Radis, Raifort (Candolle, 1882)
Nom accepté : Raphanus sativus L.
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Radis, Raifort. — Raphanus sativus, Linné.
Le radis est cultivé pour ce qu'on appelle la racine, qui est, à proprement parler, la partie inférieure de la tige avec la racine pivotante 3. On sait à quel point la grosseur, la forme et la couleur de ces organes, qui deviennent charnus, peuvent varier, suivant le terrain et les races cultivées.
Il n'y a pas de doute que l'espèce est originaire des régions tempérées de l'ancien monde ; mais, comme elle s'est répandue dans les jardins, depuis les temps historiques les plus reculés, de la Chine et du Japon jusqu'en Europe, et qu'elle se sème fréquemment autour des cultures, il est difficile de préciser son point de départ.
Naguère on confondait avec le Raphanus sativus des espèces voisines, de la région méditerranéenne, auxquelles on attribuait certains noms grecs ; mais le botaniste J. Gay, qui a beaucoup
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1. Un certain nombre d'espèces, dont l'origine est bien connue, comme la carotte, l'oseille, etc., sont mentionnées seulement dans le résumé au commencement de la dernière partie, avec une indication des faits principaux qui les concernent.
2. Quelques espèces sont cultivées tantôt pour leurs racines et tantôt pour leurs feuilles ou leurs graines. Dans d'autres chapitres se trouvent des espèces cultivées pour leurs feuilles (fourrages) ou pour leurs graines, etc. J'ai classé en raison de l'usage le plus habituel. Au surplus, l'index alphabétique renvoie à la place adoptée pour chaque espèce.
3. Voir l'état jeune de la plante lorsque la partie de la tige au-dessous des cotylédons n'est pas encore renflée. Turpin en a donné une figure dans les Annales des sciences naturelles, série 1, vol. 21. pl. 5.
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contribué à éliminer ces formes analogues 1, regardait le R. sativus comme originaire d'Orient, peut-être de Chine. Linné supposait aussi une origine chinoise, du moins quant à une variété qu'on cultive en Chine pour extraire l'huile des graines 2. Plusieurs flores du midi de l'Europe mentionnent l'espèce comme subspontanée ou échappée des cultures, jamais comme spontanée. Ledebour avait vu un échantillon recueilli près du mont Ararat. Il en avait semé les graines et vérifié l'espèce 3. Cependant M. Boissier 4, en 1867, dans sa flore d'Orient, se borne à dire : « Subspontané dans les cultures de l'Anatolie, près de Mersiwan (d'après Wied), en Palestine (d'après lui-même), en Arménie (d'après Ledebour) et probablement ailleurs », ce qui ressemble aux assertions des flores européennes. M. Buhse 5 cite une localité, les monts Ssahend, au midi du Caucase, qui paraît devoir être assez en dehors des cultures. Les flores récentes de l'Inde anglaise 6 et l'ancienne flore de Cochinchine de Loureiro indiquent l'espèce seulement comme cultivée. M. Maximowicz l'a vue dans un jardin du nord-est de la Chine 7. Thunberg en parle comme d'une plante généralement cultivée au Japon et croissant aussi le long des chemins 8 ; mais ce dernier fait n'est pas répété par les auteurs modernes, probablement mieux informés 9 .
Hérodote (Hist., 1. 2, c. 123) parle d'un radis, qu'il nomme Surmaia, dont une inscription de la pyramide de Chéops mentionnait l'emploi par les ouvriers. Unger 10 a copié dans l'ouvrage de Lepsius deux figures du temple de Karnak, dont la première tout au moins paraît représenter le radis.
D'après cela, en résumé : 1" l'espèce se répand facilement hors des cultures dans la région de l'Asie occidentale et de l'Europe méridionale, ce qui n'est pas mentionné d'une manière certaine dans les flores de l'Asie orientale; 2° les localités au midi du Caucase, sans indication de culture, font présumer que la plante y est spontanée. Par ces deux motifs, elle semble originaire de l'Asie occidentale, entre la Palestine, l'Anatolie et le Caucase, peut-être aussi de la Grèce; la culture l'aurait répandue vers l'ouest et l'est, depuis des temps très anciens.
Les noms vulgaires appuient ces hypothèses. En Europe, ils offrent peu d'intérêt quand ils se rapportent à la qualité de ra-
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1. Dans A. de Candolle, Géogr. bot. raisonnée, p. 826.
2. Linné, Spec. plant., p. 935.
3. Ledebour, Fl. ross., I, p. 225.
4. Boissier, Fl orient.,1, p. 400.
5. Buhse, Aufzählung Transcaucasien, p. 30.
6. Hoober, Fl. brit. India, I, p. 166.
7. Maximowicz, Primitiæ floræ Amurensis, p. 47.
8. Thunberg, Fl. jap., p. 263.
9. Franchet et Savatier, Enum. plant. Jap. I, p. 39.
10. Unger, Pflanzen des alten Ægyptens, p. 51, flg. 24 et 29.
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cine (Radis) ou à quelque comparaison avec la rave (Ravanello en italien, Rabica en espagnol, etc.), mais les Grecs anciens avaient créé le nom spécial de Raphanos (qui lève facilement). Le mot italien Ramoraccio dérive du grec Armoracia, qui signifiait le R. sativus ou quelque espèce voisine. Les modernes l'ont transporté, par erreur, au Cochlearia Armoracia soit Cran, dont il est question plus loin. Les Sémites 1 ont des noms tout autres (Fugla en hébreu, Fuil, fidgel, figl, etc., en arabe). Dans l'Inde, d'après Roxburgh 2, le nom vulgaire d'une variété à racine énorme, aussi grosse quelquefois que la jambe d'un homme, est Moola ou Moolee (prononcez Moula, Mouli), en sanscrit Mooluka (prononcez Moulouka). Enfin, pour la Cochinchine, la Chine et le Japon, les auteurs citent des noms variés, très différents les uns des autres. D'après cette diversité, la culture serait très ancienne de la Grèce au Japon ; mais on ne peut rien en conclure relativement à la patrie originelle comme plante spontanée.
A cet égard, il existe une opinion complètement différente qu'il faut aussi examiner. Plusieurs botanistes 3 soupçonnent que le Raphanus sativus est simplement un état particulier, à grosse racine et à fruit non articulé, du Raphanus Raphanistrum, plante très commune dans les terrains cultivés de l'Europe et de l'Asie tempérées et qu'on trouve aussi à l'état spontané dans les sables et les terrains légers du bord de la mer, par exemple à Saint-Sébastien, en Dalmatie et à Trébizonde 4. Les localités ordinaires dans les champs abandonnés, et beaucoup de noms vulgaires qui signifient radis sauvage montrent l'affinité des deux plantes. Je n'insisterais pas si leur identité supposée n'était qu'une présomption, mais elle repose sur des expériences et des observations qu'il est important de connaître.
Dans le R. Raphanistrum la silique est articulée, c'est-à-dire étroite de place en place, et les graines sont contenues dans chaque article. Dans le R. sativus, la silique est continue et forme une seule cavité intérieure. Quelques botanistes avaient constitué sur cette différence des genres distincts, Raphanistrum et Raphanus. Mais trois observateurs très exacts, Webb, J. Gay et Spach, ont constaté, parmi des pieds de Raphanus sativus, venant des mêmes graines, des siliques tantôt uniloculaires et tantôt articulées, qui sont alors bi ou pluriloculaires 5. Webb ayant répété plus tard ces expériences est arrivé aux mêmes résultats, avec un détail de plus, assez important : le radis semé de
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1. D'après mon Dictionnaire manuscrit des noms vulgaires, tiré des flores qui existaient il y a trente ans.
2. Roxburgh, Fl., ind., III, p. 126.
3. Webb, Phytogr. Canar., p. 83; Iter hisp., p. 71 ; Bentham, Fl. Hongkong, p. 17; Hooker, Fl. brit. Ind., I, p. 166.
4. Willkomm et Lange, Prodr. fl. hisp., III, p. 748; Viviani Fl. dalmat., III, p. 104; Boissier, Fl. orient., I, p. 401.
5. Webb, Photographia canariensis, I, p.
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lui-même au hasard, et non cultivé, donnait des siliques de Raphanistrum 1. Une autre différence entre les deux plantes est celle des racines, charnues dans le R. sativus, grêles dans le R. Raphanistrum, mais cela change selon les cultures, d'après des expériences de M. Carrière, jardinier en chef des pépinières du Muséum d'histoire naturelle de Paris 2. Il a eu l'idée de semer dans un terrain fort et dans un terrain léger du Raphanistrum à racine grêle, et dès la quatrième génération il a récolté des radis charnus, de forme et de couleur variées, comme ceux des jardins. Il en donne même les figures, qui sont véritablement curieuses et probantes. Le goût piquant du radis ne faisait pas défaut. Pour obtenir ces changements, M. Carrière semait au mois de septembre, de manière à rendre la plante presque bisannuelle, au lieu d'annuelle. On comprend qu'il en résulte l'épaississement de la racine, car beaucoup de plantes bisannuelles ont des racines charnues.
II resterait à faire l'expérience inverse, de semer des radis cultivés dans un mauvais terrain. Probablement, les racines deviendraient de plus en plus maigres, comme les siliques deviennent, en pareil cas, de plus en plus articulées.
D'après l'ensemble des expériences dont nous venons de parler, le Raphanus sativus pourrait bien être une forme du R. Raphanistrum, forme peu stable, déterminée par l'existence de quelques générations dans un terrain fertile. On ne peut pas supposer que les anciens peuples non civilisés aient fait des essais comme ceux de M. Carrière, mais ils ont pu remarquer des Raphanistrum venus dans des terrains fortement fumés, ayant des racines plus ou moins charnues ; sur quoi l'idée de les cultiver a pu leur venir facilement.
Je ferai cependant une objection tirée de la géographie botanique. Le Raphanus Raphanistrum est une plante d'Europe, qui n'existe pas en Asie 3. Ce n'est donc pas de cette espèce que les habitants de l'Inde, du Japon et de la Chine ont pu tirer les radis qu'ils cultivent depuis des siècles. D'un autre côté, comment le R. Raphanistrum, qu'on suppose transformé en Europe, aurait-il été transmis dans ces temps anciens au travers de toute l'Asie ? Les transports de plantes cultivées ont marché communément d'Asie en Europe. Chang-kien avait bien apporté des légumes de Bactriane en Chine dans le iie siècle avant Jésus-Christ, mais on ne cite pas le radis comme étant du nombre.
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1. Webb, Iter hispaniense, 1838, p. 72.
2. Carrière, Origine des plantes domestiques démontrée par la culture du Radis sauvage. In-8, 24 pages. 1869.
3. Ledebour, Fl. ross. ; Boissier, Fl. orient. ; les ouvrages sur la flore de la région du fleuve Amur.