Jambolin (Arveiller)
Arveiller, Raymond, 1963. Contribution à l'étude des termes de voyage en français (1505-1722). Paris, d'Artrey. 571 p.
Nom accepté : Syzygium cumini
[280]
Le nom de l’Eugenia jambolana Lamk., et de son fruit, d'étymologie connue [2], passe du portugais et de l'espagnol dans le latin de L'Escluse qui fournit, dans une adaptation de Garcia da Orta, la forme « Iambolones », dans celle d'Acosta, la forme « Iamboloins ».
Colin, traducteur de L'Escluse, a donc à son tour un chapitre « Du Iambolones dans la partie réservée à Garcia da Orta, et un autre, intitulé « Du Iamboloins », dans les passages consacrés au traité d'Acosta. Nous citerons le texte de Colin (1602) :
« Du Iambolones. Il y a un arbrisseau qui croist de soy mesmes par les champs ressemblant au Meurte, maîs ayant les feuilles comme l'Arbousier. Il porte un fruict qui ressemble asses bien aux grosses Oliues, mais qui est d'un goust fort astringent, les habitans du lieu l'appellent Iambolones. On le confit dans la saulmoire, comme les oliues. Au demeurant ny ce fruict, ni le Iaca, ne sont pas estimés estre gueres salubres par les habitans de ce pays [3]. - Du Iamboloins. La matiere de cest arbre est couuerte d'une escorce, presque semblable en couleur à celle du Lentisque, il a les feuilles semblables à celles de L'arbousier, mais elles ont le goust du Meurte verd : le fruict est semblable aux oliues meures de Cordouë, d'un goust astringent et aspre.
Ces fruicts ne sont aucunement en usage de mededne, mais on les mange auec du riz cuict, car ils excitent l'appetit. Le commun l'appelle Iamboloins [4]. »
Dans le premier texte « Iambolones » paraît le nom du fruit, dans le second « Iamboloins » semble le nom de l'arbre.
En 1604, Martin de Vitré annonce :
____________________
- ↑ Le Dict. Larousse du XXe s. renvoie, pour Jambolin, à Jambosier.
- ↑ Il remonte à des formes indiennes issues du skr. jambūla, selon Dalgado, Glos., I, p. 480. D'après cet ouvrage la forme portugaise de Garcia da Orta est « jambolões », plur.; la forme espagnole d'Acosta « Iambolans », plur. Références des formes latines dans l'édition de 1593 : I, p. 203 et II, p. 299.
- ↑ Hist. des drogues, p. 320.
- ↑ P. 471. La table a « Iambolins ».
[281]
« il y a plusieurs autres sortes de fruitz desquels usent les Indiens, comme les Iambolones, les Iaccas, les Iangomas, le Macoudou, et pluSieurs autres, lesquels pour n'estre sy exquis que les susnommez ne ferai récit » [1].
Cela se lit dans la « Description et remarque de quelques animaux, plantes aromatiques, et fruicts », partie de l'ouvrage qui utilise parfois des sources livresques [2]. La forme « Iambolones », nom du fruit, peut être un emprunt au portugais jambolões ; elle peut être, aussi, prise au « Linscot » latin (1599), qui présente une formule semblable : « Brindoini, Duriones, Iambolones, Mangestani, aliique fructus quòd minoris pretii sunt, hic a me non describuntur » [3].
Le « Linscot » français de 1610 fournit la traduction de la phrase que l'on vient de lire :
« Il y a encore d'autres fruicts comme Brindoins, Durions, Iambolons, Mangestans et autres, desquels i'obmettray la description pource qu'ils ne sont guères estimez [4]. »
La source de « Linscot » a toute chance d'être portugaise [5]. Suit un développement de Paludanus [6] pillé chez L'Escluse, dont voici le début :
« L'Arbre qui porte les Iambolins [7] a lescorce comme le lentisque et est de mesme forme que le meurte, mais les fueilles sont comme celles de l'arbosier. Il croist çà et là sans qu'on y mette la main. Le fruict est fort astringeant au palais et au gosier, ne plus ne moins que les grosses oliues de Cordoue. On ne s'en sert gueres en medecine. Mais on les garde en saumure [8]. »
On aura reconnu sans peine les éléments et même la rédaction de L'Escluse adaptateur de Garcia da Orta et d'Acosta.
L'importante Histoire générale des Plantes de 1615, traduite par Des Moulins sur le latin de Daléchamps, fournit une nouvelle traduction du texte d'Acosta mis en latin par L'Escluse :
« Des Iamboleins. Cest arbre est couuert d'une escorce, qui est quasi de mesme couleur que celle du Lentisque. Il a les fueilles semblables à celles de l'Arbousier, du goust des fueilles vertes du Meurte.
____________________
- ↑ Description, p. 119.
- ↑ Voir, par ex., les articles Durion et Indigo. Ce dernier article montre que Martin utilise le « Linscot » latin de 1599.
- ↑ Navigatio, p. 62.
- ↑ Histoire, p. 145.
- ↑ C'est auprès des Portugais qu'il s'est renseigné ; cf. article Albatros, n. 32.
- ↑ L'édition française de 1610 pourrait laisser croire qu'il s'agit du texte de « Linscot » ; l'édition latine tranche la question.
- ↑ Texte latin correspondant (1599) : « Iambolinos », p. 62.
- ↑ Histoire, p. 145.
[282]
Son fruict retire aux Oliues de Cordoa qand elles sont meures et est d'un goust astreingeant qui reserre le gousier... [1]
Le traité de Lémery (1698). contient un article Jambolones, qui signale ses sources : « Jambolones, Garciae. Jamboloins, Acostae. Jambolyn, Palud. in Lisc. 4. part. Ind. Orient » [2]. La dernière référence signifie que l'annotation de Paludanus a été lue dans la réédition de Van Linschoten qui figure dans les voyages en Orient ou « Petits Voyages » publiés en latin par De Bry, 4e partie ; on y trouve effectivement les chapitres 49-51 du récit de « Linscot ». Le texte qui suit est un résumé de Paludanus :
« Est un arbrisseau des Indes, qui ressemble au mirte, mais qui a la feuille semblable à celle de l'Arbousier ; son fruit ressemble à des grosses Olives, d'un goût âpre et astringent ; on le confit dans la saumure pour le manger. Il n'est point en usage dans la Medecine, mais on en mange avec du ris cuit pour exciter l'appetit [3].
Le mot Jambolones, arbrisseau, est ici latin, et non français.
Le vocable apparaît dans le dictionnaire de Furetière, édition de 1727. Le texte est exactement celui de Lémery cité cité ci-dessus ; mais le nom choisi pour la plante est Jambolyn : le continuateur de Furetière a adopté le terme donné par Lémery comme celui de Paludanus [4].
En résumé, sauf chez Martin (1604) qui a peut-être emprunté jambolone au portugais [5], le mot apparaît en français, entre 1602 et 1727, sous diverses formes qui remontent toutes directement ou non, au latin des savants, celui du traducteur de la version néerlandaise de « Linscot », Iambolones ; celui de L'Escluse, Iambolones et Iamboloins (devenu Iambolinos chez Paludanus).
____________________
- ↑ Hist. gén., II, p. 669.
- ↑ Traité, p. 379.
- ↑ Id.
- ↑ Le Dictionnaire de Trévoux (1752) reprend exactement le texte de Lémery et de Furetière ; il choisit la forma d'Acosta : « Jamboloin, s. m. Acostae. » Boiste, Dict. (1829) donne Jambolon.
- ↑ Le Glos. de Dalgado signale une forme française isolée, le Giambelame » (1652), dans une Relation de la Chine.