Philenoptera cyanescens (PROTA)
Introduction |
Importance générale | |
Répartition en Afrique | |
Répartition mondiale | |
Épice / condiment | |
Colorant / tanin | |
Médicinal | |
Ornemental | |
Philenoptera cyanescens (Schumach. & Thonn.) Roberty
- Protologue: Bull. Inst. Franç. Afr. Noire, Sér. A, 16(2) : 354 (1954).
- Famille: Papilionaceae (Leguminosae - Papilionoideae, Fabaceae)
- Nombre de chromosomes: 2n = 22
Synonymes
- Lonchocarpus cyanescens (Schumach. & Thonn.) Benth. (1860).
Noms vernaculaires
- Gara, liane-indigo (Fr).
- Gara, West African wild indigo, Yoruba indigo (En).
Origine et répartition géographique
Philenoptera cyanescens est répandu en Afrique occidentale, du Sénégal au Cameroun et à la Guinée équatoriale (Bioco). Il est aussi cultivé, notamment en Sierra Leone et au Ghana, parfois ailleurs dans les tropiques.
Usages
Toutes les parties aériennes de Philenoptera cyanescens donnent une teinture à l’indigo utilisée en Afrique de l’Ouest au moins depuis le XIe siècle. L’espèce sert toujours à teindre en bleu ou en bleu-noir le coton, l’étoffe d’écorce (autrefois), le raphia et autres fibres végétales, le cuir, les cheveux et les sculptures sur bois. Cette teinture est toujours pratiquée dans de nombreux pays. Elle est très courante chez les teinturiers baoulés du centre de la Côte d’Ivoire. Au sud-ouest du Nigeria, les femmes yoroubas utilisent la plante, localement appelée “elu”, comme source d’indigo dans la fabrication du tissu “adire”, technique décorative semblable au batik (méthode de teinture suivant laquelle on recouvre les parties du tissu que l’on ne souhaite pas teindre de cire détachable), ce qui a pour effet de créer des motifs bleu pâle sur un fond bleu foncé. Cette teinture joue également un rôle très important dans l’artisanat de la Sierra Leone où l’on fabrique l’étoffe “gara”. “Gara” est le mot madinka qui désigne la teinture indigo traditionnelle que l’on retrouve sur de nombreux types de textiles de la Sierra Leone. La source de cette teinture est la feuille “gara” de Philenoptera cyanescens. A l’heure actuelle, le terme “gara” désigne à la fois la méthode de teinture (à base de colorants synthétiques et naturels) et les produits teints. On pense qu’au milieu du XIXe siècle, ce sont des marchands susus et madinkas originaires de Guinée venus s’installer à Kabala dans la province au nord de la Sierra Leone qui encouragèrent les femmes autochtones temnes à mettre au point la teinture au gara. Traditionnellement, les étoffes tissées connues sous le nom de “tissu de pays” et teintes au gara étaient réservées aux chefs pour les tenues de cérémonie, les dots, les vêtements de sépulture, les amendes de la cour et les cadeaux aux visiteurs de marque. De nos jours, le gara est porté par un plus grand nombre de personnes pour des raisons esthétiques et culturelles. Il est utilisé pour les uniformes de tous les jours et de cérémonie dans certaines écoles et certains bureaux. Dans l’industrie hôtelière, le gara sert énormément pour les serviettes de table, les nappes, les dessus de lit, les rideaux ainsi que pour les toiles de fond dans les halls et les salons de conférences. Philenoptera cyanescens conserve un rôle de premier plan dans la teinture au gara.
Des feuilles mâchées avec de la potasse colorent les dents en noir. Au Sénégal, les feuilles constituent un condiment consommé avec le couscous. Philenoptera cyanescens est aussi employé en médecine traditionnelle. Feuilles et racines sont appliquées en cataplasme ou comme pansement dans le traitement des maladies de peau et des ulcères ; au Ghana, les racines passent pour être plus efficaces. En Sierra Leone et en Guinée Bissau, on estime que les feuilles et les racines pourraient soigner la lèpre. Les feuilles et l’écorce servent de laxatif. Au Bénin, le jus de feuilles est consommé pour lutter contre les troubles intestinaux et la dysenterie. Une décoction de ramilles feuillées et de racines est prescrite aux femmes pendant ou après l’accouchement et passe aussi pour aphrodisiaque. Au Nigeria, cette décoction sert à traiter l’arthrite, les maladies vénériennes et la diarrhée. Des racines broyées permettent de soigner le pian et des lavages à l’eau additionnée de poudre de racines aident à traiter les plaies.
Production et commerce international
Autrefois, il existait un commerce d’exportation de parties de plantes sèches de Philenoptera cyanescens vers l’Europe, par ex. à partir du Liberia. A l’heure actuelle, environ 3000 personnes en Sierra Leone sont occupées dans la production et le commerce de gara, qui a conquis le titre de symbole identitaire national. L’étoffe gara est non seulement utilisée localement mais elle est aussi exportée aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et vers de nombreux pays d’Afrique, quoique les statistiques de production ne soient pas disponibles.
Propriétés
Les feuilles contiennent 0,1–0,3% de précurseurs de l’indoxyle et peuvent fournir un indigo contenant jusqu’à 43% d’indigotine. Lors de la teinture, en plus de l’indigotine et de l’indirubine, une série de colorants flavonoïdes jaunes comme la quercétine, un hétéroside de quercétine, le kaempférol et la rhamnétine se fixent également sur la fibre, mais ils disparaissent petit à petit à l’usage, sous l’action du soleil et des lavages répétés. A cause de cette perte des composés secondaires, il est très difficile de déterminer quelle plante a été employée pour la teinture à l’indigo sur les textiles africains anciens : Indigofera ou Philenoptera. Au Ghana, les fruits passent pour produire une meilleure teinture que les feuilles. L’activité anti-inflammatoire de Philenoptera cyanescens a été confirmée par des essais sur les animaux et est attribuée à la présence de dérivés d’oléanane et à l’acide glycyrrhétinique. Un triterpène de la plante s’est révélé actif contre l’arthrite.
Falsifications et succédanés
Plusieurs espèces d'Indigofera produisent aussi de l’indigo et sont utilisées de manière identique.
Description
- Arbuste grimpant à feuilles caduques atteignant 4 m de haut (généralement jusqu’à 2,5 m s’il est cultivé) ou liane atteignant 20 m de long ; écorce grise à brun très pâle, tranche jaunâtre ; rameaux soyeux lorsque jeunes.
- Feuilles alternes, composées imparipennées à 3–5 paires de folioles opposées, bleuissant souvent au séchage ; stipules caduques ; pétiole de 5–15 cm de long, épaissi à la base ; stipelles filiformes, précocement caduques ; pétiolule de 4–6 mm de long ; folioles elliptiques à ovales, de 8–16 cm × 4–8 cm, base arrondie à cunéiforme, apex habituellement pointu, bord entier, à 6–12 paires de nervures latérales, les folioles de la base souvent plus petites que les autres et la foliole terminale plus grande.
- Inflorescence : panicule terminale ou axillaire atteignant 90 cm de long, avec de courts rameaux latéraux.
- Fleurs bisexuées, papilionacées ; pédicelle jusqu’à 2 mm de long ; calice de 3–4 mm de long, à tube urcéolé et dents courtes ; corolle atteignant 1 cm de long, blanche avec des taches bleues à violacées ou bleu foncé, glabre, odorante ; étamines 10, unies en un tube ; ovaire supère, courtement stipité, 1-loculaire, style courbe, stigmate minuscule.
- Fruit : gousse plate, plus ou moins oblongue, de 10–15 cm × 3–4 cm, pointue aux deux bouts, à nervation réticulée particulièrement proéminente sur les graines, persistant longuement sur la plante, bleuissant souvent au séchage, contenant 1–5 graines.
- Graines oblongues à réniformes, latéralement aplaties.
Autres données botaniques
Philenoptera appartient à la tribu Millettieae et comprend 12 espèces confinées à l’Afrique et à Madagascar. Auparavant, ces espèces étaient regroupées sous Lonchocarpus, un genre maintenant considéré comme limité à l’Amérique tropicale, sauf Lonchocarpus sericeus (Poir.) Humb., Bonpl. & Kunth, que l’on trouve à la fois en Amérique tropicale et en Afrique. Lonchocarpus diffère par ses inflorescences présentant des fleurs groupées en paires ou en fascicules (solitaires chez Philenoptera), sa corolle poilue et son calice souvent tronqué.
Croissance et développement
La floraison se fait au début de la saison des pluies, plus ou moins en même temps que l'apparition de nouvelles feuilles.
Ecologie
Philenoptera cyanescens pousse dans les forêts et les fourrés sempervirents littoraux, ripicoles et galleries, ainsi que dans les savanes arborées et arbustives, du niveau de la mer jusqu’à 400 m d’altitude.
Récolte
Les jeunes et tendres ramilles feuillées sont récoltées au fur et à mesure des besoins. On estime que la meilleure époque pour la récolte est juste avant la floraison.
Traitement après récolte
Les feuilles et les jeunes pousses sont broyées, réduites en une pâte et façonnées en boules d’environ 10–12 cm de diamètre, appelées “arô” en yorouba. Puis ces boules sont séchées au soleil et vendues sur les marchés. Parfois, seuls les rameaux et les feuilles séchés et émiettés sont vendus, et non la pâte façonnée en boules. Le bain de teinture est préparé en trempant des boules écrasées dans l’eau chaude, le nombre de boules variant en fonction de l’intensité de bleu désirée. Les femmes yoroubas du sud-ouest du Nigeria en mettent de 50 pour un beau bleu vif, à 150 lorsqu’elles cherchent à obtenir un bleu-noir. L’alcalinité nécessaire est obtenue par l’addition d'une lessive de cendre de bois. On laisse fermenter la solution 6–8 jours après quoi le bain est généralement prêt pour y tremper le tissu. Les Wolofs du Sénégal, qui emploient un procédé identique, stimulent la fermentation par l’ajout de poudre d’écorce de racine de Morinda geminata DC. (“vanda”) qui a pour effet d’assombrir le bleu obtenu et de lui donner un reflet rougeâtre. C’est le nombre de passages du tissu en cuve qui détermine la riche palette de bleus obtenue. Dans l’art yorouba de l’ “adire eleko”, le tissu est imprimé en appliquant une réserve d’amidon soit à main levée à l’aide d’un peigne soit à l’aide d’un pochoir en métal. La pâte d’amidon employée est à base de farine de manioc locale gluante qui est toujours à portée de la main puisqu’il s’agit d’un ingrédient culinaire courant. Ensuite, on plie soigneusement le tissu et on le plonge dans la cuve à l’indigo. On l’y laisse tremper sans y toucher environ 3 minutes. Puis on le sort, on le met à égoutter et on l’aère pour favoriser la formation de la couleur indigo. On le replie en général et on le replonge à plusieurs reprises dans la cuve pour obtenir des motifs bleu pâle sur fond bleu foncé. Les motifs spéciaux sont réservés aux tenues de cérémonie des personnages officiels. En Sierra Leone, deux récipients de 200 l servent à préparer une cuve à l’indigo, ce qu’on appelle localement “monter la cuve”. On met des feuilles de gara dans la première cuve et on remplit la seconde d’écorce de racines de Morinda geminata DC. et d’écorce de tiges de Jatropha curcas L. et de Mangifera indica L. La quantité d’écorce de racines de Morinda doit être le double de celle des autres écorces. La seconde cuve est ensuite emplie d’eau, on y ajoute de la lessive de cendres ou bien de la soude caustique, et on fait bouillir le tout pendant 6 heures. On obtient un liquide marron foncé et chaud que l’on verse sur les feuilles de gara dans la première cuve et qu’on laisse macérer pendant 3 jours. Le bain de teinture obtenu est vert foncé et prêt à l’emploi. De nos jours, la plupart des teinturiers ajoutent de l’indigo synthétique à ce stade et attendent encore jusqu’à dissolution et réduction dans la “cuve” de fermentation de gara. La teinture proprement dite est un procédé à étapes multiples, dont le nombre dépend des techniques employées pour la création du dessin. Si le dessin est ciré sur le tissu (selon la technique du batik), on utilise un bain de teinture froid. On plonge d’abord le tissu dans l’eau avant de l’immerger dans le bain de teinture, ceci afin d’obtenir une couleur unie. On l’y laisse ensuite macérer (de 30 minutes à 2 jours) jusqu’à obtenir l’intensité de couleur désirée. Puis on sort le tissu du bain de teinture, on le suspend ou on le met à sécher afin de compléter l’oxydation, l’imprégnation et la fixation de la teinture. Après séchage, le tissu est lavé plusieurs fois à l’eau froide jusqu’à ce que l’eau de rinçage soit bien claire. Après quoi, il est amidonné à l’aide d’empois de manioc cuit et mis à sécher au soleil. Une fois sec, le tissu est plié et battu selon une méthode appelée le calandrage (“tapraka”) destinée à lisser tous les plis et à lui donner un bel aspect lisse et lustré qui durera.
Ressources génétiques
Philenoptera cyanescens est répandu et n’est pas menacé d’érosion génétique. Cependant, dans les régions où il est très utilisé sans être cultivé, il pourrait se raréfier.
Sélection
On peut obtenir relativement facilement des cultivars à plus fort rendement par sélection massale grâce à la grande variabilité disponible, mais il ne semble exister aucun programme de sélection.
Perspectives
En tant que source non seulement de l’importante teinture au gara dans l’artisanat de la Sierra Leone mais aussi de l’indigo dans l’art yorouba de l’ “adire” au Nigeria, Philenoptera cyanescens va selon toute vraisemblance gagner du terrain si l’on tient compte du succès croissant des produits teints. Encore faut-il effectuer des recherches en vue d’améliorer les méthodes de culture et sélectionner des cultivars plus productifs.
Références principales
- Balfour-Paul, J., 1998. Indigo. British Museum Press, London, United Kingdom. 264 pp.
- Barbour, J. & Simmonds, D., 1971. Adire cloth in Nigeria. Institute of African Studies, University of Ibadan, Nigeria. 104 pp.
- Burkill, H.M., 1995. The useful plants of West Tropical Africa. 2nd Edition. Volume 3, Families J–L. Royal Botanic Gardens, Kew, Richmond, United Kingdom. 857 pp.
- Cardon, D., 2003. Le monde des teintures naturelles. Belin, Paris, France. 586 pp.
- Polakoff, C., 1980. Into indigo - African textiles and dyeing techniques. Anchor Books, Garden City, New York, United States. 243 pp.
- Schrire, B.D., 2000. A synopsis of the genus Philenoptera (Leguminosae - Millettieae) from Africa and Madagascar. Kew Bulletin 55: 81–94.
- Spencer, S., 1996. Developing an understanding of science from the Sierra Leonean traditional gara dyeing process. [Internet] Paper presented at the Gender and Science and Technology Association Conference, GASAT 8, January 1996, Ahmedabad, India. http://www.wigsat.org/gasat/papers1/19.txt. November 2004.
Autres références
- Berhaut, J., 1976. Flore illustrée du Sénégal. Dicotylédones. Volume 5. Légumineuses Papilionacées. Gouvernement du Sénégal, Ministère du Développement Rural et de l’Hydraulique, Direction des Eaux et Forêts, Dakar, Senegal. 658 pp.
- Hepper, F.N., 1958. Papilionaceae. In: Keay, R.W.J. (Editor). Flora of West Tropical Africa. Volume 1, part 2. 2nd Edition. Crown Agents for Oversea Governments and Administrations, London, United Kingdom. pp. 505–587.
- Irvine, F.R., 1961. Woody plants of Ghana, with special reference to their uses. Oxford University Press, London, United Kingdom. 868 pp.
- Jukema, J., Wulijarni-Soetjipto, N., Lemmens, R.H.M.J. & Hildebrand, J.W., 1991. Minor dye and tannin-producing plants. In: Lemmens, R.H.M.J. & Wulijarni-Soetjipto, N. (Editors). Plant Resources of South-East Asia No 3. Dye and tannin producing plants. Pudoc, Wageningen, Netherlands. pp. 132–142.
- Miège, J., 1992. Couleurs, teintures et plantes tinctoriales en Afrique occidentale. Bulletin du Centre Genevois d’Anthropologie 3: 115–131.
Sources de l'illustration
- Hepper, F.N., 1958. Papilionaceae. In: Keay, R.W.J. (Editor). Flora of West Tropical Africa. Volume 1, part 2. 2nd Edition. Crown Agents for Oversea Governments and Administrations, London, United Kingdom. pp. 505–587.
Auteur(s)
- D. Cardon, CNRS, CIHAM-UMR 5648, 18, quai Claude-Bernard, 69365 Lyon, Cedex 07, France
- P.C.M. Jansen, PROTA Network Office Europe, Wageningen University, P.O. Box 341, 6700 AH Wageningen, Netherlands
Citation correcte de cet article
Cardon, D. & Jansen, P.C.M., 2005. Philenoptera cyanescens (Schumach. & Thonn.) Roberty. In: Jansen, P.C.M. & Cardon, D. (Editors). PROTA (Plant Resources of Tropical Africa / Ressources végétales de l’Afrique tropicale), Wageningen, Netherlands.
Consulté le 31 mars 2025.