Gratiole (Cazin 1868)

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Grateron
Cazin, Traité des plantes médicinales, 1868
Gremil
PLANCHE XXI : 1. Grateron. 2. Gratiole. 3. Herniaire. 4. Hièble. 5. Hysope.


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Nom accepté : Gratiola officinalis


GRATIOLE. Gratiola officinalis. L.

Gratiola centauroïdes. C. Bauh. — Digitalis minima, gratiola dicta. Morris, Tourn.

Gratiole officinale, — grâce de Dieu, — petite digitale, — herbe à pauvre homme, — centauroïde, — séné des prés, — herbe à la fièvre.

PERSONNÉES. — GRATIOLÉES. Fam. nat. — DIANDRIE MONOGYNIE. L.


La gratiole (Pl. XXI), plante vivace, se trouve dans les lieux humides, au bord des ruisseaux, sur les chaussées des étangs et des moulins. Elle est assez rare dans nos départements du nord. On la rencontre plus fréquemment aux environs de Paris (Ville-d'Avray, Gentilly, Melun).


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Description. — Racines blanchâtres, horizontales, garnies de fibres perpendiculaires — Tiges droites, simples, glabres, noueuses, d'environ 30 centimètres et plus, présentant entre chaque paire de feuilles deux sillons opposés alternativement. — Feuilles sessïles, opposées, glabres, plus ou moins dentées, ovales, lancéolées, d'un vert jaunâtre, marquées de trois nervures. — Fleurs axillaires et solitaires, pédonculées, d'un blanc jaunâtre, ou rosé (juin-septembre). — Calice à cinq divisions linéaires. — Corolle tubuleuse, plus longue que le calice, irrégulièrement bilabiée. La lèvre supérieure relevée et échancrée ; l'inférieure à trois lobes arrondis. — Quatre étamines, dont deux supérieures fertiles et deux inférieures presque toujours avortées. — Ovaire simple. — Style oblique, épaissi en haut. — Capsule à deux lobes, polysperme.

Parties usitées. — L'herbe et la racine.

Récolte. — Se fait peu de temps avant ou pendant la floraison. Elle perd peu de ses qualités par la dessiccation. On préfère même l'employer sèche, parce qu'alors son énergie est un peu mitigée.

[Culture. — La gratiole pousse dans tous les terrains ; on la propage par graines.]

Propriétés physiques et chimiques. — La gratiole est inodore ; mais sa saveur est amère, nauséeuse, désagréable. Elle contient, d'après Vauquelin[1], une matière résïnoïde d'une forte amertume, éméto-cathartique violent et principe actif de la plante (auquel Alibert a proposé de donner le nom de gratioline), une gomme brune, un acide, du malate de chaux et de soude, du phosphate et de l'oxalate de chaux, de la silice, du ligneux. — Marchand, de Fécamp, y a trouvé une substance neutre particulière qu'ii a nommée gratiolin, auquel il attribue les propriétés de la plante.


PRÉPARATIONS PHARMACEUTIQUES ET DOSES.


A L'INTÉRIEUR. — Décoction ou infusion, de 4 à 12 gr. pour 120 gr. d'eau ou de vin par cuillerées.
Poudre, de 50 centigr. à 2 gr., en pilules, potion, etc.
Extrait (1 fraîche sur 1 d'eau par décoction), de 10 centigr. à 1 gr.
Vin (1 sur 30 de vin), de 50 à 100 gr.

Teinture (1 sèche sur 8 d'eau-de-vie), de 50 centigr. à 2 gr., seule ou en potion.

A L'EXTÉRIEUR. — En lavement, 2 à 4 gr., comme vermifuge ; 10 à 15 gr., comme purgatif.
On suppose que la gratiole fait la base de l'eau de Meunier contre les hydropisies.


A trop grande dose, la gratiole est un irritant qui produit l'empoisonnement à la manière des drastiques. A dose modérée, c'est un éméto-cathartique énergique trop négligé de nos jours. Il a été utile contre certaines hydropisies non accompagnées de phlegmasie, dans l'hypochondrie, la manie, l'anaphrodisie, le rhumatisme chronique, la goutte, quelques affections vermineuses, le tænia, etc. A faible dose et fractionnée, la gratiole peut être employée comme altérante dans plusieurs maladies chroniques de la peau.

« Sept fois, disent Coste et Wilmet, nous nous en sommes servis pour purger des œdématiques, et l'effet hydragogue s'en est suivi sans irritation et sans fatigue. Nous avons administré cette infusion aqueuse à douze personnes (4 à 12 gr. de feuilles pour un verre d'eau), de différents âges, sexes, constitutions, attaquées de saburre pituiteuse, de fièvre erratique, d'hydropisie et de vers. Nous nous sommes bien trouvés de l'addition d'un gramme jusqu'à quatre de racine de la même plante, dans cette infusion, pour les hydropiques. Mais nous nous sommes abstenus de prescrire cette racine en poudre, à raison de l'état d'anxiété et de malaise qu'elle communique aux malades, par de fausses envies de vomir. »

J'ai administré plusieurs fois la poudre de gratiole comme vomitive, à la même dose que celle d'ipécacuanha : ses effets ne sont pas constants, car elle purge quelquefois énergiquement sans faire vomir. Wauters a fait la même remarque et en parle ainsi : Pessimum sane, si remedium aliquod adhibentes, ignoramus an emeticam an drasticam, an nimiam an vero nullam vim sit exerturum. Comme émétique, l'asaret est bien préférable à la gratiole, dont l'administration, d'ailleurs, n'est pas sans danger dans le cas d'irri-

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  1. Annales de chimie, 1809, t. LXXII, p. 191.


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tation gastro-intestinale, de diarrhée ou de dysenterie, malgré l'opinion de Boulduc [1], qui considère la gratiole comme aussi efficace que l'ipécacuanha, au commencement de cette dernière maladie. Il n'y a aucune parité entre l'ipécacuanha, qui agit principalement sur l'estomac comme vomitif, et la gratiole, dont, l'effet, comme purgatif violent, se produit sur tout le tube digestif.

Comme purgatif, la gratiole est le meilleur succédané du jalap et du séné. J'ai souvent remplacé ce dernier par les feuilles de gratiole à la dose de 8 gr., infusées dans 120 gr. d'eau, avec addition de 30 gr. de sirop de nerprun. Wendt fait beaucoup de cas de ces feuilles, réduites en poudre, pour purger les scrofuleux (Hufeland).

J'ai employé, d'après Bergius, dans les fièvres intermittentes automnales avec cachexie, le mélange de 30 centigr. de gratiole en poudre avec 25 centigrammes de gentiane. Après quelques jours de l'usage de ce mélange, je faisais prendre l'écorce de saule unie à l'absinthe et à la racine d'angélique dans le vin blanc ou dans la bière. J'ai presque toujours réussi à me rendre maître de la fièvre par ces moyens simples, et à obtenir ainsi, par nos végétaux indigènes, des résultats aussi satisfaisants qu'avec les substances exotiques d'un prix élevé.

Beaucoup de médecins ont recommandé la gratiole dans l'hydropisie. Heurtius, professeur de clinique à Leyde, l'a beaucoup vantée dans ces affections, parce qu'il a eu probablement affaire à des hydropisies passives. Ettmuller, Hartmann, Wilmet, l'ont conseillée dans ces mêmes cas. Elle agit alors comme tous les drastiques qu'on emploie en pareille circonstance, tels que la gomme gutte, l'élaterium, la bryone, etc. Elle amène, comme ces derniers, l'évacuation des collections et des infiltrations séreuses, en provoquant d'abondantes évacuations.

J'ai donné avec succès, dans quelques hydropisies exemptes de phlegmasie et accompagnées de flaccidité, d'atonie générale, soit l'infusion aqueuse, soit l'infusion vineuse de feuilles et de racine de gratiole, à la dose de 50 à 100 gr., selon l'âge, le tempérament et les forces. Elle m'a paru agir avec certitude et sans inconvénient quand la prudence a présidé à son usage. Il faut toujours commencer par une dose modérée, afin de juger du degré de susceptibilité des organes digestifs. A la campagne, où l'on fait un fréquent usage de cette plante pour se purger, elle agit doucement chez les uns, et cause chez les autres des superpurgations, à cause du défaut de prudence et de discernement dans son administration. J'ai vu, dans deux cas d'hydrothorax avec tuberculisation, la gratiole produire une diarrhée opiniâtre et hâter la mort. On doit toujours, quand cette complication existe, s'abstenir de l'usage des purgatifs.

Peyrilhe, qui donne à la gratiole la qualification d’héroïque, conseille de l'employer avec du petit-lait, afin d'empêcher les nausées et les vomissements. Boulduc prescrit l'infusion des feuilles dans du lait, dont on donne un verre par jour dans l'ascite. Je l'ai administrée aussi dans du lait, comme purgative et vermifuge, avec succès.

L'extrait, associé aune poudre aromatique et mis en pilules, est, de tous les modes d'administration de la gratiole, celui qui mérite la préférence. Administré ainsi ou avec des feuilles de rue ou de la semence de tanaisie, il m'a complètement réussi comme anthelminthique.

C'est, comme tous les purgatifs, à titre de dérivatif et non en raison de propriétés spéciales, que la gratiole a été utile dans les affections cérébrales non fébriles, telles que l'apoplexie, la manie ; et contre la goutte, le rhumatisme chronique, les écoulements blennorrhagiques et leucorrhéiques, l'orchite, etc. On l'a vantée dans le delirium tremens. Mukebek[2] préfère

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  1. Mémoires de l'Académie des sciences, 1707, p. 188.
  2. Journal de Hufeland, 1830.


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l'extrait de gratiole à l'opium dans cette maladie quand elle est violente et qu'elle s'accompagne de beaucoup d'irritation.

Wolff[1], ayant observé dans la goutte les bons effets de l'eau médicinale d'Hudson, dans laquelle il soupçonnait la présence de la gratiole, fit macérer 30 gr. de feuilles, 16 gr. de la racine de cette plante dans 1 kilogr. de vïn d'Espagne. Il donna ce vin à des goutteux qui s'en trouvèrent très-bien. Scudamore n'en a retiré aucun avantage dans cette maladie.

A petite-dose et comme altérant, la gratiole a été utile dans les engorgements froids des viscères, la cachexie, les maladies chroniques de la peau, la syphilis, etc. Dans ces cas, c'est surtout son extrait qu'on emploie : on le fait prendre à la dose de 10 centigr., matin et soir d'abord, en augmentant ensuite peu à peu la quantité, jusqu'à ce qu'il survienne des évacuations.

Cette plante, au rapport de Kostreski (in Desruelles), a été très-utile dans les ulcères vénériens, les nécroses, les caries, les tuméfactions chroniques des testicules, des douleurs ostéocopes.

On prescrit la gratiole en lavement pour combattre la constipation par inertie intestinale, pour détruire les ascarides vermiculaires, pour agir révulsivement dans les affections cérébrales, soporeuses, dans le delirium tremens, etc. Administrée par cette voie, elle a une action spéciale sur les organes de la génération. Employée de cette manière chez les femmes, elle a quelquefois donné lieu à une sorte de nymphomanie. Bouvier a rapporté dans le Journal général de médecine[2], quatre observations qui constatent cette action singulière, et un exemple semblable a encore été publié depuis dans la Bibliothèque médicale. Le praticien devra donc en tenir note pour les cas où il jugerait nécessaire l'injection de gratiole dans le rectum.

Stohl, et après lui Swediaur, employaient la formule suivante contre les dartres et la syphilis invétérée : Rob de sureau, 90 gr. ; extrait de gratiole, 12 gr.; sublimé corrosif, 15 centigr., pour un électuaire dont la dose est de 4 gr. tous les matins.

Il est impossible d'admettre, en présence du sublimé corrosif, que la gratiole puisse avoir une part active à la guérison. On peut en dire autant de la guérison de la gale, obtenue, suivant Delavigne[3], par l'usage interne de la décoction de gratiole, joint à des onctions d'onguent citrin dans le premier cas, et, dans le second, à des lotions de sublimé dissous dans l'eau.

On a vanté les applications extérieures de la gratiole contre la goutte et le rhumatisme chronique.

On conçoit facilement que Matthiole et Césalpin aient pu croire que les feuilles de cette plante guérissent promptement les plaies sur lesquelles on les applique ; mais n'est-on pas surpris de voir Murray adopter, avec les progrès de la chirurgie, une semblable opinion ?

La gratiole est à peine employée par les thérapeutistes modernes. Trousseau et Pidoux n'en font pas mention, et ils consacrent cependant un article à la gomme gutte, à la scammonée, au croton tiglium, substances plus énergiques que notre plante indigène, et dont l'emploi n'exige pas moins de précautions. Que l'on soumette à l'observation clinique les effets de la gratiole, et elle reprendra bientôt le rang qu'elle a si injustement perdu dans la matière médicale.

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  1. Dictionnaire des sciences médicales, t. XIX, p. 324.
  2. Tome LIV.
  3. Dissertatio de gratiola officinale ejusque usu in morbis cutaneis. Erlangæ, 1799, in-4°.