑ The Lancet, 1845, vol. II, p. 127.
- ↑ Journal de médecine et de chirurgie pratiques, t. XIII, p. 303.
- ↑ Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. I, p. 648.
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séreux, peu abondant, souvent interrompu, de pollutions nocturnes, de chaleur aux parties génitales, de rétraction au scrotum. On donne l'ergot à doses croissantes, de 1 à 4 gr. toutes les trois ou quatre heures. Le malade prend entre chaque dose une tasse de lait ; il porte sur les parties génitales des sachets aromatiques camphrés ; le régime doit être adoucissant. La guérison s'opère souvent dans l'espace de six ou sept jours. Une disposition opposée, c'est-à-dire le caractère atonique de l'affection, exige au contraire, suivant Dupuis, l'emploi de la sabine. — Lazowski est d'un avis tout opposé : c'est dans l'état de blennorrhagies chroniques qu'il croit l'ergot indiqué. Dans un des numéros de la Revue thérapeutique du Midi de 1857, il dit avoir triomphé d'un grand nombre d'écoulements réfractaires au moyen de la formule suivante : seigle ergoté, récemment pulvérisé, 4.00 ; safran de mars apéritif, 5.50 ; poudre de vanille, 0.25 ; camphre, 0.25 ; mêlez et divisez en vingt paquets : un le matin, à jeun ; l'autre le soir, en se couchant. La durée moyenne du traitement est de dix à vingt jours, pendant lesquels il est inutile de soumettre le malade à une diète trop rigoureuse, mais il est utile d'y associer une décoction légère de quinquina gris.
Spermatorrhée. — Javowitz[1] donne l'ergot de seigle à la dose de 20 à 30 centigr., répétés trois fois par jour, dans les pertes séminales dues à un état d'atonie ou d'irritation locale, ce qui est irrationnel, ces deux états étant opposés. Deslandes[2] reproche au seigle ergoté de pousser encore à la salacité. Il accorde, en conséquence, une grande efficacité à l'ergot dans la spermatorrhée atonique ; mais il le croit contre-indiqué dans celle par irritation. Ce médicament a été, en effet, préconisé contre l'impuissance. - Robert[3] a combattu avec efficacité les pollutions nocturnes par l'usage de pilules composées de 10 centigr. d'ergot de seigle et de 50 centigr. de camphre, prises matin et soir.
Diarrhée. — Boudin a employé l'ergot avec succès dans les diarrhées chroniques avec atonie du rectum. Il fait prendre ce médicament à la dose de 1 gr. 50 centigr. dans 100 gr. d'eau tiède. Il le prescrit aussi en injection dans le rectum. Stout[4] l'a conseillé dans certaines diarrhées rebelles et muqueuses. Massola, médecin militaire dans l'armée sarde[5], retira de grands avantages de l'emploi de l'ergotine dans le traitement de la diarrhée épidémique qui décimait les troupes en Orient pendant l'été de 1855. Malgré l'énergie et le rationalisme des médicaments ordinairement employés, bien des cas se montraient réfractaires. Guidé par l'analogie et l'induction, Massola crut devoir essayer l'ergotine dans ces hypersécrétions muqueuses et séreuses de l'intestin, que l'on pourrait presque appeler des hémorrhagies blanches. Une vingtaine de malades atteints de diarrhées chroniques, profuses, asthéniques, furent soumis à l'action de ce médicament, à la dose de 1 à 2gr. dans 120 gr. d'eau gommée et édulcorée, à prendre par cuillerées à bouche de demi-heure en demi-heure. Cette prescription se fit à la visite au matin, qui avait lieu à six heures. A la visite du soir, Massola put déjà constater une amélioration sensible chez tous les individus soumis à cette médication ; le nombre des selles, qui était auparavant de dix à quinze par jour avait presque diminué de moitié. L'expérimentation fut poursuivie en répétant la même dose d'ergotine à la visite du lendemain, et, le soir du même jour, le nombre des déjections alvines était descendu à deux, trois ou quatre au plus, chez le plus grand nombre des malades ; chez cinq d'entre eux,l'eflux intestinal avait complètement cessé. L'état physique et
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- ↑ Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. I, p. 649.
- ↑ De l'onanisme, etc. Paris, 1835.
- ↑ Mérat et Delens, Dictionnaire de matière médicale et de thérapeutique, t. I, p. 272.
- ↑ Bonjean, Traité théorique et pratique de l'ergot de seigle, p. 282.
- ↑ Répertoire de pharmacie, novembre 1856, t. XIII, p. 153.
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moral des sujets suivait l'amélioration locale ; ainsi, la soif avait diminué, la langue devenait plus humide, moins rouge et moins pâle, le pouls moins fréquent, les forces et l'appétit renaissaient. Il était impossible de ne pas attribuer à l'ergot cette rapide amélioration.
Dysenterie. — Les fièvres typhoïdes, qui ont régné en grand nombre à Genève en 1853, ont été accompagnées de nombreuses dysenteries que l'ergotine Bonjean a combattues avec succès. Rillet et Lombard, médecins des hôpitaux civils, ont communiqué les heureux résultats qu'ils avaient obtenus dans ce cas à la Société de Genève. Fonteyral a publié[1] une série d'observations remarquables de dysenteries chroniques guéries par ce moyen. « Si l'on veut bien ne pas oublier, dit-il, qu'avant de recourir à l'ergotine de Bonjean, j'ai, dans toutes les circonstances, demandé les secours de la thérapeutique émolliente, astringente et narcotique, que ces secours m'ont fait défaut dans la majeure partie des cas que j'ai cités, que les effets que j'en attendais ont été nuls, on sera dès lors aussi intimement convaincu que je le suis moi-même de la supériorité relative de l'ergotine.
INCONTINENCE NOCTURNE
(INCONTINENCE NOCTURNE D'URINE. — Dans deux mémoires intéressants[2], A. Millet, de Tours, a établi d'une façon indubitable l'action curative de l'ergot associé au fer dans le traitement de cette pénible et rebelle affection de l'enfance. Il a constaté que ce mode de traitement convenait principalement aux sujets pâles, étiolés, anémiques. Il recommande de ne jamais se décourager, mais au contraire montrer et déployer de la persistance et de la ténacité quand on s'aperçoit que les premières tentatives ne sont pas couronnées de succès. Le mal cède quelquefois avec une ou deux boites de dragées de Grimaud (voyez Préparations pharmaceutiques et doses) ; dans d'autres circonstances, il faut en prescrire six, sept, huit et même neuf. Si le mieux se prononce, il faut un certain temps d'arrêt et laisser reposer le malade pendant dix ou quinze jours ; puis reprendre la médication et la continuer pendant une quinzaine. On laisse de nouveau reposer le malade pendant vingt jours ou un mois, et enfin on ordonne soit une demi-boîte, soit une boîte entière de dragées pour assurer la guérison. Jamais l'auteur que nous citons n'a observé le moindre accident à la suite de cette médication.
Un de mes excellents confrères et amis, Filliette, m'a dit avoir guéri, grâce à l'association du seigle ergoté avec le fer, dix-neuf enfants du sexe féminin, faisant partie de l'Orphelinat tenu par les soeurs de la Visitation, à Gex (Ain). Seulement, les pilules de Grimaud exigeant d'être prises en nombre assez considérable (10 à 20 par jour), ce qui offre une certaine difficulté chez quelques enfants, mon confrère a recours à des prises ainsi formulées (limaille de fer, 1 gr. ; seigle, 25 centigr., pour une dose), dont on donnera une ou deux quelque temps avant l'heure de se mettre au lit.
La guérison a été obtenue très-rapidement, si rapidement que, à partir de ce moment, les incontinences d'urine, que l'on ne traitait plus dans l Orphelinat en question, sont combattues par les sœurs elles-mêmes, qui ont toujours la poudre composée à leur disposition.
J'ai moi-même par devers moi bon nombre de succès obtenus par ce mode de traitement.)
ACTION ANTIPHLOGISTIQUE
ACTION ANTIPHLOGISTIQUE DE L'ERGOT. — Les médecins italiens, attribuant tous les effets thérapeutiques de l'ergot de seigle à son action contre-stimu-
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- ↑ Journal des sciences médico-pratiques de Montpellier, 1854, t. VI, p. 293 ; t. VII, p. 242 et 340.
- ↑ Recueil des travaux de la Société médicale d'Indre-et-Loire, 1859, p. 54 et suivantes ; Du traitement de l'incontinence nocturne d'urine au moyen des dragées au fer et à l'ergot de seigle. (In Bulletin de thérapeutique, t. LXIII, p. 337.)
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lante l'emploient comme auxiliaire de la saignée dans les phlegmasies aiguës. On n'est pas aussi affirmatif en France, où néanmoins on a mis ce médicament en usage avec quelque succès, ou tout au moins sans inconvénient, dans des affections utérines compliquées de phlegmasie chronique ou subaiguë. Mais on l'a toujours considéré comme dangereux dans la métrite franchement inflammatoire.
Parola[1] le considère comme un des moyens les plus propres à arrêter la marche de la phthisie pulmonaire. Il assure en avoir même procuré la guérison. (Le même auteur cite deux cas de pleuropneumonie graves guéris par l'huile résineuse d'ergot (6 gouttes dans un mucilage.). Sacchero[2], Mosca, de Turin[3], et quelques autres, ont obtenu d'excellents résultats de l'emploi de l'ergotine dans les bronchites aiguës et chroniques ; d'où ils ont conclu qu'elle a une action directe sur les muqueuses, lorsqu'elles sont dans un état de surexcitation.
Mehlhausen[4] a donné l'ergot de seigle dans les fièvres intermittentes, à la dose de 50 centigr. répétée trois fois dans les deux heures qui précèdent l'accès. Festler, Backer et Dalton l'ont aussi employé comme fébrifuge. Clutterburck l'a proposé contre le rhumatisme. On l'a aussi prescrit dans les fièvres typhoïdes comme sédatif et antiphlogistique. C'est à ce même titre qu'on la recommande dans certaines affections oculaires[5].
ACTION SÉDATIVE
ACTION SÉDATIVE DE L'ERGOT. — Les phénomènes que l'ergot détermine témoignent de son action sédative sur le système sanguin. Ces effets physiologiques ont pu fournir des inductions thérapeutiques plus ou moins fondées ; mais elles n'expliquent point l'action de ce médicament dans certaines névroses ou névralgies internes, contre lesquelles on dit l'avoir employé avec succès. Lonicer s'en est bien trouvé dans l'hystérie. Nardo[6] le prescrit contre l'hystérie à une dose qui ne dépasse pas 1 gr. 50 centigr. par jour. Il laisse un peu de repos tous les trois ou quatre jours. Le cas le plus remarquable de guérison qu'il ait obtenu par ce traitement est celui d'une jeune dame chez laquelle l'emploi de l'ergot de seigle guérit en même temps l'hystérie et une stérilité qui en était la conséquence. Il y avait probablement chez cette malade un état atonique de l'utérus joint au désordre du système nerveux qui caractérise l'hystérie. Chaque malade, indépendamment de la maladie, présente des indications curatives qui lui sont spéciales.
(Griepenkeri ne compte pas moins de deux cents cas de coqueluche traités presque tous avec succès par le sirop de seigle ergoté. Il donne une cuillerée à café toutes les deux heures pour un enfant de cinq à sept ans. On doit, pendant la durée du traitement, qui ne doit commencer qu'après cessation de toute complication, éviter l'usage d'aliments contenant du tannin)[7].
ERGOTINE DE BONJEAN
ERGOTINE DE BONJEAN. — L'ergotine peut être employée : 1° comme excitant spécial de l'utérus ; 2° comme propre à combattre les hémorrhagies utérines et les hémorrhagies autres que celles de l'utérus ; 3° dans les flux autres que des hémorrhagies (leucorrhée, lochies sanguinolentes, pertes séminales, diarrhées, etc.) ; 4° dans les affections de la matrice (engorgements, etc).
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- ↑ Revue de thérapeutique médico-chirurgicale, t. I, p. 649.
- ↑ Mémoire sur l'action thérapeutique du seigle ergoté. (Annales de thérapeutique, t. II, p. 53.
- ↑ Bonjean, Mémoire pratique sur l'emploi médical de l'ergotine, 1857.
- ↑ Bulletin des sciences médicales de Férussac, t. XX, p. 248.
- ↑ Bulletin de thérapeutique, t. LVII, p. 94.
- ↑ Réflexions médico-pratiques sur l'heureux emploi du seigle ergoté dans quelques espèces d'hystérie.
- ↑ Répertoire de pharmacie, 1864, t. XX, p. 286.
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C'est dans l'ergotine, d'après les observations recueillies et les opinions émises par Bonjean, que paraît résider la vertu hémostatique de l'ergot de seigle.
« En prouvant, dit Bonjean, que l'action hémostatique de l'ergot, la propriété qu'il possède d'agir particulièrement sur le système vasculalre artériel, résident dans l'ergotine, principe très-soluble dans l'eau, je n'ai fait que confirmer l'opinion de mes nombreux devanciers, qui plaçaient le seigle ergoté au premier rang parmi les agents hémostatiques, et regardaient l'infusion de ce mauvais grain comme un antihémorrhagique très-puissant. Il en est résulté cette conséquence importante pour la pratique médicale, que l'ergotine, isolée du poison que le seigle ergoté renferme[1], peut être employée sous une forme à même volume plus active, doses que l'on peut en toute sécurité proportionner à l'étendue et à l'usage du péril, sans aucun danger pour les malades. »[2] — Plusieurs praticiens distingués de Chambéry et d'Aix, tels que Chevalley, Garrat, Barion, Blanc, Revet, employèrent l'ergotine comme hémostatique chez d'homme, et obtinrent des résultats concluants en faveur de ce précieux médicament. Piédagnel et Sée[3] ont constaté qu'il suffit de 10 à 20 centigr. d'ergotine pour obtenir une modification notable dans l'abondance et la rapidité de l'écoulement, qu'on ait affaire à des hémoptysies ou à d'autres hémorrhagies. Mais toutes les fois que l'hémorrhagie, au lieu d'être arrêtée dès les premières doses, est seulement diminuée, les doses suivantes ne l'arrêtent pas complètement, et un suintement sanguin persiste, particulièrement dans les hémoptysies. Ces dernières récidivent plus souvent que les autres hémorrhagies ; mais la récidive ne consiste jamais que dans une très-petite quantité de sang à la fois. Elle est moins marquée, en général, quand la fluxion sanguine s'est éteinte peu à peu, plus marquée au contraire dans les hémorrhagies qui ne se sont modifiées que tardivement, mais qui ont cessé dès la première modification. On observe constamment le ralentissement immédiat du pouls (variant de 6 à 36 pulsations) après l'emploi des premières doses d'ergotine (0.15 à 0.40), en même temps que les battements du cœur se régularisent, lorsque auparavant ils étaient irréguliers. Cet effet sur la circulation, observé dans un cas d'hypertrophie du coeur, a fait penser que l'ergotine pourrait être employée comme succédanée de la digitale dans les affections du cœur : Piédagnel l'a prescrite comme telle dans quatre cas qui se sont présentés dans son service.
Simon a soigné un grand nombre de scorbutiques, dont la plupart présentaient des taches pétéchiales sur le cou et un suintement sanguin sur toute la superficie des gencives, avec plaie et odeur infecte. Après quarante-huit heures de traitement, le suintement sanguin avait complètement disparu ; les gencives étaient plutôt sèches qu'humides, et les taches pétéchiales, auparavant d'une teinte noire, étaient devenues roussâtres. La guérison avait lieu du huitième au douzième jour de traitement; mais on poursuivait l'emploi de l'ergotine quelque temps encore après la cessation de la maladie.
EMPLOI EXTERNE DE L'ERGOTINE COMME HÉMOSTATIQUE. — Les premières expériences, faites par Bonjean, sur des poulets d'abord, puis successivement sur des lapins, des chiens, des moutons et des chevaux, en opérant sur les grosses artères de ces animaux, fournirent quelquefois des résultats dont la chirurgie pouvait tirer parti. Sédillot, professeur à la Faculté de médecine de Strasbourg[4], place la solution d'ergotine au premier rang parmi les
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- ↑ Voyez page 987 la valeur de cette opinion.
- ↑ Bonjean, Mémoire pratique sur l'emploi médical de l'ergotine, 1857.
- ↑ Gazette médicale de Paris, 1846.
- ↑ Mémoire présenté à l'Académie des sciences de Paris en 1852, sur l'action comparative des divers liquides hémostatiques connus.
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lipides hémostatiques qui ne coagulent pas le sang. L'ergotine est donc essentiellement hémostatique et non hémoplastique ; elle arrête le sang des blessures tant artérielles que veineuses, mais sans le coaguler comme font les acides, le perchlorure de fer, etc. Dans ce dernier cas, l'action de ces agents est, à la fois, chimique sur le sang qu'ils coagulent, et physique sur les tissus qu'ils resserrent ou altèrent, tandis que l'action de l'ergotine est toute dynamique. Bonjean[1] a fait quelques essais sur l'action de ces divers agents unis à l'ergotine, d'où il résulterait, sinon la disparition complète, au moins une notable diminution dans les propriétés irritantes que certains corps coagulants possèdent sur les tissus. — « Ce qui mérite de fixer l'attention sur l'action de l'ergotine dans les blessures artérielles, dit Flourens[2], c'est le fait de l'arrêt du sang dans les vaisseaux divisés, sans qu'il y ait oblitération de leur calibre, c'est la chose neuve et réellement importante des communications de Bonjean. » — Sur le rapport d'une commission composée de Sacchero, de Michelis et Malinverni, et après une discussion à laquelle prirent part Riberi, Cantu, Girola, Bertini, Battaglia, etc., les conclusions suivantes furent adoptées par l'Académie de Turin (séance du 22 janvier 1847) : 1° l'ergotine est un moyen hémostatique très-propre à arrêter l'hémorrhagie artérielle, même des gros vaisseaux, en conservant leur perméabilité ; 2° des expériences démontrent que l'on peut obtenir la cicatrisation des artères, et cela sans qu'il en résulte nécessairement l'occlusion du canal, comme les anciens le pensaient généralement, et comme le pensent encore aujourd'hui beaucoup de praticiens[3].
Voici la manière d'employer l'ergotine : — On imbibe d'une solution plus ou moins concentrée de cet extrait, de la charpie et des compresses que l'on applique sur la plaie, en comprimant quelque temps d'une façon modérée, et l'on panse comme d'habitude. Si l'hémorrhagie provient de la lésion de quelque vaisseau important, la charpie, une fois appliquée sur la plaie, est arrosée de temps à autre avec la dissolution d'ergotine, pour remplacer celle qui se trouve entraînée par le sang de la blessure dans les premiers moments de l'application du tampon, et pour entretenir un contact immédiat entre le liquide cicatrisant et les lèvres de la plaie. La compression exercée sur la charpie doit être suffisante pour empêcher tout écoulement sanguin, mais non assez forte pour intercepter la circulation dans le vaisseau lésé. — Lorsque le tampon, n'étant plus arrosé depuis quelque temps, commence à se dessécher, que l'on a pu, sans causer le retour de l'hémorrhagie, diminuer insensiblement la pression jusqu'à pouvoir la supprimer entièrement, bien que momentanément, on peut croire que le caillot obturateur est formé ; alors, maintenant la compression d'une main, et prenant toutes les précautions possibles pour éviter la moindre secousse à la partie blessée, on recouvre la première charpie d'un nouveau plumasseau, toujours imbibé d'ergotine, et on fixe le tout à l'aide d'une bandelette de toile, qu'on peut enlever au bout de deux, trois ou quatre jours, suivant la circonstance. La plaie est ensuite pansée comme dans la pratique ordinaire. Les vaisseaux se cicatrisent ainsi, et il n'y a presque pas d'inflammation ni de suppuration.
Dans des cas urgents, on peut faciliter l'arrêt du sang en ajoutant à la dissolution d'ergotine quelques gouttes de perchlorure de fer à 30 degrés, qui hâtera la formation du caillot sans irriter les tissus ; la cicatrisation de la plaie se fera ensuite sous l'influence seule de l'ergotine.
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- ↑ Modifications des propriétés irrilantes du perchlorure de fer par son union avec l'ergotine. (Mémoire présenté à l'Académie de médecine de Paris.)
- ↑ Comptes-rendus de l'Académie des sciences de Paris, 27 avril 1846.
- ↑ Peut-être le lycoperdon ou vesse-de-loup, champignon signalé et adopté jadis avec enthousiasme comme hémostatique, et dont j'ai pu constater les bons effets, a-t-il une manière d'agir analogue à celle de l'ergot de seigle ?... (Voyez l'article LYCOPERDON, p. 603.)
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ACTION CICATRISANTE ET ANTIPUTRIDE DE L'ERGOTINE. — Bonjean, Chevalley et Besson ont toujours été frappés de ce fait, que la cicatrisation des plaies sur lesquelles on avait appliqué l'ergotine s'opérait avec promptitude et d'une manière remarquable, lors même que les tissus avaient été divisés et lacérés à plusieurs reprises.
Cette singulière propriété de l'ergotine, que quelques chirurgiens attribuent au ralentissement qu'elle imprime à la circulation, avait été entrevue depuis bien longtemps par les anciens, qui regardaient l'infusion d'ergot de seigle comme un moyen efficace de pansement des ulcères de mauvaise nature. Ces effets ont été confirmés par plusieurs praticiens, et notamment dans les campagnes de L'armée sarde en 1848 et 1849 en Lombardie.
Bonjean cite plusieurs faits tendant à établir que l'ergotine s'est montrée très-efficace pour favoriser la cicatrisation d'ulcères atoniques et rebelles de nature scrofuleuse, scorbutique ou variqueuse, qui avaient résisté à tous les agents ordinaires. Cette substance n'a pas été moins utile dans les plaies saignantes et gangreneuses, dans les ulcères sordides et chroniques, dans la suppuration fétide des moignons, et autres cas analogues. Comme cicatrisante, l'ergotine s'emploie en dissolution plus faible que pour les hémorrhagies traumatiques. La formule suivante peut servir de règle, en modifiant la dose suivant qu'on a besoin d'un résultat plus prompt et plus actif : ergotine, 2 gr. ; eau 100 gr. — Cette dissolution, comme toutes celles de même nature, s'altère facilement, et doit être renouvelée chaque jour.
(Tout ce que dit Bonjean de l'extrait hydro-alcoolique, dénommé par lui ergotine, est trop beau pour n'être pas exagéré. Si des praticiens d'un haut mérite se sont plu à reconnaître à ce produit des propriétés remarquables, il n'en est pas moins vrai que ce même produit est trop souvent entre nos mains inefficace. Il est bon que les praticiens soient éclairés sur sa valeur réelle, sans quoi ils s'exposeraient à dix mécomptes sur la foi d'un succès.)
MODE D'ACTION DE L'ERGOT DE SEIGLE
(MODE D'ACTION DE L'ERGOT DE SEIGLE. — Nous avons relégué cette question délicate à la fin de l'article, parce que chacun des chapitres apporte à son élucidation son contingent de données. On ne peut rien saisir de l'interprétation des faits que lorsque la totalité et les détails de ces faits sont parfaitement connus. Deux opinions principales régnent dans la science. Nous ne ferons que les rappeler, car plusieurs fois déjà nous nous sommes étendus sur ce sujet, dont l'élucidation complète demande le génie patient et investigateur d'un Claude Bernard.
L'école française considère l'ergot comme un excitant portant son activité sur la moelle épinière (guérison des paraplégies) et exerçant sur la fibre utérine une action excitatrice spéciale ; certains auteurs admettent en outre que la contractilité des fibres cellules des vaisseaux est aussi mise enjeu, et que le rétrécissement de calibre qui en est la conséquence amène l'arrêt des hémorrhagies et fait cesser les congestions, etc. L'école italienne ne voit dans les phénomènes consécutifs à l'ingestion du corps qui nous occupe qu'un fait d'hyposthénisation cardio-vasculaire (emploi dans les phlegmasies, propriétés antiphlogistiques, ralentissement du pouls, de la circulation utéro-placentaire, etc.). L'action spécifique n'existe plus, et l'accoucbement n'est favorisé que parce que l'ergot, par ses effets généraux ou dynamiques, fait cesser la congestion utérine excessive qui entravait le jeu normal des fonctions de l'organe.
Sans nous prononcer d'une façon péremptoire entre les deux opinions en présence, nous ne pouvons nier que l'école italienne a pour elle la plus grande quantité de faits, et que son interprétation s'adapte à l'explication de tous ces faits.)
(Jusque dans ces derniers temps, la médecine vétérinaire n'avait mis que
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rarement le seigle ergoté en usage comme agent obstétrical. Il agit chez les animaux à peu près comme chez les femmes. Il peut s'administrer à la dose de3 à 4 gr. toutes les demi-heures dans 1/2 litre d'infusion d'absinthe pour les grendes femelles (vache, jument), jusqu'à ce que l'utérus manifeste des contractions soutenues. La dose peut être portée jusqu'à 32 gr. Pour les petites femelles (brebis, truie), la dose initiale est de 1 à 2 gr., et la dose totale 8 gr. environ, Pour les chiennes, il faut proportionner le médicament à la taille de l'animal et varier entre 2 gr. et 2 décigr.)