LETTRE II (Tournefort, 1717)
Ladanum
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Etant de retour à Retimo, on nous avertit que c'étoit la saison de la récolte du Ladanum[1], & que si nous souhaitions de la voir faire, nous pouvions aller à Melidoni, assez beau village, le long de la marine à 22. milles de Retimo [...]
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- ↑ Drogue qui sert aux Apoticaires & aux Parfumeurs.
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Je m'avisai de demander qu'on nous vendît au moins, l'instrument[1] avec lequel on amassoit le Ladanum. C'est une espéce de fouet à long man-
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- ↑ Εργαστῆρι καὶ Εργαστήριον, Instrument : quoique ordinairement ces mots signifient une Boutique, ou une Prison.
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che, & à double rang de courroyes, tel que la figure le représente. [...]
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Enfin tirant du côté de la mer, nous nous trouvâmes sur des collines seches & sabloneuses, couvertes de ces petits arbrisseaux qui fournissent le Ladanum. C'étoit dans la plus grande chaleur du jour, & il ne faisoit pas de vent : cette disposition du temps est nécessire pour amasser le Ladanum. Sept ou huit paysans en chemise & en caleçon, rouloient leurs fouets sur ces plantes : à force de les secouer & de les frotter sur les feuilles de cet arbuste, leurs courroyes se chargeoient d'une espéce de glu odoriférante, attachée sur les feuilles ; c'est une partie du suc nourricier de la plante, lequel transude au travers de la tissure de ces feuilles comme une sueur grasse, dont les gouttes sont luisantes, & aussil claires que la Terebentine.
Lorsque les fouets font bien chargez de cette graisse,
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on en ratisse les courroyes avec un couteau, & l'on met en pains ce que l'on en détache : c'est ce que nous recevons sous le nom de Ladanum. Un homme qui travaille avec application, en amasse par jour environ e trois livres deux onces[1] & même davantage, lesquelles se vendent un écu sur le lieu : cette récolte n'est rude que parce qu'il faut la faire dans la plus grande chaleur du jour & dans le calme : cela n'empêche pas qu'il n'y ait des ordures dans le Ladanum le plus pur, parce que les vents des jours précedens ont jetté de la poussiére sur ces arbrisseaux. Pour augmenter le poids de cette drogue, ils la pétrifient avec un sablon noirâtre & tres-fin, qui se trouve sur les lieux, comme si la nature avoit voulu leur apprendre à sophistiquer cette marchandise : il est difficile de connoître la tromperie, lorsqu'on a bien mêlé le sablon avec le Ladanum ; il le faut mâcher long-temps pour découvrir s'il craque sous la dent, ou le filtrer aprés l'avoir dissous, afin de séparer ce qu'on y a ajoûté.
L'Arbrisseau[2] qui produit le Ladanum est fort touffu, & s'élève à deux ou trois pieds. Sa fleur qui est d'un pouce & demi de diametre, a cinq feuilles couleur de rose, chifonées, assez rondes, quoique étroites à leur naissance, marquées d'un onglet jaune & bien souvent déchirées sur les bords : de leur centre sort une touffe d'étamines jaunes, chargées d'un petit sommet feuille morte : elles environnent un pistile long de deux lignes, terminé par un filet arrondi à son extrémité. Le calice est à cinq feuilles, longues de sept ou huit lignes, ovales, vénées, velues sur les bords, pointues & le plus souvent recourbées en bas ; la fleur étant passée, ce pistile devient un fruit ou coque longue d'environ cinq lignes, presque ovale, dure, obtuse, brune, couverte d'un duvet soyeux, envelopée de feuilles du calice, partagée dans sa longueur en cinq loges remplies de grai-
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- ↑ Une Oque
- ↑ Cistus Ladanifera, Cretica, flore purpureo Corol. Inst. rei herb. 19. Cistus è qua Ladanum in Creta colligitur Bell. Observ. cap. 7, lib. I. Ladanum Creticum P. Alp. Exot. 88.
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nes rousses, anguleuses, de près d'une ligne de diametre. La racine de cet arbrisseau eft ligneuse, divisée en grosses fibres longues de huit ou neuf pouces & chevelues ; le bois en est blanc, l'écorce rougeâtre en dedans, brune en dehors, & gersée de même que celle de la tige : cette tige dés sa naissance est divisée en branches grosses comme le petit doit, dures, brunes, grisâtres, subdivisées en rameaux rouge-brun, dont les petits jets qui sont vert-pale, velus, ont les feuilles opposées deux à deux, oblongues, vert-brun, ondées sur les bords, épaisses, vénées, chagrinées, larges de huit ou neuf lignes, sur un pouce ou quinze lignes de longueur, émoussées à la pointe, soutenues par un pédicule long de trois ou quatre lignes sur une ligne de largeur; celles qui sont vers les fleurs sont presque rondes, & leur pédicule a deux lignes de large. Toute la plante est un peu stiptique, & d'un goût d'herbe : elle se porte bien à Paris dans le Jardin Royal, & ressemble assez à cette espéce de Ciste qui dégénere de la graine du Ciste à feuilles de Germandrée[1]. Cette derniere espéce se distingue par les nerfs qui traversent la longueur de ses feuilles.
Du temps de Dioscoride[2] & même plus anciennement[3], on n'amassoit pas seulement le Ladanum avec des fouets, on détachoit avec soin celui qui s'étoit pris à la barbe & aux cuisses des chevres, lorsquelles broutoient le Ciste. Le même auteur a fort bien marqué cette plante, sous le nom de Lédon.
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