Nécrologie d'Eugène Rolland par Paul Sébillot

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  • Sébillot, Paul, 1909. Nécrologie. Eugène Rolland. Revue des Traditions populaires, 24 (7) : 250-252. Gallica


NÉCROLOGIE
EUGÈNE ROLLAND


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Eugène Rolland était né à Metz, en 1846 ; il est mort à Paris, le 24 juillet [1909], et c'est une date que le folk-lore français doit inscrire, car elle marque la disparition, alors qu'on pouvait encore espérer des années de laborieuse activité, de l'un de ceux qui ont le mieux mérité des Traditions populaires.

Il laisse une oeuvre considérable et dont quelques parties sont de premier ordre. Il débuta en 1877 par un recueil de Devinettes


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ou Énigmes populaires de la France, dont la préface fut écrite par Gaston Paris, qui avait, au reste, contribué, par ses conseils et par ses communications, à cet intéressant volume. La même année, il fonda, avec M. Henri Gaidoz, Mélusine, dont le premier numéro parut le 25 janvier 1877 ; elle disparut au bout d'un peu plus d'un an, ayant à peine recruté en France vingt abonnés. Je crois que, si cette revue avait persisté, elle en aurait eu davantage, car, faute de publicité, elle ne fut pas connue de beaucoup de ceux qui s'occupaient de traditions populaires ; s'il m'est permis de me citer, je ne sus son existence que lorsqu'après son décès, on me chargea de rendre compte, dans le Bien Public, des fascicules réunis en volume, et pourtant il y avait des années que je m'intéressais assez aux contes pour en avoir recueilli une quarantaine. Quoi qu'il en soit, elle exerça une influence réelle sur le développement de ces études en France et aussi sur la méthode qu'il convenait d'apporter à la récolte des matériaux d'après nature.

C'est en 1877 que Rolland commença la publication de sa Faune populaire (6 volumes in-8°, 1877-1883), qui intéresse à la fois la linguistique et le folk-lore. De 1884 à 1890, il donna l'important Recueil des Chansons populaires de la France (6 volumes in-8). En 1883, il fit paraître les Rimes et Jeux de l'Enfance, l'un des meilleurs livres de la Collection des littératures populaires de toutes les nations de la librairie Maisonneuve. En 1884, il reprenait, avec son ancien collaborateur, M. Henri Gaidoz, la publication de la nouvelle série de Mélusine, dont il se retira à la fin de 1887. En annonçant cette retraite, en tête du tome IV de cette revue, M. Gaidoz appréciait en termes excellents la portée de l'œuvre de son ancien collaborateur. Depuis cette époque, Eugène Rolland a ajouté à son bagage scientifique, déjà si considérable, la Flore populaire de la France, conçue sur le même plan que la Faune, et dont le premier volume (1896) a été suivi de six autres ; il avait commencé le supplément à la Faune populaire, dont deux volumes ont paru.

En 1882, il avait fondé, de concert avec Loys Brueyre et moi, le Dîner de ma Mère l'Oye, qui avait pour but de créer un lien entre les traditionnistes français. Lorsqu'au bout d'un an, on le suspendit, Rolland tenta de réunir périodiquement, un jour par semaine, les folk-loristes présents à Paris. Il ne parut que rarement au Dîner de ma Mère l'Oye, quand, en 1884, il cessa d'être


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en sommeil. Il était l'un des lecteurs les plus assidus de la Bibliothèque nationale. L'an dernier, lorsque, pendant, plusieurs mois, nous y étions assis l'un à côté de l'autre, il me disait qu'il la fréquentait depuis quarante ans ; il la connaissait mieux que personne. C'est là que je l'ai vu pour la dernière fois et je garde le souvenir de nos échanges d'idées et des utiles indications bibliographiques qu'il eut l'obligeance de me fournir avec beaucoup de bonne grâce.

Ainsi qu'on le voit, l'œuvre d'Eugène Rolland est des plus considérables ; ce fut un grand travailleur et nul n'a poussé plus loin la conscience scientifique. Ses livres sont, au point de vue de l'exactitude documentaire, irréprochables, et c'est ce qui assurera leur durée et aussi la renommée de leur auteur. On ne lui a pas rendu, de son vivant, toute la justice que méritait cette vie de labeur. Ce savant de premier ordre meurt sans avoir reçu la moindre distinction officielle, sans que l'Institut lui ait décerné un de ses prix. Je ne l'ai jamais entendu se plaindre de cet oubli ; je crois qu'il trouvait dans la consciencieuse et patiente exécution de ses travaux la récompense des efforts qu'ils lui coûtaient et, s'il a pu, en mourant, regretter de n'avoir pu achever ceux qu'il avait entrepris et ceux qu'il méditait, il a pu se dire que son œuvre était bonne et solide et qu'elle suffisait pour lui assurer une place éminente parmi ceux qui, ayant pour but principal la science elle-même, ont travaillé « à la bénédictine ».

Paul SÉBILLOT.