Persicaire (Cazin 1868)
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Poivre d'eau
Nom accepté : Persicaria hydropiper
Persicaria urens seu hydropiper. C. Bauh., Tourn. — Persicaria acris sive hydropiper. J. Bauh. — Persicaria vulgaris sive minor. Park. — Hydropiper. Ger. — Persicaria urens. Offic.
Poivre d'eau, — polygone poivre d'eau, — renouée âcre ou brûlante, — curage, — piment d'eau, - herbe saint Innocent.
POLYGONACÉES. Fam. nat. — OCTANDRIE TRIGYNIE. L.
La persicaire, plante annuelle (Pl. XXX), ainsi nommée à cause de la ressemblance de ses feuilles avec celles du pêcher, est très-commune. On la rencontre dans les lieux humides, les fossés, les marais, les terrains tourbeux.
Description. — Racines fibreuses. — Tige glabre, cylindrique, noueuse, souvent rougeâtre, un peu rameuse, droite, un peu flexueuse. — Feuilles simples, glabres, alternes, lancéolées, aiguës, médiocrement pétiolées, accompagnées de stipules courtes, tronquées, très-rarement ciliées. — Fleurs disposées en épis lâches, grêles, axillaires, simples ou à peine rameux, garnis de petites bractées écailleuses (juillet-octobre). - Calice blanchâtre ou rosé, point de corolle. — Six étamines incluses. - Un ovaire simple, libre, uniovulé, surmonté de deux ou trois styles, dont chacun est terminé par un stigmate capité. — Fruit consistant en plusieurs akènes triangulaires, un peu comprimés, renfermés dans le calice.
Parties usitées. — L'herbe entière.
[Culture. — La plante sauvage suffit aux besoins de la médecine. La persicaire du Levant est cultivée comme plante d'ornement ; toutes se reproduisent par graines.]
Récolte. - On peut la récolter pendant tout l'été, même pendant la fructification, car la semence, par son âcreté, ajoute à l'action de la plante. Elle perd une grande partie de ses propriétés par la dessiccation. Il vaut donc mieux l'employer fraîche.
Propriétés physiques et chimiques. — La persicaire âcre est inodore ;
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sa saveur est âcre, poivrée et même brûlante. Son suc rougit les couleurs bleues végétales, ce qui révèle un principe acide. Son infusion aqueuse, qui n'a pas l'âcreté de la plante verte, noircit par le sulfate le fer. Elle teint les laines en jaune. (Elle contient une huile essentielle sulfurée.)
A L'INTÉRIEUR. — En infusion, de 5 à 15 gr., par kilogramme d'eau. |
Extrait, de 60 centigr. à 2 gr., dans un véhicule approprié. |
La persicaire âcre est excitante et diurétique. On l'a conseillée dans les hydropisies, dans les engorgements viscéraux. Appliquée fraîche sur la peau, elle est, dit-on, rubéfiante et vésicante. On l'emploie à l'extérieur comme détersive.
La persicaire exerce sur l'économie une action stimulante manifeste. Son effet diurétique, tant vanté jadis, en l'administrant étendue dans une grande quantité d'eau, ne peut avoir lieu qu'autant que les reins sont dans un état d'atonie ; la surexcitation de ces organes, non-seulement s'opposerait à cet effet, mais encore rendrait très-nuisible l'action de cette plante. La vertu lithontriptique qu'on lui a attribuée est illusoire. Elle a été toutefois utile, comme diurétique, dans la gravelle et le catarrhe vésical exempts d'irritation ou d'inflammation, dans l'anasarque asthénique et l'œdème sans lésion du centre circulatoire ni irritation des voies digestives, dans les engorgements non inflammatoires du foie et de la rate. Ettmuller la regarde comme vermifuge, et, d'après Peyrilhe, donnée en poudre aux moutons, à la dose d'un gros dans du miel, elle détruit une espèce de ver auquel ces animaux sont exposés. La confiance des jeunes filles atteintes de chlorose ou d'aménorrhée a été quelquefois, suivant Tournefort, jusqu'à croire qu'il suffisait de porter cette plante dans leurs chaussures pour guérir[1]. Eberle recommande l'emploi de la teinture de poivre d'eau (polygonum hydropiperoides ou punctatum), dans l'aménorrhée. Il est probable que l'espèce que nous possédons en Europe (hydropiper) jouit des mêmes vertus.
L'usage interne de la persicaire, entièrement oublié de nos jours, mérite l'attention des thérapeutistes. Des faits soigneusement observés mettraient à même d'apprécier les avantages que son énergie indique, et lui rendraient le rang qu'elle paraît avoir occupé dans la matière médicale indigène, à une époque où la science n'était pas assez avancée pour préciser les circonstances pathologiques qui en réclament l'application.
A l'extérieur, on peut, suivant Boerhaave, employer la persicaire comme rubéfiante, à l'état frais, lorsqu'on manque de moutarde.
Comme elle irrite les tissus dénudés, elle convient comme détersive sur les ulcères atoniques et scrofuleux. Je l'ai employée avec avantage, en pareil cas, en l'associant en décoction aqueuse ou vineuse aux feuilles de noyer. Elle convient, en décoction concentrée, pour favoriser la séparation des eschares dans la gangrène. Hévin faisait lotionner avec une décoction de persicaire brûlante, aiguisée de sel commun, les ulcères sordides, dont les chairs étaient peu sensibles ou même en partie corrompues, afin, disait-il, de détruire et séparer ces chairs mollasses d'avec les chairs saines. La décoction aqueuse ou vineuse de cette plante a été, suivant Murray, employée en gargarisme contre l'odontalgie, les aphthes, l'angine, les ulcérations du pharynx et des fosses nasales. On a vanté aussi l'application de ses feuilles cuites dans l'eau, sur les engorgements œdémateux et séreux, pour en favoriser la résolution.
Buchwald recommande cette plante contre la gale. Linné dit qu'on em-
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- ↑ American Journ. of med. sc., july 1846.
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ploie, en Norwége, ses feuilles cuites dans l'eau et appliquées à l'extérieur contre l'odontalgie.
J'ai souvent mis en usage la persicaire à l'extérieur, comme résolutive et détersive, dans les engorgements glanduleux et lymphatiques. Je l'ai appliquée avec succès sur un ulcère, à bords durs et calleux, situé à la partie inférieure de la jambe droite, chez un vieillard de soixante-neuf ans. Je couvrais cet ulcère avec les feuilles cuites dans l'eau. L'action en fut prompte et très-satisfaisante ; au bout de huit jours, la détersion était complète. Dans un cas d'ulcère scrofuleux, dont la surface était recouverte d'une couche membraniforme épaisse, fétide, située à la partie inférieure et interne de la cuisse, chez une jeune fille de quatorze ans, j'ai employé avec succès, pour la détersion de cet ulcère, parties égales de feuilles de noyer et de persicaire. Un cultivateur du village de Doudeauville avait toute l'extrémité supérieure gauche gonflée, indolente et tendue, sans inflammation, à la suite d'un érysipèle dont elle avait été le siège deux mois auparavant. Le volume de cette extrémité, surtout à l'avant-bras, était doublé. Je fis appliquer sur toute l'étendue du membre une décoction concentrée de feuilles fraîches de persicaire. L'effet de cette application réussit merveilleusement ; dès le lendemain, la résolution commençait à s'opérer, et au bout de huit à dix jours elle était complète.
La persicaire, je le répète, n'est point à négliger. Les vétérinaires de campagne en font un grand usage à l'extérieur pour déterger les ulcères qui surviennent à la couronne du sabot, et dans les gonflements lymphatiques des articulations, après l'application du feu.
Le suc de cette plante pur, ou plus ou moins étendu dans l'eau ou la décoction de feuilles de noyer, convient mieux, à l'extérieur, lorsqu'il s'agit de combattre la gangrène et de stimuler avec énergie des ulcères sordides, des chairs blafardes et fongueuses.
Persicaire
Nom accepté : Persicaria maculosa
PERSICAIRE DOUCE. — POLYGONE PERSICAIRE. — VRAIE PERSICAIRE. — PERSICAIRE TACHETÉE. — FER-A-CHEVAL. — PILINGRE. — Polygonum persicaria. L. — Persicaria mitis maculosa et non maculosa. C. Bauh., Tourn. — Croît aux mêmes lieux que la précédente et lui ressemble beaucoup.
[Description. — Diffère de la persicaire âcre par ses fleurs roses, assez grosses, en épis oblongs, cylindriques, compactes et dressés (août) ; par l'absence de points glanduleux sur le calice, et par sa saveur douce.
La persicaire douoe a été considérée comme astringente, détersive et antiseptique. On l'a vantée contre la diarrhée, les hémorrhagies, les flueurs blanches passives, le scorbut, la jaunisse, la goutte vague, le rhumatisme chronique, etc. Tournefort la prescrit en décoction contre la gangrène. Sa décoction dans le gros vin rouge (deux poignées pour 1 kilogr.) est recommandée dans le Manuel des dames de Charité[1] comme un des meilleurs moyens d'arrêter la gangrène. On applique toutes les trois heures des compresses imbibées de cette décoction chaude, que l'on humecte de temps en temps dans l'intervalle de chaque pansement. Ravelet[2] rapporte huit observations de gangrène traitée avec succès au moyen de la persicaire douce.
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Persicaire amphibie
Nom accepté : Persicaria amphibia
PERSICAIRE AMPHIBIE. — Persicaire acide. — Persicaria amphibium, L. - Potamogeton salicis folio. C. Bauh. — Potamogeton seu fontalis persicariæ Foliis. J. Bauh. — Potamogeton angustifolium. Ger. — Fontalis major longifolia. Park. — Cette plante vivace croît abondamment dans les marais et les lieux couverts d'eau. Lorsque les chaleurs de l'été dessèchent les étangs,
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les ruisseaux, etc., et que cette plante est exposée à l'air après avoir flotté dans l'eau, elle subit des changements physiques qui la rendent méconnaissable et lui ont fait donner, dans ce nouvel état, le nom de persicaire amphibie terrestre.
Description. — Racine traçante. — Tiges rameuses, radicantes, nageantes ou terrestres. — Feuilles pétiolées, ovales-oblongues. — Fleurs roses, en épis compactes, oblongs, cylindriques et terminaux (juin-septembre). — Etamines saillantes. — Style bifide.
Parties usitées. — La racine.
Récolte. — Cette racine doit être récoltée à la fin de l'été ou au commencement de l'automne. Après l'avoir mondée, on la fait sécher, et on la fend comme la salsepareille, à laquelle elle ressemble à tel point que dans plusieurs provinces, au rapport de Coste et Wilmet, les herboristes et les épiciers la vendent pour cette dernière.
[Culture. — Cette plante se propage par semis des fruits. Elle n'est cultivée que dans les jardins botaniques.]
La persicaire amphibie a été l'objet d'une dissertation particulière de Jean-Henri Schulze[1]. Burtin[2] dit que la racine de cette plante est le meilleur succédané de la salsepareille. Coste et Wilmet l'ont aussi substituée à cette dernière comme celle de houblon ; ils en ont préparé un extrait aqueux, un extrait résineux, et un extrait gommo-résineux. La persicaire amphibie, comme plus mucilagineuse que le houblon, a fourni un huitième de plus d'extrait gommeux ou aqueux, un sixième de moins d'extrait résineux, et l'autre, à proportion. Ces extraits, suivant les auteurs que nous venons de citer, ont eu un succès étonnant contre les écoulements gonorrhoïques, à la dose de 78 centigr. matin et soir, en avalant par-dessus une tasse de forte décoction des mêmes racines, édulcorée avec un peu de sucre. Il faut continuer ce remède de la sorte pendant quelque temps, suivant les circonstances, le tempérament du malade et l'intensité de la maladie. On administre ces extraits en pilules de la manière suivante : extrait aqueux ou gommo-résineux de persicaire amphibie, 16 gr. ; parties égales de poudre de racine de persicaire et de gomme de gayac, quantité suffisante ; divisez en pilules de 25. à 30 centigr.
J'ai employé la racine de persicaire amphibie en décoction concentrée, contre une large syphilide située à la partie supérieure interne des cuisses, chez un ouvrier âgé de trente ans, qui, un an auparavant, avait subi un traitement mercuriel mal dirigé. Cette dartre était survenue trois mois après la guérison d'un chancre au prépuce, que l'on avait touché fréquemment avec le nitrate d'argent fondu. La décoction de racine de persicaire amphibie (100 gr. pour 1,300 gr. d'eau réduits à 1 kilogr.), prise à la dose de 4 verres, d'heure en heure chaque matin, et continuée pendant un mois, a suffi pour faire disparaître peu à peu cette dermatose évidemment vénérienne. Depuis vingt ans que le malade est guéri, il n'y a eu aucune apparence de récidive.
Ce seul fait ne suffit pas pour constater les propriétés de la racine de persicaire amphibie ; mais il est de nature à engager les praticiens à essayer l'emploi de cette racine dans les cas où la salsepareille est indiquée. Cette dernière est trop chère pour la médecine des pauvres.
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