Parisette (Cazin 1868)
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Nom accepté : Paris quadrifolia
Solanum quadrifolium bacciferum. C. Bauh. — Herba Paris. Matth. - Aconitum salutiferum. Tab.
Parisette à quatre feuilles, — herbe à Paris, — morelle à quatre feuilles, — étrangle-loup, — raisin de renard, — pariette.
LILIACÉES. — ASPARAGÉES. Fam. nat. — OCTANDRIE TÉTRAGYNIE. L.
La parisette (Pl. XXIX), plante vivace, croît dans toutes les forêts de l'Europe, aux lieux couverts et montueux. Son nom lui vient, dit-on, de par, paris, égal, à cause de la disposition régulière de ses feuilles, ou, avec plus de raison peut-être, de l'emploi qu'en aurait fait pour la première fois
Paris, fils de Priam, pendant le siège de Troie. On la rencontre à Montmorency, à Bondy, à Meudon. Je l'ai trouvée dans les bois montueux de la Picardie, et notamment dans les forêts de Boulogne et de Desvres (Pas-de-Calais). Elle n'est pas abondante.
Description. — Racine : souche menue, rampant obliquement. — Tige unique, droite, haute d'environ 15 centimètres, terminée par quatre feuilles en croix, sessiles, d'un vert foncé en dessus, luisantes en dessous. — Fleur solitaire, assez grande, verdâtre, portée sur un pédoncule terminal (mai-juin). — Périanthe à huit divisions, quatre extérieurement plus larges et quatre intérieures plus étroites, alternant avec les premières. — Huit étamines à anthères allongées et attachées vers le milieu du filet. - Ovaire supère à quatre carpelles. — Quatre styles et quatre stigmates. — Fruit : baie de la grosseur d'un gros pois, molle, d'un pourpre foncé, à quatre loges contenant six à huit petites graines noires.
Parties usitées. — La racine, l'herbe et les fruits.
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Récolte. — On récolte la racine avant la floraison, et les fruits à la fin de l'été. On peut la cultiver dans les jardins, soit en séparant ses pieds, soit en la semant au printemps en terre légère et bien meuble. Elle est difficile à élever.
[Culture. — La plante sauvage suffit aux besoins de la médecine ; on ne la cultive que dans les jardins botaniques ; elle préfère une exposition ombragée, une terre fraîche, légère et substantielle ; on la propage de graines semées au printemps ; elle est difficile à élever.]
Propriétés physiques et chimiques. — La parisette a une odeur vireuse, narcotique, une saveur faible. (On a isolé le principe actif, nommé parine ou paridine, il peut être représenté par C12 H10 O6 ; c'est une masse cristalline blanche, brillante, sans goût, épaississant la salive, soluble dans 100 parties d'eau et dans 50 d'alcool ; insoluble dans l'éther.)
Les teinturiers se servent des feuilles bouillies avec l'alun, pour quelques teintures.
La parisette est une plante vénéneuse qui n'a point été suffisamment étudiée, et dont l'emploi demande une certaine circonspection. La baie est la partie la plus délétère de la plante. En Angleterre, la parisette se nomme true-love (amour vrai), parce qu'on en faisait des philtres amoureux, comme avec toutes les plantes qui endorment ou qui provoquent des idées erotiques. Le nom d'étrangle-loup qu'elle porte en France indique son énergie. Les baies empoisonnent les gallinacés et les chiens. Gilibert a éprouvé des anxiétés après avoir avalé deux baies mûres. J'ai répété cette expérience d'abord avec deux baies, ensuite avec trois. La première dose m'a produit un léger sentiment de constriction à l'épigastre, suivi de pesanteur de tête et de propension au sommeil ; cet effet n'a duré qu'une demi-heure. La seconde dose, prise deux jours après, m'a fait éprouver les mêmes symptômes, mais plus prononcés et avec nausées, inquiétudes vagues, rougeur à la face, besoin de repos, et enfin effort de vomissement sans effet. Cet état n'a cessé complétement qu'au bout de deux heures, et n'a eu aucune autre suite qu'une irritation gastrique légère qui a duré deux jours.
Comment concilier ce que Vicat a observé avec ce que Gilibert et moi avons éprouvé par l'ingestion des baies de parisette ? Cet auteur parle de deux fous qui, dans l'espace de vingt jours, furent guéris par l'usage d'un gros (4 gr.) de graines de cette plante par jour. Ne peut-on pas attribuer, comme pour l'opium, l'innocuité d'une dose aussi élevée à l'exaltation du système nerveux de ces deux maniaques ?
Leblanc, pharmacien à Boulogne-sur-Mer, a préparé sur mes indications une teinture alcoolique et un extrait de baies de parisette. A l'aide de ces agents, j'ai entrepris une série d'expériences ayant pour but de connaître d'une façon précise la véritable action de cette plante. Je me suis servi de la méthode des injections sous-cutanées comme offrant le plus de garanties d'exactitude.
De ces expériences sur les animaux et de mes essais sur l'homme, dont la relation sera publiée plus tard, quand la question aura été étudiée sous toutes ses faces, je puis dès à présent conclure :
1° La parisette m'a paru agir non comme un poison narcotique, mais comme un poison cardiaque.
2° L'effet primitif est une légère accélération des mouvements du cœur ; l'effet secondaire est une diminution dans le nombre et la force, sans changement dans le rhythme, des pulsations, qui, par suite de la paralysie de l'organe central de la circulation, finissent par ne plus être perçues.
3° Outre ces phénomènes, nous avons observé sur nous-même et sur des malades, par l'administration à l'intérieur de l'extrait de parisette, une tendance au sommeil, des vertiges, des tintements d'oreille, un grand sentiment d'angoisse précordiale, de la céphalalgie, des nausées et un sentiment de faiblesse marqué accompagné d'engourdissement général, quelques troubles passagers de la vue.
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4° De nouvelles recherches nous paraissent donc nécessaires pour établir d'une façon plus nette l'action réelle de cette plante intéressante à plus d'un titre, et pour s'assurer si elle ne contient pas deux principes qu'on pourrait isoler, dont l'un serait poison cardiaque et l'autre agirait à la manière des narcotico-âcres.)
Il paraît que les feuilles sont moins dangereuses ; car Bergius a donné 1 scrupule (1 gr. 20 centigr.) de ces feuilles sèches, chaque soir, à un enfant de dix à douze ans, atteint de toux convulsive, qui n'eut que quelques évacuations alvines suivies d'un sommeil paisible.
La parisette a été considérée comme émétique, purgative, sédative, narcotique. On l'a conseillée dans les convulsions, les affections spasmodiques en général, la coqueluche, la manie, l'épilepsie, etc.
Boerhaave a recommandé la parisette contre la manie, où elle peut agir à la manière de nos solanées, dont l'efficacité en pareil cas a été plus d'une fois constatée. Vicat, comme nous venons de le voir, a aussi eu à se louer de ce médicament dans la folie. Ettmuller et Hoffmann prescrivaient cette plante avec avantage dans l'épilepsie, à la dose de 1 gr. 30 centigr., délayée dans l'eau de tilleul ou dans toute autre infusion céphalique. Bergius a obtenu de bons résultats de la poudre des feuilles dans la toux convulsive et les convulsions chez les enfants. Ce remède tient le ventre libre, calme la toux et procure du sommeil.
Cette plante a été employée contre l'empoisonnement par la noix vomique. Gesner[1] a guéri un chien qu'il avait empoisonné avec 0.60 de noix vomique, en lui donnant le double de parisette. Lobel et Pena prétendent que les baies sont le contre-poison de l'arsenic et du sublimé corrosif ! À Kalouga, en Russie, on prescrit les feuilles recueillies avant la maturité du fruit, contre la rage. Il faut tout rapporter quand il s'agit de thérapeutique. Ce qui paraît absurde recèle quelquefois des vérités utiles.
Linné, et, après lui, Coste et Willemet, indiquent la racine de parisette comme vomitif à double dose de l'ipécacuanha, c'est-à-dire de 2 gr. à 2 gr. 50 centigr. Gilibert l'indique à la dose de 24 à 30 grains (1 gr. 20 centigr., 1 gr. 50 centigr.). Vogel assure que la racine de parisette, à double dose, équivaut à l'ipécacuanha. Walkiers donna la racine de cette plante à la dose d'un gros (4 gr.) : 1° à une fille de trente-cinq ans atteinte de fièvre intermittente quotidienne, laquelle vomit quatre fois et fut débarrassée de la fièvre ; 2° à un homme de quarante-cinq ans, atteint de fièvre tierce au dixième jour de la maladie, qui eut trois vomissements abondants et qui fut également guéri de la fièvre ; 3° à une jeune fille de dix-neuf ans atteinte de fièvre quotidienne, qui ne vomit point, mais qui eut cinq selles [2]. Nous constatons ici l'effet vomitif et non une propriété fébrifuge de la parisette : tout autre émétique, ainsi que cela se voit assez fréquemment, aurait pu couper la fièvre.
On doit conclure de tous ces faits que la parisette produit sur nos organes des effets divers selon la partie de la plante qu'on emploie, et, surtout, selon les doses auxquelles elle est administrée. Narcotique et antispasmodique à dose altérante, elle devient vomitive et purgative à dose plus élevée. Dans le premier cas, elle reste en contact avec les organes digestifs, et transmet au système nerveux, par absorption ou autrement, son action délétère ; dans le second, elle concentre toute cette action sur l'estomac et les intestins, en y déterminant des contractions musculaires.
Je me propose de me livrer à des essais thérapeutiques, afin de déterminer d'une manière précise les cas où la parisette peut être employée avec succès à dose altérante. La propriété présumée de cette plante contre l'em-
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poisonnement par la noix vomique a besoin aussi d'être constatée par de nouvelles expériences. La parisette est une plante énergique que les thérapeutistes ne devraient pas laisser dans l'oubli.