Ricinodendron heudelotii (Fruitiers du Cameroun)
Ricinodendron heudelotii (Baill.) Pierre et Pax.
In Engl. Pflanzenreich Euphorb.-Cluyt. : 46 (1911)
Synonymes
- Jatropha heudelotii Baill.
- Ricinodendron africanum Müll. Arg.
Noms locaux
- Bakossi : isangé
- Bakwéri : esangasanga
- Bassa : njangsang
- Boulou : essang
- Douala : njangsang
- Ejagham : oryok
- Ewondo : essessang
- Fang : essessang
- Ibo : okwé
- Ngoumba : nzonell
- Pygmée Baka : gobre
Origine, distribution géographique et écologie
Espèce d’Afrique tropicale, de la Guinée à l’Angola et à l’Afrique orientale. Au Cameroun, elle est assez répandue en zone forestière. Elle est présente en forêt secondaire où elle est localement abondante ; elle pousse également en forêt de montagne.
Description
- Arbre atteignant 40 m de hauteur, parfois plus et 120 cm de diamètre ; base avec un empattement épais se prolongeant en grosses racines traçantes ; fût cylindrique, un peu tortueux ; écorce gris clair, lisse à surface marquée de nombreuses lenticelles pustuleuses, souvent avec des bourrelets horizontaux, tranche de 1-1,5 cm, granuleuse, rose, exsudant en gouttelettes un liquide rouge.
- Feuilles alternes, composées digitées, à longs pétioles canaliculés, atteignant 40 cm de longueur, renflés à la base et munis de 2 glandes au sommet ; 3-5 (7) folioles sessiles à subsessiles ; limbes elliptiques, atteignant 30 x 15 cm, les 2 folioles inférieures nettement plus petites ; sommets aigus ; bords dentés et pourvus de petites glandes noirâtres ; stipules foliacées suborbiculaires, jusqu’à 5 cm de diamètre, persistantes.
- Plantes dioïques. Inflorescences en grappes, les mâles de 15-40 cm de longueur, les femelles plus courtes.
- Fleurs blanches, petites de 0,7 cm de diamètre ; calice à 4-5 sépales d’environ 5 mm de longueur ; corolle de 8 mm de longueur ; fleurs mâles avec un disque glanduleux, 10-14 étamines ; fleurs femelles à ovaire biloculaire.
- Fruits : drupes globuleuses de 4-5 x 2,5-3,5 cm, à 2-3 coques, jaune-verdâtre à maturité puis noires, pesant environ 20 g ; 1-3 noyaux par fruit mesurant 1,3-2 cm de diamètre, noirs, durs, noyés dans une pulpe verdâtre.
- Graine unique par noyau, sphérique, à surface rugueuse, pesant 2 g.
Floraison de mars à mai. Fructification de mai à octobre.
Variabilité et conservation de la ressource
La plante est protégée lors des défrichements culturaux. La propagation de l’espèce par semis ou par bouturage est très active dans les projets de recherche agroforestière (ICRAF), les ONG de conservation et les Groupes d’Initiatives Communes (GIC) du secteur agricole et forestier. Ricinodendron heudelotii est généralement exploité sous sa forme spontanée. La morphologie des fruits montre des formes de hiles variées, ce qui indique une variabilité entre provenances que l’on observe aussi pour le nombre de graines par fruit. Le poids des graines varie de manière significative entre les provenances avec des différences de 110 g entre les extrêmes. Le nombre de graines par fruit varie également suivant les provenances et semble être un caractère variétal qu’il faudra plus tard vérifier. Pendant les défrichements culturaux, les arbres sont conservés pour la production des graines. Ces arbres ainsi que ceux qui poussent en forêt constituent le seul matériel génétique disponible.
Agronomie
Les fleurs mâles sont blanches et petites, groupées en grappes de 15-40 cm de long ; les fleurs femelles, de même taille, sont également blanches mais groupées en grappes plus courtes.
Les fruits sont des drupes qui renferment 1-3 noyaux dans une pulpe verdâtre avec une graine par noyau. La coque des graines étant très dure, la levée a lieu plusieurs mois après le semis. La germination des graines est assez lente avec un taux peu élevé (40 %). Le taux de germination décroît rapidement avec le temps. La multiplication végétative par bouturage donne un taux de réussite élevé (supérieur à 60 %). Deux méthodes de greffage ont été expérimentées par Nguélé Oloa (1999) notamment le greffage en fente simple de côté avec un taux de réussite de 85 % et le greffage en fente simple en tête avec un taux de réussite de 37,5 %. La croissance du jeune plant est très rapide en pleine lumière. La première fructification a lieu 4 ans après la plantation.
Des essais de bouturage ont été conduits avec succès ; ce qui augmente le potentiel de multiplication.
Malgré l’importance alimentaire et économique en tant que source de revenus pour les paysans de la zone forestière, R. heudelotii fait encore l’objet de cueillette sur des individus de formations naturelles. Par conséquent, la production actuelle provient des populations poussant spontanément en forêt ou des arbres protégés et entretenus lors des défrichements culturaux.
Utilisations
Ricinodendron heudelotii est intentionnellement intégré dans les systèmes agricoles pour son ombrage, ses chenilles comestibles, les champignons qui poussent sur le tronc, et surtout pour ses graines à forte valeur calorifique qui sont commercialisées. La plante se prête bien à divers usages. Les parties utilisées sont les fruits, les graines l’écorce et le bois.
Les fruits ne sont pas consommés par l’homme, mais par les animaux (Walker et Sillans, 1995). Les graines de Ricinodendron heudelotii sont oléagineuses. Séchées ou réduites en pâte, elles constituent un ingrédient pour les sauces ; elles servent alors d’épaississant et d’exhausteur de goût. Elles sont parfois utilisées à la place de l’arachide.
Les feuilles servent d’aliment aux chèvres et moutons en saison sèche. Les feuilles et le latex de Ricinodendron heudelotii ont une action purgative (Laird et al., 1997). La sève (latex) soigne les filaires (Burkill, 1994). La décoction de l’écorce soigne la blennorragie (Walker et Sillans, 1995). L’écorce est utilisée comme antipoison ou comme contraceptif. Elle soigne la stérilité, les douleurs abdominales chez les femmes en menstruation, (Burkill, 1994 ; Walker et Sillans, 1995). Les racines sont utilisées par les Sambaa de la Tanzanie pour traiter la diarrhée et la constipation (Ruffo et al., 2002).
Le bois est facile à travailler. On l’utilise en petite menuiserie pour fabriquer les ustensiles de cuisine, etc. Il est sonore et utilisé dans la fabrication d’instruments de musique en République Démocratique du Congo, au Nigeria, au Gabon et en Angola (Daziel, 1948). Les noix de Ricinodendron heudelotii servent de sonnettes lorsqu’elles sont contenues dans des gourdes à percussions. Elles sont également utilisées dans les parties de « songho » au Cameroun ou de « okwe » au Nigéria[1].
Niveaux de production
De façon générale, les graines de Ricinodendron heudelotii vendues dans les marchés de la zone forestière humide du Cameroun proviennent de la région du Centre. Le littoral est la région qui enregistre les quantités les plus élevées en terme de vente. De 1997 à 1998, les quantités de produits de Ricinodendron heudelotii commercialisées dans le marché de New-bell sont passées de 88 à 121 tonnes. De 1997 à 1999, la quantité de produits de Ricinodendron heudelotii commercialisés dans sept marchés importants de la zone forestière humide du Cameroun a atteint une moyenne annuelle de 155,5 tonnes pour une valeur moyenne de 290,5 millions de F CFA (Awono et al., 2002).
Flux et circuits de commercialisation Quatre tonnes d’amandes de Ricinodendron heudelotii ont été exportées vers l’Europe en 1998 (Tabuna, 1999). A Paris, le kilogramme d’amandes de Ricinodendron heudelotii coûte environ 5 000 F CFA (Tchatat et Ndoye, 1999 ; Tabuna, 1999). Les volumes commercialisés dans les marchés nationaux donnent lieu à des marges moyennes annuelles de 23 400 F CFA entre 1997 et 1999 (Awono et al., 2002). Dans la sous-région, Ricinodendron heudelotii est commercialisé en Guinée Equatoriale, au Congo Brazzaville et au Gabon. La marge bénéficiaire nette et le montant total des ventes en 1995 ont été de 10,19 millions de F CFA et 42,69 millions de F CFA respectivement.
Mécanismes de fixation des prix
La fixation des prix dans les différents marchés énumérés n’obéit à aucune réglementation. Le prix est fonction de la situation générale du marché, elle-même tributaire du libre jeu entre l’offre et la demande. Néanmoins, d’autres facteurs tels que le coût du transport, la qualité du produit, les divers coûts induits (taxes, manutention, stockage etc.) et la contenance des mesurettes (boîtes, verres, seaux, sacs) influencent le prix pratiqué sur le marché (Nnah, 1999). A la fin de la saison de production, les quantités de produits baissent et les prix montent. Le prix d’achat d’un sac de 80 kg de graines de Ricinodendron heudelotii auprès des producteurs varie entre 36 000 et 92 000 F CFA (Ndoye, 1995).
Potentialités et contraintes
Ricinodendron heudelotii est présent dans presque toute la zone forestière du Cameroun. La technique traditionnelle d’extraction des graines est pénible. La collecte n’exerce réellement pas de pression sur la ressource. La possibilité de conserver la graine de Ricinodendron heudelotii pendant plusieurs mois sans risque d’altérer ses fonctions et sa qualité est un atout important pour le développement de la filière et l’approvisionnement des marchés. La principale contrainte est l’inexistence de techniques de concassage rapide pour l’extraction des graines.
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- ↑ Le « Songho » et le « Okwe » sont des variantes d’un même jeu. Ils désignent en langues locales, respectivement au Cameroun et au Nigéria, des parties de distraction culturelles et traditionnelles dont la logique intègre la ruse et la raison. Les noix de Ricinodendron heudelotii sont ici, des jetons distribués aux joueurs (deux) en compétition. Le support central étant un tronc d’arbre truffé de quatorze creux dans lesquels les jetons sont déposés par les joueurs selon la logique du jeu.